





Le récepteur radio transistor de marque National Panasonic de mon oncle Kwiratuwe était parmi les rares radios du village. Il diffusait des informations essentiellement via la Deutsche Welle et la BBC. A l’époque, les radios n’émettaient pas encore sur FM (Modulation de Fréquence) mais plutôt sur des Ondes Courtes (OC) connues sous leurs sigles anglais «SW» (Short Waves). Dès la tombée de la nuit, les gens de mon village avaient l’habitude de se masser autour du poste radio de mon oncle posé sur un escabeau non loin d’une lampe tempête «Feuer Hand», de fabrication allemande. Cette lampe fonctionnant au kérosène nous éclairait certes, mais elle attirait aussi des insectes qui se faisaient griller sous nos yeux concentrés sur les informations diffusées dans un swahili châtié. Il y régnait alors un silence quasiment religieux. Tout le village était en quête d’informations. Les familles en mesure de s’acheter une radio se comptaient à l’époque sur les doigts d’une main car on sortait de la période de la rébellion des années 64-65.
A travers une de ses émissions, la Deutsche Welle, idaa ya Kiswahili ya Sauti ya Ujerumani, [la voix de l’Allemagne en langue swahili], les auditeurs pouvaient dédicacer aux parents et amis des morceaux choisis d’une musique et ce, gratuitement. Cette «demande des disques» s’appelait aussi «disques demandés». Il suffisait à cet effet d’adresser une lettre à l’animateur de l’émission, de la poster et le tour était joué. Dans le village, parmi les rares personnes qui savaient rédiger ce genre de courrier et dont les dédicaces passaient à la radio figurait oncle Danger. Il était vraiment «dangereux». Il pouvait adresser ses lettres à la Deutsche Welle, à la BBC, à la Radio Kigali… Nous étions émerveillés d’entendre quelques semaines plus tard un journaliste égrener à l’antenne les noms de personnes et de lieux qui nous étaient familiers.
Bâtiment de la Radio Moto/Antenne de Butembo
Au lendemain d’une telle émission, notre village était souvent submergé par les témoignages des habitants des agglomérations avoisinantes qui affirmaient avec joie avoir entendu de leurs propres oreilles les salutations que mon oncle avait transmises à ses proches par le biais d’une radio internationale. On le prenait pour un homme doué pour avoir réalisé un tel «exploit». Certaines personnes venaient le solliciter pour qu’il fasse en sorte que leurs noms soient diffusés lors de prochaines émissions! La liste d’attentes était trop longue car, Danger avait son petit secret : il limitait le nombre de personnes sur ses dédicaces. Les journalistes appréciaient en effet les courtes lettres qui leur assuraient une lecture aisée de noms compliqués que nous portions et auxquels les journalistes n’étaient pas familiers. Dans mon village, on disait que la radio ne se trompait jamais; qu’elle ne revenait pas sur les nouvelles déjà diffusées et qu’elle diffusait que des informations vérifiées et donc véridiques. En outre, il existait une série d’émissions de divertissement tel que les sketchs de Kapalata diffusés sur la radio Bukavu. Ils battaient tous les records d’audience. Leur influence sur le mode de vie des auditeurs était perceptible. Certains programmes façonnaient même le mode de pensée de fans clubs jusqu’à leur transmettre des mots ou des expressions qui étaient ensuite rendus populaires et intégrés dans le langage courant.
Par contre, certaines émissions étaient très engagées. Citons, par exemple cette émission diffusée sur les antennes de la radio Bukavu en swahili et qui était attendue impatiemment. Elle était animée par un journaliste connu sous le pseudonyme de «Bwa’ Muvunja» (c’est-à-dire « monsieur le censeur »). Son émission dénonçait, entre autres, la contrebande aux frontières de la République, preuve s’il en est, que la fraude est une vraie gangrène qui ronge ce pays depuis longtemps. A l’époque, cette fraude consistait, par exemple, à faire sortir par le poste de Kasindi des lots de papaïne en vue de leur revente dans le pays voisin, l’Ouganda.
Un commerçant de Mangina, très en vue, aurait trempé dans ce genre de trafics. Bwa’ Muvunja, on ne saura jamais par quelle magie, parvint à le cibler dans son «viseur». Il animait son émission d’une façon atypique. On se croyait entrain de suivre une partie de match de foot. C’était comme s’il était en direct, à la manière d’un journaliste sportif : «Je vous vois, M. [Untel]… Je vous vois faire de la contrebande… Vous venez de traverser la rivière Semuliki… Je vous vois au niveau de Mutwanga et vous voilà à Kasindi, sur une piste détournée, entrain de faire passer en catimini votre lot de papaïne…»
Il est évident qu’une telle émission dérangeait beaucoup de gens et mettait en péril leur empire financier. Pour preuve, Bwa’ Muvunja fut assassiné et ce, paraît-il, en plein exercice de ses fonctions. Il faisait la fierté du grand Kivu qui le garde encore dans sa mémoire collective. Avant cet assassinat, Bwa’Muvunja se serait mis à dos plusieurs ennemis à cause de son franc-parler… Plus de trente ans plus tard, après de loyaux et bons services rendus, notre regretté journaliste serait-il un autre héros national congolais tombé dans les oubliettes?
Kasereka KATCHELEWA
Courriel: kasereka.katchelewa@orange.fr
Aisy-sur-Armançon, France
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