





Ambue!!!
Je suis le fidèle rapporteur de l’un des derniers survivants, « Bashakulu », du Village Kisaka. Parmi ces rares « Bashakulu » un grand-père …Muthunga.
Il y a quelques semaines passées, nous vous avions invités dans l’histoire du Village Kisaka. Un village dont les habitants, les « Bathunga », avaient réussi à développer leurs activités au-delà de leur terroir, leur « Mahero ». La réussite et le succès de leurs business attirèrent contre eux plusieurs ennuis : jalousie, dénigrement et pillages, les inimitiés de toutes sortes y passèrent…
Voici, la suite du récit…
C’était un soir, l’heure à laquelle le ciel se couvre de pourpre et d’or. Le soleil allait se coucher dans quelques minutes…Je venais de franchir la grille de la résidence de Sokulu Muthunga. Grand-père est assis dans son Kyaghanda, il sirote sa bière favorite, du « Vututsi ». Le moment idéal pour les contes. « Approche-toi, mon fils » me dit-il. C’est toujours un rare privilège d’être invité par un sage. Aussi, m’empressé-je de le rejoindre. Lorsqu’il m’invita à m’asseoir, je lui présente mon cadeau du jour : une besace (ngunza). Sokulu Muthunga me remercie et m’étreint très fort contre sa frêle poitrine. Ensuite, je vois ses yeux s’embuer de larmes. Qu’y a-t-il grand-père, lui demandais-je ?
« Ton cadeau m’est d’une grande valeur », me répondit-il. « Ce « ngunza » réveille des souvenirs de ma vie. Je n’en avais plus. Mon dernier « ngunza » avait brûlé la dernière fois que la montagne sacrée avait craché le feu. Ce « ngunza »-là était unique et spécial pour moi : c’est mon épouse, ta grand-mère, Mughole, qui l’avait tissé de ses propres mains ». « Tu ne m’as jamais raconté le récit de sa mort.
Comment était-elle morte, mukaka Mughole?
« Dans une attaque armée, sur la route de la beauté », répondit simplement grand-père.
Où est la route de la beauté ? Repris-je pour changer de sujet.
« Oui, mon fils. C’est une longue route. Elle relie Lwanzururu, la montagne aux neiges éternelles, la plus haute du Kisaka et le lac qui fume. Cette route serpente des escarpements, traverse la forêt sacrée, longe les montages qui crachent le feu et peut vous conduire au lac qui bouillonne. La route de la beauté était belle, la parcourir était un bonheur. Mais depuis quelques années, la route de la beauté est devenue la route de la mort.
La route de la mort ? remarquais-je, surpris par la métaphore !
« Hélas, oui, mon fils », répondit le grand-père. « Depuis quelques années, des bandits ont violé la forêt sacrée, ils y ont installé des cabanes. Ils terrorisent tous ceux qui passent par la route de la beauté et les autres sentiers des environs. La route et les végétations muettes gardent le secret de l’agonie de plusieurs centaines des victimes innocentes. Des éleveurs de bétail, des agriculteurs, des commerçants, des réfugiés et autre voyageurs ordinaires ont connu une mort sauvage sur la route de beauté, devenue la route de la mort. C’est dans ces circonstances que ta grand-mère, Mughole, est morte. Elle ne m’a pas transmis ces dernières volontés ».
Accroché au récit, j’interrogeais Sokulu Muthunga : « Qui sème la mort sur cette route grand-père ? », enchaînais-je.
Apres avoir bu un large gorgée de son « vututsi », grand-père poursuivi le récit : « Les rares rescapés racontent, pétrifiés par la terreur du souvenir, les tragiques expériences sur la route de la mort. « Un groupe d’hommes armés les un en tenues militaires, d’autres habillés en tenue civile. Ils surgissent des brousses à proximité des barrages érigés sur la chaussé. « Tout le monde descend, ordonnent les brigands. Alignez-vous, videz vos sacs, vos poches…Couchez ! Rampez ! » Humiliations, brimades, extorsions violentes. A la moindre résistance…Pan ! Un martyr de plus. Et de menaces : le prochain qui résiste en paie de sa vie. Les plus chanceux sont autorisés à remonter dans leur car, les moins chanceux, contraints à transporter le butin des pillards dans les forets voisines. « Si vous fixez un bourreau dans les yeux, son visage est la dernière chose que vous aurez vue », selon des rescapés ».
Dites-moi grand-père, savez-vous pourquoi Mukaka Mughole avait été abattue ? Repris-je timidement.
Silence brusque. Je cru un moment que grand-père ne voulait plus en parler. Après quelques minutes qui me parurent une éternité, Sokulu Muthunga repris à parler : « L’un des rescapés, m’a raconté que les bandits voulaient ravir les bijoux de Mughole, l’alliance de notre mariage y compris. Mukaka Mughole refusa de donner son alliance en or massif, l’alliance de nos cinquante ans de mariage. Le bourreau l’a battue. Elle s’est accrochée…Ils l’ont bâillonnée, tellement elle criait et lui ont tordue le bras. Elle a réussi à arracher la cagoule du bandit…et puis Pan ! Pan ! Pan. Elle s’est écroulée. Ma Mughole était morte. Voilà, comment est morte ta grand-mère. Fidèle et Courageuse jusqu’à la mort. Une mort atroce, sur la route de la beauté. Une mort brutale, sur la route de la mort ».
Sokulu Muthunga ne continua pas le récit. Il fixait l’horizon au loin…Je suivis son regard…un bout du cercle solaire, telle une couronne dorée, tardait encore à s’enfoncer sous un cumulo nimbus… « Chaque soir, ta grand-mère et moi contemplions ce magnifique coucher du Soleil. Accompagne-moi à sa tombe », me dit-il comme pour conclure le récit du jour.
Nous nous levâmes et marchâmes lentement vers un beau jardin baignant dans les dernières lumières du jour. Au centre du jardin, une dalle de marbre blanc. Sur le coté au vent, un banc de deux places artistiquement sculpté. C’est là que Grand-mère Mughole repose à jamais. Une des centaines de victimes des coupeurs de route et autres assassins sur la route de la mort. Des épouses, des frères, des sœurs, des époux, des fils, des filles et des amis ont été sauvagement assassinés sur la route de la beauté, la route de la mort. Que leurs âmes reposent en paix. [ Samedi 8 Avril 2006, www.benilubero.com]
Mutsikulu wa Musaka (WMM)
New York, USA
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