





Voici bientôt plus d’une année que les territoires de Beni-Lubero pleurent chaque jour leurs citoyens, qui tombent sous les balles d’hommes en uniformes. Pas toujours autrement identifiés. Cette criminalité qui perdure s’est accentuée depuis l’affectation massive, si pas imposée, au Nord-Kivu, des éléments armés issus des rangs du CNDP (Conseil National pour la Défense du Peuple) « général » Nkunda. Cette situation d’insécurité généralisée empoisonne la vie des paisibles populations de Beni-Lubero.
Le paradoxe, c’est qu’elle risque de profiter aux cyniques pacificateurs qui à l’approche des élections de 2011 vont encore se poser en champions de la sécurité. Et parmi eux, Joseph Kabila le premier, dont la réponse a été on ne peut plus claire lors de son dernier passage à Butembo. Selon lui, l’insécurité qui règne dans ces territoires, serait entretenue par les propres fils de ce terroir, membres d’une armée ethnique et autres milices locales. Quelle réponse d’un chef d’Etat? Sensé être le garant de l’intégrité du territoire, chef suprême des forces armées dont la mission principale est d’assurer la sécurité des citoyens et de leurs biens ! Une faute grave de communication politique. Surtout pour un futur candidat président de la république. Face à l’insécurité ambiante à Beni-Lubero, une réponse comme celle-là n’est pas celle qu’attend une population meurtrie. Elle a plus besoin de compassion. Mieux encore, d’une solution immédiate pour le rétablissement de la sécurité. Ce qui est grave, c’est que certaines notabilités locales se plaisent à corroborer ce mensonge du président Kabila. En assimilant ces tueries à des simples règlements des comptes. Quelles que soient les raisons imaginables, pareille réponse n’est pas digne d’un responsable du rang d’un chef d’Etat.
On peut d’ailleurs être tenté de croire que cette réponse était une sorte de signal lancé aux criminels qui courent les rues de Beni-Lubero pour qu’ils continuent à tuer. Car, depuis le passage de Kabila dans la région, au mois de septembre dernier, la criminalité s’est accentuée. Au regard de l’accroissement du nombre des victimes recensées quotidiennement. On peut même se demander, combien il faudra des victimes pour que les autorités locales et nationales se préoccupent sérieusement de cette insécurité, qui peu à peu paralyse l’économie de cette région jadis dynamique. Terroriser la population pour mieux occuper, reste apparemment le seul objectif. Et cette peur semble être délibérément entretenue aux yeux de la population. Et pour l’exacerber, ces criminels commencent à s’attaquer aux symboles.
L’abbé Bakulene, curé de la paroisse de Kanyabayonga, fusillé le 8 novembre , une victime symbolique.
Le diocèse de Butembo-Beni, vient d’enregistrer une première victime parmi ses prêtres depuis cette campagne macabre. Pour rappel, le regretté Bakulene Cyprien, paix à son âme, a été assassiné le 8 novembre dernier à Kinyondo. A quelques encablures de la paroisse de Kanyabayonga, où il était curé. Il est regrettable qu’il ait été enterré à Musienene(Butembo). Alors que l’histoire religieuse, renseigne que les apôtres persécutés, les martyrs, ont souvent eu leur sépulture en terre de mission. Une stèle, ou la tombe, de l’abbé Bakulene à la paroisse de Kanyabayonga serait symboliquement important. Un pied de nez à ses assassins qui courent encore les rues de Kanyabayonga. On espère que l’évêque de Butembo-Beni fera quelque chose en ce sens, en mémoire de cet humble serviteur.
Quelles que soient les circonstances dans lesquelles ce meurtre a été commis, le caractère symbolique de la victime ne peut pas ne pas éveiller la conscience. On comprend très vite que l’objectif de ces assassinats ciblés est de susciter le plus de peur possible. Décourager et briser les forces potentielles de résistance. S’il faut mettre cet assassinat en liaison avec les velléités d’occupation de la région du Nord- Kivu, cela ne pas sans rappeler une certaine histoire classique de l’occupation….Napoléon Ier, écrivait à son frère Joseph, lorsque, après l’accession de ce dernier au trône de Naples, il y eut quelques tentatives d’insurrection parmi les habitants de l’Italie méridionale: » la sécurité de votre domination dépend de la manière dont vous vous conduirez dans les provinces conquises. Faites brûler une douzaine des localités qui ne veulent point se soumettre, naturellement après les avoir fait piller au préalable. Mes soldats ne doivent pas revenir les mains vides! Faites pendre trois et même six personnes dans chaque village qui se sera joint à l’insurrection, et n’épargnez pas en cela le costume ecclésiastique… »(1). On voit bien que l’exemple venait d’en haut et les émules ne manquent pas jusqu’aujourd’hui. Et quand l’AFDL(Alliance des forces pour la libération du Congo) est entré à Kinshasa en 1997, le mot d’ordre était lancé en swahili contre les quelques kinois récalcitrants: » tuta watawala kwa silaha: nous allons vous dominer par les armes. Et tout ceci rappelle toute l’actualité récente qui a focalisé l’attention de ceux qui suivent la situation de Beni-Lubero.
Mais alors, si le diocèse de Butembo-Beni est attaqué à travers l’assassinat de l’abbé Bakulene, on ne peut pas s’empêcher de penser à la réaction du président de la Commission électorale indépendante, confrère de l’illustre disparu, aujourd’hui, un des très proches collaborateurs de Kabila.
Face à la criminalité à Beni-Lubero, où est donc passé Malumalu?
Confronté quotidiennement aux bains de sang provoqués par ces anges de la mort, la pieuse population de Beni-Lubero s’interroge sur ce que fait l’un de ses prêtres, l’abbé Malumalu auprès de Kabila. D’aucuns se demandent combien il faudra des morts à Beni-Lubero pour qu’il sorte de son silence. D’autres encore plus révoltés, se demandent ce qu’il lui donne comme conseils, lui qui compte parmi les conseillers spéciaux du chef de l’Etat. Ceux qui doutaient encore de cette qualité, en ont eu la preuve à Butembo, le 14 septembre dernier, lorsque Kabila fait appel à lui face au public, pour qu’il l’aide à interpréter un passage de la Bible sur le temps de la paix. Non retrouvée. Pour rappel, l’abbé président de la CEI est à la tête d’Amani Leo, de Starec, et le mot cumul ne suffirait plus pour désigner ses différentes fonctions. Et toutes ces organisations destinées à ramener la paix au Kivu, on ne sait plus trop à quoi elles servent face à ce regain d’insécurité. Bien plus, on rappelle qu’il se propose d’organiser les élections présidentielles pour novembre 2011 envers et contre tout. Qui va finalement voter dans ce climat de terreur et d’insécurité généralisée? Ce Congo utile a l’impression que le silence du chef de l’Etat et de son gouvernement frise quelque peu la complicité avec l’ennemi. Se rappelle-t-il qu’il a été élu massivement ici sur le thème de la paix? Poser toutes ces questions que la majorité silencieuse se pose n’est pas raconter » n’importe quoi ». Comme aimeraient à le dire les proches de l’abbé président de la CEI, reprochant à Beni-Lubero de trop demander à Kabila et à son entourage. L’assassinat de l’abbé Bakulene, le confrère de Malumalu et collaborateur de ce dernier, pour avoir supervisé le centre des élections de Beni en 2006, l’amenera-t-il à sortir de son silence, à afficher clairement sa position? Il est temps de le faire savoir. Sinon une certaine opinion serait tentée de croire qu’il cautionne le projet des éventuels occupants par la terreur. Ou alors, il devrait s’employer à bien faire passer le message des opprimés de Beni-Lubero auprès de Kabila. En revêtant son costume ecclésiastique qu’il aurait troqué contre autre chose. A Beni-Lubero, on a par exemple besoin d’une police militaire disciplinée, qui patrouillerait jour et nuit dans les rues des centres urbains de ces territoires, afin de permettre à la population de passer pacifiquement les fêtes de fin d’année. Même une période relativement brève, pendant laquelle serait déployée ce genre de force, suffirait pour juger de la bonne foi des autorités.
Des responsabilités partagées
Tout ce qui arrive à Beni-Lubero, est de la responsabilité première du chef de l’Etat Congolais.
D’abord parce qu’il n’a jamais fixé les congolais en général et ceux du Kivu en particulier sur son projet de pacification de cette partie de la RDCongo. Ensuite parce qu’il n’a jamais révélé le contenu des fameux accords qu’il n’aurait pas respectés après les avoir signés avec les autorités rwandaises et le CNDP. La plupart des bavures, a en croire les victimes, seraient attribuées aux éléments armés issus des rangs du CNDP.
La responsabilité de l’insécurité lui incombe aussi, dans la mesure où il n’a jamais réussi à affecter les éléments armés issus de ce mouvement ailleurs que dans le Kivu. Pour rappel, la RDCongo est presque aussi vaste que l’Europe. Et dire que les tutsi du CNDP revendiquent leur « congolité » par les armes et qu’ils refusent d’aller servir le Congo ailleurs qu’au Kivu, on peut s’interroger.
La dégradation de la situation sécuritaire au Nord-Kivu, est aussi à mettre à son passif, parce qu’il n’arrive pas à verser régulièrement la solde des militaires. Impayés et armés , ils sont très dangereux. C’est là que certains observateurs l’accusent avec son mentor Kagame, de dire implicitement aux éléments de cette armée » brassée”: “suivez-moi et je vous conduirai où vous trouverez de l’or et de l’argent “comme Clovis disait à ses hommes(2). Kabila sans le savoir, semble s’inspirer aussi de Napoléon qui s’écriait: » soldats vous êtes mal nourris et presque nus(…). Je vais vous conduire dans les plus fertiles plaines du monde; vous y trouverez de grandes villes, de riches provinces; vous y trouverez honneur, gloire et richesse » (3).Pillages, viols et autres destructions méchantes constituent le lot quotidien des populations du Kivu qui ne sont sans rappeler ces exemples historiques.
L’Eglise Catholique, dont le poids électoral est incontestable en RDCongo doit suppléer à cette carence de leadership. En formant et en soutenant des leaders politiques dignes de ce nom en leur assurant une base arrière solide, avec en échange l’obligation des résultats. Au lieu d’opposer à la menace, le seul discours de demander à ceux qui veulent se défendre de remettre les couteaux dans les fourreaux, aimer son ennemi (…), alors que lui est toujours prêt à assommer, à dominer.
Les intellectuels ne peuvent non plus s’exonérer de leur responsabilité tant ils ont été complices de la destruction de la RDCongo en se mettant tête baissée au service des militaires en échange des avantages égoïstes et la peur du canon et de la baïonnette. On peut bien rétorquer qu’il est facile de le dire. Mais il n’est tout de même pas interdit de le penser. Ils devraient s’affranchir de cette torpeur et se former au langage de la résistance. Ils devraient aussi s’employer à rehausser leur prestige, en défendant le sens de l’effort qui confortera aux yeux du monde leur honneur et leur dignité. L’enrichissement facile les ayant tous dévalués.
Le début de solution, c’est d’abord une volonté politique, doublée du rétablissement de l’autorité de l’Etat en mettant fin à l’impunité. Ensuite mettre sur pied des conditions minimales de sécurité, en formant une armée véritablement nationale et disciplinée. Ces conditions permettraient aux populations et autres entrepreneurs d’investir et de travailler avant de leur demander de payer les taxes et l’impôt. D’après certaines études menées sur les freins aux investissements en RDCongo, il y aurait 622 différentes taxes imposées aux opérateurs économiques. Et par la suite, redistribuer le fruit des impôts à travers des salaires décents et des investissements publics efficaces, efficients et économiques. Au lieu de développer cette économie du maquis financée par les organisations mafieuses qui remplissent les poches du « saigneur » de guerre et sa bande au détriment de la population et du prestige d’un si grand et riche pays qu’est la RDCongo.
(1)Notes: BACON Jean, Les saigneurs de la guerre, éditions phébus, Paris, 2003(1) pge 65,
(2) et (3) pge 40.
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Mbusa Faustin
France
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