





Interview de Jean-Pierre Mbelu accordée au journal Demain Le Kasaï Par CongoOne
"Je rêve d’un Congo débarrassé à tout jamais de ces relations paternalistes cachant des complexes du passé et parfois des intérêts individuels. Que le Congo mène avec la Belgique des relations adultes, il n’y a rien de mal à cela. Mais toutes ces relations diplomatiques à sens unique m’écoeurent".
(…) "J’évolue avec mon verbe et ma plume au sein de plusieurs collectifs où le jeu des rôles est assuré de manière que la division polyvalente du travail conduise aux ruptures refondatrices d’un autre Congo."
Demain Le Kasaï: L’engagement de paix a été signé à Goma, notamment par le CNDP du général dissident Laurent Nkunda. Pour vous qui avez toujours écrit que les vrais enjeux de la Conférence de Goma étaient ailleurs et que cette dernière n’était qu’une tactique de diversion, n’est-ce pas une désillusion ?
Jean-Pierre Mbelu: Il n’y aura pas de paix véritable au Congo sans Justice et Vérité. Et l’une des recommandations de la conférence nationale de Kinshasa est la création de la Commission Justice, Vérité et Réconciliation comme cela avait été prévu pendant la transition. Je dis que Goma a été et restera dans l’histoire de notre pays, pour les résistants et les autres ascètes du provisoire, "un cinéma" de mauvais goût. Goma aura eu le mérite de nous prouver que "la guerre contre le terrorisme" peut être un mensonge. Goma nous aura prouvé que ceux et celles qui, hier, ont fait de notre pays "leur création" sont encore très actifs et ne jurent que par des coalitions avec les prédateurs de ce scandale géologique. Leur cynisme est apparu, une énième fois au grand jour. Ils ont passé 45 minutes au téléphone avec un criminel de grand chemin. Allez-y ne pas comprendre quelque chose…
DLK: A en croire les participants, cette conférence a été couronnée de succès, ne fut-ce que parce qu’elle a contribué à la cohabitation de différentes ethnies, et ce, sans facilitateur extérieur…
JPM: Il y a eu trois facilitateurs extérieurs. Ce sont eux qui ont passé 45 minutes à convaincre Nkunda d’accepter l’acte d’engagement. Ce n’est pas surprenant que les médias "coupagistes" de Kinshasa disent le contraire. Quant à la question de la cohabitation dans les Kivu, lisez le compte-rendu de la conférence parallèle organisée dans la rue à Butembo: elle balaie d’un revers de la main l’instrumentalisati on des ethnies. A mon humble avis, la question majeure est celle de l’impunité des auteurs des "guerres secrètes", des massacres des populations civiles et des autres crimes économiques ». Qui punira les véritables auteurs des "guerres secrètes"? Ils font partie des Etats manqués, c’est-à-dire des Etats ne respectant ni la législation nationale ni celle internationale. Ils ne sont pas à confondre avec les supplétifs qui se sont retrouvés à Goma ou qui gouvernent les Etats manqués des Grands Lacs. Eux, ce sont des messieurs "respectables" en costume et cravate opérant à partir des bureaux climatisés à Paris, Bruxelles, Londres et Washington. Sur ces questions, il y a des témoignages internes qui valent la peine d’être lus et connus. A titre illustratif, je cite Paix et châtiment. Les guerres secrètes de la politique et de la justice internationales Florence Hartmann, Les Etats manqués. Abus de puissance et déficit démocratique, Dominer le monde ou sauver la planète? et La doctrine des bonnes intentions de Noam Chomsky, Est-ce dans ce monde-là que nous voulons vivre? et La force qui nous manque d’Eva Joly, La pensée enchaînée. Comment les droites laïque et religieuse se sont emparées de l’Amérique de Susan George, L’impuissance de la puissance de Bertand Badie, Les nouveaux prédateurs de Colette Braeckman, De quoi Sarkozy est-il le nom? d’Alain Badiou.
DLK: La plupart de ces ouvrages que vous citez restent inconnus des politiciens congolais, voire de la majorité de l’intelligentsia africaine elle-même.
JPM: Une lecture assidue de ces quelques titres nous aiderait à comprendre que "les petites mains du capital" tirant les ficelles de ce qui se passe chez nous n’ont pas été à la table de "négociation" à Goma. Ces "cols blancs" ne seront que très difficilement inquiétés par la justice qu’ils financent ou et /ou sabotent. Il est un peu malheureux que ces grandes œuvres de la pensée contemporaine ne soient pas à la portée du commun des mortels au Congo. Quelqu’un qui les a souvent sous la main sait combien de millions de Congolais(es) , journalistes "coupagistes" et professeurs d’Université compris, vivent en marge de "l’histoire réelle". Il est en de même de celui qui fréquente assidûment le site de Michel Collon ou celui de Stopusa. Lui sait, que souvent, nos techniciens du savoir prennent des vessies pour des lanternes.
DLK: Pour clore ce sujet de la paix, que pensez-vous de l’idée de certains parlementaires de demander que la conférence sur la paix s’étende à toutes les autres provinces ?
JPM: Je me demande si notre pays a des parlementaires. Non. Nous faisons un usage abusif de ce mot. Le Congo a un "conglomérat d’aventuriers" et "manducrates" , membres des réseaux maffieux de prédation de notre beau et grand pays. Ces laudateurs du "nouveau désordre mondial" qui gagnent plus de 4000 dollars par mois dans un pays où un compatriote moyen vit avec moins d’un dollar par jour n’ont aucun souci pour un devenir collectif heureux chez nous. Leurs prises de position sur les dossiers brûlants de l’heure sont des manœuvres de diversion destinées à la consommation extérieure.
DLK: Et pourtant nous avons entendu des critiques acerbes mais constructives de la part de certains élus dans l’hémicycle …
JPM: En dehors des prises de positions responsables dans cet hémicycle d’un Kiakwama Kia Kiziki, d’un Vincent de Paul Lunda-Bululu, d’un Jean-Claude Vuemba, d’un Thomas Luhaka, d’un Delly Sesanga ou de quelques deux ou trois autres dignes fils du Congo, le destin de notre pays n’est pas la tasse de thé de ces "nouveaux prédateurs" nombrilistes. Comment peuvent-ils demander l’organisation d’une conférence sur la paix après Goma quand on sait que Vital Kamerhe a affirmé sur la RFI que 150 d’entre eux seraient déjà disposés à avaliser les décisions prises à ce "cinéma "? Et puis, avant d’exiger qu’une conférence sur la paix s’étende à toutes les provinces, ils auraient d’abord demandé qu’une enquête soit diligentée sur ce qu’il y a eu à Mushake, sur la débâcle des FARDC trahis par Joseph Kabila et Amisi dit Tango Fort. Qu’y a-t-il eu? Ces deux messieurs sont-ils accusés faussement par tous ceux qui estiment qu’ils sont en intelligence avec l’ennemi? Est-ce normal que 4000 congolais meurent dans un traquenard sans que les autorités officielles ne disent à nos populations ce qu’il y a eu au juste? Voilà des questions qui auraient exigé un traitement de faveur. Malheureusement, il n’y a rien eu jusqu’à ce jour. Nos "honorables" devraient commencer par là.
DLK: Pour revenir à l’idée de la conférence, en quoi vous gêne-t-elle ? Autrement dit pourquoi vous ne la soutiendrez- vous pas ?
JPM: Une conférence étendue à toutes les provinces est-elle indispensable? La société civile nationale a fait un beau travail et formuler des résolutions pertinentes. A mon avis, après le travail abattu par la société civile nationale à Kinshasa du 14 au 16 janvier, sans per diem, la mise en pratique de ses recommandations nous épargnerait de la multiplication de ces forums où les idolâtres du dieu "dollar" ne jurent par le per diem. C’est révoltant que cette conférence nationale organisée dans un temps record, avec une bonne représentation nationale, soit mise entre parenthèse par "les décideurs" et leurs parrains au profit du "cinéma" organisé par Nkunda et ses complices pour lui accorder une amnistie couvrant ses multiples atrocités, massacres, viols, vols et pillages.
DLK: Lorsque, le jeudi 17 janvier 2008, le commissaire européen pour le développement et l’aide humanitaire Louis Michel se dit déçu du Congo devant le Parlement Britannique, lors d’une rencontre organisée par The royal African society et The Congo network, sur l’indispensable alliance entre les l’Europe et l’Afrique, vous êtes-vous dit : enfin, il nous donne raison ?
JPM: Aujourd’hui, nous n’avons pas besoin, nous les résistants congolais et nos alliés que les puissances néocoloniales nous donnent ou pas raison. Nous avons un devoir: construire notre bonheur collectif contre vents et marées; résister. Rencontrer les puissances néocoloniales sur le terrain où nous pouvons les battre avec des arguments fondés sur des faits parlant d’eux-mêmes. Aussi devons-nous être très prudents pour lire derrière les déclarations officielles de toutes ces puissances néocoloniales. L’histoire a mis, à plusieurs reprises, leur hypocrisie à nu. De plus en plus, nous nous méfions de leurs doctrines de bonnes intentions. Il serait bénéfique que nous enfants et nos petits-enfants nous emboîtent le pas. Souvent, quand "les petites mains du capital" changent de langage, ce qu’elles sont en train de monter un autre coup. Qui pouvait croire qu’après Lisbonne, nous allions avoir "des facilitateurs" à Goma ? Méfions-nous!
DLK: Commentant cette conférence, vous vous posiez la question suivante : Que peut Charles Michel ? Pourquoi ne pas lui accorder, sinon le bénéfice du doute, du moins une période de grâce ?
JPM: Comment puis-je accorder un bénéfice de doute à Charles Michel dans la perpétuation d’une relation asymétrique? Allez sur le site 7 sur 7 et lisez les commentaires des Belges sur le voyage de Charles Michel au Congo. Ils posent entre autres ces questions: " Comment au moment où le Belge moyen vit en dessous du seuil de pauvreté, Charles Michel trouve 200.000 euros pour aller financer un "cinéma" dont les scenarii étaient connus d’avance? Pourquoi Charles au Congo après Louis Michel?" Il y a des Belges qui vont jusqu’à affirmer que la famille Michel a des affaires privées au Congo! Je voudrais dire qu’il est plus que temps que le partenariat Belgique-Congo change de visage.
J’ai vu Charles Michel participer activement au débat sur l’avenir de la Belgique après les élections de juin 2007. Aucun Ministre, aucun Député, aucun Sénateur Congolais n’est venu apporter sa pierre à l’édification de la maison Belge. Je n’ai même pas vu un homme politique Occidental (autre que Belge) participer au débat sur le dénouement de la longue crise belge. Pourquoi, quand il s’agit du Congo, les mêmes principes ne peuvent pas être appliqués? Pourquoi Charles Michel n’est-il pas parti soutenir la conférence nationale organisée, en trois jours, par la société civile nationale du Congo? Lisez Le livre noir des Belges zaïrianisés. Secret d’Etat, de Vincent Delannoy et Olivier Willoncx, vous pigerez quelque chose à ce jeu qui ne peut émouvoir que les plus naïfs d’entre nous.
DLK: Redouteriez- vous qu’un Michel n’en cache un autre avec le risque de perpétuer le statu quo ?
JPM: Je ne redoute rien. Je rêve d’un Congo débarrassé à tout jamais de ces relations paternalistes cachant des complexes du passé et parfois des intérêts individuels. Que le Congo mène avec la Belgique des relations adultes, il n’y a rien de mal à cela. Mais toutes ces relations diplomatiques à sens unique m’écoeurent.
DLK: Pour pallier la faiblesse manifeste de la diplomatie congolaise, notamment en ce qui concerne les relations avec son ancienne puissance coloniale, vous aviez proposé que les filles et fils du Congo, « s’improvisent dans tous ces lieux de débat et de choix des gouvernants à imposer » à la RD Congo. Concrètement, que cela veut-il dire ?
JPM: Concrètement, cela veut dire, que nous devons avoir des think tanks et des Networks dont les membres doivent toujours être disposés à fourrer leur nez partout où il est question du Congo. Pour votre information, ce travail se fait déjà et cela à plusieurs niveaux. Nous devons apprendre à travailler en réseaux avec les autres exclus du banquet de la vie pour faire face à l’impossible en le transformant en impuissance.
DLK: Que pensez-vous de l’expertise occidentale sur votre pays ? Est-elle indispensable, efficace et efficiente ?
JPM: L’Occident n’est pas un pays. Il est aux multiples faces. J’ai beaucoup d’admiration pour les Occidentaux qui acceptent de travailler dans les interstices créés par les questions qui nous forcent à penser en commun. Je vois par exemple comment, certaines Commissions de l’église Catholique belge travaillent avec celles de mon pays. J’admire le travail que fait le CADTM (belge et français).
En plus des auteurs ci-haut cités, lire et étudier une dame de la trempe d’Isabelle Stengers ou discuter avec un Monsieur comme Guy De Boeck (de Congoforum), ce n’est pas rien.
En effet, le capitalisme en tant que "flux mouvant et réorganisateur" frappe le monde entier de plein fouet. Le nommer ensemble et créer des méthodes communes de résistance peut être bénéfique, à terme, pour tous les exclus du banquet de la vie. Il y a une expertise occidentale qui fait partie du patrimoine culturel de l’humanité.
Et puis, n’oubliez pas que les Occidentaux sont aussi très critiques à l’endroit de leurs propres experts. Lisez Politiques de la nature. Comment faire entrer les sciences en démocratie de Bruno Latour, vous comprendrez que l’expertise, même en Occident, a marqué ses limites. N’empêche que disposant de certaines facilités techniques et diplomatiques, ils aient accès à un tas de données pouvant nous échapper. Donc, il est bon de fréquenter et de connaître les orientations de cette expertise.
DLK: Au-delà des réserves que vous émettez sur l’expertise occidentale, quel regard portez-vous sur l’expertise locale, vous qui ne manquez pas une occasion pour fustiger vos compatriotes souffrant d’amnésie et de quelque complexe d’infériorité autant que leurs parrains qui s’évertuent à leur imposer des choix ?
JPM: Que l’on se comprenne bien. Il y a des domaines où l’expertise locale est indispensable. La plupart des médias occidentaux étant des médiasmensonges et/ou travaillant au décervelage d’un plus grand nombre, il est plus que temps que les médias alternatifs congolais travaillent davantage à fabriquer l’opinion publique congolaise. A temps et à contretemps. Sur ce point, le travail abattu par les sites congolais tels que Demainlekasai, Congoindependant, Congoone, Congolite, Congonetradio, Grands reporters, Congotribune, Muanacongo, Kabiladoitpartir, CCASCOPIE, Culturek est admirable. C’est d’un. De deux, n’oublions pas que nous ne sommes plus dans les années 60 où le Congo comptait ses universitaires sur les bouts des doigts. Au jour d’aujourd’hui, le Congo a son expertise dans tous les domaines du savoir.
DLK: Ne serait-il pas prétentieux, sinon fallacieux, de soutenir que les congolais maîtrisent tous les domaines ?
JPM: A partir de mes échanges avec plusieurs compatriotes, je sais que nous avons des dignes filles et fils du Congo polyvalents. Avec eux, le Congolais ne devrait plus se satisfaire d’une division de travail simpliste: il devrait apprendre à se mêler de ce qui ne le concerne pas quand il s’agit de son pays. De toutes les façons, l’expertise occidentale, dans la plupart des cas, ne sert pas les intérêts du Congo mais ceux des dominants.
DLK: Vous étiez, le vendredi 25 janvier 2008, l’un des prêtres à concélébrer la messe en mémoire de toutes les victimes de la guerre que connaît le Congo depuis plus d’une dizaine d’années. Qui se souviendra des autres ?
JPM: D’abord, j’apporte un petit rectificatif à votre question. La messe du 25 janvier était dite pour les martyrs de notre lutte d’autodétermination tués par les puissances de l’argent en janvier 1959. Priant pour ces dignes fils et filles du Congo, nous avons associé les victimes des seigneurs de guerre au pouvoir chez nous. Je profite de cette occasion pour remercier nos compatriotes venus nombreux à cette célébration et nos fils et filles qui l’ont animée comme choristes.
DLK: Dans votre intervention, sous la contrainte du temps et de l’événement, vous avez dressé un tableau sombre du pays. En revanche, l’on n’a pas tellement entendu les solutions, autres que « l’amour d’autrui » ? Monsieur le Curé, n’auriez-vous pas péché par omission ?
JPM: Lisez bien les deux textes choisis pour cette messe. Je vous les rappelle: 1 Jean 2, 3-11 et Luc 10, 25-37. Pourquoi les ai-je choisis? Le premier m’avait beaucoup touché pendant l’octave de Noël. Prêtre depuis bientôt vingt ans, je redécouvrais la nouveauté de ce texte, lequel affirme que celui qui dit qu’il connaît Jésus et qui a de la haine pour son frère est un menteur. Le deuxième m’a été inspiré par les images actuelles de notre pays. Il est devenu comme cet homme (du texte de Luc) tombé sous les coups des bandits. En pensant à notre pays où tout le monde dit que" abala Yesu" et où les églises poussent chaque jour comme des champignons, j’ai trouvé qu’il était bon que je propose ma relecture de ces textes à mes compatriotes. Attention! Souvent, nous nous faisons des illusions: nous ne connaissons pas bien les tenants et les aboutissants de la vie de celui que nous suivons, Jésus, le bon Samaritain par excellence, s’étant approché des exclus de son temps jusque dans l’extrême de l’amour.
DLK: Croyez-vous sincèrement que c’est le manque d’amour qui serait à la base des malheurs des Congolais ?
JPM: Souvent, quand nous parlons de l’amour du prochain, savons-nous qui est-il? C’est cette question que le docteur de la loi pose à Jésus dans le texte de Luc: "Et qui donc est mon prochain"? Comme réponse, Jésus lui raconte la parabole du bon samaritain qui rencontre sur sa route un homme tombé sur des bandits. Le prêtre et le lévité qui l’y ont précédé (probablement sur le chemin du culte) l’ont esquivé pour éviter de tomber dans l’impureté en touchant "un cadavre". Le bon Samaritain dépasse les frontières de race, du pur et de l’impur ; il dépense son temps, son argent; il s’approche de cet homme, le porte et le supporte. A la fin, Jésus pose cette question: "Lequel des trois, à ton avis, a été le prochain de l’homme tombé entre les mains des bandits?" Le docteur de la Loi répond: "celui qui a fait preuve de bonté envers lui." Et Jésus lui fait cette recommandation: "Va, et toi aussi, fais de même."
DLK: Et quelle serait la véritable relation de votre « prêche enflammée » avec la tragique situation que vit la République démocratique du Congo du fait d’une guerre imposée qui relèverait, pour vous citer, d’une doctrine « laisser-fairiste mondialiste » et constituerait une « tactique commerciale d’où les multinationales tireraient la part du lion »?
JPM: Croyez-vous que le Congo tombé entre les mains des seigneurs de guerre et des charognards de tout bord n’ait pas besoin que ses filles et fils dépassent les divisions politiciennes les tenant loin les uns des autres, s’aiment pour travailler main dans la main afin de s’approcher, ensemble, de leur mère patrie, de dépenser leur temps et leur argent pour en prendre soin? Aujourd’hui, le Congo a besoin d’être reconstruit. N’oublions pas que nous, Congolais(es) , nous prenons une part active au pillage de notre pays. Nos cœurs et nos esprits corrompus, mal formatés sous le mobutisme et "mangés" par le pouvoir ensorceleur du néolibéralisme sont tombés dans la crétinisation.
Dans ce contexte, vous comprenez que je fasse de temps en temps allusion, dans mes articles, à la grande anthropologue malienne Aminata Traoré, au philosophe et théologien congolais Kä Mana et au théologien africain Kalamba Nsapo en me référant à la lutte théorico-pratique qu’ils mènent contre "le viol de l’imaginaire" . Sur ce point nommé, le feu Joseph Ki-Zerbo, peut aussi être évoqué. Lire son A quand l’Afrique? peut aider à mieux comprendre ce qui nous arrive.
Donc, accuser les affairistes mondialistes ne suffit pas. Il faut que nous puissions aussi prendre la mesure de notre mal-formatage et du désir de déformatage-reformat age qui devrait nous habiter. Les publications des penseurs susmentionnés nous y invitent par leur appréhension africano-moderne de la spiritualité. Le plus étonnant est que tous nos regards sont tournés vers les Chinois, les Brésiliens, les Belges, les Américains, les Britanniques, les Néerlandais, les Français, etc. D’ailleurs, où sont passés les dinosaures de la deuxième République ? Que font-ils de leurs comptes en banque? Aujourd’hui, certains d’entre eux sont revenus aux affaires et pompent les miettes qui restent à notre pays! Et quelques-uns parmi eux appartiennent à des partis politiques dits chrétiens quand ils ne sont pas tout simplement pasteurs! Est-ce normal?
DLK: A vous entendre et à vous lire souvent (*) : non…
JPM: C’est pourquoi, dans mon homélie de ce jour-là, j’ai invité nos compatriotes à l’amour vrai, à l’unité dans le respect des différences, à la prise en charge de notre pays par nous-mêmes (d’abord) et à la lutte contre l’idolâtrie de l’argent nous poussant à la trahison de la cause nationale.
Dans un Congo où il y a une église à chaque coin de rue, la religion y devient de plus en plus l’opium du peuple pour une bonne partie de nos populations. Au lieu de laisser l’image et la ressemblance de Dieu triompher en nous par notre créativité, notre inventivité et notre imagination féconde, nos populations recréent, à travers les charlatans habillés en pasteurs, un petit dieu à l’image et à la ressemblance de leur amnésie, de leur médiocrité, de leur misère et d’une spiritualité dévoyée.
En relisant les Ecritures, je me convaincs de plus en plus que pour plusieurs compatriotes, il y a "les profondeurs oubliées du christianisme" . Entre autres celle-ci: " Si les chrétiens vivent dans l’Esprit et font de tels progrès en maturité spirituelle que leur intention toujours plus ferme est de mettre leur vie au service du royaume de Dieu; si leur cœur s’ouvre toujours plus largement à la compassion pour un monde en quête d’amour durable, et que leur esprit même se dilate à force de rêver de justice et de paix pour tous les hommes, alors, ils consacreront leurs énergies à partager la bonne nouvelle du royaume du Christ."
DLK: Est-ce facile de pénétrer ces "profondeurs oubliées du christianisme" ?
JPM: Non. Même pas pour nous prêtres Congolais; sans l’apport de l’Esprit de Dieu et un retour permanent aux sources. Si nous ne les avions pas oubliées, l’appel de l’Abbé Gilbert Yamba (sur le blog de Cheik Fita) serait sans objet.
DLK: Lorsque vous rêvez pour le Congo des leaders charismatiques à l’instar de Lula, Hugo Chavez, Rafael Correa, n’est-ce pas une utopie ?
JPM: Non. Ce n’est pas ça. Le Congo a ses leaders charismatiques marginalisés par les puissances d’argent. Ecoutez les interventions d’un Monsieur comme Kalubi Belchika ou comme Kankwenda Mbaya, lisez les analyses politiques de Mufoncol Tshiyoyi ou de Tshibwabwa Kapia; écoutez les interventions des dames telles que Jeanne-Marie Sindani, Marie-Thérèse N’Landu ou Candide Okeke; lisez les analyses juridiques d’Auguste Mampuya; écoutez les interventions d’un Jean-Claude Vuemba, d’un Kiakwama ou d’un Lunda-Bululu au Parlement; non le Congo a une multitude des leaders charismatiques. Il en a qui, bien que "vieillissant" , ils fructifient encore: Honoré Ngbanda et Tshisekedi wa Mulumba, par exemple.
Si je parle d’un nouveau leadership, c’est simplement parce que je le veux collectif; dans les interstices où l’expérience des anciens et celles des jeunes générations peut conduire à des ruptures refondatrices du Congo. Un nouveau leadership collectif nous garderait de la personnalisation du destin commun. Nous n’avons plus besoin d’homme seul, d’un homme fort! Les hommes seuls et les hommes forts font partie de notre passé de misère à enterrer.
DLK: Faisant un état des lieux de la résistance congolaise, vous avez écrit qu’elle n’a pas faibli en 2007 grâce à « un petit reste qui veille ». N’est-ce pas un sérieux handicap que ce « petit reste » » et dont vous faites partie n’ait comme arme que le verbe et la plume ?
JPM: Mes armes de prédilection sont le verbe et la plume. C’est vrai. Ces deux armes sont indispensables à l’organisation de la résistance. Nous commettons beaucoup de bêtises parce que nous ne partageons pas, n’étudions pas et ne lisons pas suffisamment de "bonnes choses". Nous tombons facilement dans l’amnésie parce que nous oublions vite ce qui a été dit et écrit hier.
Je prends deux ou trois exemples. En 1961, l’ONU vient au Congo soutenues par son actuel bras séculier et Lumumba est tué. Il y a quelques deux ou trois semaines, j’ai lu sur le site de Michel Collon le témoignage d’un Belge (Flamand) affirmant qu’il avait dissout le corps de Lumumba dans l’acide sulfurique. Plus de 40 ans après, l’ONU est au Congo et nous déplorons plus de 5000.000 de morts. Un chiffre que nous sommes en train de dépasser avec nos 45.000 morts par jour. Et cela ne semble pas nous inquiéter outre-mesure. Nous continuons de croire dans "les vertus pacifistes" du "machin" et de la nébuleuse que nous appelons Communauté internationale. Il y a quelque chose qui ne va pas dans nos têtes!
DLK: Et c’est quoi, d’après vous ?
JPM: Dans une interview accordée au journal Le Potentiel le 28 janvier, faisant allusion à notre mode mental de fonctionnent et à cette fameuse communauté internationale, Fabien Eboussi Boulaga disait: " Il y a démission de notre part parce que nous croyons qu’il y a des institutions qui sont garantes du droit, de la vérité, du développement. La révolution mentale serait de refuser de croire que les solutions à nos problèmes ou à nos défis viendront du dehors. Je crois que si les Congolais s’étaient battus même à mains nues entre eux, ils auraient déjà trouvé toutes les solutions nécessaires pour sortir de l’impasse et bâtir une Nation forte."
Quand vous lisez les trois livres de Noam Chomsky susmentionnés, vous vous rendez compte que plusieurs hommes politiques des pays dits de vieille démocratie combattent la démocratie depuis les années 60. Si vous ne le savez pas, vous allez en faire, comme à Goma, "des facilitateurs " dans la crise congolaise alors qu’ils n’ont rien à foutre avec les pays du tiers-monde apaisés et démocratiques! Si vous lisez les deux livres d’Eva Joly cités dans cette interview, vous vous rendrez compte que son expérience de juge d’instruction en France est riche en enseignement sur la qualité d’hommes politiques français et mêmes britanniques. Cela vous épargnerez de prendre trop au sérieux ces "Excellences" qui parcourent le monde pour se mettre inutilement en vedette alors qu’ils ne font plus rêver.
DLK: Mais avec qui et comment comptez-vous organiser cette résistance afin de la rendre crédible aux yeux du peuple congolais meurtri ?
JPM: Une question difficile! Je crois fermement que la crédibilité de la résistance congolaise viendra (aussi) de l’étude, d’une étude réformatante. C’est d’un. De deux, j’évolue avec mon verbe et ma plume au sein de plusieurs collectifs où le jeu des rôles est assuré de manière que la division polyvalente du travail conduise aux ruptures refondatrices d’un autre Congo. Ce travail, nous le faisons à court, moyen et long terme. Et l’Amérique latine est aussi le produit du travail des mouvements sociaux fait collectivement. Ce n’est pas étonnant que le socialisme du XXIème siècle naisse là-bas malgré les vociférations des médiasmensonges occidentaux.
Propos recueillis par François Kay
(*) Pour lire l’ensemble des articles de Jean-Pierre Mbelu, cliquer sur « recherche » dans Demain Le Kasaï online et taper « Mbelu »
CongoOne, Mise en ligne le 02-02-08





