





INTRODUCTION
Le phénomène Maï Maï, s’il domine l’actualité du KIVU à la charnière du XX ème et du XXI ème Siècle, est en réalité, un vent qui souffle de tous temps en R.D.C comme dans d’autres pays africains tels que la Tanzanie. , sous des formes diverses mais qui le rapprochent d’un certain point de vue.
Si l’on ne s’en tient qu’aux manifestations de ce phénomène en R.D.C, Lubala Mugisho l’a décrit au Sud–KIVU dans les années 1996-2000 comme une forme de résistance à l’occupation étrangère (Rwandaise, Ougandaise et Burundaise).
Jean-Pierre BEMBA , quant à lui, parlant des Maï Maï du Nord-Kivu, croit découvrir qu’ils sont constitués en trois courants : le courant nationaliste auquel appartient la majorité des combattants qui luttent pour le retrait des troupes étrangères et la reconstruction du Congo ; le courant affairiste qui défend le système maffieux mis en place par les commerçants trafiquants qui opèrent en complicité avec les autorités politico-administratives; et le courant sécessionniste qui refuse tout assujettissement à une autorité non ressortissante de leur groupe ethnique.
A Gauthier de VILLERS, Jean OMASOMBO et Erick KENNES de généraliser en considérant que les différents groupes Maï Maï qui restent dans une large mesure constitués soit sur une base ethnique, soit sur la base d’une alliance interethnique soudée par l’hostilité à un groupe tiers, témoignent d’une grande autonomie et combinent, dans des mesures variables, des actions de résistance, la pratique d’exactions et de pillages à l’encontre des populations, l’exploitation des ressources minières et l’activité commerciale.
Toutes ces analyses se tiennent. Cependant nous pensons qu’il y a lieu de chercher à comprendre le phénomène sous un autre angle en s’engageant sur le terrain de l’analyse de la conflictualité qui se développe entre diverses factions Maï Maï.
Cette curiosité qui intéresse à la fois scientifiques et politiques mais certainement pour des mobiles divergeants, contribuera à mieux appréhender les enjeux et les intentions déclarées ou non avoués des antagonistes Maï-Maï afin de mieux comprendre la conflictualité intra Maï Maï et réduire la milicisation en R.D.C, particulièrement au Nord-Kivu.
En effet, des conflits idéologiques (Est/ouest, Démocratie/Dictature) aux tensions identitaires qui ont perturbé l’ordre socio-politique et économique des pays en voie de développement pendant la seconde moitié du XX ième siècle, jusqu’à faire écrire à Henri PEMOT « L’Afrique brûle », la R.D.C n’a pas été épargnée, confrontée depuis son indépendance à une instabilité récurrente. A l’heure où l’Etat ne devrait pas cesser d’exercer pleinement sa souveraineté, celle-ci se trouve contredite par la prolifération sur le terrain national et notamment au Nord-Kivu des foyers identitaires entretenus par une multiplicité des factions Maï Maï qui continuent à se disloquer et à s’affronter plutôt qu’à se réconcilier.
Cette situation impose à notre esprit une double préoccupation : quels sont les enjeux des conflits qui déchirent le mouvement Maï Maï en province du Nord-Kivu ? Et de quelles forces géostratégiques dispose chacune des factions pour soupeser les rapports de force ?
La question des enjeux des conflits intra-Maï Maï suscite trois filières : la violence armée serait motivée par l’enjeu économique, les différents groupes cherchant à s’emparer et à contrôler les espaces riches en ressources agro-pastorales et minières ; l’intention géostratégique d’acquérir les ruptures spatiales pour renforcer la résistance ; et enfin le désir de représentation identitaire. Quant aux relations de puissance entre factions en conflit, elles seraient intimement inégalitaires. Les factions de Beni-Lubero (Grand-Nord-Kivu) auraient plus de ressources stratégiques, géographiques, diplomatiques et militaires que celles du Petit Nord-Kivu. Chacune cherche à équilibrer sa force grâce aux alliances de revers avec les autres mouvements rebelles congolais ou étrangers (Rwandais, Ouganda), afin de paralyser les capacités de l’adversaire.
La vérification de ces hypothèses nécessite évidemment une méthodologie rigoureuse. Nous avons retenu pour cette fin la méthode dialectique marxiste et l’approche cartographique de la géopolitique. Au sujet de la première, nous avons assis l’explication des conflits entre les factions Maï Maï sur les quatre lois de la dialectique marxiste ; c’est-à-dire : la connexion universelle, le changement universel (incessant), le changement qualitatif et la lutte des contraires. Cette façon d’appréhender le conflit intra Maï Maï nous permet en effet de découvrir respectivement les interconnexions entre les différentes factions Maï Maï et avec des alliés se trouvant dans leur environnement, les constantes mutations d’alliances militaro-diplomatiques et le changement d’enjeux ou mobiles des conflits, les dimensions potentielles, latentes et manifestes par rapport à l’évaluation du quantitatif au qualitatif dans les conflits intra Maï Maï enfin les rivalités entre les factions doublées de contradictions entre nouveaux et anciens(conflit d’intériorité).
Quant à l’approche cartographique de la géopolitique, un adage tente le géopoliticien : « pas de carte sans géopolitique, pas de géopolitique sans carte ». Par sa capacité de concentration des données et de synthèse des informations, la carte est l’instrument incontournable de la géopolitique en même temps qu’elle en est souvent le péché originel. Les cartes parlent souvent trop car elles durcissent volontairement des situations. Pourtant nous ne pouvons pas nous en passer. C’est elle en effet qui nous permet non seulement de localiser la singularité et la considération de chaque faction, mais aussi de schématiser les zones et les enjeux des conflits. Notons à ce sujet que la géopolitique, considérée par le Général GALLOIS comme « l’étude des relations qui existent entre la conduite d’une politique de puissance portée sur le plan international et le cadre géographique dans lequel elle s ‘exerce » est élargie par Yves LACOSTE comme « le regard porté d’en haut grâce aux cartes d’échelles très différentes, sur le terrain et des espaces de dimensions très inégales (…) pour tenter de comprendre les mobiles et les mouvements, avancées et reculs, victoires et défaites, dans la lutte que se livrent les armées des Etats et d’autres forces politiques, pour la conquête et le contrôle des territoires » . Le terme forgé par le Suédois Rudolf KJELLEN et ne se distinguant de l’histoire que parce qu’elle a pour méthode de mettre en évidence les intentions des groupes politiques- elle est une science de la rivalité incessante des intention et en même temps une science des intentions rivales- , le terme géopolitique exprime, selon Pascal LOROT, « une méthode particulière qui repère, identifie et analyse les phénomènes conflictuels, les stratégies offensives ou défensives centrées sur la possession d’un territoire sous le triple regard des influences du milieu géopolitique, pris au sens physique comme humain, des arguments politiques des protagonistes du conflit et des tendances lourdes et continuités de l’histoire » . C’est de ce point les calculs et les stratégies offensives et défensives des factions antagonistes.
Ces deux méthodes se sont toutes alimentées par une diversité de techniques car « choisir les techniques, étant donné les particularités et les limites de chacune, c’est sélectionner à l’avance les matériaux qu’elles recueilleront » . Nous retenons essentiellement l’apport de l’observation participante, de la revenue documentaire et de l’interview libre. En effet, pendant que la revue documentaire permettait à l’un des auteurs de puiser dans les documents écrits les théories sur les conflits et les éléments géopolitiques et stratégiques à concilier au pragmatisme du conflit intra Mai Maï au Nord-Kivu, l’autre* se faisait Maï Maï dans la faction F.R.P.L-R en forçant de s’oublier comme chercheur en vue de découvrir les stratégies et ( les interconnexions avec d’autres) le type de relations entre factions Maï Maï et les autres mouvements rebelles ou incontrôlés : RCD/Kis-ML, RCD/Goma, NALU, INTERHAMWE, U.P.D.F, certaines organisations de la société civile… autant d’acteurs impliqués dans la conflictualité intra Mai¨Maï. Les deux techniques ont été menées concomitamment et restaient coordonnées par un contact régulier pour faire le point, un entretien libre supplémentaire à permis ensuite de piquer les informations de seconde main auprès de certaines autorités politico-militaires locales, certaines associations agro-pastorales telles que l’ASOPANK, la FEC Lubero-Beni et le Clergé Catholique.
L’utilisation de ces techniques, qui ne s’est pas déroulée sans heurt notamment devant la carence et l’accès difficile aux archives des Maï Maï, et la suspicion consécutive à notre observation participante, a abouti, grâce à la simplicité, à l’endurance et à la persévérance, aux résultats que nous présentons, en les interprétant, dans trois chapitres : le premier présente l’historique et l’établissement (la cartographie) des aires Maï Maï en province du Nord-Kivu ; le second est une analyse géopolitique des ambitions des antagonistes ; le dernier, une découverte des rapports ou interconnexions des acteurs de l’antagonisme des factions Maï Maï au Nord-Kivu.
I. LE PHENOMENE MAÏ MAÏ : Historique et cartographie au Nord-Kivu
Avant d’identifier les factions Maï Maï au Nord-Kivu, il convient d’en retracer les origines.
I.1. Historique
Le phénomène Maï Maï ne date pas d’aujourd’hui, il n’est pas non plus circonscrit à la RDC et moins encore au Nord-Kivu. Depuis longtemps les peuples africains avaient recouru à des pratiques magico-mythiques pour contester la colonisation européenne : de la révolte des Batetela (RDC) en 1895, et du soulèvement du peuple Héhé et des « Maji-Maji »(1905-1907) en référence à l’eau magique dans ce même pays Héhé au Tangagnika (actuelle Tanzanie) contre les Allemands , le rituel magique de l’eau purificatrice qui transforme les balles de l’ennemi en eau s’est répandu en Afrique : en Côte d’Ivoire sous le nom de « Dozos » ; en Sierra : « Kamajo » ; au Rwanda et Burundi :« Nyambingi ».
En R.D.C, le mouvement « Maji Maji » apparaît pour la première fois au Kwilu en 1963 sous le nom « Mulele Maï » en référence à son leader Pierre MULELE. Le second mouvement, dénommé « Simba Mulele Maï » sera lancé en 1964 par Christophe GBENYE, SOUMIALO et OLENGA dans les Zones d’Uvira-Fizi jusqu’en Province Orientale, avec la même idéologie, les mêmes objectifs et méthodes que le premier : « combattre les néo-colonialistes, les valets de l’impérialisme, ceux-là qui ont vendu le Congo aux Américains et qu’on appelait PNP ». La dispersion des SIMBA en septembre et octobre 1964 par l’armée régulière soutenue par des mercenaires Belges et Américains inaugura leur isolement et leur éclatement. Ceux de Beni-Lubero majoritairement Nande, qui plus tard se feront appeler tour à tour « Wakombozi » (libérateurs), « Barali » (sont rapides), puis « Maï Maï Kasindiens » (eau du village Kasindi), se réfugièrent dans le Ruwenzori et le Parc des Virunga où ils s’adonnèrent au braconnage, au trafic d’ivoires, de drogue et de café avec les Ougandais pour gagner en armement. Ceux de Rutshuru, Masisi et Walikale, originaires des tribus Kumu, Hunde, Nyanga, Rombi et Ngelema, braconnent des éléphants du Maïko, exploitent anarchiquement or, diamant, coltan, etc. dans la forêt équatoriale, et se surnommeront « Ngilima », « Maï Maï Kifuafua », « Watembo ».
Lorsque éclatent au milieu des années 1990 dans le Rutshuru et le Masisi les conflits interethniques entre « autochtones » et « immigrés rwandais », les « autochtones » feront recours à leurs ex-combattants « Simba » pour chasser les Tutsi et Hutu, alors que ces « Simba » s’apprêtaient surtout à « lutter avec énergie contre toute sorte de dictature au Zaïre et en Afrique afin d’instaurer la véritable indépendance prônée par Emery-Patrice LUMUMBA.. » Leurs victoires qui séduiront plus tard l’AFDL (Alliance des Forces Démocratiques pour la Libération) dans la lutte contre Mobutu, accroîtront l’orgueil des Maï Maï, qui les divisera davantage en diverses factions, dont il convient de connaître les grandes tendances.
I.2 Identification des Factions Maï Maï du Nord-Kivu
Dans cette section, nous allons identifier les factions qui retiendront notre attention, car elles sont si nombreuses qu’on ne saurait présenter chacune d’elles. Les quatre factions qui sont plus actives au Nord-Kivu serviront de référence : KASINDIEN, BAHANDULE, KIFUAFUA et SIMBA. Elles s’identifient par leur dénomination et leurs interdits.
A. Le groupe « Kasindien »
Le groupe Maï Maï Kasindien est composé de la « Résistance Nationale Lumumbiste » (R.N.L.) connue sous le nom de Maï Maï VURONDO ; les « Forces d’Autodéfense Populaire » (F.A.P.) commandées par Kambale Kitambala Mwavita alias Vita et enfin les F.A.P. dirigées par Ushindi et Kakule Sikuli alias Fontaine.
En fait, ces différentes dénominations ont été confiées aux groupes KASINDIEN après les accords de LUSAKA qui qualifiaient le phénomène Maï Maï comme étant une force négative qui devrait être désarmée. Pour surmonter ce désarmement, les différentes factions changeront d’appellation. Avant cet accord de cessez le feu de LUSAKA, chaque groupe portait soit le nom de son leader soit de son quartier général précédé du mot Maï Maï.
Leurs interdits sont les suivants :
– Un combattant ne doit pas toucher ni consommer les épinards sauf le chou. Mais il mange la viande animale sans croquer les os. Cette sentence s’explique scientifiquement par la carence de viande qui frappe les populations congolaises en général et celles du Nord-Kivu en particulier. Par le fait que le mouvement se dit être consommateur de la chair animale, les jeunes filles et garçons rongés par la malnutrition et la sous-nutrition adhèrent facilement. Donc les leaders du phénomène Maï Maï utilisent cet interdit comme étant une technique de recrutement des combattants dans les sociétés tant paysannes qu’urbaines. Cette pratique est commune pour toutes les factions Maï Maï ;
– Un combattant KASINDIEN comme tout autre Maï Maï se maquille par le sinodon dactylon et par le comelinadifusa. Selon leur doctrine divine, ces feuilles leur permettent de disparaître physiquement sur le champ de bataille. En restant dans la logique réaliste, les feuilles en question facilitent au combattant de se cacher dans la forêt afin de surprendre l’adversaire ;
– Un KASINDIEN doit se faire tatouer par les vieux détenteurs de la magie divinatoire sur la tête, la nuque, sur les lombes, sur l’avant-bras gauche et droit et sur les deux pieds pour devenir invulnérable aux balles tirées par l’adversaire.
Chaque faction Maï Maï a sa façon de tatouer. Ce tatouage est considéré scientifiquement comme étant un ensemble d’insignes distinctifs entre les combattants de tel et tel groupe. Pour distinguer un combattant d’une faction Maï Maï à celui d’une autre, on vérifie le modèle de tatouage ;
– Un combattant Maï Maï Kasindien ne doit pas tourner la tête soit faire un demi-tour pendant le combat, car il y a un esprit divin qui l’accompagne et le protège contre toute sorte de menaces. Ici c’est tout simplement une façon de renforcer la motivation des combattants à résister contre les forces adverses. (Cet interdit est commun à toutes les factions).
– Un combattant Maï Maï Kasindien doit chanter au front ou crier « May » pour qu’il soit identifié et pour faire peur à la force adverse. (Cela pour toutes les factions Maï Maï au Nord-Kivu) ;
– Ne pas prendre contact avec les femmes lors du combat. Ceci pour éviter la distraction sur le champ de bataille.
– Un combattant Maï Maï consomme ou s’asperge d’eau sur tout le corps en vue de transformer les balles ennemies en eau et les pierres en grenades. D’après notre constat lors de l’observation participante, cette eau est utilisée pour lutter contre la fatigue et la soif et aussi pour justifier le port des pierres comme moyens de défense sur le champ de bataille. Cette eau est mélangée avec la drogue (chanvre) afin de stimuler les miliciens au front. (Ce trait est observable chez tous les groupes Maï Maï).
– Un combattant Maï Maï ne doit pas pointer du doigt une personne ou une chose donnée lors du front, mais plutôt par le poing. Selon la mythologie Maï May, c’est pour éviter d’énerver les ancêtres. Dans la logique scientifique, ce poing est un signe qui montre comme quoi on est prêt à se battre, qu’on est en lutte contre quelque chose. (c’est un trait commun pour tous les miliciens Maï Maï).
B. Le groupe « Bahandule »
La faction Bahandule est composée du Front de Résistance Populaire de Lubwe-Rwenzori (F.R.P.L-R) ou Maï Maï /Mudohu, regroupant les hommes de Sura Mubaya-Kasero et de Vihinga Marco.
Cette faction partage presque les mêmes interdits que les Kasindiens, à quelques différences près :
– Le port des peaux de la civette, de léopard et les plumes des oiseaux sur la tête par les commandants supérieurs. Ces signes sont utilisés par les seigneurs de guerre Bahandule en vue de légitimer leurs pouvoirs vis-à-vis de leurs subalternes (hommes de troupe),
– Le port des bâtons : comme moyen de défense
– Et enfin les tatouages sur le front et sur l’hemithorax gauche et l’hemithorax droit.
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C. Le groupe « Kifuafua »
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La Faction Maï Maï Kifuafua se compose des troupes appelées Batembo ou bien FAC (Forces Armées Congolaises) commandées par Akilimali de l’ethnie Hunde, Akilimali de l’ethnie NYANGA et Nabi Jules Muriza.
Cette faction se différencie des autres groupes par :
– le port d’armes à feu ;
– la discipline militaire, donc la structure militaire pyramidale ;
– le drapeau national en couleur bleu ciel frappé d’une grande étoile jaune au centre et six petites étoiles jaunes, et l’hymne national de la RDC,
– leur nudité sur le champ de bataille pour dissuader l’adversaire.
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D. le groupe Simba
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La Faction Simba est identifiable par l’appartenance ethnique de son chef suprême. On y trouve les Simba de l’ethnie Kumu de Balobe, village se trouvant dans la Province Orientale et ceux de l’ethnie d’Oninga en Province du Nord-Kivu, territoire de WALIKALE et enfin ceux de l’ethnie Rombi.
Les combattants Simba portent des bandelettes contenant des gris-gris liés au bras gauche ou droit, ceux-ci jouent un rôle distinctif par rapport aux autres factions ; ils parlent la langue LINGALA et n’utilisent pas le rituel de l’eau purificatrice.
Ces différents mythes Maï Maï servent d’une part à renforcer les structures hiérarchiques ou d’obéissance et à intégrer les nouveaux guérilleros au sein du système Maï Maï ; ils rendent plus fort l’adhésion et jouent la fonction de légitimation politique des meneurs d’hommes des factions. Ces derniers sont acceptés par les combattants des troupes parce qu’ils se disent choisis par les ancêtres martyrs de l’indépendance congolaise.
D’autre part, la mythologie Maï Maï est utilisée comme stratégie pour empêcher ou paralyser les capacités de nuisance de l’armée adverse. A titre d’exemple, le mythe de l’invulnérabilité aux balles tirées par l’ennemi dissuade les militaires qui s’apprêtent à attaquer les positions des Maï Maï.
Ces techniques mythologiques sont applicables lorsqu’une faction s’oppose à une force autre que celle des Maï Maï. Lorsqu’il y a conflit entre les factions Maï Maï, on ne fait pas recours aux rituels mythiques pour faire peur, mais plutôt aux armes et minutions modernes. C’est ici que les combattants Maï Maï font recours aux jeux d’alliances de revers pour vaincre un rival. Cela montre bien que l’invulnérabilité des Maï Maï aux balles tirées par l’armée adverse est une utopie.
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I.3. Présentation des rivalités entre les groupes Maï Maï en Province du Nord-Kivu
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Le monde rate son entrée dans la paix en 1989 : avec la fin de la guerre froide, les conflits chauds se multiplient et se rapprochent de zones jusque-là préservées. Ces conflits seraient d’un type nouveau et différent : alors qu’auparavant les Etats se combattaient entre eux, désormais, des groupes, des clans, des ethnies et des factions se disputent ou contestent l’Etat lui-même (…) les acteurs étatiques perdent leur monopole sur la violence aux mains des acteurs infra-étatiques .
C’est dans cette optique que les différentes factions Maï Maï ont rivalisé d’influence. L’antagonisme intra-Maï Maï se présentait de la manière suivante :
D’une part, il y a eu au Grand Nord-Kivu le conflit entre le groupe de la Résistance Nationaliste Lumumbiste (R.N.L.) et le Front de résistance Populaire de Lubwe-Rwenzori (F.R.P.L.-R.) qui, latent en 1998, s’est finalement manifesté en l’an 2000. Dans la partie Ouest de la Province du Nord-Kivu à la limite avec la Province Orientale, il y a eu une escalade de conflit qui opposait le groupe R.N.L. au groupe Simba/JONATTA, ce conflit passait du stade potentiel en 1998 à son ébullition en 2001 .; Dans la même contrée, s’est créée une autre rivalité entre la faction Simba/Mishiga et la faction Maï Maï/F.R.P.L.-R. en l’an 2002.
D’autre part, dans l’extrême sud de la Province du Nord-Kivu (petit Nord-Kivu), s’est développé le conflit armé entre le groupe Simba d’origine Balobe conduit par Mishiga et la faction Kifuafua commandée par le pseudo-RAMBO et Akilimali (Hunde), ce conflit fut manifeste depuis l’année 1999 dans le territoire de Walikale à Oninga ; et enfin il y a eu un conflit entre le groupe Simba/Mishiga et la faction Rombi d’Opienge qui s’est développé dans la clandestinité de 1996 à 1999 et s’est manifesté en 2001. Cet antagonisme s’étant passé dans la Province Orientale ne concerne pas notre champ d’investigation qui est la Province du Nord-Kivu.
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De 1995 à 2002 au Nord-Kivu il y a eu trois grands conflits, le quatrième s’est passé en Province Orientale, d’où les petits conflits restaient latents ou potentiels. Pour mettre en lumière cette conflictualité intra-Maï Maï, il serait nécessaire d’identifier les ambitions des acteurs rivaux dans le chapitre suivant.
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I.4. Cartographie des factions Maï Maï en Province du Nord-Kivu ( cfr. Annexe)
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II ARRIERE PLAN DES ANTAGONISTES MAÏ MAÏ
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La conflictualité intra Maï Maï au Nord-Kivu a été animée par l’ambition d’accaparement des ressources économiques, d’espaces stratégiques pour la résistance et par le positionnement identitaire.
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II.1 Intentions économiques
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Les Etats doivent, pour vivre, jouir de ressources suffisantes, avoir accès à celles qui manquent sur leur territoire et disposer de marchés leur permettant de gagner les devises indispensables pour solder leurs importations .Cette logique tout à fait justifiée pour le pays vaut aussi pour les mouvements armés, car ils ont, eux aussi, besoin de ressources pour survivre ou accroître leur capacité de nuisance.
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Les produits pastoraux et les recettes agricoles apparaissent à la fois comme facteur d’affrontements entre les factions Maï Maï antagonistes du Nord-Kivu et comme enjeux économiques, du fait de la nécessité de garantir l’avenir.
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En effet, pour instaurer sa suprématie de puissance, chaque faction veut contrôler le territoire favorable à l’agriculture et à l’élevage. Ces désirs d’acquisition amènent à un télescopage permanent des factions Maï Maï. L’antagonisme qui opposait, en 1995, le groupe Maï Maï Kifufua aux Maï Maï Kasindien dans le Territoire de Masisi aurait pour un des motifs : le contrôle des cheptels ; cela s’est manifesté lorsque les troupes Kasindien occupaient les pâturages du peuple Tutsi de Masisi, en s’adonnant au pillage systématique de bétail. Ils seront chassés par leurs semblables Kifuafua qui opéraient dans la forêt de la Province Orientale. Ces derniers qui étaient pris par la population locale comme des libérateurs se livrèrent, eux aussi, aux actes de pillage de bétail et des recettes agricoles. Cet événement nous révèle l’intentionnalité cachée de ces deux antagonistes : rien d’autre que l’accaparement des cheptels des éleveurs Tutsi pour la survie et l’approvisionnement des combattants. En fait, au fur et à mesure que le nombre des bêtes diminuait dans les fermes, la tension entre Kasindien et Kifuafua s’amoindrissait graduellement. Cette avidité de s’emparer des richesses agro-pastorales s’est accrue chez les factions opérant en Territoires de Beni et Lubero et explique d’innombrables antagonismes entre la Résistance Nationaliste Lumumbiste (R.N.L) et le Front de Résistance Populaire de Lubwe-Rwenzori (F.R.P.L-R). Le F.R.P.L-R positionné dans les montagnes Est de la Ville de Butembo, cherchera à gagner le contrôle des collines Ouest de la ville en question, qui comptaient environ 80% des cheptels de la contrée alors que celle-ci était occupée par les troupes de la R.N.L. Derrière ce conflit, il y avait l’intention celée d’accumulation des gros bétails (bovins) se trouvant dans la zone de Mwenye (30Km de la ville de Butembo), mais aussi des recettes agricoles provenant des villages environnants. Cet ainsi que les offensives se sont intensifiées entre ces deux acteurs rivaux (R.N.L et F.R.P.L-R), jusqu’à ce que le F.R.P.L-R prenne le dessus en 2001. Cette lutte pour les bétails est ressuscitée en 2002 entre la R.N.L et Sura-Mubaya du F.R.P.L-R qui venait de piller 180 bovins et 43 ovins. La R.N.L attaquera les troupes de F.R.P.L-R pour ravir ces bétails pillés.
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Les ressources agro-pastorales n’ont pas été le seul enjeu des conflits intra Maï Maï ; l’intérêt a été porté aussi sur les ressources minières. L’acquisition du coltan, de l’or et du diamant a été un des mobiles incontournables de la rivalité intra Maï Maï au Nord-Kivu. Le coltan est l’un des produits nécessaires qui intervient dans la fabrication des pièces de la télécommunication. Connu dans le monde des affaires, ce n’est qu’en 1996 qu’il sera découvert en R.D.C en général et dans le Nord-Kivu en particulier. La hausse en flèche du prix de ce minerai substantiel dans le Nord-Kivu où il est passé de 5$us/Kg en 1998 à 100$us/Kg en 2000 va susciter chez différentes factions Maï Maï l’avidité d’acquérir militairement les zones grises, riches en coltan pour renforcer leur puissance militaire et financière. Ce désir d’accaparement engendra un conflit armé entre les groupes Maï Maï cherchant à se contrer. Rien n’exclut que l’antagonisme qui sépare la R.N.L au F.R.P.L-R ait pour une des causes cachées la possession du coltan.
En effet, pour accéder à ces minerais, la R.N.L attaque à Biambwe, à 30 Km à l’Est de Manguredjipa, les troupes du F.R.P.L-R pour les déloger et ravir les deux tonnes de coltan équivalant à 200 000$us, que le commandant Kasero SURA-MUBAYA du F.R.P.L-R venait de piller auprès des négociants.
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Pharaon II de la R.N.L a affiché l’intention celée lors de son speech populaire : « nous voulons chasser les troupes de [F.RP.L-R] dans cette contrée parce que ce mouvement est au service des ougandais NALU pour exploiter anarchiquement et piller le coltan congolais en vue d’en fabriquer des armes qui viendront nous tuer plus tard… donc nous sommes tous appelés à combattre et à ravir tous les biens que cette marionnette détient… » . Pour réaliser son plan, la R.N.L coupera le F.R.P.L-R de la route qui mène vers le marché de Butembo, notamment le village de Kirima, à l’Est et le village de Njiapanda à l’ouest de Biambwe afin d’attaquer les éléments du F.R.P.L-R qui se trouvaient alors enclavés. La R.N.L finira par s’emparer d’une tonne de coltan après une offensive ardente causant plusieurs morts de part et d’autre. Pour contrer la force de la R.N.L, le F.PR.P.L-R cherchera à s’installer dans les carrières minières de Punia Kisenge, Kambau, Isange… d’où il s’affrontera aux Simba dirigés par un certain Mishiga*et aux troupes des Maï Maï Tembo qui maîtrisaient ces dernières d’une importance économique très énorme et prometteuse en coltan.
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L’appropriation des carrières d’Oninga explique aussi l’interminable rivalité dans le Territoire de Walikale entre groupe Simba/Mishiga et la faction Tembo commandée par le pseudo-Rambo et Nabi Jules Muriza. Ces deux factions se sont fort disputées non seulement les carrés miniers d’Oninga, mais aussi ceux du « Filon central » se trouvant dans le parc national de Maïko en vue de s’enrichir et d’augmenter leur puissance militaro-économique.
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Ainsi, lorsque le prix du coltan haussait, le conflit escaladait et dès que le prix diminuait, les factions avaient tendance à se réconcilier. S’il faut alors le rappeler, le coltan a joué le rôle de carburant dans la conflictualité intra Maï Maï.
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Pour couvrir le déficit budgétaire, les différentes factions Maï Maï s’adonnèrent à l’extraction de l’or, tout juste après que le prix du coltan eût chuté de 100$us/Kg à 12$usa/Kg. L’or restera le seul minerais convoité, malgré sa raréfaction, par les groupes Maï Maï, car il coûtait un peu plus cher par rapport au coltan : 60$us par 10gm prix à la carrière et 85$us par 10gm prix des acheteurs au niveau des centres urbains.
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La R.N.L s’était affrontée contre le F.R.P.L-R non seulement à cause du coltan et recettes agro-pastorales, mais également parce qu’elle voulait s’accaparer des carrés d’or de Kaheku-Lima, de Kalabu dans le village Mangurejipa à 80 Km de la ville de Butembo et d’Isange à la frontière de la Province du Nord-Kivu et de la Province orientale et de Mungu Iko II. De toutes les façons, l’or n’a pas aussi alimenté le conflit entre les factions Maï Maï que le diamant dans les villages d’Oninga dans le territoire de Walikale et de Kasugho.
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En Afrique, la plupart d’antagonismes armés ont pour objectif non seulement la recherche de l’or et coltan, mais surtout le contrôle des zones diamantifères. A titre d’exemple, nous pouvons donner le conflit Sierra Léonais qui avait pour but la conquête du pouvoir politique, mais aussi la lutte pour le contrôle des sites de diamant. Dans le meilleur des cas, le diamant a été une des raisons stimulantes de la conflictualité intra-Maï Maï.
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En effet, les Forces d’Autodéfense Populaire/Fontaine et les Forces d’Autodéfense Populaire/Vita avaient du mal à faire un bon chemin à cause de la zone diamantifère de Kasugho et Kilau à environ 50 Km de la cité de Lubero. Le désir de contrôler ces dernières par les F.A.P/Fontaine a engendré une rivalité armée avec les F.A.P/Vita et provoqué des déplacements des populations, des massacres d’une ampleur inconnue jusqu’aujourd’hui. L’ambition du commandant KAKULE SIKULI Fontaine de s’accaparer du diamant était soutenue par certains négociants du diamant qui opéraient en ville de Butembo et le ravitaillement en armes et munitions.
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Ces événements nous ont permis de dévoiler l’intention cachée des factions Maï Maï, celle d’acquérir ou de détenir des richesses agro-pastorales et minières afin de maximiser leur capacité militaire, politique et stratégique. L’enjeu des conflits Maï Maï ne s’arrête pas à l’avidité économique des antagonistes, elle s’explique aussi par l’ambition d’acquérir les positions stratégiques pour bien conduire les opérations militaires.
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II.2. Espace militaire : enjeu du conflit intra Maï Maï
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De la même façon qu’un Etat cherche à contrôler un espace géographique donné soit pour se protéger, soit pour augmenter sa puissance, soit encore pour empêcher à un autre Etat de s’emparer de cet espace géographique , chaque faction Maï Maï, soucieuse de protéger les espaces riches en produits agro-pastoraux et miniers (coltan, or et diamant) ou de renforcer la suprématie stratégique, cherche à gagner le contrôle de crêtes de montagnes, la forêt, les axes routiers et marais appelé « ruptures spatiales » par François THUAL et « topologie » par Aymeric CHAUPRADE. D’après F. THUAL, le territoire est conquis ou convoité, parce qu’il est porteur d’une promesse de surpuissance réelle propre à démultiplier le poids politique d’un Etat (..) ou toute construction politique. La partie Est de la R.D.C est une région montagneuse qui a parfois joué une fonction stratégique dans la théâtralisation des opérations militaires pendant le conflit intra Ma¨Maï au Nord-Kivu, dans le sens de se protéger contre les forces adverses. En effet, les crêtes de montagnes permettent aux guérilleros qui contrôlent les deux versants de visualiser de loin les ennemis. Celui qui contrôle le sommet de la montagne a toute la chance de dérouter une armée terrestre se trouvant au pied de celle-ci. La montagne permet aux combattants Maï Maï de se cacher facilement et « est un relief propice à la contestation de l’autorité centrale des Etats, un sanctuaire idéal pour les rébellions » . Le mot Maï Mai s’est développé grâce aux crêtes des montagnes de l’Est de la R.D.C en général et de la Province du Nord-Kivu en particulier. Chaque faction cherchait à s’accaparer des montagnes qui présentaient des valeurs stratégiques importantes pouvant augmenter sa puissance par son contrôle, au détriment de l’autre, pour protéger les carrières déjà maîtrisées. En 1995, le Kifuafua se disputera le contrôle des montagnes de Masisi avec le groupe Kasindien non parce qu’elles étaient favorables à l’élevage des bovins, mais surtout à cause de l’importance stratégique de leurs cols favorables à la résistance. Une fois ces dernières maîtrisées, il serait aussi facile de contrer toute force venant des territoires de Goma et de Rutshuru, et de protéger le Territoire minier de Walikale, qui est enclavé par la forêt.
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Les affrontements armés entre la R.N.L et le F.R.P.L-R dans les montagnes ouest de la ville de Butembo s’expliquent par le désir de protéger la zone minière de Mangurejipa. A partir de ces donnes géostratégiques, on pourra résister contre n’importe quelle contrainte militaire qui serait venue de l’Est comme du Sud.
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La conflictualité qui a opposé les F.A.P/Fontaine et les F.A.P/Vita aurait aussi comme origine le désir de gagner le contrôle des chaînes montagneuses de Bunyatenge, Mbingi, etc. Celles-ci comptent plusieurs cols élevés permettant de protéger les zones minières et d’empêcher l’adversaire de s’en accaparer ou encore d’augmenter la puissance de résistance.
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Pour masquer et légitimer l’intention d’accaparement de ces données géostratégiques, les factions Maï Maï ont brandi le prétexte selon lequel « les montagnes sont les lieux sacrés, réservoir d’esprits qu’il faut donc protéger contre toutes sortes d’invasions et d’hérésies ».
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Là où les montagnes menacent l’espace, la forêt ne manque pas d’y pousser.
L’importance géopolitique des forêts qui furent des frontières naturelles a considérablement décru. Si Jacques ANCEL (…) pouvait joliment remarquer à propos de la frontière franco-allemande qu’elle suivait la « cognée bûcheronne », force est néanmoins de constater que le rôle de frontière de la forêt s’est éclipsé tandis que se maintient encore une fonction de refuge pour nombre de guérillas dans le monde. La forêt a été un enjeu stratégique et un terrain de prédilection pour les factions Maï Maï, car elle offre des atouts importants dans la théâtralisation des opérations militaires :
– elle facilite les tactiques de harcèlement contre les forces adverses ;
– elle favorise les embuscades. Car elle est un espace inaccessible pour un « étranger ». C’est un lieu qui ne peut être « occupé ». Entrer dans la forêt (…) constitue donc une manière de se soustraire à l’emprise de l’occupant [ou adversaire], la meilleure façon de manifester le refus de l’ordre imposé par ce dernier. Entrer dans la forêt, au sens propre et au sens figuré, c’est décider de se mettre à l’écart de l’espace contrôlé par l’occupant [ou force adverse], et de prendre les armes contre lui ;
– elle est prometteuse en ivoire, bois, animaux et on peut facilement se ravitailler en nourriture.
Elle permet donc d’augmenter la puissance du groupe armé qui s’y replie. C’est dans ce contexte que la faction Maï Maï Simba conduite par le commandant Mishiga cherchera à s’assurer le contrôle de la forêt du Parc de Maïko et d’Oninga au détriment du groupe Kifuafua dirigé par le pseudo Rambo, Nabi Jules M et Akilimali/NYANGA. Cette ambition avait engendré une flambée de violence les forêts des territoires de Walikale et de Lubero entre les antagonistes Maï Maï. Dans la même logique, le F.R.P.L-R après avoir gagné les sites miniers et les montagnes fera tout pour maîtriser les forêts d’Isange et de Lindi qui étaient occupées par les troupes Simba. Cette tentative de s’emparer des forêts, a été à la base des offensives lancées, le 25 février 2002 à Isange par le F.R.P.L-R contre le Simba/Mishiga.
Pour justifier cette ambition, les différentes factions avançaient le motif mythologique d’après lequel la forêt serait une rupture spatiale « habitée par les esprits et que c’est dans la forêt que l’on trouve les éléments nécessaires pour la fabrication des gris-gris d’invulnérabilité aux balles tirées par l’ennemi ». Cette conception renforce la motivation des combattants pour résister contre quiconque voudra occuper ou les déloger de la forêt qui est donc devenue un enjeu majeur dans la conflictualité intra Maï Maï ; mais les routes y jouent aussi une fonction importante.
En 1995-1996, le déplacement des miliciens Kifuafua du Parc de Maïko à Masisi avait non seulement pour but la chasse des « Kasindiens » et la conquête des bovins, mais également la lutte pour des axes routiers Walikale-Masisi ; Masisi-Goma, etc. en vue de faciliter la circulation frauduleuse de l’or, bovins pillés auprès de la population Tutsi vers les centres urbains de Goma et de Butembo, car c’est là qu’on pouvait les vendre à bon marché.
Les affrontements qui existaient entre la faction Simba et le F.R.P.L-R étaient occasionnés par le fait que ce dernier contrôlait l’axe routier terrestre de Mangurejipa-Butembo, un axe générateur des recettes minières et taxes tout en facilitant les achats d’armes et minutions aux anciens militaires de l’armée régulière se trouvant en Ville de Butembo et en Ville de Beni. Le 25 avril 2001, le F.RP.L-R entre en Ville de Butembo d’une façon pacifique et s’installe sur la colline Kikyo au bord de la route qui mène vers le quartier général de la R.N.L et vers la ville de Beni. Cette installation avait pour mobile de couper la R.N.L de la Ville de Butembo qui était son débouché du coltan et marché d’approvisionnement en armement. L’ambition de contrôler cet axe routier terrestre amènera la R.N.L à attaquer les positions de F.R.P.L-R, le 12 juin2001 au camp Kikyo afin de le déloger sur cette route stratégique.
De même, l’axe routier Mangurejipa-Butembo qui favorise la circulation des minerais et des armes a été un motif de rivalité entre la R.N.L et le F.R.P.L-R. Cet axe était contrôlé par les troupes du F.R.P.L-R qui étaient toujours menacées par ses voisins de la R.N.L. Après vaines tentatives de déloger le F.R.P.L-R, la R.N.L aménagera le vieil aérodrome de Liboyo pour évacuer les minerais récoltés dans les carrières et pour faciliter la coopération avec les sociétés minières nationales et étrangères. Cet aérodrome sera à la base des combats du 15 janvier 2002 entre la R.N.L et le F.R.P.L-R avant de tomber dans le juron du F.R.P.L-R. Ce dernier y installera une base arrière militaire.
Ainsi donc, nous osons croire que la recherche de désenclavement à travers les routes terrestres par les différentes factions a suscité des convoitises et des télescopages entre les factions Maï Maï.
L’enjeu économique et les ruptures spatiales n’ont pas suffi comme motivation des rivalités, la représentation identitaire des leaders a attisé encore plus les tensions entre les antagonistes Maï Maï.
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II.3. L’enjeu identitaire
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Les besoins sociaux d’affirmation de groupes, de clans, d’ethnies ou pouvoir qui définissent et justifient leur domination par l’affrontement constant entre eux et les groupes, clans ou ethnies adverses (…), provoquent des guerres fratricides, nationalistes ou irrédentistes. Dans cet angle d’idées, il convient d’analyser les conflits entre les factions Maï Maï comme un clivage qui tire ses ficelles dans l’identitarisme en faveur d’une faction et au détriment d’une autre. Cet identitarisme apparaît activé par les vieux contentieux ethniques qui rongent la nation congolaise en général et les populations de la Province du Nord-Kivu en particulier ; mais alors cette ambition d’affirmer son identité amplifiera aussi les conflits d’intériorité et la lutte de leadership entre groupes Maï Maï.
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Depuis 1960 jusqu’à nos jours, le peuple congolais est déchiré par l’idéologie ethnico tribale qui s’est manifestée non seulement par des guerres hégémoniques entre les Bantu et des groupes se faisant passer pour des Nilotiques mais aussi par des conflits intra-tribales. Dans le meilleur des cas, chaque ethnie cherchera à se protéger contre sa voisine en créant une milice.
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En effet, en 1995, lors de la guerre des autochtones (Bantu) contre les immigrés (Tutsi) dans le Masisi, le groupe Maï Maï Kifuafua composé en majorité de combattants originaires des ethnies Hunde et Nyanga s’était affronté contre le groupe Kasindien relevant de l’ethnie Yira (Nande) des territoires de Beni-Lubero. Les « Kasindiens » de l’époque recrutaient difficilement leurs troupes parmi les Hunde, et si un Hunde etait admis comme combattant, alors il était un simple bouclier humain qui ne recevait pas de gris-gris d’immunisation, car il ne faisait pas partie de l’ethnie « bénie » des Yira (Nande). Cette identification ethnique des combattants Kasindiens va amener le peuple Hunde, Nyanga et Tembo à former une autre faction appelée « Kifuafua », parallèle à celle des Kasindiens qui se révoltera plus tard contre les Nande « Kasindiens ». Ce dernier devient un ennemi du peuple Nande au même titre que le peuple Tutsi. Cette faction Kifuafua commencera aussi à tribaliser le recrutement de ses partisans en ne recrutant pas les personnes d’origine Yira comme commandants.
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Cette même rivalité se vit entre la faction commandée par les Maï Maï d’origine Nyanga ne voulant pas que les Simba dirigés par Mishiga de l’ethnie Kumu de Balobe puissent occuper la zone minière d’Oninga considérée comme un lieu sacré du peuple Kumu. Chaque leader de ces deux groupes se considérait comme étant meneur de son ethnie et cela a dégénéré en conflit de représentation ethnico-identitaire.
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Outre l’identitarisme ethnique, il y a lieu de découvrir un conflit intra-ethnique basé sur les clivages entre factions Maï Maï du Nord-Kivu.
Depuis l’époque coloniale, les ethnies de la R.D.C ont été regroupées entre clans et groupements ; c’est le cas par exemple du peuple Yira (Nande) aujourd’hui divisé entre quatre clans : Bamate, Batangi, Baswagha et Bashu. Pour apaiser son désir social de représentation, chaque clan cherche toujours à imposer sa volonté à son voisin à travers les factions Maï Maï. C’est dans cet angle que les contentieux qui séparaient la R.N.L et F.R.P.L-R se sont fortement développés. La R.N.L, se trouvant dans une partie du clan Bashu et dans la chefferie-secteur des Bapere, était dirigée par Kasereka LOLOKO KOPOKOPO (…) originaire du groupement Musindi en chefferie (clan) Batangi. Ce dernier était considéré par ses voisins comme étranger dans la zone qu’il contrôlait. Le leader du F.R.P.L-R, Fabien MUDOHU, qui, lui, est originaire du clan Bashu, instrumentalisé par la notabilité des Bashu, demandera au Général Kasereka LOLOKO K de regagner sa chefferie d’origine. A cet effet, Fabien MUDOHU convoquera une réunion de ses cadres politiques le 02 septembre 2000 où il stigmatisera : « il faut combattre l’hégémonie des Baserume*parce que ceux-ci sont plus rapprochés du peuple Tutsi et en plus ils viennent appauvrir nos chefferies (…) d’ailleurs ce sont des parvenus… ». Deux jours après, un guérillero Maï Maï originaire de Kayna, connu sous le nom de Katwangatwanga sera assassiné par les éléments du F.RP.L-R. Les attaques entre antagonistes R.N.L et F.R.P.L-R vont s’intensifier jusqu’à pousser le leader de la R.N.L blessé à se suicider par une balle dans la tête au village Vingazi vers Liboyo. Après la mort de celui-ci, la rivalité entre antagonistes va diminuer graduellement, car celui qui le remplacera, Monsieur Kambale Tsongo alias Wera est originaire de la chefferie de Baswagha donc Nande du centre, proche des origines du F.R.P.L-R (F.Mudohu). Cela nous amène à penser que F. Mudohu avait non seulement l’ambition de puissance en livrant une lutte pour le leadership de la contrée Butembo-Beni, mais aussi cherchera à se débarrasser du Général K. Loloko K., qui n’était pas proche de son clan ou des centres urbains et qui venait de gagner l’opinion populaire de ces deux centres. Pour affirmer son intention cachée, le leader du F.R.P.L-R rappellera à la Radio Butembo : « si je me battais contre la R.N.L, je voulais montrer à Loloko qu’il était encore petit… ».
Nous pouvons ainsi dire que l’instabilité intra-tribale a beaucoup contribué à l’escalade du conflit entre factions antagonistes Maï Maï du Nord-Kivu ; mais il serait myope de sous-estimer, par ailleurs, l’existence d’une rivalité d’intériorité.
Le conflit d’intériorité –selon le vocabulaire de P.LOROT et F. THUAL – est un conflit où un groupe dit à un autre qu’il était là avant lui, et donc que l’autre n’a qu’à partir ou se soumettre. Ce conflit s’est manifesté entre les différents groupes Maï Maï. Ainsi en est-il des Simba contre les Kasindiens et des Kasindiens contre les Bahandule.
En effet, les « Kasindiens » se réclamaient être des descendants du docteur féticheur Kaganga considéré comme le premier, après la vague de la rébellion Simba Mulele Maï, à occuper la Province du Nord-Kivu. Alors ils s’estiment légitimes par rapport au groupe Bahandule créé en 1997. La déclaration du porte-parole de la R.N.L a bien manifesté ce conflit : « les Bahandule sont des faux Maï Maï montés de toutes pièces par les jouisseurs politiques (…). Par contre, personne n’oublie l’ancienneté des Kasindiens que nous sommes : nous existons depuis les années 60 dans les montagnes de Ruwenzori (…). Nous demandons à ces arrivistes… de se rendre dans le grand mouvement R.N.L ; si non, ils seront démantelés», Cet extrait nous montre clairement l’ambition celée du groupe Kasindien de faire disparaître le Bahandule pour de simples raisons d’intériorité. Pareille rivalité se vit entre les Simba, qui se proclament être des initiateurs du phénomène Maï Maï au Congo et toutes les autres factions Maï Maï, parce que ces dernières viennent en deuxième position. Ce conflit d’intériorité a finalement dégénéré sur toute l’étendue de la R.D.C entre les uns et les autres.
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C’est ainsi que, lorsqu’une faction en conflit se trouvait menacée par sa rivale, elle nouait des relations de revers avec les autres mouvements exogènes, pour se maintenir.
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III : RAPPORTS ENTRE ANTAGONISTES MAÏ MAÏ
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Pour gagner le contrôle des zones minières, des ruptures spatiales et réaliser son intention cachée, chaque faction cherche à tout prix à tisser des alliances de revers et d’asymétries soit avec la faction avoisinante, congolaise ou étrangère et certains membres de la société civile agissant dans l’ombre comme acteurs invisibles du conflit entre différentes factions Maï Maï.
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III.1 Alliances entre factions
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Lorsqu’il y a affrontement entre la faction A et la faction B, A cherchera à nouer des relations avec la faction X ou Y pour s’assister mutuellement parce que cette dernière est ennemie de B et cela vice versa.
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Tel a été le cas des rapports entre la R.N.L et le F.R.P.L-R qui furent inégalitaires et engendrèrent plus tard des alliances avec d’autres factions Maï Maï.
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Le F.R.P.L-R, pour anéantir les capacités de la R.N.L dirigée par les héritiers de Kaganga, s’alliera aux ex-combattants Kasindiens qui se préparaient pour d’éventuelles attaques dans les montagnes de Rwenzori, puis à la faction Kifuafua connue sous la dénomination « Tembo », ennemie de longue date du défunt féticheur Kaganga (Kasindien). Cette dernière à son tour signera un accord d’alliance informelle avec la faction Simba commandée par les troupes Kifuafua conduites par Akilimali, allié fidèle du F.R.P.L-R, en territoire de Bafwasende dans la Province Orientale. Cette alliance avait pour intérêt d’affaiblir la coalition F.R.P.L-R, ex-combattants Kasindiens, troupes « Tembo » et « Nyanga » (Akilimali). Le but fut réalisé, la R.N.L passera à l’élimination physique du commandant Jonattan au village Mangurejipa d’une part et Musafiri au camp Ngoma d’autre part. Pour ce faire, la R.N.L demandera aux combattants de ces victimes de s’intégrer dans la R.N.L en village Vududia, parce que ceux-ci présentaient un avis favorable à la R.N.L. Le fait que Mishiga cherchait à négocier avec la R.N.L le rendait automatiquement ennemi du F.R.P.L-R.
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La R.N.L nouera aussi des alliances d’asymétrie avec les F.A.P/Vita pour se protéger contre les attaques farouches lancées par le F.R.P.L-R.
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Les rapports de force entre les factions nous ont amené à la conclusion selon laquelle, une fois que l’alliance des factions (A,X) ne suffit pas pour vaincre la coalition des factions (B,Y), alors l’alliance (A,X) ou l’alliance (B,Y) nouera des relations avec une faction (X’) et (Y’) invisibles ayant influencé les conflits entre les factions Maï Maï que nous allons dévoiler au cours de la section suivante.
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III.2 Instrumentalisation du conflit
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Dans la conflictualité Maï Maï il y aurait une manipulation externe du Rassemblement Congolais pour la Démocratie/ Kisangani Mouvement de Libération (R.C.D/Kis-M.L), de N.A.L.U, des Intirahamwe et de la coordination de la société civile du Nord-Kivu.
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Les différentes factions Maï Maï ont noué des relations de revers avec le R.C.D/Kis-ML, qu’elles considéraient pourtant comme ennemis parce qu’au service de l’armée Ougandaise. Ces alliances avaient deux formes : premièrement, elles favorisaient l’approvisionnement en armes et munitions pour tous ces antagonistes. Les officiers militaires du R.C.D/Kis-ML vendaient régulièrement des équipements militaires aux miliciens Maï Maï dans le but d’avoir du coltan. . Le second objectif de ces alliances était d’affaiblir le mouvement Maï Maï en le divisant et en instrumentalisant quelquefois les vieux contentieux de représentations identitaires et géostratégiques. Quand en octrobre-novembre 1998 le F.R.P.L-R lance une attaque contre la coalition R.C.D/Kis-ML et Uganda Peoples Defence Forces (U.P.D.F) et enlève Monsieur Mbusa [Nyamwisi] de sa résidence [de Butembo],… Mbusa a dû, pour avoir la vie sauve, faire appel à un autre groupe Maï Maï(futur R.N.L.) dont il croyait à l’invulnérabilité. A la même période, le Général Kazini*, parrain [politique] de Mbusa dans la rébellion, venait de déménager de Kisangani pour Gbadolite et avait tendance à oublier Mbusa Nyamwisi au profit de Monsieur Bemba. Alors Mbusa Nyamwisi cherchera à contre-balancer cette machination, en créant une faction Maï Maï de son obédience qui se dénommera Résistance Nationaliste Lumumbiste, d’où il entretiendra des anciens combattants Kasindiens.
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L’arrière plan de Mbusa N. en prenant l’initiative de rassembler des combattants Maï Maï dans un maquis à VIHYA VURONDO, était : d’une part, d’organiser un maquis parallèle à celui du F.R.P.L-R qui pouvait intervenir chaque fois que ce dernier ou les autres forces Maï Maï tenteraient d’inquiéter le R.C.D/Kis-ML ; d’autre part, de constituer un groupe de pression face aux Ougandais. En agissant ainsi, il espérait que les Ougandais allaient reconnaître son importance ou sa force politique et militaire dans la contrée et revoir leur position vis-à-vis de lui.
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La R.N.L se trouvant manipulée, cherchera à être indépendante en livrant des attaques contre le R.C.D/Kis-ML et ses alliés ougandais, mais restera liée à ces derniers par nécessité logistique : la R.N.L n’a ni base de repli stratégique ni encore de passage lorsqu’elle s’attaquerait au F.R.P.L-R. Au même moment que le R.C.D/Kis-ML ravitaillait la R.N.L contre le F.R.P.L-R, il vendait en même temps armes et munitions au F.R.P.L-R pour résister contre l’offensive.
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Le R.C.D/Kis-ML jouait au malin, une fois que la R.N.L cherchait à l’attaquer, il renforçait directement son adversaire de longue date le F.R.P.L-R en munitions pour contrecarrer les attaques de la R.N.L contre les positions du R.C.D/Kis-ML.
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Deuxièmement, le R.C.D/Kis-ML en manipulant ce conflit R.N.L et F.R.P.L-R cherchait à ce que ces deux factions ne puissent pas se réconcilier, car ils tourneraient les canons contre lui.
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Troisièmement, au moment où la R.N.L se battait contre le F.R.P.L-R, le R.CD/Kis-ML profitait pour attaquer les positions de l’une ou de l’autre faction antagoniste pour l’affaiblir, récupérer les équipements militaires et les minerais qu’elle possédait.
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Dès qu’une faction Maï Maï se trouvait menacée par sa voisine qui a comme allié le R.C.D/Kis-ML, elle faisait alors recours aux groupes rebelles étrangers.
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III.3. Maï Maï et rebelles étrangers
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Les relations qui existaient entre les différentes factions Maï Maï et les rebelles ougandais et rwandais, s’étaient basées sur le fait que ces derniers cherchaient les moyens de se pérenniser en R.D.C en se dissimulant dans les groupes Mai Maï, de peur qu’ils soient détectés par les ennemis qui venaient de faire concession au Congo.
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L’arrivée des F.A.R (Forces Armées Rwandaises) et des Intirahamwe en R.D.C après la mort du Président Habiarimana au Rwanda en 1994, a galvanisé la milicisation en Province du Nord-Kivu. C’est avec cette présence des forces Rwandaises que les factions Maï Maï nouerons des alliances. En effet, après que la coalition Rambo-Nabi Jules M. ait échoué à déloger les combattants Simba du commandant Mishiga qui venait de contrôler la zone minière d’Oninga, ils feront recours aux Intirahamwe pour chasser les troupes de Mishiga de la contrée qu’il maîtrisait. Cette coalition a mis fin à la présence des Simba de Balobe dans le Territoire de Walikale. Cette alliance avait pour mobile avoué de lutter contre les miliciens Simba de Balobe considérés par la population locale comme des pillards, mais aussi elle avait pour arrière plan : la formation militaire des combattants Maï Maï Kifuafua par leur allié Intirahamwe qui a d’ailleurs mis à leur disposition des équipements militaires pour faire la guerre. Autre exemple d’alliance, les F.A.P/Vita s’étaient alliés aux Intirahamwe depuis le déclenchement de la deuxième guerre de 1998 dite de correction, dans le but d’accroître leur capacité de résistance contre le Rassemblement Congolais pour la Démocratie (R.C.D) qui venait de prendre naissance à l’Est de la R.D.C. Les F.A.P/Vita qui venaient d’acquérir des fusils d’assaut auprès des Intirahamwe, chercheront à rompre avec ces derniers, le désir caché étant atteint, celui de conquérir l’équipement militaire. Sur ce, les Intirahamwe s’allièrent à une autre faction Maï Maï dénommée F.AP conduit par Kakule SIKULI alias Fontaine, opposée à K. Mwavita aliasVita, dans le but de contrecarrer cette dernière. Comme les F.AP/Fontaine et les Interahamwe venaient de faire un bon foyer, les F.A.P/Vita tisseront à leur tour des bonnes relations avec la R.N.L dans un premier temps et en second lieu avec le R.C.D/Kis-ML pour tenter de contrebalancer leur force à celle de la coalition adverse.
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Ainsi donc, la plupart des factions s’appuyaient sur les jeux d’alliance de revers avec les Intirahamwe, lorsqu’elles se trouvaient menacées par la faction avoisinante ou par une force supérieure. Les factions MaïMaï ont aussi tiré parti de la présence du National Army for Liberation of Uganda (N.A.L.U) au Congo.
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L’alliance des Maï Maï avec les éléments N.A.L.U était occasionnée par la raréfaction des moyens logistiques de guerre. Le F.R.P.L-R qui faisait son maquis dans les montagnes de Rwenzori en avait profité davantage. Ce dernier fera recours au N.A.L .U pour paralyser les capacités militaires de la R.N.L qui formait déjà une forte coalition stratégique avec le R.C.D/Kis-ML appuyé par Uganda Peoples Defence Forces (U.P.D.F). La coalition F.R.P.L-R et N.A.L.U se confrontera à l’alliance R.N.L-R.C.D/Kis-ML soutenue par l’U.P.D.F, non seulement parce que les deux factions voulaient gagner le contrôle des ruptures spatialeset les richesses, mais également parce que leurs alliés avaient pour objectif caché de régler leurs vieux litiges sur le territoire congolais.
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Les rapports de force se sont amplifiés non seulement avec les mouvements rebelles étrangers mais avec les organes de la Société civile du Nord-Kivu bis.
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III.4. Maï Maï et acteurs de la société civile du Nord-Kivu
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La société civile est considérée comme étant l’ensemble des organisations et personnalités dont l’action tend à amplifier les processus d’affirmation de l’identité sociale et des droits attachés à la citoyenneté, ceci en opposition au pouvoir de l’Etat et des partis politiques…
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La coordination de la société civile africaine devrait normalement avoir pour rôle primordial de combattre toute forme de dictature, d’exploitation et d’injustice que subit l’acteur social par le pouvoir de l’Etat ou de l’opposition politique. Mais celle-ci est devenue parfois un tunnel qui mène ses leaders au pouvoir politique ou un fonds de commerce, parce que ladite société civile, n’ayant pas de moyens financiers propres, dépend directement des bailleurs extérieurs, avec tous les risques de manipulation et de fragilité.
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En R.D.C, l’organisation de la société civile remonte aux années 1990, lors des préparatifs de la Conférence Nationale Souveraine (C.N.S) qui a pu rassembler les populations congolaises, zaïroises à l’époque, autour d’une table pour enfin édifier l’Etat congolais qui était agonisant. Cette société civile a été prise par le peuple comme étant un moyen propice de participer à l’exercice du pouvoir politique qui était concentré entre les mains d’une seule famille politique le M.P.R. En 1993, celle-ci semblerait jouer son propre rôle de neutralité entre les institutions gouvernantes et les partis d’opposition politique, mais alors, rien n’empêchait que certains leaders de la société civile tombent dans le piège de la corruption qui rongeait l’univers politique congolais.
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Cette crise amènera la R.D.C à des conflits armés de 1996 à 1998 qui vont conduire le Congo à une balkanisation totale où une partie de la République sera sous le contrôle des mouvements rebelles et une autre partie sous l’emprise de l’armée régulière. Le souhait de la société civile était d’acquérir la paix durable, mais malheureusement, ceux qui se disaient être des leaders de celle-ci s’étaient disloqués et séparés en zones contrôlées par les parties en conflits, chacun des belligérants cherchant à se tailler des leaders favorables dans la société civile.
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La société civile des Territoires de Beni et de Lubero a été particulièrement influencée par l’Eglise Catholique du Diocèse de Butembo-Beni et dans une moindre mesure, par la Fédération des Entreprises du Congo (F.E.C)/Butembo. La confiance que la population civile de Beni-Butembo mettait en ces deux acteurs sociaux, les a amenés à se plonger dans la conflictualité qui séparait la R.N.L et le F.R.P.L-R.
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L’intervention de l’Eglise Catholique du Diocèse de Butembo-Beni commence à partir des attaques du 1er septembre 2001 lancées par la R.N.L contre les « troupes du dégât »(F.R.P.L-R). Somo MWAKA, dans son témoignage, précise qu’ après les dénonciations faites par le bureau de la coordination de la société civile et ses composantes chargées des droits de l’homme, le n°2 de Maï Maï du quartier général de Vurondo [R.N.L] du nom de Ndungo SIVIRI, prendra conscience de la situation et initiera lui-même les négociations avec le F.R.P.L-R. « Les factions choisissent comme intermédiaire l’Eglise catholique et un membre de l’organisation de défense des droits de l’homme. Jeudi 6 septembre 2001, Ndungo demande que la médiation se passe dans une paroisse catholique se trouvant dans la partie sous contrôle de MUDOHU Fabien [F.R.P.L-R], la paroisse de Bunyuka, à une dizaine de kilomètre de la Ville de Butembo… » . Somo MWAKA témoigne encore ce qui suit : « à 16 h 00, heure locale, (…), nous prenons place à bord d’une camionnette de la Procure de Butembo : le n°2 de la R.N.L, et deux autres de ses compagnons l’Abbé Honoré MBAFUMOJA, représentant de l’Eglise Catholique et Somo MWAKA, représentant des groupes de défense des droits de l’homme ». Au retour de la paroisse de Bunyuka, la délégation de la R.N.L, l’Abbé Honoré et Somo M. furent arrêtés par « huit hommes en tenue militaire, masqués et armés, parlant lingala (…) ceux-ci prennent la camionnette, l’Abbé Honoré reçoit l’ordre de ne pas quitter le volant. Les assaillants lui arrachent son appareil de communication et le somment de disparaître sans tambour battant » , les restants seront acheminés dans une prison souterraine et plus tard deux de la compagnie seront tués notamment Ndungo SIVIRI et NDUYI KOPOKOPO frère aîné du commandant suprême de la R.N.L.
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Bien sûr il était utile et urgent que l’Eglise Catholique du Diocèse de Butembo-Beni, par l’intermédiaire d’un de ses ministres, puisse intervenir en tant que composante de la société civile dans le conflit qui existait entre la R.N.L et le F.R.P.L-R, qui déjà provoquait le déplacement et des tueries de populations innocentes. Le comble en est que, comme l’Eglise était choisie par les antagonistes comme médiatrices, elle devrait premièrement, choisir un lieu neutre où allait se passer les négociations. Organiser les négociations dans une des paroisses contrôlées par les troupes du F.R.P.L-R sans assurer la sécurité des invités, était une naïveté de la part de la médiation et aussi de la délégation R.N.L qui, en pleine hostilité ininterrompue avec le F.R.P.L-R, a librement consenti à joindre les troupes du F.R.P.L-R qui ne voulaient pas que la rencontre s’effectue à la Procure du Diocèse de Butembo-Beni considérée pourtant comme un lieu neutre. Il était nécessaire que la médiatrice du conflit choisisse un lieu où l’un des antagonistes ne sera pas inquiété.
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Dans ce paragraphe, notre intention d’analyse n’est pas de trancher la polémique qu’a suscitée cette séance de médiation, mais plutôt, de comprendre que la naïveté du médiateur peut entraîner des frustrations dans le chef d’une des parties en conflit.
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La Fédération des Entreprises du Congo (F.E.C.) des Territoires de Beni et Lubero s’est aussi impliquée à travers ses composantes dans ledit conflit.
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La F.E.C. étant un système principal composé des sous éléments (personnes physiques et morales constituées en entreprises privées ou publiques), qui sont en interaction les unes et les autres, s’est impliquée dans le conflit Maï Maï à travers ses sous-systèmes ou acteurs ; c’est-à-dire qu’il y a eu certains opérateurs économiques qui auraient collaboré ou soutenu telle ou telle faction antagoniste pour garantir la sécurité de leurs activités et intérêts économiques. En prenant au hasard l’axe Butembo- Vihya, champ de bataille continuelle entre R.N.L. et F.R.P.L-R., on découvre que dans la foulée des fermes situées dans cette aire, deux se sont retrouvées impliquées dans les hostilités. La première appartient à une entreprise commerciale de Butembo que nous appelons dans ce travail « Maison Ka ». Après que les combattants de la R.N.L aient pillé ses bétails et brûlé ses trois voitures de luxe dans sa ferme de Nduka le 31janvier2000, elle sollicitera, pour se venger de la R.N.L, le secours du F.R.P.L-R, à travers le commandant Kitengera jadis aide-chaufeur de ladite Maison. Toutefois, l’exploitation entreprise par la Maison Ka des mines de Kaheku-Lima à peine conquises par le F.R.P.L-R, fait découvrir que celle-ci visait non seulement à protéger ses bétails et ses biens, mais également à s’accaparer, à travers le F.R.P.L-R, des carrières minières qui se trouvaient dans la zone contrôlée par la R.N.L
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La deuxième ferme appartient à une autre entreprise de Butembo que nous dénommons ici pour des raisons pédagogiques, « Maison Ki ». Quand les troupes de la R.N.L commençaient à s’accaparer des bovins et ovins sans plus passer par le conseil des éleveurs, cette deuxième entreprise prendra l’initiative de déloger de son quartier général de Vihya la R.N.L en faveur du F.R.P.L-R, en utilisant la ferme comme base de repli stratégique, au mois de novembre 2001.
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Ainsi, les opérateurs économiques de Beni-Butembo, s’impliquant dans le conflit entre factions Maï Maï, voyaient une façon non seulement de protéger leurs fermes des bovins et ovins, mais aussi de chercher à exploiter les zones minières bon gré mal gré. Ces Hommes d’affaires ont aussi entretenu des bonnes relations avec les miliciens Maï Maï afin de faciliter leurs transactions frauduleuses sur les axes routiers de commerce.
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CONCLUSION
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Notre contribution à la compréhension du phénomène Maï Maï peut se résumer ainsi : la préoccupation majeure qui a orienté tout ce développement consistait à essayer, par une analyse géopolitique, de dévoiler non seulement les enjeux mais aussi les tenants et les alliés de la conflictualité intra-Maï Maï au Nord-Kivu entre 1993 et 2003.
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Cette lancée originale qui se démarque des descriptions statiques existantes sur le phénomène Maï Maï nous a permis de marier les atouts de la dialectique marxiste et l’approche cartographique de la géopolitique, toutes deux s’appuyant sur la documentation existante et l’observation participante complétées par l’interview libre avec des personnes ressources.
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Tout compte fait, la moisson est abondante. Nos hypothèses au sujet des enjeux des conflits intra-Maï Maï se confirment : les Maï Maï se sont bel et bien disputé à plusieurs occasions les espaces économiquement riches (fermes, mines, centres commerciaux) et les routes qui y mènent ; ils se sont achoppé autour des montagnes, forêts, ruptures spatiales à forte importance géopolitique ; ils se sont disputés les identités. Au sujet de relations de puissance, au-delà de la disponibilité en ressources économiques plus marquée au Grand Nord Kivu qu’au Petit Nord-Kivu, chaque faction se cherche à tâtons des alliés militaro-politiques selon l’ampleur du danger à craindre et des opportunités offertes, jusque même à se nouer des alliances occasionnelles et fragiles dans la sphère de la société civile.
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Evidemment, dans notre approche géopolitique, l’existence d’un fait nous a importé plus que sa fréquence. Une recherche empirique sur la même problématique est toujours à encourager pour quantifier les faits et tirer des règles générales.
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La grande difficulté que nous avons rencontrée dans la présentation des résultats de notre recherche se situe dans la conciliation (le mariage) entre les exigences de la géopolitique et l’éthique de la recherche scientifique. Comment, en effet, dévoiler la vérité cachée tout en évitant de blesser les susceptibilités et de rompre l’harmonie sociale !
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Nous avons tâtonné sur ce terrain, certainement avec beaucoup de failles. De recherches futures pourront corriger et améliorer ce vaste chantier controversé.
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Références bibliographiques
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Ouvrages
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1. Aymeric CHAUPRADE et François THUAL, Dictionnaire de géopolitique. Etat, concepts, auteurs, 2éd. Ellipses, Paris, 1999.
2. Aymeric CHAUPRADE, Introduction à l’analyse géopolitique, Ellipses, Paris, 1999.
3. Charles-Philippe DAVID, La guerre et la paix. Approches contemporaines de la sécurité et de la stratégie, P.S.P, paris, 2000.
4. Célestin MONGA, Anthropologie de la colère. Société civile et démocratie en Afrique noire, L’Harmattan, Paris, 1994.
5. Emmanuel de WARESQUIEL, Le siècle rebelle. Dictionnaire de la contestation au XXè Siècle, Larousse, Bordas, HER, 1999.
6. François THUAL, Contrôler et contrer. Stratégies géopolitiques, Ellipses, Paris, 2000.
7. Isidore NDAYWEL è NZIEM, Histoire générale du Congo. De l’héritage ancien à la République Démocratique, C.G.R.I, Bruxelles, 1998.
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9. Jean-Pierre BEMBA, Le choix de la liberté, Ed. Venus, Gbadolite, Sd.
10. Madeleine GRAWITZ, Méthodes des sciences sociales, IIIè ed, Dalloz, Paris, 1976.
11. Pascal LOROT et François THUAL, La géopolitique, Montchrestien, Paris, 1997.
12. Paul CLAVAL, Géopolitique et stratégie. La pensée politique, l’espace et le territoire au X Siècle, Nathan, Paris, 1996.
13. Marc NOUSHI, Lexique de géopolitique, Armand Collin, Paris 1998.
14. Henri PEMOT, l’Afrique brûle ! Le traditionalisme démocratique, de l’analyse à la conception, Ed Nouvelles du Sud, Yaoundé, 1995
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Articles de revues
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1. E. LUBALA MUGISHO, « Emergence d’un phénomène résistant au Sud Kivu (1996-2000) », In Collection L’Afrique des Grands Lacs, L’Harmattan, Paris, 2000.
2. Gauthier de VILLERS, J. OMASOMBO et Erick KENNES, « R.D.C guerre et politique. Les derniers mois de L.D KABILA (août 1998 janvier 2001) » In Institut Africain-CEDAF., L’Harmattan, Paris, 2001.
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Autres documents
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1. Esdras KAMBALE BAHEKWA, La lumière sur la mort de l’honorable Lumbulumbu et l’attaque May-May de Beni en novembre 1999, Beni 2001. 2. Témoignage de SOMO MWAKA, Activiste de droits de l’homme lors de son arrestation à Bunyuka en date du 06/09/2001.
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Annexes
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CARTOGRAPHIE DES AMBITIONS D’ACCAPAREMENT DES RESSOURCES ECONOMIQUES ET DES RUPTURES SPATIALES PAR LES FACTIONS Maï Maï DU NORD-KIVU
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Crispin Mbindule Mitono
E-mail : crismitono@yahoo.fr
Butembo
Beni-Lubero Online





