





Hommes de Dieu, journalistes, défenseurs des droits humains, tous Kivutiens, ont perdu leur vie pour que vive la RDC, unie et démocratique. Qui a fait mieux ?

Le vent de la Perestroïka ayant ébranlé l’humanité à la fin de la décennie’80 a placé la République démocratique du Congo – plus que tout autre pays africain – devant 2 défis majeurs. Celui de l’ouverture du pays aux vertus du système démocratique et celui de la sauvegarde de l’intégrité de ses frontières héritées de la colonisation. Une exigence dont la réalisation impose d’énormes sacrifices à la masse populaire sous diverses formes. A commencer par cette résistance que la population devait affronter de la part des dirigeants peu disposés à traduire dans les faits le changement souhaité dans la gestion des institutions. Et ce en plus de la nécessité qui allait se manifester par la suite, de faire face au danger d’éclatement qui menaçait la Patrie
Le déclic décisif
Comme on le sait, la marche à tâtons vers un régime démocratique est entamée officiellement le 24 avril 1990. Mais, très vite, l’espoir collectif suscité par cette ouverture ne fera pas long feu. Alors que celle-ci était censée avoir bénéficié d’un coup d’accélérateur avec la fin du règne de feu le maréchal Mobutu un certain 17 mai 1997, la population, désillusionnée, se rendit compte à la lecture des faits qu’elle se trouvait finalement face à ce terrible l’axiome du général belge Jansens : «Pendant Mobutu = après Mobutu». Conséquence logique, unanimité autour de la nécessité de reprendre le combat pour l’instauration d’un Etat respectueux des droits fondamentaux de la personne humaine. Commence alors un véritable combat repris par la presse, des acteurs politiques, des chefs religieux, des membres des ONG des droits de l’homme. L’incarcération, la torture, la mort même constituent les différentes répliques réservées par les pouvoirs publics aux journalistes, politiciens et autres animateurs de la société civile. A travers le pays, la recette est la même, les différentes autorités se montrent hostiles au son contradictoire.
A la résurgence du défi pour la conquête de la démocratie, s’associe un nouveau défi – tout aussi éprouvant et plus meurtrier – celui de la préservation de l’intégrité du territoire national mise à mal par des voisins sans scrupules.
Avant de rendre le tablier, Mobutu qui connaissait au moindre détail les dessous des cartes, avait prévenu : «Après moi c’est le déluge!» Profession de foi d’un homme éclairé, mais dont les détracteurs ont toujours tourné en dérision la pensée, le message. Il n’a pas fallu pourtant plusieurs années pour que la nation – sans doute distraite jusque là – soit surprise par la tournure des événements. La première alerte chaude est donnée au moment où l’armée rwandaise occupe la ville de Bukavu, avec l’assassinat de Monseigneur Kataliko, évêque de Bukavu.
Une incommensurable hécatombe
Ce signal macabre de l’occupant rwandais, qui prend possession de terres congolaises, se heurte à la résistance farouche des autochtones. La confrontation à armes inégales allonge la liste des victimes; Mgr Munzihirwa, les massacres de Makobola, Mwenga, Kasika et, récemment, de Kiwanja… portent le seing de l’occupant qui agit à travers ses bras séculiers implantés dans des souches de la population locale. L’insupportable bilan est donné par des ONG et des branches spécialisées des Nations Unies : le Congo démocratique a perdu plus de 4 millions de ses enfants. Jamais une guerre, à travers l’histoire, n’a opéré d’aussi gigantesques ravages dans un seul pays!
Certes, les victimes, directes et indirectes, se recrutent à travers l’ensemble du territoire national. Mais il saute à l’œil que le grand Kivu peut à juste titre en revendiquer le plus gros quota. Plus que les districts de l’Ituri, du Haut Uélé et du Bas-Uélé, dans la Province Orientale, endeuillés par des affrontements interethniques et des incursions récurrentes de l’armée ougandaise aux trousses des rebelles de l’Armée de résistance du Seigneur (LRA), une rébellion elle-même portée à massacrer la population civile. La situation dans les deux Kivu se corse avec l’implication des multinationales maffieuses dont les mains nourrissent la multitude des groupes armés locaux et étrangers, tous tournés vers l’exploitation anarchique des minerais, singulièrement le Colombo tantalite (coltan). Un précieux minerai, très prisé par l’industrie de la téléphonie cellulaire, et qui va aiguiser l’envie du régime voisin à accaparer ces riches terres, longtemps convoitées pour besoin d’y déployer des cheptels en quête de la flore nourrissante.
Face à ces invasions et aux injustices et atrocités qui les caractérisent, les populations autochtones, toutes couches confondues, n’ont que leurs voix pour dénoncer et protester. A leurs risques et périls.
Au sein d’elles se sont notamment illustrés des noms désormais célèbres : Mgr Munzihirwa, Mgr Kataliko, sœur Denise Kahambu, les journalistes Serge Maheshe, Didace Namujimbo, les défenseurs des droits humains Pascal Kabungulu et Floribert Chebeya. Un pantelé de compatriotes, tous de la province du Sud-Kivu, fauchés à la fois par les réfractaires à l’instauration d’un Etat de droit en RDC et par des pions des comploteurs contre l’intégrité du territoire national.
Aussi peut-on affirmer que le sang versé pour la conquête d’un espace démocratique en RDC ouvre d’ores et déjà à chacun de ces combattants l’accès du panthéon des martyrs de la liberté d’opinion et d’expression.
Le Kivu au faîte du sacrifice
Au lendemain du 24 avril 1990, sous la IIème République, l’histoire rappelle le martyr des chrétiens catholiques, tombés le 16 février 1992. A ce drame se sont ajoutés plusieurs autres, notamment les arrestations et la disparition de plusieurs journalistes, politiciens et acteurs de la société civile. Le cas de Bapuwa Mwamba, Franck Ngyke, Père De Haes et de plusieurs autres religieux en provinces. Dans le même registre s’inscrit la répression, jugée par d’aucuns disproportionnée, du soulèvement des adeptes de l’ancien mouvement politico-religieux Bundu dia Kongo, aujourd’hui dissout. Au finish, plusieurs vies fauchées sur l’autel de la liberté d’expression.
Sur un autre chapitre, l’histoire renseigne que la préservation du territoire – même pour des communautés de petite dimension – exige des sacrifices, souvent de sang. Si Patrice Emery Lumumba et ses compagnons d’infortune ont versé leur sang pour la sauvegarde de l’unité du pays, il n’en demeure pas moins que la consolidation de cette dernière en réclame encore davantage. Depuis le départ du Maréchal Mobutu, l’intégrité du territoire national est sous menace, particulièrement dans sa partie Est.
Ce n’est donc pas le fruit d’une simple coïncidence si le Sud-Kivu offre ainsi le plus gros lot du sacrifice collectif pour la préservation des frontières nationales. Tant il est un fait que les frères et sœurs de cette province vivent au jour le jour le cauchemar de la balkanisation du pays synonyme de perte de leurs terres naturelles. Plus que tous les autres Congolais, ils subissent les assauts récurrents de fortes convoitises des pays voisins sur leurs espaces d’habitation et de travail.
Ne serait-il pas juste de reconnaître que l’existence du Congo dans ses dimensions traditionnelles, après plus d’une décennie de séquences d’occupation du grand Kivu, est l’œuvre de la résistance des autochtones? Il suffisait en effet que les Kivutiens capitulent pour voir le pays amputé de certaines de ses terres au profit de populations étrangères.
Le Kivu : socle du patriotisme congolais
Dans l’ensemble, au terme de plus d’une décennie de confrontations, le grand Kivu verse des larmes pour déplorer la perte de plusieurs millions de ses enfants. Fauchés non pas sur des chantiers de développement de la région, mais pour participer à l’effort national de la démocratisation du pays, et surtout pour faire échec au complot international visant la confiscation de ses terres.
Combien sont-ils capables de décrypter correctement le message livré par les habitants de cette région meurtrie ? Les Kivutiens eux-mêmes ont-ils pleinement conscience de l’exemple qu’ils donnent à la Nation tout entière de leur sacrifice au quotidien ?
Qu’elle qu’en soit la réponse, les Congolais de tous les horizons ne peuvent pas ne pas saluer le remarquable courage dont font preuve les compatriotes de cette partie de la République pour sauvegarder au prix fort – celui du sang – l’intégrité territorial et pour garantir la consolidation de la démocratie dans notre pays.
C’est donc à juste titre que des analystes indépendants qualifient le Kivu de socle du patriotisme congolais. Dans cette partie du pays, plus précisément dans le Sud-Kivu, loge la société civile la plus dynamique du pays. Moins inféodée à la classe politique, son action est tournée vers la rencontre des attentes fondamentales de la masse populaire. Chaque goutte de sang versé dans ses rangs se révèle un levain, une semence pour l’émergence d’autres énergies locales.
Didace Namujimbo, Pascal Kabungulu, Emmanuel Kataliko, Floribert Chebeya, Serge Maheshe, Mgr Munzihirwa, Denise Kahambu… martyrs ou héros? La nation jugera au moment opportun afin de rendre une juste récompense à la mémoire de ces victimes de l’intolérance et de l’agression du pays. Une vérité universelle cependant : on ne vient jamais à bout des personnes qui défendent leurs terres naturelles. Le combat est âpre et long certes, mais la victoire reviendra toujours aux autochtones, aux propriétaires!
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Bondo Nsama
in «SALONGO» n°061 du mercredi 23 juin 2010
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