





Les commentaires ayant suivi la démission du Premier ministre Congolais sont allés dans tous les sens. Deux ou trois journaux kinois ont estimé que Gizenga est sorti la tête haute. Pour preuve, ces journaux évoquent le fait le satisfecit de la mission du FMI. Donc, il aurait été un bon élève de cette institution financière internationale. Il se pourrait qu’il fasse des émules après sa démission. Cette appréciation des journaux congolais tombe au moment où l’Occident (les USA en tête) est frappé par "une crise financière" plus grave que celle de 1929. Elle repose la question épineuse du coupagisme et du déphasage de certains de nos journaux eu égard à la marche économico-politique du monde.
Au sujet du satisfecit du FMI
En lisant les journaux susmentionnés et en les replaçant dans le contexte de "la crise financière" occidentale, il y a lieu d’être inquiet pour le devenir des intelligences citoyennes chez nous.
L’imaginaire congolais des faiseurs d’opinion serait dominé par une extraversion que rien ne vient plus questionner. Au moment où, en Occident Jacques Sapir parle de la "crise du modèle économique américain" hérité des années Reagan (lire Le Soir du 29 septembre 2008), qu’à l’Assemblée de l’ONU, le président iranien Mahmoud Ahmadinejad estime que "les piliers du système oppressif s’effondrent" (Lire Le Monde du 25 septembre 2008), chez nous, les journaux vantent le travail du bras financier de l’ex-empire américain! Le monde à l’envers!
Quand nos journaux trouvent dans le satisfecit de la mission du FMI à l’endroit du gouvernement Gizenga un motif de fierté, il devient urgent de poser la question de savoir si nos journalistes savent que "l’impérialisme intelligent" opère chez nous en utilisant Kagame et ses bandits mais aussi les instruments du contrôle économique global que sont la Banque Mondiale (BM) et le FMI. Ainsi, quand nos journaux sont satisfaits de la satisfaction de la mission du FMI, ils soutiennent, en filigrane, la guerre économique que "l’impérialisme intelligent" mène contre notre pays. Quand les mêmes journaux s’en prennent à Nkunda et Kagame et adulent les exploits du gouvernement Gizenga après le passage du FMI chez nous, ils soutiennent une chose et son contraire.
Pour rappel, "on a créé le FMI parce qu’on estimait nécessaire une action collective au niveau mondial pour la stabilité économique, exactement comme on a créé les Nations unies parce qu’on jugeait indispensable une action collective au niveau mondial pour la stabilité politique." (J. STIGLITZ, La grande désillusion, Paris, Fayard, 2002, p. 32) "La crise financière" actuelle témoigne que cette IFI n’a pas été à la hauteur de sa tâche. En effet, "depuis sa naissance, le FMI a beaucoup changé. On l’a créé parce qu’on estimait que les marchés fonctionnaient souvent mal, et le voici devenu le champion fanatique de l’hégémonie du marché." (Ibidem)
Cette IFI a été utilisée par les disciples de Milton Friedman qu’ont été Reagan et Margaret Thatcher pour en faire un instrument de "la mission économique" du marché sans entraves. "On l’a fondé parce qu’on jugeait nécessaire d’exercer sur les Etats une pression internationale pour les amener à adopter des politiques économiques expansionnistes (augmentation des dépenses publiques, réduction d’impôts ou baisse d’intérêt pour stimuler l’économie), et voici qu’aujourd’hui, en règle générale, il ne leur fournit des fonds que s’ils mènent des politiques d’austérité (réduction des déficits, augmentations d’impôts ou hausse des taux d’intérêt entraînant une contraction de l’économie)." (Ibidem, p. 37-38) Elle est aujourd’hui, la championne de "la bonne parole" du néolibéralisme.
Donc, dire que Gizenga est sorti la tête haute, c’est approuver "les politiques d’austérité " que son gouvernement a menées: déréglementation-libre-échangisme, privatisation (vente des carrés miniers pour 33% de notre territoire), réduction draconienne des dépenses publiques (privation des salaires aux fonctionnaires ou paiement des salaires de misère, non-subvention des écoles et des hôpitaux, manque de politique de l’emploi et de l’habitat, etc.) "Bantu badi dadilowa!"
Affirmer, après que le couple Joseph Kabila-Antoine Gizenga et leur gouvernement aient vendu notre pays aux marchands de la mondialisation économique moribonde, que le Premier ministre Congolais est sorti la tête haute, témoigne de l’ignorance et de la mauvaise foi dans lesquelles se vautrent nos faiseurs d’opinion.
De plus en plus, le doute semble être permis sur les capacités de certains de nos journalistes à avoir un point de vue sain sur les questions essentielles de la marche de l’humanité: ils naviguent à contre-courant de la marche économico-politique avisée du monde. Ceci paraît compromettant pour notre devenir commun…
Gizenga a échoué dans la lutte contre "le capitalisme sauvage". Et après lui?
Les prêts-à-penser prêchés par le FMI et ingurgités par Gizenga et son équipe ont fait de notre pays une vallée de larmes. Pourquoi? Par manque de remise en question et du sens de souveraineté. Mais surtout par manque de politique économique locale. Dès sa prise de pouvoir, Gizenga a accepté d’appliquer les politiques économiques dictées par le FMI Et la bataille d’idées n’a pas sérieusement eu lieu chez nous autour de ces politiques. En effet, en plus des articles de certaines de nos éminences grises, un débat de fond aurait été nécessaire sur "la trinité néolibérale" (déréglementation, privatisation et réduction draconienne des dépenses publiques). Les cœurs et les esprits ayant été mangés par l’Initiative pour les Pays Pauvres Très endettés (version revue et endurcie des programmes d’ajustement structurel de maudite mémoire) et les médias coupagistes aidant, l’extraversion économique l’a emporté sur tout bon sens.
Le Congo de Gizenga est demeuré prisonnier du "modèle économique" devenu obsolète depuis les années 80 et dont le deuil vient à peine d’être décrété. (Oui, c’est depuis les années 80 que le capitalisme financier a perdu la tête. Le livre de Joseph Stiglitz intitulé Quand le capitalisme perd la tête, Paris, Fayard, 2003 est très explicite sur cette question.) Déjà, vers les années 90, même si "le débat était interdit" sur la folie du capitalisme financier montant, l’économiste français Jean-Paul Fitoussi faisait remarquer que la tyrannie financière était destructrice de la cohésion sociale et plaidait pour "le rôle des interventions publiques correctrices". Il notait ce qui suit: "Dans un tel environnement économique, le rôle des interventions publiques correctrices est d’autant plus crucial que les évolutions spontanées du secteur privé sont porteuses d’inégalités, de précarisation et de désagrégation sociale. Mais ces mêmes évolutions tendent à brider ou à biaiser l’usage des instruments traditionnels de la régulation macroéconomique, à rendre politiquement plus coûteux le maintien des consommations collectives et d’un système de protection sociale dont les finalités deviennent alors plus redistributives." (J.-P. FITOUSSI, Le débat interdit. Monnaie, Europe, Pauvreté, Arléa, 1995, p.53) Convertis en "petites mains " du capitalisme financier, "les maîtres du monde" étaient devenus sourds aux appels des prophètes de notre temps.
Il est possible que l’effondrement des piliers de "l’impérialisme intelligent" soit une occasion à saisir chez nous pour abandonner les chemins battus du néolibéralisme. Les nationalisations des banques aux USA et en Europe pourraient pousser nos gouvernants de demain à revoir leurs mesures de privatisation des régies financières et autres entreprises étatiques.
Mais cela est-il réalisable sans une compréhension du fonctionnement du système économique dont "la crise financière" vient d’indiquer la perversité? Sans une longue et éprouvée expérience de la résistance contre les diktats de ceux qui ont cru être "les maîtres du monde" ad vitam aeternam? Sans des "tiers- lieux"(think tanks) où les intelligences citoyennes métissées peuvent inventer un autre avenir?
Le capitalisme financier s’est servi de certaines IFI (FMI, BM et OMC) pour mettre au pas les économies des pays du Sud et créer "le corporatisme" Nord-Sud. Mais si au Sud, les règles et mesures édictées par ces IFI ont été suivies (presque) à la lettre, il n’en a pas été de même au Nord. Le protectionnisme pratiqué au Nord a souvent protégé son économie du marché sans entraves. Les nationalisations de certains banques viennent prouver que les Etats souverains du Nord peuvent se moquer des règles du libre marché, jeter "ses dogmes adorés à la poubelle". (Lire F. LORDON, Le jour où Wall Street est devenu socialiste, dans Le Monde diplomatique d’octobre 2008)
Au vrai, cette "crise financière" est venue dévoilée la fragilité d’une économie occidentale interdépendante ayant accordé plus d’attention à la spéculation qu’à la production. Elle a mis à nu le reflexe nationaliste ou régionaliste des pays occidentaux face au danger de la récession. Ce repli nationaliste ou régionaliste prouve que "les règles du jeu libérales fixées sous leadership américain détruisent tendanciellement l’hégémonie des Etats-Unis, en amenant la constitution des blocs régionaux séparés de l’Amérique du Nord" (E. TODD, Après l’empire. Essai sur la décomposition du système américain, 2002, p.209), l’OTAN restant géostratégiquement une petite exception vouée à subir l’usure de l’histoire.
Comprendre que la constitution des blocs régionaux capables de peser dans la balance des rapports de force gérant le monde aujourd’hui est l’une de nos planches de salut serait, chez nous, le début de la sagesse. N’est-ce pas contre la constitution de ces blocs que "la guerre de basse intensité" télécommandée par "l’impérialisme intelligent" est livrée au Congo? Ne sont-ce pas ces blocs qui font, aujourd’hui, la force de la Russie, de la Chine et de certains pays de l’Amérique latine?
En effet, "grâce à l’intégration plus grande des gouvernements qui la composent, l’Amérique latine dépend moins que d’autres régions des institutions financières de Washington: c’est cette autonomie en émergence qui la prémunit le mieux contre les chocs du futur (et donc contre la stratégie du choc). L’Alliance bolivarienne pour les Amériques (ALBA) est la réponse du continent à la zone de libre-échange des Amériques (ZLEA) (…)" (La stratégie du choc. La montée du capitalisme du désastre, Actes du Sud, 2008, p.552) L’ALBA est un exemple parlant d’un autre modèle économique beaucoup plus solidaire, juste et équitable: "chaque pays livre ce qu’il est en mesure de produire dans de bonnes conditions et reçoit en retour ce dont il a besoin, indépendamment des prix du marché mondial." (Ibidem, p.552) Ce troc pratiqué à l’aube du XXIème siècle présente un avantage certain: "(…) l’ALBA est essentiellement un régime de troc en vertu duquel les pays participants décident eux-mêmes de la valeur des produits ou des services au lieu de laisser les traders de New York, de Chicago ou de Londres fixer à leur place. Le commerce est ainsi beaucoup moins vulnérable aux soudaines fluctuations de prix qui, par le passé, ont ravagé les économies latino-américaines." (Ibidem, p.553)
Relisant leur passé et ancrés dans la tradition bolivarienne de la résistance, certains pays latino-américains contournent "le capitalisme sauvage" en accordant la priorité au travail fait par les coopératives. Ils leur accordent la priorité dans l’attribution des marchés tout en les finançant. "C’est l’envers de la logique de l’externalisation par le gouvernement – au lieu de brader des pans de l’Etat à de grandes entreprises privées au détriment du contrôle démocratique, on donne aux utilisateurs des ressources le pouvoir de les administrer et de créer, du moins en théorie, des emplois et des services mieux adaptés aux besoins." (Ibidem, p.552)
Pour tout prendre, disons que le système capitaliste financier véhiculé par les USA et leurs alliés ne peut plus servir de référence aux pays (comme le nôtre) qui veulent tirer leur épingle du jeu à l’heure de "la crise financière" occidentale. Le recours aux instruments de ce système comme le FMI et la BM constitue une insulte à l’intelligence et à la souveraineté des peuples.
L’Amérique latine l’a compris. Sommer de rembourser la dette contractée par l’Argentine au FMI tout en concluant une entente avec cette IFI, Nestor Kirchner (alors président de l’Argentine) avait répondu: "Messieurs, nous sommes souverains. Nous voulons rembourser notre dette, mais nous n’allons plus jamais signer un accord avec le FMI." (Ibidem)
Le successeur de Gizenga, sachant que notre dette au FMI est odieuse, sera-t-il capable de s’engager dans une voie semblable à celle empruntée par tous ces pays souverains décidant de l’orientation de leur politique économique en toute liberté?
A notre humble avis, Gizenga aurait prouvé qu’il est un grand homme politique en desserrant l’étau du néolibéralisme broyant notre peuple. Ainsi aurait-il travaillé à la création des règles de la maison (l’économie) congolaise qui possibilisent le bien-être et la vie chez nous. Il aurait créé les moyens de sa politique gouvernementale pour un bonheur collectif partagé. Il aurait concilié le politique et l’économique pour les mettre au service de la vie des Congolais(es).
L’échec de Gizenga dans la lutte contre "le capitalisme sauvage" malgré le militantisme politique dans lequel les membres du Palu sont éduqués semble être l’un des signes de la désorientation de la politique pratiquée par les partis politiques congolais: ils sont beaucoup plus au service des individus qu’à celui de tout le pays. L’alliance avec Joseph Kabila a beaucoup plus servi l’aura de Gizenga et de son parti que le bonheur collectif des Congolais(es).
De ce qui précède, soutenir que Gizenga est sorti la tête haute de ses charges gouvernementales et en faire un monument historique de la politique congolaise nous semble être un éloge non-informé. Non. Le monde entier souffre du manque de grands hommes d’Etat depuis plus de trois décennies. Si l’Amérique latine est sur le point de devenir un vivier de grands hommes d’Etat, le Congo d’en haut donne l’impression d’avoir opté pour la collaboration avec les forces mortifères, l’esclavage volontaire, la médiocrité et l’inconscience. A quelques exceptions près. Il navigue en marge de grandes luttes politiques, économiques, sociales, culturelles et spirituelles de notre temps. Il a choisi le suivisme au lieu d’être proactif. La complaisance dans la médiocrité, l’esclavage volontaire et l’inconscience a fini par avoir une influence considérable sur les intelligences citoyennes.
Le militantisme résistant est en train de naître. Il devra mettre du temps pour qu’il se mue en une tradition pouvant servir nos luttes futures.
J.-P. Mbelu
Bruxelles-Beligique
Beni-Lubero Online





