





Les élections locales à Beni-Lubero ont eu leurs premiers balbutiements au début des années 60. A l’époque, l’organisation d’un tel événement politique était facile car sans violence. Toutefois, le problème crucial était de savoir comment amener les électeurs à faire le bon choix mais également comment organiser cette consultation populaire. Les électeurs ignoraient que leurs voix comptaient individuellement et qu’elles pouvaient défaire une autorité en place et porter au pouvoir quelqu’un d’autre.
Ce fut le cas de la localité de Biambwe, en territoire de Lubero, dans le Nord-Kivu, au début des années 60. La localité a connu à cette époque ses premières élections démocratiques organisées par un religieux – encore un ! – le Père Dominique, missionnaire assomptionniste hollandais, de son vrai nom Gerardus-Marinus Vermeij.
Le village de NJIAPANDA, non loin de Biambwe au Nord-Ouest du Territoire de Lubero
Ce prêtre organisa des consultations populaires afin de régler les frustrations qui s’observaient depuis quelque temps dans sa paroisse quand deux camps se disputèrent le pouvoir coutumier et que ce conflit commença à troubler la paix de toute la communauté. Le problème de succession dans nos chefferies a souvent été le même : celui de l’arbre généalogique des gouvernants. Ainsi, à un certain moment du règne, il y a toujours eu un cousin d’un chef attitré qui se levait pour revendiquer le pouvoir, à tort ou à raison. De telles manoeuvres d’usurpation de pouvoir affectaient bien souvent le successeur légitime.
Pour le cas d’espèce, le duel opposait Bomari à Lumande. Le Père Dominique se décida d’organiser une élection démocratique et transparente. Mais devant un électorat qui ne savait ni lire ni écrire, la tache devint rude. Il fallait inventer une autre méthode. Mais laquelle?
L’idée vint à ce curé d’organiser un vote à mains levées. Un beau dimanche, après la messe, toute la population fut conviée au référendum. A cette époque, le Père Dominique s’exprimait en swahili et apprenait le Kinande, au point qu’il changea d’ailleurs plus tard son nom à l’occasion du Recours à l’Authenticité en devenant le Père Mwirawavangi, ce qui signifie « l’ami de beaucoup de gens ».
Après qu’il eût désigné parmi ses paroissiens quelques volontaires qui relèveraient le nombre de l’assistance et ensuite le nombre de votants en faveur de l’un et de l’autre candidat, le voilà monter au podium, les deux candidats à ses côtés.
La population ne savait pas jusque là ce qui allait se passer. Mais tout le monde faisait entièrement confiance à ce « Président de la Commission Électorale » auto-proclamé. Le Père Dominique était un géant haut de ses 1,90 mètres et s’exprimait d’un air autoritaire. Il prit la parole et dit dans son swahili approximatif : « Vinakataa Bomari? » (Dites-vous « non » pour Bomari?) ; et la foule répondit à l’unisson en utilisant la même phraséologie du curé : « Vinakataa! » (Non). Le Père Dominique présenta ensuite le dernier candidat, monsieur Lumande, persuadé que ce dernier serait plébiscité. La question fut donc posée à nouveau : « Vinakataa Lumande? » (Dites-vous « non » pour Lumande?) ; et les électeurs répondirent de tout choeur : « Vinakataa! » (Non).
En attendant cette réponse, le Père Dominique perdit son latin et devint rouge de colère. Il ne comprit pas que l’on ait pu rejeter ses deux candidats. Il se mit à tournoyer au podium, monologuant dans sa langue maternelle, très en colère. Il se ravisa et considéra ce premier vote comme étant le « premier tour des élections ». Le second tour intervint trois minutes plus tard. Les paroissiens qui s’occupaient du décompte de l’assistance, exigèrent le silence absolu à tous et ce message fut religieusement suivi.
Le Père Dominique, le seul européen à ce rendez-vous, demanda aux électeurs d’être attentifs aux autres questions qu’il allait poser pour départager les candidats en lice. Il se mit à jouer sur la peur des électeurs afin d’obtenir un vote utile. Sous un silence de plomb, il menaça par ces mots : « Kama vinakataa Bomari, vinakataa Lumande, vitakufa! Vitakufa! Vitakufa! » (Si vous dites non pour Bomari et non pour Lumande, vous allez mourir! Vous allez mourir! Vous allez mourir! ) Et la peur se saisit des électeurs. Ils se mirent à crier : « Hapana! hapana! » (Non! non!).
Le Père Dominique reprit du poil de la bête et se crut en force de poursuivre l’élection du chef coutumier. Il reformula alors son vote à mains levées. De la question négative il passa à la question positive. « Vinaitika Bomari? » (Acceptez-vous Bomari?) ; les électeurs, sous la ménace de mort insinuée par le curé, répondirent à tue-tête : « Vinaitika » (Nous acceptons!). Il fit de même pour le challenger de Bomari : « Vinaitika Lumande? » (Acceptez-vous Lumande?) et la réponse surprenante tomba : « vinaitika » – « nous acceptons ». Encore une fois, les deux candidats venaient de se neutraliser.
La séance fut levée… et le prêtre regagna son presbytère sans proclamer le résultat de ces élections. A Biambwe, la vie s’arrêta pour ainsi dire. Les électeurs regagnèrent leurs domiciles respectifs, ne comprenant rien de ce scrutin. Ils se consolèrent en se disant que le « Mupe » (le Prêtre) serait parti interroger Dieu dans la prière et que le résultat leur serait peut-être communiqué à la messe, le dimanche suivant.
Il se pourrait que ces élections avaient beaucoup marqué le Père Dominique car, selon sa biographie publiée sur un site Internet, ce curé qui était très attaché à la population estimait que « le grand danger dans notre diocèse [de Beni], (…) un point défaillant, c’est le manque de formation civique de nos chrétiens. Ils ne réalisent pas toujours que la religion ou la morale a quelque chose à dire dans les questions politiques, les élections. » Et de constater avec amertume « qu’une bonne chrétienté vote mal et nous ne sommes pas encore au bout de nos peines ». (cf. www.assomption.org sous Gerardus-Marinus Vermeij.)
La conclusion de ce curé relancerait, bien évidemment, le débat sur la neutralité de vrais disciples du Christ. Le Père Dominique, en son temps, pensait que « la chrétienté vot[ait] mal » et qu’il lui fallait une « formation civique ». Il formula ce constat à Musyenene, dans une lettre datant de 1963. Dans un article paru sur le site Beni Lubero online de ce 18 novembre 2011, nous apprenons que « l’évêque Sikuli n’a été aperçu ni chez Joseph Kabila ni chez Etienne Tshisekedi pour sauvegarder la neutralité de l’Église Catholique de Butembo-Beni. Les bubolais ont salué cette neutralité de Mgr Sikuli, (…) une consigne de la conférence épiscopale nationale du Congo. » En vérité, la « consigne » en question date du 1er siècle et nous vient de Jésus lui-même qui enseigna à ses disciples de « vivre dans le monde » sans en « faire partie ». Et lorsque la foule voulait le désigner comme roi, Jésus montra l’exemple en s’éclipsant car son royaume était plutôt céleste. – Jean 17:16 et Jean 6:15.
Mais pour revenir aux élections qui eurent lieu à Biambwe, souffrez que je fasse durer le suspense. Oui, on ne se précipite jamais à annoncer le verdict des urnes! Notez tout de même que le Père Dominique fit preuve de diplomatie. Comment procéda-t-il alors? Peut-être de la même manière que ce qui se fera le 6 décembre 2011 à Kinshasa. Mystère…
Kasereka KATCHELEWA
Aisy-sur-Armançon, France
©Beni-Lubero Online





