





Depuis l’annonce des résultats partiels des élections présidentielles et législatives au Congo-Kinshasa, les congolais cherchent à comprendre la dynamique de ce scrutin historique, à la fois au niveau local et national, qui a dérouté tous les pronostics et les sondages d’opinion.
Que s’est-il passe au Congo-Kinshasa pendant les élections du 30 juillet 2006 ? En effet, les candidats qui partaient pour gagnants sont devenus perdants et vice-versa. Comme dans l’Evangile, les premiers sont devenus derniers et les derniers premiers. Les résultats proclamés par la Commission Electorale Indépendante ont ainsi remis chacun à sa vraie place ! Cet état des choses a permis de voir qu’aucun candidat aux élections ne peut se prévaloir d’avoir le monopole de l’électorat congolais. Ainsi les lauréats du premier tour pousses contre leur gré au second tour, sont-ils obligés de puiser davantage dans leurs ressources argumentaires pour convaincre les électeurs de leur capacité de diriger le pays selon la volonté du souverain primaire dans un contexte particulier de la mondialisation politique et économique.
Joseph Kabila qui était pressenti comme gagnant aussi bien par sa classe politique que par ses détracteurs, n’est pas passé au premier tour même s’il peut savourer sa première place avec 44, 81%. Il a été élu massivement à l’Est du pays où il n’avait pratiquement rien fait depuis son accession au pouvoir. A l’Ouest où il avait multiplié ses actions de bienfaisance dans le domaine social et politique (électrification, eau potable, routes, octroi des postes stratégiques de son gouvernement, etc.…), il a récolté la tempête. Il a fallu qu’il y ait élections pour qu’il se rende compte de sa côte de sa popularité à l’Ouest resté pendant 37 ans sous le régime des fils de l’Ouest. Si les kabilistes avaient été accueilli avec triomphe à l’Est comme à l’Ouest après un triste règne de Mobutu, ce n’était pas parce qu’ils étaient plus beaux aux yeux des congolais que les mobutistes. Le peuple fatigué des mobutistes attendait de kabilistes l’amélioration de leurs conditions de vie. Cet espoir est toujours grand à l’Est du pays. Mais comme les congolais de l’ouest étaient habitués à la gestion de la res publica, leur patience commence à s’essouffler surtout quand ils constatent que les kabilistes sont des oiseaux du même plumage que les mobutistes. Le fait que les mêmes causes conduisent aux mêmes effets explique la monnaie de singe rendue à Joseph Kabila à l’Ouest lors du premier tour. Dans son discours après l’annonce des résultats du premier, il a promis de corriger ses erreurs du passé. Les électeurs de l’ouest attendent de lui une démarcation nette des gouvernements du passé qui ont laissé le Congo exsangue. Et pour cela, Joseph Kabila a 7 semaines pour ratisser large dans l’électorat de l’ouest et du centre. A l’Est, les congolais espèrent toujours que les élections telles que organisées sous sa houlette mettront fin à l’insécurité généralisée au Kivu et en Ituri. Si ce n’est pas le cas, les congolais de l’Est reconnus pour leur résistance risqueraient de lui être plus hostiles que ceux de l’Ouest. Comme disent certains observateurs, son score carton plein de l’Est n’est pas un chèque à blanc mais bien un pari. Les confessions religieuses de l’Est qui ont donné à son gouvernement le président du sénat et le président de la commission électorale indépendante peuvent à tout moment monter l’électorat contre lui si sa promesse de pacification et de réunification du pays n’est pas tenue.
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Jean-Pierre Bemba, qui pendant toute la période de la Transition était impopulaire partout au pays jusque dans son village natal, peut être considéré comme la Révélation de ce premier tour du scrutin présidentiel. En effet depuis sa triste association à l’opération ‘Effacer le Tableau’ de Décembre 2002 et Janvier 2003 quand ses militaires préférèrent la chaire humaine au cabris de la Province Orientale et du Nord-Kivu, le pillage au Nord-Kivu par ses militaires après la chute de Kanyabayonga entre les mains des soldats rwandais, et l’éviction spectaculaire d’Antoine Ghonda de son parti politique sur instigation de Yoweri Museveni de l’Ouganda, Jean-Pierre Bemba était devenu tristement célèbre aussi bien à l’Ouest qu’à l’Est du pays. A ces faits, il faut ajouter le tempérament de yankee impénitent connu au chairman du MLC dans sa façon de diriger son parti politique et la commission financière du gouvernement. Que s’est-il passé au mois de juin 2006 pour qu’il inverse la tendance et prenne de court tous les diagnostics ? D’aucuns parlent d’un vote de protestation contre le pouvoir des Kabila qui peinent à améliorer les conditions de vie des congolais et contre l’omniprésence de la communauté internationale au Congo qui semble tout régenter et gouverner à la place des gouvernants congolais devenus comme des sous-traitants. En effet, pendant la transition, rien ne s’est fait sans la grâce de la CIAT. Sans leur présence au Congo et sans leur argent, le Congo serait toujours en guerre et divisé en plusieurs republiquettes… Le vote pour Jean-Pierre Bemba serait ainsi un vote sanction contre ce qu’on appelle à Kinshasa le Kabilisme. Ainsi, d’après certains observateurs, le vote-protestation en faveur de Jean-Pierre Bemba n’est pas non plus un cheque à blanc en faveur du chairman du MLC…C’est un vote de désespoir d’un peuple pris au piège d’une démocratie et d’une loi électorale concoctées à l’étranger sans sa participation préalable. En effet, le peuple n’a été associé qu’a la phase finale du processus après avoir été absent au rendez-vous de Lusaka, de Gaborone, de Sun City et j’en passe. Rappelez-vous que la caution non remboursable de 50 000 US$ était exige de chaque candidat président dans un pays où près 95% de la population vit avec moins d’un dollar américain par jour. Pour d’autres observateurs, Jean Pierre Bemba a gagné à l’ouest grâce à la grande campagne d’intoxication des mobutistes sur la congolité du Président sortant, Joseph Kabila. Entre celui qu’on a catégorisé comme étranger et celui qui se dit congolais, le choix était donc clair, même sans conviction que ce dernier ferait mieux. Les congolais de l’ouest chercheraient ainsi un changement pour le changement espérant que du changement de la personne qui est en tète, ils assisteraient à une nouvelle dynamique politique au Congo-Kinshasa. Au nom de cette soif de changement, les électeurs de Jean-Pierre Bemba auraient fermé l’œil sur tout ce qu’ils lui reprochaient pendant la rébellion et pendant la transition. Il était à la tête de la commission économique et tout le monde connait le bilan de cette commission dans l’amélioration des conditions de vie des fonctionnaires de l’Etat, des enseignants, etc. A l’heure des élections, c’est un autre paramètre qui avait donc présidé au choix des électeurs, à savoir, la congolité des dirigeants et non la capacité de diriger le Congo. Au second tour, on ne serait donc pas surpris de voir un autre critère surgir pour déterminer le choix des électeurs congolais qui se révèlent imprévisibles et pusillanimes lors du premier tour.
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Oscar Kashala est l’autre candidat surprise de ce premier tour du scrutin. De nulle part, Oscar obtenu 3% des suffrages dans un pays où il a débarqué la veille des élections. Là aussi, les congolais, dans leur recherche de nouveauté et de changement, ont jeté leur dévolu sur un candidat qu’ils ne connaissaient pas, juste pour exprimer leur désir de changement. Le vote pour Oscar Kashala peut être considéré comme un vote de désespoir d’un peuple sans berger, lassé de ses dirigeants. Le simple fait de venir des USA était suffisant pour faire rêver ce peuple d’une manne que le Docteur Oscar apporterait dans ses valises pour changer comme par un coup de baguette magique leur situation socio-économique après des décennies de galère.
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Ce qui est vrai est que le peuple attend un changement, une amélioration de ses conditions de vie. Le Problème est que ce peuple ne sait pas comment discerner celui qui peut apporter ce changement. Pire encore, on a l’impression que ce peuple oublie souvent qu’il est partie prenante de ce changement. Il y aurait donc un problème de discernement et de maturité politique au Congo-Kinshasa. Les partis politiques dont la mission est d’éduquer politiquement ce peuple ont donc failli à leur mission à cause de leur opportunisme qui n’est plus à démontrer.
A l’Est du pays, les congolais continuent de s’interroger sur l’échec cuisant de Pierre Pay Pay aux présidentielles, lui qui est un congolais originaire de l’Est, plébiscité favori des élections du 30 juin dès l’annonce de sa candidature. Bien qu’ils soient ami de plusieurs chefs de confessions religieuses et malgré ses nombreux investissements à l’Est dans plusieurs domaines socio-économiques, le favori de la première heure dont la congolité ne fait aucun doute a reçu moins des suffrages que le rwandais Azarias Ruberwa, vice-président de la République indésirable à l’Est du Pays pour les méfaits de son mouvement politico-militaire pendant la rébellion et jusqu’à nos jours. Que s’est-il passé ? Plusieurs observateurs pensent que le fait d’avoir battu campagne avec des anciens mobutistes de triste mémoire a joué à sa défaveur. En effet, aucun ancien mobutiste n’est passé député à l’Est et particulièrement dans l’espace Beni-Lubero. Un autre fait qui peut avoir joué contre la candidature de celui qu’on a appellé P3 pendant la campagne, c’est la timidité du candidat. Connu comme mobutiste modéré et récupérable, P3 aurait fait la différence en parlant plus pour lui-même que par l’intermédiaire de ses lieutenants réputés de l’aile dure des mobutistes. Pourquoi la congolité et le tribalisme n’ont-ils pas joué à sa faveur ? A l’Est du pays où les congolais ont souffert entre les mains des politiciens congolais depuis l’indépendance, la mayonnaise de la congolité préparée à l’Ouest n’a pas pris. Les congolais de l’Est se veulent pragmatiques et réalistes. Plusieurs faiseurs d’opinion à l’Est du pays disent avoir pris conscience que le Congo n’a jamais été en paix chaque fois qu’il a voulu s’autodéterminer en excluant les occidentaux de son sein. On l’a vu en 1960 avec l’avortement de l’indépendance sous Lumumba, la courte vie de la révolution de Mzee Laurent Désiré Kabila… Le fait d’avoir un Président congolais ou pas, un intellectuel ou pas, un technocrate ou pas, ne suffit pas encore pour résoudre la crise qui secoue le Congo depuis des décennies. Le Congo se remettra petit à petit de sa crise quand son peuple et ses dirigeants comprendront que leur pays est au centre de plusieurs intérêts internationaux et qu’ils doivent collaborer avec la communauté internationale pour se sécuriser et pour se développer. C’est pourquoi les congolais de l’Est ont jeté leur dévolu sur Joseph Kabila qui non seulement les a libérer de la machine de guerre des rebelles du RCD et du MLC mais aussi a fait revenir au Congo ceux qui inventent les guerres chaque fois qu’ils sont exclus. La pilule est amère à avaler mais les congolais doivent être réalistes. Il y a des étapes douloureuses qu’ils doivent franchir sur la voie de leur libération et de leur développement. Le nationalisme est bon mais il a des préalables pour réussir. Ainsi pour les congolais de l’Est, il parait judicieux de voter pour celui qui ne menace pas l’unité du pays et qui prêche la cohabitation avec la communauté régionale et internationale comme voie d’issue obligée en cette période de la mondialisation. Le Congo n’est pas le seul pays au monde à faire cette douloureuse expérience… Faire fi de cette triste réalité pousserait les congolais dans une témérité nationaliste qui risquerait de coûter plus cher au Congo que le lumumbisme, le mobutisme et les kabilismes. Les congolais doivent tirer les leçons de leur passé récent. Malheur à eux s’ils se comportent comme un peuple sans mémoire !
Ainsi, au second tour, les congolais doivent savoir ce qu’ils veulent Si cette erreur n’est pas résolue, toute personne qui prendre le pouvoir au Congo ne fera pas mieux. Les congolais doivent s’attaquer au vrai problème du Congo au lieu de se perdre dans les futilités. Et le temps des élections est la pour les y aider. La politique du ôte-toi de la que je m’y mette pour faire la même chose, est celle qui a caractérisé notre passé qui est la cause de tous nos malheurs. Les congolais doivent apprendre à faire un vote-contrat avec tous leurs élus pour qu’une fois au pouvoir ils s’emploient à remplir leur part du contrat tel que convenu de commun accord. Ce vote-contrat est ce qui peut nous aider à mettre fin au cycle des pouvoirs autocratiques et opportunistes qui se sont succédé au Congo et qui ont toujours trahi les aspirations profondes des congolais.
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Vincent K. Machozi, a.a.
Boston University, USA
Beni-Lubero Online





