L’état de siège proclamé par le président Félix Tshisekedi est un fiasco total. En l’espace d’une semaine, plus de cinquante personnes ont été tuées dans le secteur de Ruwenzori, en territoire de Beni, et plus de centaine dans le territoire d’Irumu au cours de plusieurs attaques contre les localités de Kinyatsi, Kisima, Miende ; Boga et de Chabi.
Ces attaques, attribuées précipitamment par les autorités aux « ADF », se sont révélées être l’occasion de redécouvrir certaines vérités longtemps cachées. Après le massacre du samedi 29 mai 2021 à Kinyatsi, dans le secteur Ruwenzori, il s’avère que ce sont les soldats FARDC qui se déguisent en ADF pour tuer la population. Les preuves sont tellement indiscutables que l’affaire continue d’embarrasser l’armée.
L’armée attrapée la main dans le sac
En effet, les témoignages des habitants de Kinyatsi, sont qu’un soldat FARDC est tombé dans un trou de WC alors qu’il pourchassait une femme avec une machette pour la tuer. Le soldat est resté coincé dans le trou avec son fusil et sa machette qui portait encore les traces de sang de ses victimes. Au retour des habitants de Kinyatsi, ils ont découvert le soldat et l’ont interrogé. Il a avoué qu’il appartient à l’unité de l’armée basée à Kibanda, dans le même secteur, et que l’ordre d’aller massacrer la population leur avait été donné par le général Peter Chirimwami, commandant de l’opération Sukola 1 qui couvre le territoire de Beni. Les habitants de Kinyatsi ont contacté le général Chirimwami pour lui demander de venir récupérer son soldat ; il a refusé de se déplacer. Ils ont contacté d’autres officiers.
Finalement, c’est un colonel en provenance de Lubiriha, près de Kasindi, qui s’est rendu à Kinyatsi. L’officier a reconnu devant la population que ce soldat était bel et bien un soldat FARDC. Il a demandé pardon à la population et a amené le soldat se faire soigner dans un hôpital de Kasindi, parce qu’il s’était blessé lorsqu’il est tombé dans le trou.
Cette affaire permet de rappeler de nombreux témoignages, et même des rapports d’enquête de l’ONU, qui accusent les FARDC d’être les auteurs des massacres à Beni, en se déguisant en « rebelles ADF ».
Les FARDC :une armée des généraux encombrants
Dans le cas particulier du général Chirimwami, il convient de rappeler qu’il est impliqué dans les massacres de Beni depuis octobre 2014, à l’époque où il était un des adjoints du général Mundos, accusé dans plusieurs rapports de l’ONU d’être le commanditaire des massacres à Beni, et qui a même été inscrit sur les listes de sanctions de l’Union européenne et du gouvernement suisse. Malheureusement, pour la population de Beni, Félix Tshisekedi a nommé le général Mundos au poste d’inspecteur général adjoint des FARDC et nommé un de ses adjoints, Peter Chirimwami commandant des FARDC à Beni, malgré les crimes, documentés, que les deux généraux ont commis contre la population.
Il ne fallait pas être devin pour savoir que l’état de siège, avec les mêmes généraux, ne pouvait finir que comme un fiasco. Maintenant qu’on en est là, qu’est-ce qui risque de se passer ?
Le 31 mai 2021, un nouveau commandant est arrivé à Beni pour remplacer le général Chirimwami. Le général de brigade Mputela Nkolito, pourtant nommé depuis le 9 mai, est arrivé seulement le 31 mai pour remplacer le général Chirimwami à la tête du commandement du secteur opérationnel Sokola 1 Grand Nord couvrant Beni-Butembo-Lubero. Chose étonnante, le nouveau commandant était accompagné du général Fall Sikabwe, commandant des forces terrestres. Ce que les gens semblent oublier, c’est que le général Fall Sikabwe fait partie des dossiers noirs dans cette partie de la RDC, en raison de ses activités mafieuses par le passé, et même des assassinats qui lui ont valu d’être indexé dans plusieurs rapports d’enquête. Fall Sikabwe est accusé dans l’assassinat de l’ancien chef de milice en Ituri du nom de Paul Sadala Morgan en avril 2014[1]. Que le même général Fall Sikabwe se retrouve à Beni, il y a de quoi se poser des questions sur les complots qui se trament contre la population dans les officines des généraux.
Que doit faire le président Tshisekedi ?
Comme le réclame la population de Beni, et de nombreuses voix à travers le pays, Tshisekedi doit écarter de la chaîne de commandement tous les officiers accusés dans les rapports d’enquête. Le passé encombrant de ces officiers constitue un blocage à la confiance de la population et même à une éventuelle collaboration avec les unités de la MONUSCO, dont les règles interdisent de collaborer avec les commandants et les officiers impliqués dans les violations des droits de l’homme. Ces officiers, dont nombreux se retrouvent jusque dans la haute hiérarchie de l’armée, ne sont pas là pour ramener la sécurité dans l’est du Congo, mais pour profiter de l’insécurité, qu’ils créent de toute pièce, pour s’enrichir. Ils ne feront rien pour arrêter les tueries, bien au contraire. A chaque fois qu’on approchera de la fin de l’état de siège, ils vont organiser des tueries, encore et encore pour que l’état de siège soit renouvelé indéfiniment.
Au vu de ce qui précède, les acteurs politiques à tous les niveaux (Président de la République, Premier ministre, députés, sénateurs,…) doivent veiller à ce que lumière soit faite sur les crimes dont l’armée est accusée par la population. Ils doivent veiller, entre autres, à ce que le soldat attrapé à Kinyatsi pendant le massacre soit jugé en public et qu’il puisse révéler tous les détails sur les commanditaires de ces crimes dont il a parlé à la population. Il ne faut surtout pas qu’il meure comme l’ancien chauffeur du colonel Mamadou Ndala, retrouvé sans vie la veille du jour où il allait témoigner devant la cour militaire de Beni.
Ça ne sert à rien de renouveler l’état de siège si des officiers continuent de pratiquer le double-jeu en se déguisant en ennemi (ADF ou CODECO) pour tuer la population et continuer de faire durer sa souffrance pour leurs intérêts égoïstes.
[1]A l’époque, ce chef de milice, était impliqué dans des trafics avec des officiers de l’armée. Il avait accepté de se rendre, mais il risquait de faire des révélations contre ses anciens partenaires. Il a été assassiné pour qu’il ne puisse pas parler.
Christan Lukinga
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