Depuis trois mois nous avons profité de nos missions de travail à travers les territoires de Beni-Lubero et de l’Ituri pour faire une enquête sur les types de prostitution que tous déplorent mais qui n’ont pas encore reçu, à notre humble avis, l’attention nécessaire de la part des autorités morales, politiques et administratives. Au bout de notre enquête, notre constat est que la prostitution telle que pratiquée dans l’espace Beni-Lubero-Ituri est un fléau aussi bien préjudiciable à la société que les assassinats, les viols, et les mutilations des femmes perpétrés par des milices hétéroclites et des bandits de tout genre qui sont opérationnels dans la région. C’est pourquoi nous publions les rudiments de nos enquêtes dans l’espoir qu’ils attireront l’attention voulue et la prise de conscience que la crise qui sévit dans la région actuellement est non seulement militaire, politique, économique, mais aussi morale. Et si rien n’est fait pour redresser la moralité des citoyens, les xx chantiers de reconstruction que diffusent les politiciens et les multinationales risquent fort de s’ériger sur du sable. Notre espoir est que cette enquête suscitera un débat contradictoire sur ce site des bâtisseurs de la nation pour dégager les voies et les moyens de lutter efficacement contre le fléau de la prostitution dans nos villes, cités, et villages de Beni-Lubero-Ituri.
a. Les femmes poussées à la prostitution par l’irresponsabilité de leurs maris
Cette thèse est la plus répandue même si elle ne couvre pas tous les cas de prostitution que nous avons épinglés. D’après plusieurs personnes interrogées, la prostitution était rare dans la société traditionnelle et les rares cas de prostitution étaient sévèrement punis par la coutume. Cependant, depuis la dictature mobutienne qui mettait toute autorité du MPR au-dessus de toutes les lois y compris les lois morales, le phénomène de « Deuxième bureau », puis celui du « Troisième bureau », s’est répandu très rapidement jusqu’à engendrer les réseaux de prostitution que l’on déplore aujourd’hui.
Avec la crise économique qui secoue le pays, les hommes qui selon les traditions locales sont les piliers de la vie familiale, sont devenus incapables de subvenir aux besoins de leurs propres familles, épouses, enfants, ainsi qu’à ceux de leurs concubines. Devant cette irresponsabilité des maris et des concubins, les femmes sont pratiquement devenues des cheftaines de leurs familles.
Dans les villages ou le phénomène de la prostitution est moins présent, les femmes s’occupent des travaux des champs, de la vente des produits au marché pour subvenir aux besoins de la famille, payer les frais scolaires des enfants et même des habits aux maris qui, dans la plupart des cas, passent leur temps dans l’oisiveté et les libations.
Par contre dans les villes et cités, pour subvenir aux besoins de leurs familles, les femmes s’adonnent au commerce et très souvent, elles voyagent pour atteindre les marchés éloignés du toit familial. Parmi celles qui voyagent, nous en avons trouvé plusieurs qui cherchent toujours à être à la charge de l’un ou l’autre commerçant du sexe masculin, ou du conducteur de véhicule, ou du patron du véhicule, etc. Ainsi, ces Don Juan leur payent les tickets de voyage, la restauration, les taxes aux différentes barrières, le logement. En compensation, comme le dit bien le vieux adage, la plus belle femme du monde ne donne que ce qu’elle a…
b. Prostitution et crime économique
Le type de prostitution préjudiciable à l’économie du pays, nous l’avons surtout rencontré à Kasindi, à la frontière avec l’Ouganda. Les femmes impliquées dans ce crime économique sont parmi celles qui importent les marchandises de l’Ouganda, les font entrer en RDC frauduleusement avec la complicité des agents de la douane, en contre partie des nuits idylliques passées avec certains préposés à la douane ou à la securité. Pour tirer un maximum de profit de cette aubaine, certaines de ces femmes entreposent leurs marchandises et les vendent dans leur paradis fiscal de Kasindi et de Lubiriha, deux endroits où elles ne payent aucune taxe parce qu’elles y ont trouvé des partenaires sexuels parmi les agents commis à la douane ou d’autres agents de l’Etat. Profitant de ce manque à gagner de l’Etat, ces femmes s’enrichissent rapidement, deviennent des « Boss », et construisent des lucarnes à Butembo ou à Beni. Devant cette richesse rapide, les maris légitimes perdent leur rôle traditionnel de chef de famille. D’aucuns parlent d’émancipation du « gender » de la femme qui est capable de faire plus que le travail de la cuisine et la garde des enfants. Mais une émancipation par la prostitution n’est pas ce que les féministes désirent. Il y a donc un problème moral en dépit de l’amélioration des conditions de vie de la famille de la maman devenue « Boss » par la prostitution.
Il en est de même de politiciens ou agents de l’Etat qui s’enrichissent en volant le fisc ou les biens de l’Etat. Tout enrichissement immoral et illicite doit redevenir un problème pour notre société si nous voulons nous relever du gouffre actuel.
Un lieu de loisir de la Ville de Beni by night
c. Prostitution dans les villes et grandes agglomérations
Certaines femmes commerçantes profitent de leur occasion de sortir chaque jour pour le commerce pour passer plusieurs heures dans les « Nganda » de la ville où elles se fixent des rendez-vous avec leurs concubins. Le soir venu, elles rentrent calmement à la maison très sages comme le dit bien la parole de Dieu dans proverbes 30,20 « Voici la voie de la femme adultère : elle a mangé et s’est essuyé la bouche, et elle a dit : je n’ai fait aucun tort » (traduction du monde nouveau, 1987). Comme personne ne m’a vu ou attrapé la main dans le sac, je ne suis pas voleur selon l’adage Nande : « oyuliahambawa y’omwivi » (le voleur c’est celui qu’on a attrapé). Une société qui adopte une telle mentalité ne peut pas se reconstruire car elle manquerait à la vertu d’honnêteté et de vérité.
d. Prostitution dans les « Karido »
Actuellement, plusieurs femmes se prennent en charge en ouvrant un ‘’Karido’’, chambrette qu’elle loue pour y débiter des boissons alcoolisées à l’entrée de laquelle elle place un rideau, d’où le nom de « Karido » (petit rideau). Il est connu de tous que dans le Karido il y a un débit de boisson alcoolisée et on peut y commander non seulement de la bière mais aussi du sexe. Dès qu’un client inconnu fait son entrée dans le Karido, les femmes professionnelles du sexe qui en dépendent viennent faire leur défilé de mode devant le client pour voir s’il est intéressé, seul, ou accompagné. Même quand le client en choisit une comme partenaire de la libation, au nom de la solidarité africaine, il doit payer la bière à deux ou trois autres, les deux autres étant les amies, sœurs, ou cousines de l’élue. Certaines clientes des « Karido » sont plus dévergondées que d’autres en ceci qu’elles se laissent accessibles à toutes les bourses et se font appeler « zéro point cinq » parce qu’elles exigent très peu d’argent par ce qu’elles appellent « passage ».
A l’intérieur d’un Karido de Beni-Lubero
D’autres Karido sont plus spécialisés et réservés aux clients de haute classe et de haute facture. La distinction se fait sur base de la bourse. Pour écarter la canaille d’un Karido VIP, le prix de la bière est double ou triple. Pour celui qui n’a que l’équivalent d’une bouteille de bière, il se dirige naturellement vers le Karido qui est à la hauteur de sa bourse. On peut ainsi parler d’une discrimination positive. Ce que tu as en poche détermine l’endroit où tu va boire ! Les autorités administratives locales connaissent très bien le problème mais ne réagissent pas peut-être par incompétence ou parce qu’eux-mêmes sont clients, propriétaires, ou chasseurs de ces «Karido ». Ce fait rend difficile la lutte contre ce phénomène corrupteur des mœurs que certains qualifient de loisir, repos, etc. Le loisir doit être sain et licite.
e. Commerce, Prostitution, Divorce
Actuellement les femmes semblent mieux réussir dans le commerce que les hommes, c’est vrai pour certaines mais pour beaucoup d’entre elles c’est plutôt du commerce de façade derrière lequel se cache la prostitution. En fin, certaines femmes qui réussissent dans le commerce arrivent à mépriser leurs maris même quand ce sont eux qui avaient donné le capital initial du commerce. Pour illustration, j’étais visiteur d’un couple dont le mari était fonctionnaire de l’Etat dans le territoire de Djugu en Ituri. Il avait donné son salaire à sa femme pour le commerce du poisson. Elle achetait du poisson à Mahagi, au Nord du lac Albert pour le vendre à Bunia. Ayant bien réussi dans ce commerce de poisson elle devint très hautaine jusqu’à griffer son mari en ma présence et d’ajouter : « Cessez de m’importuner à cause de ta dot que tu avais donné à ma famille et que je veux te remettre ». Joignant l’acte à la parole elle ouvrit son sac à main, sortit des billets de banque et comptant 300 US$ qu’elle jeta à son mari, remis le reste dans le sac à main, et entrant dans la chambre à coucher. Le mari, calmement prit les billets de banque, les mit dans sa poche en parlant à lui même : « Ceci fait partie du bénéfice et c’est pour ma bière car ce n’était pas à elle que j’avais versé la dot mais à son père », puis s’adressant à moi il dit : « Allons boire de la Primus ». Notons que 300 US$ étaient la valeur de la dot car une chèvre coûtait 30 US$ et la dot chez les Nande est de dix chèvres coutumièrement. Au retour du Bar où nous étions partis boire un coup, la femme était déjà partie de sa maison, emportant toutes ses malles d’habits et son coffre-fort. Jusqu’aujourd’hui, elle n’est jamais revenue chez son mari qui pourtant lui avait donné ce qu’on appelle communément « lancement » ou capital initial.
f. Prostitution des petites filles de l’école
Notre enquête a révélé que les jeunes filles de l’école secondaire voire primaire pratiquent la prostitution pour plusieurs motivations. Les élèves filles se prostituent pour gagner de l’argent dans le but de payer les frais scolaires, des habits de luxe, le téléphone portable, les cartes prépayées, etc. Les techniques utilisées sont les suivantes :
– en quittant la maison, l’élève prostituée porte son uniforme mais dans son sac à main, en plus des cahiers, elle y place le pagne de rechange. En quittant l’école elle se dirige directement vers le lieu de la rencontre, souvent un Nganda. Elle commence par les latrines où elle entre comme élève avec son uniforme et sort habillée en pagne comme une jeune maman. Elle entre dans le « Nganda » par la porte de derrière et se confond autres femmes professionnelles du sexe jusqu’à l’arrivée de son partenaire.
– La situation s’est aggravée par l’avènement du téléphone portable et du taxi- moto : la fille qui suit le cours en classe peut sortir soi-disant qu’elle se rend aux toilettes alors qu’elle va répondre à un appel, son téléphone étant placé en mode vibratoire. Parfois, la communication se fait par SMS que les élèves reçoivent ou envoient tout en faisant semblant de suivre l’enseignement du professeur.
Dans la ville de Beni, très souvent, le lieu de rendez-vous est au « terminal » où le prix de la chambre de passage varie entre un et deux dollars américains.
Le troisième Groupe est constitué des éducateurs, pasteurs et ministres des églises, autorités politiques ou administratives, etc. Contrairement à ce que nous apprennent la morale et la déontologie, il n’est plus rare qu’un serviteur de Dieu qui doit paître les brebis du seigneur se transforme en loup qui les dévore. C’est ainsi que certains responsables des églises traditionnelles tout comme ceux des églises dites du réveil spirituel abusent de leurs ouailles. Leurs victimes se rencontrent parmi les filles de leurs chorales mais aussi des veuves qui, ne se doutant de rien, viennent chercher de la consolation auprès des ministres de Dieu pour avoir perdu leurs maris mais, et malheureusement, elles sont parfois transformées en concubines par certains serviteurs de Dieu « amoraux ». Quelques fois on remarque que les prédicateurs qui vont en voyage missionnaire se font accompagner par de jeunes dames, toujours les mêmes et qui sont gâtées par eux d’où la suspicion de la part de leurs compagnes jalouses, ce qui crée des malaises au sein de la communauté voire des bagarres entre elles.
A ce qui concerne les enseignants, certains d’entre eux abusent des élèves filles surtout en période des examens. Il arrive que certains enseignants attribuent des points arbitraires aux jeunes filles qui sont tombées dans leurs filets montant ainsi de classe alors qu’elles ne le méritent pas, mais parce qu’elles ont cédé leur corps à ces enseignants sans scrupules. Très vite, les collègues de la jeune fille découvrent le manège et ne tardent pas à surnommer leur professeur de « beau-frère ». Pour les garçons, il y a monnayage. En conséquence, non seulement que le professeur perd son influence positive sur la classe mais aussi il y a baisse générale du niveau scolaire des élèves.
Cependant, il n’est pas rare aussi que la jeune fille tente son professeur, surtout célibataire qui, séduit par son charme, se conduit comme « un taureau qui vient à l’abattage » (proverbes 7,22). Pire, le 2 mars 2008, nous avons assisté à un cas insolite : il y a ici à Butembo des professeurs qui cohabitent avec des mamans débitrices de l’alcool de fabrication artisanale. Après les cours l’enseignant se rend directement chez la maman « Mobokoli » se faisant ainsi « Mario ». L’un d’eux, toujours ici à Butembo, après avoir croqué la brebis, c’était acharné aussi sur l’agneau qui étudiait en cinquième biochimie dans une école conventionnée authentiquement zaïroise. Après ce forfait, le 2 mars dernier, ce même professeur s’était bagarré publiquement, sous l’effet de l’alcool, avec son collègue, lui aussi ivre, pour les doux yeux de l’une de leur élève de cinquième des humanités pédagogiques d’une école d’un des réseaux des écoles conventionnées protestantes. Ces faits insolites attirent notre attention et nous poussent à lancer ce cri d’alarme aux éducateurs et aux autorités tant scolaires qu’administratives. Il y a deux mille ans que Jésus avait dit « vous êtes le sel du monde…Vous êtes la lumière du monde…Si le sel s’affadit, il n’est plus bon à rien et n’a plus qu’à être jeté dehors pour être piétiné par les passants » (Mat.5 :15-14).
Le quatrième groupe est celui de l’apparition de mineurs comme organisateurs de l’immoralité ; ce quatrième groupe est la conséquence même de l’immoralité des éducateurs, pasteurs, enseignants et même les parents qui donnent de mauvais exemples aux enfants. Nous épinglons ici le cas d’un mineur qui tient les chambres de tolérance dans une localité appelée Petina, aux environs de la léproserie de l’hôpital de Oïcha en territoire de Beni, A Petina donc, un mineur de 17 ans tient un débit de boisson dont la dépendance est constituée des chambres de tolérance. Il a à sa disposition six jeunes filles dont l’âge varie entre treize et seize ans. Ces clients, des hommes adultes et des jeunes qui viennent soi- disant étancher leur soif mais en réalité ils cherchent du sexe. Les clients s’adressent au jeune homme en indiquant par un code, la mineure qui l’attire par sa beauté. La nouveauté dans notre milieu est que c’est au patron, le jeune garçon, que le client paye le prix du passage. Une fois la somme versée, le « patron » fait signe à la jeune fille désignée par son « client » et celle-ci se dirige directement dans sa chambre suivie du « client ». Le patron paye à la fille le salaire de sa sueur et garde pour lui le prix du « logement » à part la consommation de la bière que le « client » offre à sa cavalière !
Par les quelques cas ci-haut relatés, nous voulons tout simplement attirer l’attention des uns et des autres sur ce phénomène d’immoralité qui se présente sous forme de commerce, succès, loisir, recréation, etc. Comme on peut le constater, ce phénomène n’épargne personne et on ne peut l’attribuer à la seule agression du pays par le Rwanda et l’Ouganda. On dit bien que la prostitution est le vieux métier du monde, depuis Adam et Eve. Ce qui est vrai est que cette prostitution multiforme ( y compris la prostitution politique) peut avoir contribuer à l’agression du pays, les uns et les autres se laissant facilement corrompre par le plus offrant, ou livrant des secrets d’Etat à quiconque nous promet un billet vert. Les conséquences de cette dépravation des mœurs vont au-delà des méfaits de l’agression du pays. En effet, la prostitution déshumanise et sans moralité il n’y a pas de grandeur. L’objectif de notre enquête serait atteint si les beniluberois et les beniluberoises ouvrent leurs yeux sur ce phénomène de prostitution pour le combattre dans tous aspects sournois. Comme dit un proverbe bantu : « on n’est pas mordu par un serpent que l’on voit ».
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Kahindo Edgar
Racodit-Butembo
Beni-Lubero Online