





Ceux qui disent que les policiers congolais ne sont pas bien payés doivent se raviser. L’Etat congolais ne paie pas bien les policiers. Mais cela ne veut pas dire qu’ils ne sont pas payés. En effet, les policiers congolais sont champions du monde dans l’art de se faire payer de gré ou de force auprès de la population. C’est pourquoi il n’y a pas de désertion dans le corps de la Police Nationale. Comment les policiers de roulage se font-ils payer ? Tous les usagers de la route, chauffeurs et passagers compris, savent quelque chose de cet art de se faire payer. Quand un policier de roulage demande les documents au chauffeur, ce dernier ne sait jamais s’il s’agit de vrais documents ou du « chai », «chupa », « kitu kidogo », etc.
Les agents de l’ordre qui pratiquent cet art du « Chai » utilisent le même langage que celui du vrai métier de la Police de Roulage à travers le monde. Ainsi par exemple, quand un policier de roulage arrête un chauffeur de voiture à une barrière de contrôle et lui demande de présenter les documents, il s’attend à deux résultats possibles, selon que le chauffeur est du domaine ou pas. S’il n’est pas du domaine, il sortira les documents de la voiture (carte rose, contrôle technique, certificat d’assurance, etc.), et le permis de conduire. S’il est un homme du terrain, le mot « document » peut vouloir dire « donne-moi quelque chose », « achète-moi un petit thé », etc. C’est ainsi que le chauffeur qui n’a que les documents-papiers et écrits dans un français difficile n’est pas toujours en ordre. Quand il présente tous les documents, le policier de roulage lui rétorque « J’ai faim ». Pour qu’il soit en ordre, il doit fournir le vrai document, le chai, le kitu kidogo, l’argent d’un montant allant de 100 FC à plusieurs dollars américains, sans reçus, et sans preuves. Ce qui fait le pauvre chauffeur peut payer la même somme trois ou quatre fois dans la journée si on l’arrête à différentes barrières. Il en est de même de ce qu’on appelle recouvrement, taxes, contrôle technique, assurance, etc. Ces termes possèdent chacun une autre signification dans le jargon des agents de l’ordre congolais.
Un spécialiste de cet art de vivre congolais fait parler de lui à Butembo parce qu’il s’est construit une villa avec ses recouvrements forcés de deux ans seulement. Il s’agit d’un caporal dont nous taisons le nom pour des raisons de confidentialité, qui est arrivé à Butembo il y a deux ans comme policier de roulage. Au début, il était locataire d’une maison en semi-durable dans la cellule MUSUVULYA. Trois mois après, les voisins l’ont vu rénover la maison en cimentant son pavement mais aussi en l’électrifiant avec un groupe électrogène. Une année après, ce caporal de la Police s’est acheté une parcelle à lui dans la cellule VATOLYA, en commune de Bulengera. Aujourd’hui, il vient d’y ériger une villa avec lucarne et haute clôture comme il est de mode dans cette capitale économique du Nord-Kivu. Ce caporal est un exemple de bravoure pour certains, mais pour d’autres, il est un signe du mal qui ronge l’Etat congolais : la corruption, l’enrichissement illicite, l’expropriation du petit et du pauvre, etc. Un policier de son rang ne peut pas gagner en deux ans de l’argent pour construire une maison de ce genre, dans un pays où presque rien ne se fait à crédit. Et les banques qui donnent des crédits avanceraient difficilement de l’argent à un caporal de la Police.
L’exemple de ce caporal corrompu n’est pas unique, la corruption étant un phénomène généralisé au Congo. Les agents de la brigade routière de Beni-Lubero ont pour la plupart des immeubles en dur et sont propriétaires des taxi-motos, des taxi-voitures, des Nganda ou débits de boisson, etc. C’est ainsi que, quand les autorités de roulage annoncent un contrôle de documents pour les chauffeurs de taxi-motos et des voitures, les taxis des policiers de roulage sont toujours en ordre et circulent avec des « documents » signés par le Commandant de la brigade routière ou par un autre officier haut gradé. Notez que ces documents ne sont valables que dans la ville de Butembo. Pendant que les taxi-motos des civils perdent leur temps dans les démarches pour régulariser leurs documents, les taximen travaillant pour les policiers de roulage maximisent leurs recettes journalières car étant restés seuls sur terrain.
C’est par ces genres de gymnastique que notre caporal s’est enrichi à la grande joie de sa famille. Mais son enrichissement pose un problème moral pour le Congo, à savoir la corruption ou l’enrichissement illicite. Après la libération du pays de son occupation actuelle par le Rwanda, l’Ouganda, l’Angola, les congolais devraient aussitôt engager une autre guerre, celle contre la corruption généralisée! L’exemple du brave caporal qui habite une lucarne semblable a celles des grosses légumes de Butembo, ne veut pas dire que seuls les policiers de roulage sont corrompus. Plusieurs congolais sont corrompus ou se corrompent. Si un chauffeur de taxi, au lieu d’aller a la division urbaine des Transports et Communications pour avoir son permis de conduire décide d’aller plutôt chez le roulage de son quartier, c’est lui qui est corrupteur. Et il ne peut s’en prendre qu’à lui-même quand il paye trois fois la même somme d’argent qui, tout compte fait, devient plus élevée que le prix officiel du document de l’Etat. Comme disait Lafontaine, tout profiteur vit aux dépens de celui qui l’écoute. Les corrompus vivent au dépens des corrupteurs ou corruptibles qui les écoutent. Ainsi donc, pour ce qui est de la corruption de la Police de Roulage, le doigt accusateur montre et les policiers de roulage et les chauffeurs jusqu’à ce qu’un de ces deux groupes dise non et se choisisse la voie légale pour obtenir les autorisations officielles. Cette décision demande du courage et du sacrifice de soi, deux vertus dont les uns et les autres ont besoin pour sortir le Congo du mal qui le ronge, notamment, la corruption.
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Kahindo Edgar
Racodit-Butembo
Beni-Lubero Online





