





Il est 16h30, notre téléphone sonne. Nous décrochons et comme d’habitude nous activons le lance-voix pour permettre à tout le monde de suivre. Un de nous semble reconnaître la voix. Il met l’appel en pause pour nous souffler le nom : « c’est… un de nos grands chefs coutumiers ». Pour de raisons de sécurité nous taisons volontairement le nom. Nous n’en revenons pas. Nous maintenons le souffle et réactivons la conversion. « Pardon, lui dit un de nôtres dans la salle de rédaction. Nous avons un problème de connexion. Attendez que j’aille dans un endroit où le réseau est stable ».
Sa voix est toute tremblante. Après la présentation, ses premiers mots sont surprenants : « avant tout, permettez-moi de vous demander pardon ! Ma conscience est très chargée. J’ai besoin seulement d’une chose : votre pardon. Et vous savez pourquoi. Je sais que je vous trouble. Mais avant de continuer et de vous dire ce que j’ai à confesser, veuillez me dire que vous êtes prêts à me pardonner ».
Un de nôtres l’assure et le rassure : « Si c’est vraiment pour la paix chez nous, vous avez notre parole. Allez-y ! »
« Je vous remercie », aspire-t-il au bout du fil.
« Point n’est besoin de vous redire ce que vous avez écrit depuis le début des massacres dans notre territoire. Je suis complice des massacres de chez nous. Et je suis devenu otage de l’ennemi. Je voudrais vous remercier de votre courage, malgré les menaces, la mort que vous avez encourue. Je voudrais par vous en ce moment demander pardon à mon frère et héros de notre peuple : le Père Vincent Machozi. Depuis un moment, je ne peux passer une journée sans écouter sa voix et sans le voir passer devant moi me fixant dans les yeux, comme pour me rappeler ce qu’il ne cessait de nous dire dans nos réunions secrètes : Bathunga, nous sommes les gardiens de notre tradition. Et il n’y a pas de tradition sans la terre. Protégeons nos terres, patrimoine de nos ancêtres, contre cet ennemi avec qui certains d’entre vous ont noué un pacte, au point de l’introduire dans notre vuhima. Vous le regretterez et le sang qui est en train d’être versé criera plus fort un jour et ce sera tard pour vous ».
Un moment de silence qui est entrecoupé par des pleurs.
« A un mois de l’anniversaire de son meurtre, je ne dors plus, car ces paroles sont en train de se concrétiser. Je viens à vous pour me confesser. Tout est presqu’accompli. Aujourd’hui, je viens à vous parce que les jours sont mauvais et noirs. Et peut-être sommes-nous en train de vivre la fin de la République démocratique du Congo. L’ennemi nous a eus ».
« Pouvez-vous être clairs », lui dit notre collègue !
« Ok ! vous le savez et vous l’avez écrit. Que de fois n’avons-nous pas favorisé l’entrée et l’installation de l’ennemi qui aujourd’hui est présent partout, jusque dans nos maisons, nos concessions, notre terroir… Pas seulement cela, sur demande de l’ennemi, nous avons créé des groupes et avons fait tuer certains de nos enfants. Nous avons maintenant les mains liées et ma conscience est très chargée. Je vis dans mon pays mais bien esclave emprisonné chez lui. Tous mes mouvements sont contrôlés. Je le confesse… Je sais que vous aussi suivez tous mes mouvements. Sachez-le, si vous me voyez dans des lieux, même escorté, j’y suis en réalité esclave… ». De nouveau, un silence. Au bout de fil, on peut entendre combien son cœur est en train de battre. Des sanglots éclatent entrecoupant sa communication : « Pour… pour ma vie…pour ma vie… ma famille, j’accepte tout ce qu’il me demande de faire : enlever mes frères… mes sœurs… Faire disparaître, tuer… participer à sa mission… ».
« Quelle mission, pardon » lui demande notre collègue ? Celui de proclamer la république ?
Un silence. Il retient son souffle. Nous pouvons l’entendre se moucher.
« Oui ! Mais comme d’habitude, l’ennemi va apparaître sous notre habit. L’intensification des massacres ces jours-ci n’ont cela que pour objectif. Et le pire vient d’être décidé. Les villes de Beni et de Butembo vont connaître des attaques meurtrières à la bombe. Je l’ai dit à nos politiciens et à certains dignitaires. Ils le savent. Tous les matériels sont déjà sur place. Vous pouvez imaginer où, car vous y aviez fait allusion dans l’un de vos articles. Quand ces deux villes vont être à feu, l’ennemi va lancer des attaques à partir des villages où il est bien positionné en ces jours, comme vous l’avez révélé dans vos derniers articles. Oui avant le mois de mars, il veut hisser son drapeau. Des généraux, des Agents de la Monusco y travaillent beaucoup … Nos enfants qui sont dans l’armée vont être désarmés voire élimés… »
« Vous voulez dire qu’il n’y a plus rien à faire », lui demande notre collègue.
« Je vous ai appellé pour que vous fassiez votre travail… ».
Le téléphone coupe brusquement. Nous voulons le rappeler mais ça affiche 000043041111.
Quinze minutes après, nous appelons un de nos services sur place pour vérifier cette confession. Réponse : « Affirmatif ! Ce weekend était très chargé. Il a eu des réunions avec ces gens-là dans des lieux suspects, en présence de l’épervier. Et à la fin de la réunion, direction vers le nord avec un crochet dans un lieu pas trop catholique… Je pense que le convoi est à son dernier virage… ».
Un de nous ne retient pas son désarroi. Larme aux yeux, il redit le Testament du Père Machozi :
« « On comprend ainsi le grave danger de toute rallonge au pouvoir de Joseph Kabila. Les congolais dignes de ce nom doivent refuser toute forme de transition. En effet, au vu de ce qui se passe au Kivu-Ituri, toute transition au-delà de décembre 2016, donnerait du temps et des moyens au gouvernement congolais qui est, de toute évidence, complice de l’occupation rwandaise du Kivu-Ituri en cours » (Père Vincent MACHOZI, le 20 mars 2016, parole qui a valu son assassinat).
Rédaction BLO
©Beni-Lubero Online.





