





En ce moment ou la R.D. Congo est entrain de lever les derniers obstacles sur sa route vers la démocratie en se préparant au deuxième tour des élections présidentielles et aux élections législatives provinciales, Beni-Lubero Online a voulu rappeler à l’intention de ses lecteurs et lectrices la géopolitique du Nord-Kivu en publiant une série d’études réalisées par Paul Kakule Vyasonya, un beniluberois, diplômé de la Faculté des Sciences Sociales, Politiques et Administratives de l’Université Catholique du Graben ( UCG) de Butembo. Ces études bien documentées ont le mérite d’avoir été réalisé sur terrain pendant la période de la transition politique qui est dans sa phase finale, et en ce sens, elles peuvent aider les beniluberois ainsi que tous les Nord-Kivutiens à se préparer au deuxième tour des élections présidentielles ainsi qu’aux élections des députés provinciaux en connaissance de cause. (Beni-Lubero Online)
La province du Nord-Kivu est située au Nord-Est de la République Démocratique du Congo, elle est frontalière au Rwanda au Sud-Est et en Ouganda à l’Est. Dans sa configuration actuelle, sa superficie est de 60.470 km², soit un territoire plus étendu que le Rwanda (26.338 km²) ou le Togo (56.000 km²). La province du Nord-Kivu est découpée en territoires ruraux (Beni, Lubero, Rutshuru, Goma, Walikale et Masisi), seule la ville de Goma existait dans cette province, mais depuis mars 2003, deux autres villes ont été reconnues au Nord-Kivu, je cite : la ville de Butembo et celle de Beni. La première est reconnue par décret n° 042/2003 du 28 mars 2003 portant création d’une ville en R.D.C.
C’est une région montagneuse, volcanique, agropastorale et touristique, aux fortes densités sur les hautes terres (1000 – 2000 habitants par km²) notamment autour de Jomba, Masisi, Butembo, Masereka… (1). 26 % de la superficie du Nord-Kivu sont constitués de parcs et réserves forestières et 11 % représentent des massifs montagneux incultes et des lacs. Cette province est à cheval sur l’Equateur et présente toutes les caractéristiques essentielles d’un climat équatorial. Elle se situe entre les monts Mitumba, Virunga et Rwenzori aux neiges éternelles. L’altitude varie entre 1000 et 5000 mètres et connaît des températures oscillant entre 15 et 24°C(2). Sur le plan culturel, son peuplement se rattache à la civilisation bantoue.
Son économie est dominée par les activités spécifiquement agro-pastorales et commerciales en plus des ressources minières très importantes (or, colombotantalite, cassitérite…). Nous y identifions également des réserves pétrolières dans la vallée de la Semliki dans le Graben et du gaz méthane dans le lac Kivu. Elle est une région dont l’intégration réelle au circuit économique national contribuerait sensiblement au développement du pays. C’est donc une région stratégique.
Enfin, du point de vue culturel, cette province comprend quatre grandes aires culturelles traditionnelles : Nande, Hunde, Nyanga et Hutu(3).
I.3.2. Le peuplement du Nord-Kivu
Les divers groupes de populations en présence au Nord-Kivu peuvent être distingués suivant plusieurs critères : ethnique, historique ou linguistique. Les ethnies importantes sont : les Hunde au Nord-Ouest du lac Kivu jusqu’au lac Edouard, dans les régions plus basses vivent les Tembo, à l’Ouest des Havu et les Yira ou Nande. Les Hutu de Rutshuru sont culturellement et politiquement rattachés au Rwanda septentrional(1). Nous aurons à y réfléchir dans le point suivant. Ce peuplement au Nord-Kivu remonte à une ère plus reculée que l’avaient signalé les auteurs du temps colonial et que ne l’ont repris les écrivains en carence d’esprit de recherche approfondie, tous l’ayant situé au XVI et XVIIe siècles. D’après A. MOELLE, les grandes lignes de migrations se sont faites dans la direction Nord-Est, Sud-Ouest. Les Bahunde et Bayira comprennent outre un fond de descendant d’anciens occupants (Bahera, Habombe, Bakira, Bahambo, Vitu, Batangi et Bamate)(2)
MASHAURI KULE T., historien de la nouvelle génération, contredit ces informations. Pour lui, ces peuples susmentionnés n’ont jamais eu à immigrer. Ils ont toujours été là. Par illustration, la région Yira (nande) faisait partie de l’empire de Kitara et leur massif montagneux de Rwenzori s’appelait le Kitara-Kya-Nzururu. A propos des Bahunde, Bashizi tel qu’épinglés par KABUYA LUMUNA affirme, qu’ils occupaient leur région actuelle au IXe siècle de notre ère. On peut ajouter que la légende et la tradition orale hunde fait remonter le récit à des temps immémoriaux, comme en témoigne le récit de MULINGITO du tremblement de terre qui suscita le lac Kivu. Ce que les auteurs ne disent pas, c’est que le royaume de Bunyoro, auquel on rattache les Bahunde et Banyanga, était lui-même une évolution du fameux empire de Kitara. Cet empire dépassait largement en superficie le modeste royaume de Bunyoro. Il en est de même de toutes les autres ethnies du Nord-Kivu. L’existence d’une ressemblance linguistique et de l’organisation politique et culturelle commune aux ethnies autochtones du Nord-Kivu est très éloquente à la matière.
Quant aux Bahutu de Rutshuru qui proviennent du Rwanda, MOELLER dit : « Les Banyarwanda (Bahutu, Batutsi, Batwa) ne sont cependant pas vraisemblablement les premiers occupants de la région. Nous trouvons, en effet, dans celle-ci au Sud du territoire de Rutshuru un fond de population d’origine Bahunde venu de Mitumba à travers la plaine de laves et des plaines sablonneuses de la Rwindi et des plaines de la Rutshuru. » (3)
Il faut noter que ces Banyarwanda établis au Congo, avant l’ère coloniale, et donc susceptibles de brandir leur nationalité d’origine, ne représente qu’une faible proportion de la population actuelle de ce territoire. En effet, cette partie reçut une forte dose d’immigrants Hutu en provenance du Rwanda entre les années 1914 et 1949, les années 1940 et 1950(1). A ce fait, le Commissaire de District GEVAERTS, cité par KABUYA LUMUNA, en parle ainsi en 1947 : « Actuellement le chef NDEZE et les grands notables du Bwisha sont d’accord pour céder des bonnes terres à leurs frères de race. » Quant à la chefferie de Gishari, le gouverneur de la province du Kivu, M. LIESNARD s’interroge et assure : « La création de la chefferie de Gishari a été une erreur politique. »(2) Ainsi, SEKIMONYO W.M., dans son explication de la recrudescence de la violence au Nord-Kivu, prouve que : « la lutte pour l’autochtonie et le pouvoir coutumier et moderne a toujours été la source de déchirement entre les ethnies du Nord-Kivu (Hutu, Nande, Tutsi, Hunde…) (3) A ce sujet, Gaspard MUHEME démontre que la compétition inter-ethnique au Nord-Kivu se présente sous quatre éléments :
– Le conflit foncier (la terre)
– La domination politique (l’influence)
– Le pouvoir économique (l’argent)
– Le savoir intellectuel (le management) (4)
De là, on se rendra compte que les guerres au Nord-Kivu découlent en grande partie des mouvements de population entre ses voisins.
I.3.3. Histoire socio-politique du Nord-Kivu
Comme dans toute société planétaire, le mouvement des populations et la densité démographique provoque une sorte de stimulus de créativité. C’est ainsi que, pour trouver une solution à cette nouvelle situation, l’homme utilise tous les acquis de son histoire.
Tous les éléments réunis confirment que la population du Nord-Kivu vie une cohabitation socio-politique depuis des siècles. Cependant, sa déstabilisation s’articule autour des mouvements des populations rwandophones.
I.3.4. Mouvement des populations rwandophones
Les premières causes de l’immigration de la population rwandaise en République Démocratique du Congo datent de l’époque coloniale suite à une grande famine qui s’était abattue sur ce pays des Mille Collines. En effet, les troubles politico-ethniques entre les Tutsi et les Hutu en 1959 avaient conduit 150.000 Tutsi en exil dont 60.000 au Kivu. L’ethnicisme au Rwanda démontre que « Hutu au pouvoir, Tutsi en exil et vice-versa ». La tentative d’invasion de BUSEGERA (Rwanda) en 1963 par les Tutsi avait provoqué des tueries massives suivies d’un exode tutsi vers l’étranger surtout au Nord-Kivu. Le haut Commissariat pour les Réfugiés évalue à 50.000 le nombre de personnes exilées au Nord-Kivu en 1966. Ces réfugiés ont été regroupés dans les centres de Bibwe (Masisi), Ihula (Walikale) et Kalonge (Kalehe)(1). Mais en 1967, le gouvernement congolais, sur l’initiative de Rwakabuba SHINGA et autres Tutsi influant auprès du président MOBUTU, avait supprimé les camps des réfugiés car, entre-temps, les réfugiés rwandais s’étaient infiltrés dans la population locale sans aucune formalité.
Ainsi, le recensement de 1970 dénombra déjà 335.180 rwandais au Congo, regroupés principalement au Nord-Kivu dans la zone de Masisi (193.916 habitants), Kalehe (23.328)(2).
Au sujet de l’installation des Rwandais au Nord-Kivu, P.Mathieu et Mafikiri Tsongo distinguent quatre vagues d’immigration :
1°. Dans la zone de Rutshuru, des « autochtones » se considèrent comme Congolais, quoique issus culturellement et historiquement de l’ancien royaume du Rwanda, une fraction de ceux-ci a été incluse dans le territoire du Congo depuis 1910. Ce groupe est constitué en majorité de Hutu installé depuis le XXe siècle dans le canton traditionnel du Bwisha dans le territoire de Rutshuru.
2°. Les « transplantés » (1937-1956) déplacés du Rwanda sur l’initiative de l’Administration coloniale belge.
3°. Des immigrés clandestins ou « infiltrés » (en majorité hutu) qui ont suivi les transplantés pour venir s’installer individuellement durant le même période.
4°. Des réfugiés fuyant les violences qui éclataient au Rwanda : ceux-ci ont d’abord été des Tutsi (1959, 1981, 1973, 1989, 1990), ensuite des Hutu en 1994 (pendant le génocide). En effet, en 1994, plus d’un million et demi de Hutu rwandais se sont installés dans des camps au Nord-Kivu et Sud-Kivu. Une partie de ceux-ci s’était enfuie dans la forêt de la République Démocratique du Congo pendant la guerre de l’A.F.D.L. et constitue la pomme de discorde entre les pays (Rwanda-R.D.C.).
Nous ne manquerons pas de soulever une nouvelle vague des rwandophones Hema qui se sont installés dans le parc de Virunga précisément dans la vallée de la Semliki. Ceux-ci seraient venus par l’Ouganda depuis mai 1999 sont encadrés par le commandant Jackson, avec le soutien du général ougandais James KAZINI pendant la guerre du R.C.D. au Nord-Kivu. Leur nombre s’évalue aux environs de mille avec de cheptels bovins nourris dans le parc de Virunga. La plus grande question est celle de savoir pourquoi ces Hema s’installent loin de la population pendant que le pays est en guerre.
Ces installations anarchiques des populations rwandophones au Nord-Kivu déstabilisent la région du Nord-Kivu. C’est dans ce cadre que BALANCE et De La GRANGE distinguent cinq guerres à l’Est du Congo :
– La guerre de Masisi (1993-1994) ;
– La guerre résultant de l’arrivée massive des réfugiés Hutu en juillet-août 1994 ;
– Les insurrections Mayi-Mayi contre l’occupation rwandaise (de 1997-1998) ou guerre de l’A.F.D.L. ;
– La guerre anti-Kabila ou du R.C.D.(1)
Nous ne maquerons pas de signaler la présence d’une milice Hema dans la vallée de la Semliki. Ceux-ci ont été installés par le général James KAZINI depuis 1999, leur stratégie est de protéger cette présence hema dans le Graben. Ils sont conduits par le chef hema Jakson.
Tableau N° 1 : Répartition des gisements dans la province du Nord-Kivu
Substance
|
Gisement
|
Territoire
|
Observation
|
Colombotantalite |
Obaye |
Walikale |
En exploitation |
Wolframite
|
– Etaetu
– Bishasha
– Obaye
|
Lubero
Masisi Walikale |
Fermé Fermé En eploitation |
Pyrochlore |
– Lueshe
– Bingo
|
Rutshuru
|
En exploitation En projet |
Béryl de pemgatitas |
Manguredjipa |
Beni |
Fermé |
Source : Schéma provincial d’aménagement de secteur Mines et Energie-Ministère des T.P.A.T./H.1989.
Tableau N° 2 : Répartition de la population
Entité administrative (Territoire ou ville) |
Superficie |
Population |
||
Km² |
%
|
Effectif
|
%
|
|
Masisi
Rutshuru
Walikale
Lubero
Beni
Nyiragongo
Goma (ville)
|
4734
5289
23475
18096
7484
193
212
|
7,96
8,86
339,47
30,42
12,58
0,32
0,36
|
554538
568262
194371
857222
774580
45253 142835 |
17,68 18,11 6,20 27,33 24,69 1,45 4,54 |
TOTAL |
59483 |
100 |
3137061 |
100 |
Source : Division provinciale de l’Intérieur/Nord-Kivu (recensement administratif de 1994).
En valeur absolue, le territoire le plus peuplé est celui de Lubero suivi de celui de Beni. Walikale, qui est le territoire le plus vaste avec 39 % de la superficie de la province, ne compte que 6 % de la population recensée.
Tableau N° 3 : Répartition des réfugiés par nationalité au Nord-Kivu
NATIONALITE |
EFFECTIF |
% |
RWANDAISE BURUNDAISE OUGANDAISE SOUDANAISE AUTRES |
739000 3881 2513 461 25 |
99,08 0,52 0,34 0,057 0,003 |
TOTAL |
745880 |
100 |
Source : Haut Commissariat aux Réfugiés/Goma, 1995.
Les réfugiés rwandais constituent la presque totalité (avec 99 %) des réfugiés recensés par le haut Commissariat des Nations-Unies pour les Réfugiés (H.C.R.) dans le Nord-Kivu. On rencontre également les réfugiés burundais et soudanais dans une très faible proportion. Les autres nationalités sont les kenyans ou les Somaliens.
Les réfugiés rwandais, qui sont les plus nombreux, ont été regroupés dans des camps provisoires repris dans le tableau suivant :
Tableau N° 4 : Implantation des camps des réfugiés rwandais au Nord-Kivu.
CAMP |
Localisation |
Nombre de réfugiés |
Katale
Katindo
Kibumba
Mugunga
Lac-Vert
Keshero
Goma-ville
Enfants non accompagnés |
Rutshuru Rutshuru Nyiragongo Goma Goma
Goma
Goma
Goma
|
200000
110000
204000 143000 49000 13000 11000 9000 |
TOTAL |
Nord-Kivu |
739000 |
Source : Haut Commissariat aux Réfugiés/Goma (estimation au 30 juin 1995).
Tableau N° 5 : Evolution de la population du Nord-Kivu de 1988 à 1994
Territoire ou Ville |
1988 |
1994 |
Accroissement % |
||
Population |
Hab/km² |
Population
|
Hab/km²
|
||
Masisi
Rutshuru
Walikale
Lubero
Nyiragon,go
Goma (ville)
|
483849
462099
177445
693007
639500
30860
110000
|
102
87 8 38 85 160 519 |
554538 568262 194371 857222 774580 45253 142835 |
117 107 8 47 103 244 674 |
14,61 26,69 9,54 23,70 21,12 46,64 29,85 |
TOTAL REGION |
2596760 |
44 |
3137061 |
53 |
20,81 |
Source : – Division Provinciale de l’Intérieur/Nord-Kivu
– Division Provinciale du Plan/Nord-Kivu, 1994.
Pour la période allant de 1988 à 1994, les Divisions provinciales du Plan et de l’Intérieur ont procédé à l’analyse de la population du Nord-Kivu dont les principaux résultats sont repris dans le tableau ci-haut. Selon les mêmes sources, l’accroissement annuel moyen de la population du Nord-Kivu est de l’ordre de 2,8. De 1988 à 1994, elle a augmenté de 20,81%.
1.3.5. Accroissement démographique et déséquilibre par des migrations massives
La population du Nord-Kivu a augmenté à un rythme très rapide à partir des années 1940, en partie précisément parce que l’espace y apparaissait assez vaste et disponible pour accueillir des populations venues du Rwanda. Au début des années quarante, le Masisi, et de façon générale le Nord-Kivu, était très peu peuplé : 12 hab/km² pour le Masisi, moins de 25 hab/km² pour le Bwito et le Bwisha qui étaient les zones les plus densément occupées du Nord-Kivu à cette période. En 1970, les densités moyennes sont de 62 hab/km² pour la zone de Masisi et 103 hab/km² pour celle de Rutshuru(1). En 1990, enfin, la densité moyenne par rapport à l’espace physiquement cultivable (y compris donc les zones de parcs naturels et de forêts classées) est de 108 hab/km² pour l’ensemble du Kivu montagneux, et estimée à 111 hab/km² pour le Masisi. Par contre, selon POURTIER, les densités réelles des populations paysannes étaient au début des années quatre-vingt-dix de l’ordre de 300 hab/km², soit guère moins que dans les zones les plus peuplées du Rwanda(2).
Eu égard à leur période d’installation dans la région, les divers groupes étiquetés banyarwanda ont été à la base de la déstabilisation et du déséquilibre de cette région. Selon les estimations de Paul MATHIEU & A. MAFIKIRI TSONGO, vers 1950, on y dénombrait plus de 6000 familles ; entre 1937 et 1955, suivant les chiffres officiels, c’est 85000 personnes qui ont été installées par la Mission d’Immigration des Banyarwanda (MIB) sur les terres aménagées par les colonisateurs Belges dans les collines du Masisi. Aux populations officiellement installées et encadrées (les transplantés) s’ajoute en effet très vite un flux important de migrants spontanés entre 1949 et 1953 suite à la famine au Rwanda. Entre 1953 et 1955, les nouveaux venus dépassent les limites de la zone attribuée (Gishari) pour occuper les régions de Washali-Mokoto vers l’Ouest, en direction de la zone de Walikale. Entre 1920 et 1960, un nombre total de l’ordre de 200.000 personnes seraient venues du Rwanda pour s’installer au Kivu, principalement dans le Masisi et, dans une moindre mesure, dans les deux régions voisines de Walikale et Rutshuru. Entre 1960 et 1970, 100.000 personnes supplémentaires seraient arrivées du Rwanda au Kivu. Après 1970, on ne dispose plus que des chiffres très discordants, peut-être parce que la question du nombre, de la date d’arrivée et de la nationalité des rwandophones devient à cette époque un enjeu politique ouvertement disputé. Au début des années quatre-vingt-dix, sur une population totale estimée à trois millions d’habitants pour l’ensemble du Nord-Kivu (en 1993), les estimations de la proportion des Banyarwanda varient entre le quart et la moitié(3). Dans la zone administrative de Masisi, on s’accorde à considérer que les Banyarwanda représentaient au moins 70 % de la population locale depuis le milieu des années soixante-dix et peut-être près de 80 % en 1994.
La montée de la violence contre cette présence au Nord-Kivu commence au début des années quatre-vingt-dix et est due aux déséquilibres ethnico-démographiques. Les affrontements de cette période ont représenté l’aboutissement de tensions sociales qui traversaient la région depuis plusieurs décennies. Ces contradictions étaient complexes et anciennes. Bien avant les premiers massacres du Masisi en mars 1993, la région du Nord-Kivu avait té le théâtre, durant près de cinquante ans, d’un long processus d’escalade des tensions et des rivalités entre les communautés autochtones et les divers groupes originaires du Rwanda.
Première épisode : l’enclave de Gishari (1945-1957), entre 1945 et 1957, un premier litige opposa les populations « transplantées » d’origine rwandaise du Masisi et les chefs coutumiers des communautés autochtones Hunde pour le contrôle de la chefferie dans « l’enclave de Gishari ». Ce territoire couvert de forêt et peu peuplé à l’époque, avait été cédé en 1937 par les chefs traditionnels Hunde, à la demande insistante des autorités coloniales, pour l’installation des migrants déplacés du Rwanda et installés par la MIB dans ce territoire. Ayant ensuite obtenu en 1940 de l’autorité coloniale de constituer une chefferie autonome, les migrants rwandais devenus plus nombreux avaient tenté, cinq ans plus tard, d’étendre les limites du territoire sous leur contrôle, provoquant une vive réaction des chefs coutumiers autochtones. En 1957, le pouvoir colonial supprime la chefferie de Gishari et rétablit les droits de la chefferie bahunde sur l’enclave. Les migrants installés restaient sur place, mais ils devaient clairement reconnaître l’autorité des chefs coutumiers autochtones. Ce premier affrontement ne donne pas lieu à des violences physiques, mais il marque le début d’une relation fondamentalement compétitive et méfiante entre les deux groupes.
Deuxième épisode : la révolte Kanyarwanda et le partage de la province du Kivu (1962-1965). En 1962 et 1963, les politiciens Banyarwanda et autochtones du Nord-Kivu (principalement les nande) s’opposent sur la question du redécoupage de la province du Kivu-Maniema. L’enjeu de ce débat était de savoir quel groupe contrôlerait les futures assemblées provinciales des nouvelles provinces fractionnées (Nord-Kivu ou Kivu Central). Déjà la question de la nationalité et donc du nombre et du poids de la représentation politique des Banyarwanda est à l’arrière-plan du débat politique et suscite des tensions centrifuges fortes(1).
Troisième épisode : En avril 1990, MOBUTU annonce la démocratisation et l’avènement du multipartisme (avec, donc, la perspective d’élections nationales). En août 1991, débute la Conférence Nationale Souveraine (CNS). La préparation et le déroulement de celle-ci verront à nouveau s’opposer Banyarwanda et autochtones du Nord-Kivu pour le choix des représentants de la province à la Conférence Nationale. Entre-temps, les élections municipales réalisées en 1989 dans l’ensemble du Zaïre avait été reportée dans les deux provinces du Nord et du Sud-Kivu. Pour pouvoir réaliser ces élections dans des conditions normales (donc en identifiant avec précision les électeurs), une opération « d’identification des nationaux » débute en juin 1991, opération décidée depuis mai 1989. Suite à la décision de ne pas recenser comme Zaïrois les descendants des « transplantés » et plus généralement l’ensemble des Banyarwanda du Kivu, des groupes Hutu armés attaquent les locaux administratifs dans le Masisi, détruisent les registres de populations et font fuir les équipes chargées de l’opération. Des affrontements avec les forces de l’ordre s’ensuivent dans l’ensemble du Kivu : on compte une trentaine de victimes, mais l’identification des nationaux n’est finalement pas réalisée.
Quatrième épisode : Guerre civile paysanne (Mars-Septembre 1993), le 20 mars 1993, des groupes de jeunes Hunde, Nyanga et Tembo, sans doute organisés par des politiciens locaux, déclenchent les premiers massacres de paysans Hutu sur le marché de Ntoto (dans l’Est de la zone de Walikale), puis dans les villages environnants.
Très rapidement, des groupes similaires, constitués par les Hutu de Masisi, attaquent les Hunde. Les violences réciproques provoquent en six mois entre 7000 et 14.000 morts selon Paul MATHIEU & A. MAFIKIRI TSONGO. Pendant presque six mois, chaque groupe cherche à éliminer les chefs traditionnels de l’autre bord : les Hunde se réfugient à Goma, les leaders banyarwanda dans la zone de Rutshuru. La guerre entre milices paysannes est totale, avec les armes limitées dont elles disposent à ce moment : massacres des populations civiles, extermination et vol du bétail, destruction des récoltes, etc. Entre novembre 1993 et août 1994, un bref apaisement des violences est obtenu grâce à la combinaison de divers facteurs : à la fois une intervention militaire des forces de la Division Spéciale Présidentielle et un intense travail de communication associant les acteurs officiels, la société civile (certaines ONG) et les représentants coutumiers de diverses communautés.
Une nouvelle phase s’ouvre en juillet 1994 avec l’arrivée des réfugiés et des Interahamwe. En juillet 1994, plus d’un million de réfugiés rwandais arrivent dans la région de Goma et s’installent dans l’immense camp géré par l’aide internationale. Parmi ces réfugiés figurent bon nombre de membres de l’armée rwandaise en déroute et des Interahamwe. Ceux-ci s’attribuent rapidement un rôle d’intermédiaires obligés entre la population et les agences extérieures pour la gestion interne et la distribution de l’aide dans certains camps. En même temps, ils se préparent à la « reconquête », achètent des armes et effectuent une jonction avec les milices banyarwanda qui s’étaient constituées en 1993 dans le Masisi. Ces Interahamwe sèment aujourd’hui la désolation, le pillage, le vol, le viol dans cette province depuis 1994 à nos jours.
1.3.6. La révolution de l’Alliance des Forces Démocratiques pour la Libération.
De 1990 à 1996, la transition zaïroise a traversé de sérieuses difficultés. M. Laurent Désiré KABILA a bien compris cela, qu’il a finalement décidé avec le Rwanda et l’Ouganda de prendre les armes car c’est l’unique moyen qui restait.
Ce choix venu à un moment de crise politique et sociale majeure explique le succès et le soutien populaire qu’il rencontre sans cesse. Il faut surtout espérer que son action armée aboutisse au renversement du régime tyrannique et à l’installation d’un Etat de Droit.
Ce n’est pas l’opposition intérieure, ce sont des rebelles armées aux frontières orientales du pays, combinée à une agression étrangère, appuyée et encadrée par des forces extérieures. La rapide et facile conquête du pays par ces rebelles s’explique, en même temps que par l’état de déliquescence dans laquelle se trouve le Zaïre (son appareil administratif, sa monnaie, son armée, son leadership).
Le 22 août 1996, le président MOBUTU est opéré à Genève (Suisse) d’un cancer de la prostate. A la fin du même mois, ceux que l’on appelle « Rebelle Banyamulenge » passent à l’attaque, venant du Rwanda, dans la plaine de la Ruzizi. Le 18 octobre est fondée, à Lemera, l’A.F.D.L. l’Alliance des Forces Démocratiques pour la Libération du Congo). Sept mois plus tard, le 17 mai 1997, les forces de l’A.F.D.L. s’emparent sans coup férir de Kinshasa. Laurent Désiré KABILA est proclamé Chef d’Etat d’un pays rebaptisé « République Démocratique du Congo ». Pour le nouveau pouvoir, la « transition démocratique (entreprise en 1990 et ses acquis sont nuls) et non avenus »(1). Très vite, le décret-loi constitutionnel n° 003 du 28 mai 1997 relatif à l’organisation et à l’exercice du pouvoir en R.D.Congo accordera beaucoup des pouvoirs au président de la République.
Cependant, le pouvoir intégral de Laurent Désiré KABILA au Congo sera intégralement de courte durée. Déjà ses alliés Rwandais et Ougandais s’insurgent contre le nouveau pouvoir à Kinshasa ; JAMES KABAREHE, BIZIMA KARAHA, MASASU NENDAGA…, tous rwadophones, seront les instigateurs de multiples coups d’Etat manqué contre le président Laurent Désiré KABILA.
Suite à cette recrudescence, le 28 juillet 1998, le président décidera la fin de la présence des soldats rwandais et autres étrangers sur le territoire congolais. Cette décision est perçue par les Banyamulenge, civils comme militaires, comme une remise en cause de leur « citoyenneté » en R.D.Congo. D’où le retour à la guerre contre Laurent Désiré KABILA, tous les rwandophones avaient pris la route vers Kigali pour une nouvelle guerre à l’Est de la République Démocratique du Congo, c’est l’avènement du R.C.D.
Tous ces faits sont certes antérieurs aux événements de la guerre d’agression-rébellion du Rassemblement Congolais pour la Démocratie au Nord-Kivu. Mais il importe non seulement de les décrire, mais aussi ils méritent une attention particulière suite à la complexité et la similitude de la guerre qui met la population dans une situation insécuritaire.
( A suivre sur Beni-Lubero Online)
(1) NDAKIT KASEREKA F., Pluralisme politique au Zaïre/Congo et problématique de l’intégration nationale au Nord-Kivu. Mémoire, Lubumbashi, S.P.A., inédit, 1992, p. 57.
(2) MAFIKIRI TSONGO, Mouvement des populations, accès à la terre et question de la nationalité au Kivu, L’Harmattan, Paris, 1996, p. 197.
(3) NDAKIT KASEREKA F., op. cit., p. 57.
(1) Roger MWANAWAVENE, Ethnicité et militarisation au Nord-Kivu, T.F.C., U.C.G., 1998-1999, p. 12.
(2) Idem
(3) Mgr KANYAMACHUMBI, Les populations du Kivu et la loi sur la nationalité, vraie et fausse problématique, Ed. select, Avril 1993, p. 92.
(1) Ibidem.
(2) KABUYA LUMUNA, La conquête de liberté en Afrique. Essai de sociologie politique, NORAF, Kin., p. 307.
(3) SEKIMONYO W.M., “Le dialogue inter-congolais du Nord-Kivu s’impose », In La Référence Plus, 13 mars 2000, p. 1.
(4) G.MUHEME BAGALWA, Ces guerres imposées au Kivu, Bruxelles A. Bruylant, p. 77.
(1) P. MATHIEU et MAFIKIRI T., op. cit., p. 28.
(2) P. MATHIEU et MAFIKIRI T., Enjeux fonciers, déplacement de population et escalade conflictuelle, In Cahiers Africains, n° 39-40 Paris, L’Harmattan, 1999, p. 23.
(1) J.M.BALANCIE et A. de la GRANGE (sous la direction), Monde rebelle, guerres civiles et violences politiques, 2e Ed., Paris, Michallon, 1999, p. 435.
(1) Paul MATHIEU & A. MAFIKIRI TSONGO, Guerres paysannes au Nord-Kivu (R.D.C.), 1937-1994, In Cahiers d’études africaines, n° 150-152, paris, Ed. E.H.E.S.S., 1998, p. 390.
(2) Paul MATHIEU & A. MAFIKIRI TSONGO, op. cit., p. 391.
(3) Paul MATHIEU & A. MAFIKIRI TSONGO, op. cit., p. 392.
(1) J.C. WILLAME, Banyarwanda et banyamulenge. Violences ethniques et gestion de l’identitaire au Kivu, Bruxelles, Institut Africain-CEDAF ; Paris, l’Harmattan, 1997, p. 25.
(1) Gauthier de VILLERS, Zaïre, la transition manquée 1990-1997, in Cahiers Africains, n° 27-28-29, Harmattan, Paris, 1997, p. 266.
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Paul Kakule Vyasongya
Program Assistant, CESVI
Bunia (Ituri)
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