





Il y a un an se produisaient les massacres de Mbelu et Rwangoma, à Beni.
Extrait du livre « Les Massacres de Beni – Kabila, le Rwanda et les faux islamistes ».
INTRODUCTION : Un message de paix

C’était un samedi, le samedi 13 août 2016. « Nous sommes là pour vous protéger des ADF », disaient les soldats qui prenaient position dans les quartiers Mbelu et Rwangoma, en périphérie de Beni. Un week-end de bon augure, la Saint-Hippolyte, selon l’éphéméride, l’avant-veille de l’Assomption de Marie, pour les chré-tiens. Ce déploiement de soldats un week-end de fête était synonyme de passage des paroles aux actes. Pour la première fois, on pouvait remercier les autorités d’avoir agi par anticipation. Elles avaient ainsi déployé les forces de sécurité pour dissuader les « égorgeurs », ces hordes de tueurs qui endeuillaient Beni depuis deux ans. Tout le monde, ou presque, était rassuré. Mais au fil du temps, une drôle d’impression commença à effleurer les esprits. Certains habitants, dont on pouvait dire qu’ils voient le mal partout, sont intrigués par l’inhabituelle amabilité des hommes en uniforme. Ceci ne ressemble pas du tout au « soldat congolais » ! Après quelques chuchotements à l’oreille, des émis-saires sont discrètement envoyés en ville pour prévenir les autorités. Il fallait un minimum de vérification… juste une patrouille. Rwangoma se trouve à deux petits kilomètres du centre-ville, mais aucune vérification ne fut faite. À 17 heures, ces hommes en armes avaient fini d’investir toutes les pistes de desserte agricole tan-dis que les familles revenaient des champs chargées de quoi préparer le repas du soir. Ils se mirent à orienter les gens vers des endroits qu’ils disaient sécurisées.
Tout le monde suivait les consignes, rassuré. Tout d’un coup, la stupeur ! Le piège venait de se refermer sur les habitants de Rwangoma qui découvraient les dernières images de leur vie sur terre : un spectacle d’horreur dans sa cruauté la plus bestiale. Du sang, des pleurs, des supplications, des hurlements macabres,… des corps lardés de couteau qui agonisaient dans des mares de sang. Les tueurs, remarquablement préparés, commençaient par neutraliser les personnes en capacité d’opposer une résistance physique en les pulvérisant d’un produit incapacitant en plein visage. On tombe raide, les yeux hagards ! S’ensuit la mise à mort à coups de machette, de hache ou de couteau. Un acharnement. La victime saigne, suffoque, agonise, convulse pendant d’interminables minutes avant de s’éteindre… Il ne s’agit pas seulement de tuer, il s’agit de saigner à mort. Il s’agit d’infliger d’atroces souffrances à une personne et la laisser agoniser jusqu’au dernier soupir. Pendant ce temps, les autres captifs, de tous âges, observent en attendant chacun « son tour ». Ils doivent regarder ces « bouchers » pour qui un Congolais ne vaut pas mieux que du bétail dans le plus sordide des abattoirs. Ici, ce samedi de l’Assomption de Marie, même la providence ne put intervenir pour sauver ces enfants congolais qui attendaient « leur tour », et qui, comme les adultes du quartier, ont été égorgés comme des chèvres. Sans la moindre pitié. Une rescapée raconte : « des hommes, des femmes et des enfants revenant des champs étaient là, arrêtés comme nous, déchargés de leurs far-deaux, pas pour un petit temps de repos, mais pour mourir… mourir à la machette… » . Les tueurs, impa-vides, ne se pressaient pas ; ils avaient tout leur temps. À la tombée de la nuit, les carnages avaient atteint les premières maisons d’habitation. Plusieurs familles par-vinrent à s’échapper vers le centre-ville. Celles qui n’avaient pas pu fuir furent tuées une personne après l’autre. Au petit matin, c’est un spectacle insoutenable que découvrent les premières personnes à s’hasarder sur les lieux. Des dizaines de corps de tous âges dé-coupés à la machette, gisaient çà-et-là, éparpillés dans les rues et autour des maisons. Une femme enceinte avait été éventrée et gisait à même le sol aux côtés de son fœtus, mort. Des maisons avaient été brûlées avec des gens à l’intérieur. Les corps étaient trop nombreux pour être ramassés.
On les chargea à l’emporte-pièce dans des véhi-cules de l’armée. Il y en avait qui glissaient et retom-baient par terre, comme si, après deux ans d’abominations, les cadavres de Beni ne voulaient plus être ramassés. Les soldats décidèrent finalement de les attacher avec des cordes, empilés comme des stères de bois dans les carrosseries de véhicules. Une image épouvantable qui fera le tour du monde et provoquera la colère du Vatican. En attendant, c’est le va-et-vient macabres. Les corps étaient acheminés à la morgue, une petite pièce délabrée et insalubre à l’Hôpital Géné-ral où les cadavres étaient déposés à même le sol. Il y en avait tellement que les soldats se mirent à les empi-ler les uns sur les autres comme des « babioles » dans un bric-à-brac. Le spectacle était ahurissant et scanda-leux. Une première révolte éclata dans la ville lorsque les familles se mirent à récupérer les corps pour s’opposer aux funérailles collectives que les autorités envisageaient d’organiser. « Votre travail, c’est nous protéger, pas nous enterrer, pouvait-on entendre ».
Pendant ce temps, le pouvoir et ses détracteurs se renvoyaient des chiffres à la figure : 36 morts ! 90 ! pour un groupe de députés. Un témoin nous rapporte avoir compté quarante-six dépouilles à la morgue alors que le ramassage des corps n’était pas encore fini. Le site benilubero, créé par Père Vincent Machozi , et géné-ralement bien informé sur les événements tragiques de cette partie du pays, avança le bilan de 127 morts , ce qui faisait de ce massacre le plus meurtrier des dix dernières années en RDC, sur une seule journée . Les principaux organes de presse retinrent le bilan de 51 morts, moins par certitude que pour mettre un terme à un débat des chiffres qui tournait à l’indécence. Car après le massacre, les tueurs avaient emporté plusieurs dizaines d’otages. Nombreux furent exécutés sur le chemin de leur retraite. Des corps ont été découverts jusqu’à 15 km de Rwangoma, dans la vallée de la Se-mliki. Des témoins firent état de corps jetés dans la rivière Semliki. Une rivière infestée de crocodiles… comme si le supplice des machettes ne suffisait pas…
Pour la première fois, sûrement, un vent de cons-ternation gagna l’ensemble du pays et fit échos à l’étranger. Sur les réseaux sociaux, la campagne de so-lidarité avec la population de Beni autour des hashtags « JE SUIS BENI / JUSTICE POUR BENI » fut re-lancée. Plus tard, le Pape François, après avoir dénon-cé un « silence honteux » de la communauté interna-tionale, décida d’envoyer son nonce apostolique, Mon-seigneur Luis Maryano Montemayor, jusqu’aux quar-tiers Mbelu et Rwangoma , théâtre de l’horreur. Vati-can menaça d’envoyer une délégation à l’ONU pour réclamer une enquête de la CPI et embarrasser le pouvoir de Kinshasa.
Parmi les timides réactions du gouvernement, il y eut, pour la première fois depuis vingt ans, trois jours de deuil national, mais juste pour la forme. Car aucune cérémonie ne fut organisée en mémoire des victimes. Au contraire, les principaux organes de presse restè-rent focalisés sur la retransmission des jeux olympiques de Rio, au Brésil, comme si les tueries de Beni avaient cours à l’autre bout de la planète, et que le Congo n’était concerné à aucun titre. Un couvre-feu fut également décrété par le ministre de l’Intérieur, Évariste Boshab. Mais ce couvre-feu fut utilisé pour convoyer nuitamment les migrants rwandais dans Beni en profitant de l’enfermement de la population. Au-trement dit, le pouvoir ne fit quasiment rien, pour la simple et bonne raison qu’il savait ce qui se passait, et depuis le début.
Dès novembre 2014, M. Lambert Mende, mi-nistre de la Communication, affirmait le plus naturel-lement du monde que les tueurs de Beni bénéficiaient des complicités à « tous les niveaux des institutions » . Mieux encore, le massacre de Rwangoma s’était pro-duit juste après le passage à Beni du président Kabila . Sur le plan militaire, en ce mois d’août 2016, Beni était un territoire avec un taux de concentration de soldats au kilomètre carré particulièrement élevé. L’ensemble des unités militaires déployées dans cette zone opéra-tionnelle atteignait un effectif théorique de 20 mille soldats sur un petit territoire de 7.484 km². En face, les ADF, ou ce qu’il en restait, étaient un éparpillement d’individus dont le nombre était estimé à 100 ; 260 individus tout au plus. En gros, pour un ennemi, l’État congolais avait mobilisé jusqu’à 250 soldats, l’équivalent de deux compagnies, sans compter les effectifs de la police et les divers services de renseignement. Un gouvernement ne mobilise pas plus de 20 mille soldats pour combattre 100 inciviques. D’autant plus que les massacres se poursuivaient, comme pour dire que l’État congolais n’était pas à Beni pour protéger la population mais bien pour accompagner les objectifs stratégiques du Rwanda voisin, comme en témoignent ces convoyages nocturnes des migrants profitant d’un couvre-feu imposé à la population. Ces objectifs stratégiques sont l’aspect qu’il fallait avoir à l’esprit depuis le début.
Pour revenir au passage du président Kabila, durant son escale, il avait promis de restaurer la sécurité dans cette partie du pays, une promesse qu’il répéta par la suite à Butembo, la ville voisine : « ninawaletea ujumbe wa amani », en swahili : « Je vous apporte un message de paix ! »… un message de paix !
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« On peut tromper une partie du peuple tout le temps et tout le peuple une partie du temps, mais on ne peut pas tromper
tout le peuple tout le temps », Abraham
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