





Beni 2015 _ Conférence Internationale du Kyaghanda Yira, asbl
Thème central : La culture Yira comme instrument de cohabitation pacifique entre peuples
Emivere mivuya ya vayira ni nunga na vuwatikya vw’erikala mbolere n’evindi vihanda
Par le Père Vincent Machozi, a.a., Président du Conseil Culturel du Kyaghanda Yira
1. Culture = Tradition=Utamaduni = Desturi na mila= Emivere mivuya= Ekera yetu ! La culture désigne ce qui est différent de la nature, de l’inné. La culture d’un individu est ce qu’il a acquis par l’éducation ou la formation sous toutes ses formes. La culture s’acquiert, se développe au cours des siècles et des événements de la vie ou de la société. Emivere ikighawa ! Ikakangirivawa par les parents (avavuti, avakangirirya), par les proverbes (emisyo, esyondekerano (ekyalekire kyeko), les interdits, les totems, les tabous (evighanivwa, emitsiro), l’art (evisasani), la religion (ekisomo), dans la véranda (omo Kyaghanda), lors de l’initiation ( omughulu w’olusumba), dans la cour royale (Ekikali), par la musique (esyonyimbo), par la danse amasata w’ovutseme (Omunde, endara, erisole, ekibulenge, erikembe, …) amasata w’avaholi, (Omukumo kutse Olusumba, Omukovo, Amasinduka (danse pour les femmes défuntes), etc…
P. Vincent Machozi, a.a., Président du Kyaghanda Yira
2. La culture est donc un patrimoine coutumier, social, éthique, religieux, politique, artistique, … appartenant à un ensemble d’individus. Elle comporte 5 éléments :
– Les valeurs (emivere mivuya) : Solidarité (Ovuwatikania =avali vaviri vavit’embeva), l’unité ( ovughuma), le respect ( erisikania : ovulume nisikania + omwana molo akalya haghuma n’ise wiwe + Tata waghu syahinganivwa) , le respect du don sacré de la vie (erisikya n’erikenga Ovuyingo =omuyira oyutunganene syaliuta omusasi w’owundi mundu) le sens du réconfort( ekinywa kivuya kirengire wakuhere), le sens de l’effort ( A Kavene kotya nyala=aide-toi et le ciel t’aidera, Ow’enda nene akalimirayo=Non à l’assistanat, unipisme, erihema)… L’unité dans la diversité (plusieurs clans mais une seule culture), le partage ordonné et réglementé en signe de reconnaissance au rôle que chacun joue dans la société (erighava) : quand quelqu’un égorge une chèvre, il donne le cou à son oncle (parce que c’est l’oncle qui peut donner son coup à couper pour son neveu , le rein à sa sœur (endyavahara) car c’est la femme qui donne vie et qui berce la vie sur ses hanches, ses jambes, le sens du pardon et du rejet de l’esprit de vengeance( Sihikwa viviri), le sens de la dignité dans la pauvreté ou le manque (e navya ngwite silamya), etc.
– Les normes (Kanuni, emighambo) réglementant tous les aspects de la vie sociale tel le mariage ( Oluhikyo : on ne marie pas sa sœur, pas de mariage homosexuel), la dot (omutahyo) s’évalue à dix chèvres en nature pas en argent, la transmission du pouvoir coutumier est héréditaire. Le fait que le pouvoir se transmet du père au fils aide à résoudre les conflits de pouvoir, les conflits de succession entre le 1er fils (Mukulu), le deuxième (Mwami), et le troisième(Ngavo). Les redevances réglementées (Omuhako akaha erisingana oko kitaka…).
– Les Institutions (evitongole) :
– la royauté (Ovwami) 🙂 Katonda mwavumb’ avami n’amakinga wavo, endondeka ne miteghekere ya Mwami n’avasoki viwe ;
– les lieux des rencontres ou de palabre ( Evyaghanda n’emighambo, n’emitondekere yavyo),
– la religion (ekisomo) : la croyance en seul Dieu dont il ne faut pas citer le nom,
– Les oeuvres d’art (Erituva, Ekimugha, Masques), outils agricoles (Omughusu, ekisara) instruments de musique (akaghovoghovo), les médicaments (ekikanyu, Oluvono), sites sacrés (Mont Ruwenzoriki, Katikali, Ishango, Kyavirimu), etc.
– La Langue (Omuvughe) : Oluyira= Mot de passe qui façonne aussi l’être des Yira (Kwalikwalava : l’agir suit l’être), Si tu parles par exemple le lingala tu peux manquer sans le savoir à la valeur du respect : Yo, Yaka’wa !
- Evolution de la culture : la culture évolue avec le temps et les événements de la société. Si la culture individuelle évolue très rapidement, la culture collective par ailleurs évolue lentement car elle est partagée par plusieurs individus, institutions, etc.
Proverbes Yira ayant déjà évolués :
– Evitsivu vilolya’ivanda ! Ajout actuel : owenyu i shaliyo !
– Owakalava kaviri wakawata ! Ajout actuel : ishali o’movikya !
– La technologie moderne a fait évoluer la culture de la communication : Téléphone portable, unités, taxi moto, voiture, avion, internet, facebook, whatsapp, etc.
– Pour bien négocier le virage de la mondialisation, le Muyira a besoin a besoin de l’éducation faite au Kyaghanda, lieu de rencontre, de réflexion, d’apprentissage de la culture, etc.
– La langue évolue : Ordinateur (olughale lwe kisesengula) On doit inventer des noms pour les nouvelles inventions technologiques).
– 4. Eléments de notre culture favorisant la cohabitation ou mieux la coexistence pacifique
Le Phénomène de la globalisation/Mondialisation économique et culturelle qui correspond à la suppression des barrières dans les transactions commerciales et les mouvements des peuples (dans un village voire une maison on trouve un téléphone fait en Chine, une moto Haojue de Jakarta, des habits de Paris, des bananes de Mwenda, des médicaments de l’Inde, une bouteille de vin de Kasongomi/Butembo, des tricots des USA, etc. Dans une petite ville on trouve des gens de partout, de différentes tribus, races, religions, etc. Chaque village est devenu une capitale du monde grâce à la mondialisation de l’économie, aux moyens de communication très rapides,etc. Cette mondialisation devait ouvrir chaque peuple aux autres et aboutir à une coexistence pacifique et harmonieuse ! Mais hélas, on assiste aujourd’hui au retour des identités (Ivoirité, Congolité) : moins congolais que moi, tu meurs, moins élancé que moi tu meurs, moins brun ou moins blanc que moi, tu n’as pas droit aux mêmes traitements… Ce qui pouvait favoriser la coexistence pacifique c’était la croissance économique et la démocratie. Rappelez-vous de ce qu’on avait appelé « Objectif 80, horizon 200 » = Mutu na Mutu abongisa… Adage : Quand dame pauvreté entre par la porte, Mr l’amour s’enfuit par la fenêtre. Depuis la crise économique internationale de 2009 aux USA, les conflits ethniques qu’on croyait révolus sont nés (ou de retour) un peu partout dans le monde… Aussi, quand on recule en démocratie, les conflits ethniques ou identitaires reviennent au galop (le cas du Burundi, Rwanda, RDC, …) où l’ethnicité devient une légitimité politique.
Le thème central de la conférence de Beni 2015 dénote une récession économique et un recul en démocratie en R.D. Congo.
Pourtant dans chaque ethnie il y a des valeurs à même de construire la richesse, la paix, la solidarité, la démocratie … Il n’y a pas une ethnie bandite, il n’y a pas un peuple génocidaire, etc. C’est ainsi que par exemple nous avons des martyrs ougandais bien que l’Ouganda soit le pays de l’ADF –NALU, les voyants de KIBEHO au Rwanda, pays de Paul Kagame… Ce qui est vrai est qu’on peut trouver des bandits et des génocidaires dans chaque ethnie, chaque pays, etc. Pour favoriser la paix, il faut toujours dissocier ou discerner dans chaque ethnie les bandits et les gens épris de paix. C’est la coalition des gens épris de paix qu’on trouve dans chaque ethnie, chaque pays qui constitue le moyen de la coexistence pacifique entre les peuples et l’arme efficace contre la violence ethnique, la violence politique, etc.
Quelques valeurs de la culture Yira constituant des atouts pour la coexistence pacifique
- La croyance en un seul Dieu, en la survie de l’âme (Les morts ne sont pas morts) et en la vie de l’au-delà qui se prépare dès ici-bas et dont la jouissance dépend du bien qu’on aura fait ici-bas prédispose le Muyira à une coexistence pacifique avec d’autres personnes. La loi de l’amour du prochain devient une unité de mesure de ceux qui hériteront le ciel.
- La pluralité au sein de l’ethnie Yira (unité dans la diversité), plusieurs clans mais une seule langue, une même culture, est un atout pour la tolérance, la collaboration… Chaque clan connait son rôle, chaque membre de famille connait son rôle, sa partition à jouer.
- Le respect des normes d’obtention d’un lopin de terre a conduit à l’expansion non violente de notre communauté vers toutes les provinces de la RDC. Les normes Yira qui régissent la relation du Mwami au Musoki sont porteuses de paix quand elles sont respectées de part et d’autre.
- Les Normes régissant l’accession et le partage du pouvoir dans chaque famille, la succession au trône royal (la succession allant du Père au Fils de la première femme en cas de polygamie)…
- Le Multilinguisme des Yira est un facteur de coexistence pacifique : Le fait d’apprendre la langue d’une autre communauté est un signe d’intégration, d’amour, de paix… avec ceux qui parlent cette langue.
- La solidarité réciproque du Muyira, l’appréhension positive que le Muyira avait envers toute personne qui parle le Kiyira faisait voyager quelqu’un d’Eringeti jusqu’à Kanyabayonga sans payer une chambre d’Hôtel et un seul repas au restaurant… (Il suffisait de dire Hodi, Ngaronda aheri panga…) Le visiteur ainsi accueilli apportait des nouvelles de sa contrée à son hôte. A son retour, il faisait de même à tout voyageur qui frapperait un jour à sa porte… (Omulume akalyo’vwatsumba). L’accueil du voyageur se fait donc au nom de la solidarité clanique.
- L’esprit du commerce ( O mutima w’ovuhingania) du Muyira fait de lui ou d’elle un homme ouvert aux autres ethnies qui deviennent ses partenaires, ses clients, ses amis… L’argent n’a pas de couleur ethnique, elle n’a pas de frontière, etc.
- h. L’esprit de négociation du Muyira lui ouvre un passage dans des moments ou circonstances difficiles telles barrières ou autres tracasseries policières sur la route. Erilembesania, erilembalemba avatsivu…
- L’existence du Muyira tout près de deux frontières Ouganda, Rwanda, le dispose à la coexistence, au partenariat, à la collaboration, etc.
- Le Muyira est un agriculteur, et un chasseur. Ces deux activités principales du Muyira le prédisposent à la patience, endurance, effort,… et le protègent contre l’esprit du gain facile, du vol, de la criminalité, etc. Planter une culture qui donne ses fruits après six mois, un an, deux ans, est un signe d’espoir, de persévérance, d’endurance etc.
- L’esprit de palabre au sein du Kyaghanda, lieu de résolution des conflits. En effet, le Muyira connaissait les conflits internes et externes. Les causes du conflit étaient souvent le meurtre d’un muthunga par un membre d’un autre clan, la conquête d’une colline par le clan voisin,… D’où l’existence des armes et outils de guerre comme Eritumo, Engavo , Enguvi (alerte, SOS), Engoni pour assommer l’ennemi par la tête. Mais le Muyira qui a un régime des sanctions et amendes pour réparer les torts n’a jamais eu de par son histoire une pensée d’anéantissement de l’autre… sa conquête de la terre des pygmées a été plutôt pacifique, avec des possibilités d’intégration du conquis. Ex. Le cas du clan MUHIYI du groupement Bunyuka où les vasumba (pygmees) participent aux travaux coutumiers …
- Le Muyira appliquait souvent la peine de mort à l’égard des assassins (omwiti), ou du sorcier (Omuloyi). Il avait aussi toute une gamme des peines intermédiaires. Même un assassin ou sorcier était souvent condamné à payer une femme (qui mettra au monde un remplaçant de la victime) plus 5 chèvres (esyombene syo vuhangi). Quand le malfrat persistait dans son mal, il était chassé du village avec sa famille et son bétail. D’après Kakiranyi Kule Léonard, dans son livre «le Munande (Yira) et ses traditions (p143), il était interdit aux membres de la famille de la victime de brûler la hutte de l’ennemi ou de percer d’un coup de lance le mur de sa hutte). Ces derniers pouvaient cependant s’emparer de biens de l’assassin … Au voleur, on coupait souvent la main, mais dans des cas graves ou en cas de récidive on emballait le voleur de feuilles mortes de bananier et on demandait à son père et à son oncle maternel de le brûler vif.
La culture Yira est ainsi un capital, une richesse, un atout de coexistence pacifique entre les peuples. Le peuple Yira peut avoir des bandits dans son sein, des criminels,… mais il n’est pas belliqueux, criminel, génocidaire, etc.
Fait à Beni dans la salle Bercy le 12 /8/2015
Père Vincent Machozi, a.a.
Président du Conseil Culturel du Kyaghanda Yira





