





En ce moment où les congolais se demandent que faire pour tirer la R.D. Congo du gouffre où il s’enfonce de plus en plus après une période de transition pleine d’espoir et d’enthousiasme, nous avons pensé rappeler à leur intention l’expérience de Martin Luther King Junior (1929- 1968) avec les Noirs Américains. A notre humble avis, un lien historique unit ces deux peuples, à savoir, leur commun désir de s’affranchir des lois et pratiques discriminatoires pour mettre en place une société basée sur le droit, l’égalité devant la loi, etc. Les congolais comme les Noirs Américains du temps de Martin Luther King Jr, sont régis par une loi (ou Constitution) qui reconnait pourtant l’égalité devant la loi, la liberté, etc. mais malgré l’existence de cette constitution les congolais ne se sentent pas libres et égaux devant la loi car la Constitution n’est pas mise en pratique. C’est à ce niveau que Martin Luther King Jr devient intéressant pour les congolais d’aujourd’hui car il avait trouvé ses frères et sœurs Noirs Américains dans les mêmes difficultés des lois existantes mais appliquées de manière selective et partisane.
A l’époque de Martin Luther King Junior, nombreux étaient les noirs opprimés des Etats-Unis qui pensaient qu’ils ne pouvaient rien faire pour mettre fin à la ségrégation raciale dont ils étaient victimes. Plusieurs d’entre eux étaient obnubilés par des siècles d’esclavagisme où le blanc était le maitre tout puissant en tout. Mais après des siècles d’esclavagisme, les mentalités ont évolué de deux côtés. Les esclavagistes interpellés par les philanthropes et humanistes, ont commencé à se rendre compte de la commune humanité bafouée en l’homme noir par l’esclavage. Newton (1725-1807), un esclavagiste qui aurait composé le chant classique de « Amazing Grace » se convertira au Christianisme au soir de sa vie et participera activement aux efforts des abolitionnistes de l’esclavage. Ce mouvement des abolitionnistes a eu l’effet voulu sur les esclavagistes, les gouvernements, et les Eglises toutes confessions confondues, notamment, l’adoption par les USA des lois reconnaissant les droits fondamentaux des noirs, reconnus comme des êtres humains, jouissant des mêmes droits et devoirs. Mais cette reconnaissance ne s’était pas suivie automatiquement de la liberté et de l’égalité effective entre les noirs et les blancs !
Ce que Martin Luther King Junior peut apporter aux congolais c’est la façon dont il conçoit le passage des lois écrites à leur application effective dans la vie des concernés ou victimes. Martin Luther King Junior a commencé sa carrière de leader et d’activiste des droits humains en interpellant ses frères noirs d’arrêter de se plaindre à longueur des journées en décrivant la cruauté et l’injustice de l’homme blanc à leur égard. En effet, selon lui, la situation de l’homme noir était connue de ses oppresseurs qui en sont les concepteurs et législateurs. Ce qui manquait aux noirs américains d’après Martin Luther King Junior, c’était l’inspiration, la vision, et l’apprentissage des moyens pratiques, moraux et efficaces pour combattre l’injustice de l’homme blanc sous toutes ses formes. La peine de Martin Luther King junior était de voir ses frères noirs se refugier trop facilement dans des prières incantatoires, de longues jérémiades appelant Dieu à faire le boulot de leur libération à leur place car ils avaient tellement peur de la force punitive de leur bourreau au point de le prendre comme invincible. Les noirs americains n’avaient pas tellement confiance en leur propre capacité d’auto-défense. Ils avaient trop conscience de la force de frappe de leurs bourreaux que la plupart d’entre eux ne voyaient pas par ou commencer pour faire fléchir l’establishment esclavagiste. C’est ainsi que Nietzche dans « Naissance de la tragédie » a peut-être raison quand il dit que « La connaissance tue l’action, pour agir il faut être obnubilé par l’illusion ». Ce qui manquait aux noirs américains, c’était en effet une vision du changement, une illusion, un rêve d’un avenir meilleur au-delà de leur connaissance de la puissance de l’homme blanc.
Cette critique de l’apathie et d’une certaine religiosité de ses frères valu à Martin Luther King Junior des critiques acerbes de la part des leaders de la communauté noire américaine, les pasteurs comme lui y compris. Pour la plupart de ses frères, il était un petit rêveur, irréaliste qui allait se faire faucher bêtement par le rouleau compresseur du bourreau. Martin Luther King Jr s’est ainsi battu sur plusieurs fronts à la fois : ses propres frères noirs, les esclavagistes blancs, et lui-même car plusieurs fois il se demandait si sa vision de justice allait aboutir ou pas. En d’autres termes, Martin Luther King Jr avait aussi ses moments de doute, il perdait de fois sa grande vision de l’avenir surtout quand il faisait l’expérience du désintérêt des victimes pour qui il voulait se battre. Pour arriver à la vision mobilisatrice de son mouvement de défense des droits des noirs américains, il a fallu attendre 1955, le jour où la célèbre Rosa Parks (1913-2005) refusa de céder sa place de bus à un blanc malgré les menaces du chauffeur James Blake. La loi était que le noir gardait son siège assis quand il n’y avait pas de blanc désireux de s’asseoir. Cette désobéissance de Rosa Parks a marqué le début du combat pour le droit à l’égalité et à la liberté pour les noirs. Il a fallu d’un acte courageux d’une dame pour que tout un peuple se réveille de sa peur, de sa fuite de responsabilité… Le boycott de Bus de Montgomery (Alabama) qui s’en était suivi, fut le point de départ des actions qui ont abouti à l’abolition de la loi de la ségrégation raciale. Sans Rosa Parks, il n’y aurait peut-être pas eu de Martin Luther King Junior, de Malcolm X, etc.
Selon M. L King Junior, c’est seulement quand un peuple se décide d’agir que les lois écrites sur papier commencent à avoir un sens et à être appliquer dans toute leur teneur et rigueur. D’après M.L. King Junior, une cour peut édicter des lois. Mais ces lois ne deviennent réelles que quand les concernés eux-mêmes commencent à agir ensemble pour exiger leur application.
Pour que le peuple réclame à cor et à cri l’application effective de ses droits inaliénables, il faut un leader qui soit le symbole de la lutte. M.L.King Junior était convaincu que le peuple ne peut se dévouer pour une grande cause s’il n’y a pas de leader qui soit la personnification de cette cause. Ainsi, poursuit-il, on ne peut se dévouer au Christianisme s’il n’y avait pas Jésus, au communisme s’il n’y avait pas Marx, à la démocratie s’il n’y avait pas Lincoln… D’où notre avis de recherche pour un leader incarnant la lutte du peuple congolais pour son indépendance.
Ce rappel rapide de l’histoire de la lutte des noirs américains pour leurs droits civiques et des citoyens doit interpeller les congolais qui répètent la loi à longueurs des journées sans parvenir à la faire appliquer dans toute sa rigueur. Même quand un memorandum précédent est resté lettre morte, le memorandum suivant s’achève par une demande aux autorités compétentes de s’acquitter de leur responsabilité d’application de la loi… La suite d’une telle rhétorique est connue : rien ne se fait. Le mal s’empire mais rien n’est fait pour y mettre fin. On se trouve devant le camp de ceux qui sont sensés faire appliquer la loi mais qui ne le font pas pour sauvegarder leurs propres intérêts et le camp des victimes qui se lamentent à longueurs des journées sans jamais vraiment inquiéter le pouvoir en place. C’est ainsi que les atteintes aux droits humains, les massacres des populations, les assassinats cibles, le terrorisme deviennent comme des actes banals car ceux qui paient les frais sont toujours du côté réputé faible, le pouvoir ne trouvant pas en face de lui un vrai contre-pouvoir. Les victimes comme les bourreaux s’habituent au spectacle désolant des crimes et autres actes odieux. Cette situation est ce qui poussa le poète de la négritude Aimé Césaire de s’exclamer dans son « Cahier de Retour au Pays Natal » : « Et surtout mon corps aussi bien que mon âme, gardez-vous de vous croiser les bras en l’attitude stérile du spectateur, car la vie n’est pas un spectacle, car une mer de douleurs n’est pas un proscenium, car un homme qui crie n’est pas un ours qui danse.. ».
Autrement dit, gardez-vous de regarder en spectateurs les répression des manifestations pacifiques, le muselage des opposants, les massacres des populations, les assassinats politiques ciblés, les meurtres des journalistes, les assassinats ciblés des jeunes étudiants en âge de combattre et de réfléchir, les villages entiers déplacés de force de chez eux pour vivre à la belle étoile sans aucune assistance, la clochardisation de la fonction publique, etc. Une femme qui pleure son époux froidement abattu au salon n’est pas une bête qui danse pour amuser la galerie… Non, c’est une femme qui m’interpelle et me supplie d’agir, de lui venir en aide pour que pareille ignominie n’arrive à quelqu’un d’autre…
Comme les noirs américains de l’époque de M.L. King Junior, certains congolais se comportent en spectateurs de leurs propres malheurs et se plaisent à écrire des messages qu’ils adressent à leurs bourreaux comme pour leur demander des faveurs, ou pour les informer du mal qu’ils ont eux-mêmes inventé dans leur laboratoire. D’autres se refugient dans les églises pour prier laissant à Dieu d’agir. Tous ces moyens spirituels sont bons s’ils sont accompagnés par une action ou des actions concrètes à l’encontre du juge inique qui refuse de rendre justice. L’Evangile nous dit que le juge inique finit par rendre justice si le demandeur le supplie avec insistance.
Les actions pour le changement ne doivent pas nécessairement être violentes. M.L. King Junior comme Gandhi avaient trouvé que les actions libératrices peuvent être non-violentes et réussir leur mission de changement. Ainsi, pour Martin Luther King Junior, les noirs dans leur lutte pour les droits civiques, devaient préserver le respect de soi, les valeurs morales, la dignité, l’esprit d’entreprise, la non-violence. Les combattants pour les libertés civiques devaient éviter l’anarchie, la violence mais poser des actes concrets qui finiront par toucher le cœur du bourreau qui malgré la cruauté qu’il affiche est un être humain. Ceci rappelle l’enseignement de Gandhi aux Indiens et Musulmans d’Afrique du Sud : « les blancs peuvent nous tuer, ils auront notre cadavre, mais jamais notre obéissance ». C’est cela la non-violence qui évite par tous les moyens à corriger le mal par le mal mais qui vise la conversion du bourreau à la vue de la grandeur d’âme de la victime.
Devant le silence complice et l’apathie des dirigeants congolais face à la souffrance des congolais, quelles actions concrètes sommes-nous entrain de poser pour sortir le Congo de sa crise actuelle ? Croyons-nous en notre capacité d’action pour transformer la crise congolaise en paix et en justice pour tous ? Avons-nous une vision pour l’avenir ou sommes-nous tous terrifiés par la puissance destructrice exhibée par nos bourreaux ?
En lisant les messages divers sur la situation catastrophique que traverse le pays depuis l’avènement de la troisième République, on est surpris du fait que plusieurs de ces messages restent muets sur les actions concrètes à prendre ensemble pour exiger un changement de la situation… Les Congolais ont beaucoup parlé et écrit sur la crise au Congo… Ils ont lancé plusieurs memoranda à ceux qui ont conçu leur malheur… L’heure a sonné de passer à une action mobilisatrice de tous les congolais et de toutes les congolaises… Pour que cela arrive, les congolais ont besoin de leur Rosa Parks, leur Martin Luther King Junior, leur Montgomery Bus Boycott…
P. Vincent K. Machozi, a.a.
Montana (USA)
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