





Des tracasseries protocolaires à l’école
En 1971, sous le régime de Mobutu et en la faveur des « Trois Z », on commençait à enregistrer quelques tracasseries à Beni-Lubero. Très vite, les zaïrois n’avaient plus le droit de s’appeler madame, mademoiselle ou monsieur.
Désormais, ces titres étaient réservés uniquement aux étrangers, exception faite de « mademoiselle » qui, dans tout le Kivu, continua à désigner une infirmière qu’elle soit mariée ou célibataire, us et coutumes encore en vigueur dans la région. Nous devions nous familiariser à l’usage du titre ‘citoyen’ ou ‘citoyenne’, ce qui n’était pas évident pour nous qui, à l’école primaire, étions habitués à dire « moi, monsieur! » pour demander la parole à notre instituteur.
Des tracasseries administratives à l’école
Et cela ne s’arrêta pas là. En effet, un beau matin, notre directeur d’école nous renvoya à la maison pour que chacun revienne le lendemain avec son nom « authentique », c’est-à-dire dépourvu d’une quelconque consonance occidentale. Jusque-là nous portions des prénoms « chrétiens » suivi des noms. Désormais, il fallait nous départir de nos prénoms pour ne garder que nos noms accouplés à des post-noms qui étaient généralement les noms de grands-parents.
A cause de ce changement majeur d’identité et du bouleversement intervenu dans l’ordre alphabétique de nos noms, certains écoliers ne répondaient plus « présents » à l’appel matinal, tout simplement parce qu’ils étaient perdus. Ils ignoraient leurs nouveaux noms. Bref, ils ne se reconnaissaient pas dans les noms de leurs grands-parents!
Les enseignants eurent beau faire l’appel matinal tous les jours afin que tous puissent se familiariser à ces noms mais nous avions toujours l’impression qu’ils s’adressaient à d’autres personnes car nous n’étions pas habitués à être désignés par des noms « ringards » de nos grands-parents. En tout cas, les premiers mois, nous ne voyions pas d’un bon œil ce Recours à l’Authenticité. Il nous eut fallu de longs mois avant d’apprécier à sa juste valeur ce changement opéré par Mobutu et qui fut d’ailleurs suivi par d’autres pays amis dont le Togo du Président Eyadema.
Un casse-tête chinois
Pourquoi nous était-il plus difficile à Beni-Lubero d’intégrer ce changement socioculturel ? Ce serait du fait qu’en perdant nos prénoms chrétiens, il ne nous restait plus que nos noms pour nous identifier. Or, au sein de l’ethnie Nande, tout enfant portait un nom générique qu’on lui attribuait automatiquement dès sa naissance.
Ainsi, les membres masculins se retrouvaient avec des noms du genre Paluku, Kambale, Kasereka, Kakule, Katembo à quelques variantes près. Les filles s’appelaient selon l’ordre d’arrivée : Masika, Kavira, Kavugho, Katungu, Kyakimwa ou quelques variantes de ces noms. Nos enseignants évitèrent de nous appeler par les noms susmentionnés pour ne pas se buter à une homonymie déroutante spécifique chez les Nande, une classe pouvant enregistrer à elle seule une demi-douzaine des « Paluku » ou des « Kambale ». Un vrai casse-tête chinois.
A la place, les autorités scolaires préférèrent nous appeler par nos post-noms, ceux hérités de nos grands-parents mais qui avaient, du coup, la fâcheuse réputation de nous vieillir. A l’époque, nous pensions à tort que nous perdions ainsi notre identité. En effet, qui parmi ces jeunes écoliers pouvait-il se reconnaître derrière ces vieux noms en kinande, souvent très longs, et chargés d’histoire ? Personne.
Héritage de noms fantaisistes
Par ailleurs, certains noms que nous pensions sincèrement être ceux de nos grands-parents se révélèrent n’être que des surnoms qu’ils héritèrent des colons belges. Un camarade de classe se fit appeler Saliboko, du nom de son grand-père. On apprendra plus tard que cela venait d’une injure qu’un Belge lança à ce vieil homme en disant : « Sale bouc ! ». Mais dommage ! Le post-nom était déjà validé comme tel car « Saliboko » sonna comme du kinande aux oreilles du directeur d’école lors de la transcription des registres. Un autre camarade se fit appeler Kilolo. On apprendra que c’était en fait le métier de son grand-père qui fut le « clairon » à la carrière minière de Mununze. Une vraie supercherie, monsieur l’avocat de la cour ? Aurions-nous été affublés des post-noms fantaisistes ?
Les registres scolaires furent modifiés de fond en comble en 1971 car dans les colonnes réservées aux noms des parents, il fallait aussi décliner leurs nouveaux post-noms. A l’occasion, ma mère créa le sien de toutes pièces suite à ma demande pressante. Et ce post-nom fut accepté étant donné qu’il était « authentique », en Kinande, lequel post-nom elle porte encore aujourd’hui.
Mais mon cousin Oscar eut à passer un quart d’heure difficile avec son instituteur pour lui avoir déclaré que sa mère s’appelait « Verena » pensant sincèrement que ce post-nom semblait «authentique ». Il fut exclu des cours et revint le lendemain avec ce qu’il croyait être le vrai nom cette fois-ci. Innocemment, il s’approcha de son maître et lui dit : « J’ai le vrai nom de ma mère en Kinande : elle s’appelle Nya’maria ». Là, l’instituteur ne s’était pas retenu de lui faire deux bonnes raclées car le nom prétendument « authentique » que mon cousin déclinait était en réalité une autre façon de dire « la mère de Marie ». Et Marie était la grande sœur du cousin…
Des tracasseries policières naissantes
Mais il y eut d’autres tracasseries, plus graves encore, venant cette fois-ci des gendarmes et des policiers corrompus. Ces tracasseries feront l’objet de nos prochains articles. Par exemple, l’agacement de la population autour du nouvel hymne national La Zaïroise qu’on obligea à tout le monde de chanter, sans se tromper, y compris à nos grands-mères de Maboya et de Mabuku. Ou encore le zèle du « cader » Abassi, ce policier de Beni, qui opéra toujours au niveau du parking Ozacaf.
Nous évoquerons aussi les tracasseries des années 80 savamment orchestrées par la Brigade Routière autour du redoutable gendarme Masudi, ce « roulage » ventripotent, affecté au rond-point de Beni… Et que dire par ailleurs de nos policiers pygmées avec leur brigadier-chef en poste à Mbau sous la houlette du chef Atsongya?
Enfin, on aura bien de choses à raconter au sujet des tracasseries de haut vol entretenues par les « bérets verts » positionnés à Kasindi qui se permirent d’instaurer illégalement une taxe dite « taxe Zegebe » dont seules les femmes étaient imposables – et s’en acquittaient de gré ou de force – soi-disant pour réparer les préjudices subis par la première dame, mama Bobi Ladawa. En effet, les militaires accusaient les femmes d’être à l’origine des rumeurs malveillantes colportées dans la région se moquant du postérieur plat de l’épouse du Président Mobutu… Tout cela, à suivre dans un prochain article.
Kasereka Katchelewa
Aisy-sur-Armançon, France
©Beni-Lubero Online





