





Vital Kamerhe face à deux Montréal : l’un qui crie, l’autre applaudit
(Par Dr Lambert Opula (Éditeur d’Hinterland)
Invité de trois établissements supérieurs et universitaires canadiens, à savoir l’Université d’Ottawa, l’Université Laval de Québec, et l’Institut d’études économiques internationales de l’Université du Québec à Montréal, Vital Kamerhe, l’ancien président de l’Assemblée nationale de la RD Congo a bouclé son cycle de conférences ce mercredi 17 février 2010 à Montréal. La rencontre a eu valeur de symbole pour la tournée canadienne du parlementaire congolais : un exercice académique de grande visibilité, mais assez tumultueuse.
L’événement de ce jour a suscité une vive polémique parmi les Congolais. Fidèle à ses traditions, Hinterland qui y a été, le restitue pour l’histoire. Les notes neutres sur cet événement constituent aussi un témoignage sur les menaces qui planent sur l’avenir de la nation. Montréal, le 17 février 2010.
I. Des signes avant-coureurs
18h 40 : Un homme, manifestement d’origine congolaise se joint à la foule qui attend l’ouverture du Studio théâtre Alfred Laliberté, du pavillon Judith Jasmin, sise 450 rue Sainte-Catherine. Il distribue un jeu de pamphlets. Le premier stigmatise le silence du Canada sur les six millions des Congolais morts des conséquences directes et indirectes de deux agressions armées dont la RDC a été victime de la part de ses voisins de l’Est ; le deuxième s’adresse au député congolais Vital Kamerhe,il est intitulé : «dites-nous la vérité» ; le troisième, tout en couleur, porte comme titre :« Ce que Vital Kamerhe ne vous dit pas».
18h50 : ouverture de la salle, installation du public et des invités.
19h02 : Vital Kamerhe fait son entrée. Il marche humblement. Sa tenue est très simple, à peine le distinguerait- on d’un étudiant moyen. S’est-il fait Romain parmi les Romains ? À ses côtés, le plus célèbre des journalistes du Québec, Bernard Derome. L’homme des entretiens majeurs. La salle se remplit rapidement. Entre 250 et 300 personnes la prennent d’assaut.
II. Une entrée en matière sarcastique
19h04 : le professeur Dorval Brunelle, directeur général de l’Institut prend la parole pour présenter son invité et fixer le cadre : un cycle des conférences sur le thème : «Repenser l’Atlantique». Le sujet proposé à l’invité du jour est intitulé : «le fondement de la politique transatlantique de la République démocratique du Congo.
Au terme du mot de bienvenu, l’honorable Kamerhe prend la parole, il est 19h08.
19h09 : un homme arborant la trentaine se tient débout du côté gauche de l’orateur. Il crie : Dix millions des morts au Congo, le Canada n’a rien dit. Kamerhe n’a pas le droit de parler au nom des Congolais.
Le public est partagé, mais encore timide. Quelques voix soutiennent l’insurgé, d’autres, un peu plus nombreux, lui demandent de se taire. Il se tait et se rassit.
19h10 : Un autre Congolais interrompt l’orateur. Il exige le droit pour le public à poser des questions à la fin de l’exposé. En effet, seuls ceux qui avaient transmis leurs questions par courriel devraient les poser. Une concession est accordée. Le conférencier peut alors aborder le thème du jour.
11h11 : Abordant la partie protocolaire de son exposé, Vital Kamerhe remercie les autorités canadiennes et académiques. Il remercie les Congolais qui sont venus nombreux pour l’écouter.
11h14 : Un grognement s’élève de la rangée en face du conférencier. Il réagit : «Êtes-vous un Rwandais »?
La salle l’applaudit vivement.
III. Le cœur du message de Kamerhe à l’IÉÉI de Montréal
Parler du «fondement de la politique transatlantique de la République démocratique du Congo», estime l’orateur en reprenant la parole, c’est jeter un regard sur les axes de la politique internationale de la RDC dans leurs perspectives Nord-Sud, sans oublier les courants Sud-Sud, du Pacifique, voire même l’héritage de l’ancienne dynamique Est-Ouest.
Avec ses nombreuses ressources naturelles et intellectuelles, la RDC est un pays qui peut participer aux efforts de la communauté internationale visant à relever les grands défis de l’heure, à condition de convenir que rien ne peut remplacer les citoyens du pays dans le cycle de renaissance de leur État. C’est l’exigence que présentent les Congolais d’aujourd’hui. La seule chose que nous Congolais sommes appelés à faire, c’est de nous rassembler pour affronter les enjeux auxquels nous sommes confrontés collectivement.
L’orateur annonce vouloir aborder les stratégies mises en œuvre au Congo, tour à tour, par les acteurs d’outre atlantique et par les gouvernants post-indépendance, selon une approche historique pour examiner les politiques qui ont affecté les efforts d’équilibrage des politiques publiques en faveur de la bonne gouvernance en RDC.
Cette approche lui a permis de montrer que la rencontre entre l’Europe et notre l’Afrique s’est traduite par une transformation brutale de celle-ci en un simple bassin de ressources humaines pour le développement de l’agro-industrie en Amérique. Le passage à la colonisation a impulsé une transformation secondaire qui a fait de l’Afrique, en général, et du Congo en particulier, un simple réservoir de matières premières minérales. Enfin, l’inféodation de nouveaux États africains aux différentes sphères d’influence idéologique a hypothéqué le développement de la gouvernance politique et économique sur le continent. En effet, l’expatriation des sources de légitimité qui s’en est suivi a consacré la rupture entre les aspirations des masses et les préoccupations de dirigeants politiques. C’est suivant ce schéma que le conflit Est-Ouest a hypothéqué les pratiques de la bonne gouvernance en Afrique, et par voie de conséquence RDC. Le résultat de tout cela, c’est que le monde décide sur l’Afrique, sans les Africains. Pour d’autres régions comme l’Amérique du Sud et l’Asie, les décisions sont prises aux termes des négociations équitables avec les élites des pays concernés.
S’appuyant sur l’importance géopolitique de la RDC, avec ses 2 345 000 km2, ses 70 millions d’habitants, ses neuf pays limitrophes, l’orateur a décrit les conditions climatiques du pays comme exceptionnelles pour montrer que le peuple congolais et son territoire constituent une partie de la solution aux enjeux majeurs auxquels le monde est confronté aujourd’hui. Une coopération réellement dynamique entre la communauté scientifique et le Congo pour une meilleure gestion de la forêt congolaise, par exemple, pourrait être une contribution déterminante à la recherche de solution au problème global du déséquilibre des écosystèmes.
Aussi, alors la production de combustibles à base de la biomasse engendre un nouvel enjeu, à savoir : l’épuisement des sols arables, causant la famine dans plusieurs pays pauvres, les sols d’Afrique centrale (incluant celles de la RDC) constituent les réserves les plus importantes du monde aux côtés de celles du Brésil. Une fois valorisées intégralement, les sols du Congo peuvent nourrir toute l’Afrique.
Par ailleurs, la Cuvette centrale du Congo apparaît comme un château d’eau douce au centre de l’Afrique. Situé entre deux grandes régions sèches : le Sahara au Nord (dont lac Tchad s’assèche) et le Kalahari au Sud. Une stratégie savamment étudiée peut permettre de stabiliser de nombreuses communautés en vue d’une révolution agricole en Afrique. Enfin, la valorisation du potentiel hydroélectrique concentré autour du site d’Inga, dans le Bas-Congo, peut créer un deuxième plus puissant foyer de production d’énergie électrique au monde. Ce projet intéresse déjà plusieurs pays d’Afrique australe, de l’Ouest et du Nord, sans oublier l’Europe du Sud.
Mais, face à ces potentialités formidables, le peuple congolais vit une situation paradoxale : sa pauvreté humiliante qui contraste avec les possibilités naturelles.
Ce paradoxe résulte d’un processus historique singulier :
· La décolonisation du Congo avait eu pour effet l’abandon des cultures obligatoires qui étaient responsables d’une part importante des revenus d’importation ;
· De nombreuses mesures mises en œuvre depuis l’indépendance sont venues déstructurer un système d’accumulation des richesses inadapté à l’accumulation interne (voulu extraverti par le colonisateur) . Les conflits ethniques et constitutionnels, la zaïrianisation, les pillages et les «libérations» successives par la voie armée;
Les épisodes historiques dits de libération ont accentué l’extinction des activités productives. Ainsi, les combattants- guerriers de l’époque de l’ex-président Laurent-Désiré Kabila, accueillis en 1997, pour renverser le président Mobutu, se sont-ils avérés être des loups rwandais dans la bergerie.
· Rires comiques dans les rangs des contestataires du député : tu es l’un d’entre eux !… Rwandais, génocidaire, assassin, violeur !…
· Concomitamment, des applaudissements nourris dans les rangs de supporteurs.
· Une femme crie en langue lingala : «Boyeba que ba Rwandais mpe bazali awa, bazali koseka biso ndenge tozali komikitisa boye» (sachez que les Rwandais aussi sont dans la salle, ils se moquent bien de notre imbécilité).
Reprenant la parole, Kamerhe indique que face à une déception perceptible auprès des populations congolaises, L.-D Kabila s’était trouvé devant une alternative :
· renvoyer les militaires rwandais pour demeurer au pouvoir,
· ou les garder pour assumer les conséquences d’une rupture avec elles.
La décision de les renvoyer a suscité deux agressions armées successives qui ont liquidé le résidu des structures productives et d’échanges du pays.
Pour reconstruire dans un contexte actuel de misère, la corruption et la désorganisation de l’économie deviennent des freins majeurs. Il faille entreprendre une refondation de l’État au moyen des services régaliens, de la sécurité de la population (police et armée à la mesure des enjeux régionaux). Mais, cela ne peut réussir que si en même temps, on entreprenait des actions dynamiques destinées à améliorer les conditions de vie de la population et à réaliser un développement intégral du pays.
De l’avis du conférencier, la crise économique du Congo ne découle pas d’un déficit du capital humain. Au contraire, c’est la crise imposée au peuple congolais qui est venue créer les conditions d’exode de notre matière grise.
Applaudissements frénétiques dans la salle. Grognement dans les rangs des contestataires : ils ont tout volé, détruit,…
Nous autres politiciens congolais, déclare le conférencier, n’avons réussi jusqu’ici qu’un seul partage équitable : celui des postes distribués aux familles politiques, ce qui a contribué à paralyser l’État. On ne peut plus rien décider sans rassurer tous les nombreux chefs de partis. Mais, au lieu d’être des serviteurs du peuple qui les a élus pour un État régalien, nous avons choisis d’être des maîtres et ne sommes plus mus que par la sauvegarde de nos positions. Nous avons étouffé le peuple.
Le professeur Dorval Brunelle signale à Vital Kamerhe qu’il a presque épuisé son temps d’intervention. Il ne lui reste que quelques minutes
Le député enchaîne en livrant une synthèse des propos restant : en ce moment où l’Atlantique se redéfinit, la RDC, un pays qui possède un grand potentiel de développement ne devrait pas se présenter avec une main tendue comme c’est le cas maintenant. Un Congo repensé, refondé peut devenir un partenaire majeur de l’Atlantique et un noyau intégrateur les marchés de ses neuf pays africains voisins, mais il faut que les Congolais se positionnent pour jouer ce rôle. Les Congolais s’imposent le devoir de se réapproprier le lieu où ils sont nés, le lieu d’où ils peuvent exiger le droit à être respecté.
19h38 : le conférencier remercie son auditoire.
Applaudissements chez les partisans.
IV. Duel Kamerhe-Bernard Derome
19h39 : Bernard Derome prend la parole et explique les modalités du débat, avant de poser des questions à l’orateur du jour :
La RDC, c’est presqu’un paradis, oui, mais il faut penser développement…
· Après une période d’instabilité majeure, la refondation de l’État devient prioritaire afin de réunir les outils de relance du développement.
Comment la RDC peut-elle se réinsérer dans la stratégie transatlantique, aux côtés des pays comme les États-Unis, le Canada et ceux de l’Union européenne, avec toute l’insécurité qu’il y a à l’Est ?
· Comme je viens de le dire, il faut commencer par refonder l’État, l’outiller pour créer les conditions de sécurité, ensuite lui donner un visage humain en développant son caractère régalien et la protection des droits de la personne ;
· Aussi, il faudra s’aviser que le monde s’est trompé en voulant résoudre les problèmes du Rwanda et ceux du Burundi à partir du sol congolais. Le conflit qui a commencé dans ces deux pays a simplement été exporté vers le Congo. Les deux agressions militaires consécutives au conflit entre Rwandais ont détruit l’économie. Le pays doit entreprendre sa renaissance.
– Après des élections au cours desquelles Joseph Kabila a été crédité d’une victoire de 58%, la situation s’est-elle améliorée au Congo ?
· Non, la situation s’est, au contraire empirée. La population vit dans la misère plus noire maintenant. La problématique d’accès aux services essentiels (santé et éducation) se pose. Actuellement on construit un hôpital de 100 000 000, 00$, mais le gouvernement ne pense pas à la dimension accès aux services de santé. Une fois la construction terminée, les citoyens devraient débourser des honoraires, supposons environ 15$ par tête, pour consulter un médecin, alors que le salaire mensuel moyen de ces gens est de 20 à 50$.
Geste d’étonnement sur le visage de Bernard Derome.
Salaire de misère dans un pays qui est presqu’un paradis…
· Un minimum de bonne volonté en matière de gestion, au niveau des dirigeants, pourrait contribuer à résoudre certains problèmes du peuple.
· Aussi, il faut que les partenaires de la RDC l’aident en s’engageant fermement aux efforts sincères de stabilisation de la région. L’Occident avait imposé le Dialogue intercongolais à notre peuple, pourquoi n’appuierait-il pas un processus de réconciliation véritable et d’une vraie démocratisation du Rwanda et du Burundi ?
Lors de la campagne électorale, le PPRD dont vous avez fait partie avait comme slogan : justice, paix, travail. Mais, à vous attendre parler, on dirait que c’est un échec ?
Rire dans les rangs de contestataires : une bande des corrompus, d’assassins, Rwandais, ils n’ont fait que piller. Ce sont des Rwandais, etc.
Bernard Derome relance la question
Vital Kamhere marque une pause.
· Dans la vie, il y a toujours des bonds en avant suivis de périodes de reculs. Nous avons élaboré un plan et avons des idées, mais nous ne devrions pas nous conduire comme si nous en avions le monopole. C’est ensemble que nous pouvons changer le Congo. Nous devons nous ouvrir aux autres, et aux autres, accepter cette ouverture.
Applaudissements dans la salle.
Il y a quelques années le pays était en train de combattre la dictature et vous voici, sans discontinuer, avec un problème de gouvernance…
· Oui, mais cela va aussi de pair avec l’émergence d’une maladie de leadership. Il y a une pléthore de leaders maintenant au Congo. Si on convoque une moindre réunion, la salle sera remplie de leaders de toutes sortes : les uns ethnoculturels, les autres communautaires, sociaux, etc. On vous parlera, par exemple, de la présidente de femmes des Blancs du Congo, du président des ressortissants de tel coin, etc. Dans un pays où il n’y a plus création d’emploi, chacun espère émerger en forgeant n’importe quelle forme de leadership. Ce comportement nouveau a créé un contexte difficile de gestion de la collectivité. En fait, au Congo actuellement, seul le poste de ministre permet encore à son détenteur de vivre. Même parmi les ministres, on commence à voir de grandes différences. Les ministres des finances, celui des mines ou de l’énergie, etc., sont encore capables de bien manger. Les autres doivent se rationner les repas. Les grandes entreprises comme la Gécamines, la SNCC, la MIBA, l’OKIMO, etc., ne sont plus que des vestiges. Cela a comme conséquence que le Congo devient un gâteau que les politiciens se partagent continuellement. C’est sur tout cela qu’il faille imprimer des changements.
· C’est à nous les politiciens qu’il appartient de changer cet état des choses en nous attaquant à de nouveaux défis, par exemple : en investissant les ressources publiques dans des programmes comme «l’eau propre pour tous», «l’électricité pour tous», «l’accès à l’éducation ou aux soins de santé pour tous», en vue de combattre la misère, redistribuer les revenus par la création des emplois et enfin, contribuer à la création d’un marché interne pour le monde des affaires.
· La classe politique doit sortir de sa torpeur pour s’engager dans la poursuite d’un idéal nouveau, de progrès. Laisser la production des idées aux seuls professeurs et autres penseurs, c’est courir tout droit vers un échec définitif. Partout où la pensée stratégique cesse d’appuyer l’action publique, les forces centrifuges prennent le relais. Nous avons vécu un exemple frappant, au Congo, à l’avènement de Laurent Désiré Kabila. Un général rwandais, James Kabarebe, a été nommé chef d’État-major de l’armée. D’autres Rwandais dirigeaient les services de sécurité. Ce positionnement les avaient permis d’envoyer les officiers militaires de l’ère Mobutu (les ex-Faz) soit disant pour un recyclage à la base de Kitona. Avec dessein, ces stratèges avaient quasiment affamé les ex-officiers congolais à Kitona. Lorsque le Rwanda a ordonné une deuxième agression du territoire congolais en 1998, il a en premier lieu détourné un avion à l’aéroport de Goma (situé à plus de 2000km à l’Est de Kitona) pour mobiliser ces officiers dont il avait orchestré le mécontent contre le régime Kabila. Ainsi, si nous manquons de stratégie, l’ennemi viendra monter les siennes chez-nous.
· Aujourd’hui encore, le brassage d’anciens rebelles permet à l’armée rwandaise de faire incorporer astucieusement des militaires au sein des FARDC en guise d’anticipation d’une autre attaque de notre pays. Il y a donc un spectre de scission orchestré par des penseurs stratégiques du Rwanda.
· Pour faire échec à ce genre de calcul, les Congolais doivent se resserrer et entamer un processus de réappropriation de notre pays.
Bernad Derome s’enquiert de la situation dans les Grands lacs.
· Je l’ai dit : il faut que la communauté internationale insiste pour résoudre le problème de la démocratisation au Rwanda. Au cours de mon mandat, je voulais faire de l’Assemblée nationale un sanctuaire de la démocratie.
Un pays de 70 millions d’habitants, mais vivant comment ? Quel niveau de vie ?
· Tout est parti des gouvernants qui ont régné au cours de premières décennies de l’après indépendance. Ils n’ont pas pensé à mettre en place un véritable régime d’accumulation des richesses. Les bouleversements successifs sont venus détruire chaque fois davantage.
Et maintenant ?
· Nous voulons rebâtir. Le parlement essaie de faire la différence : il interpelle les ministres, conduit des enquêtes et exige des mesures de lutte contre la corruption.
Applaudissements.
Que dire de la corruption en RDC ?
· Je ne vais pas me voiler la face. Les cadres saignent l’État à travers les décaissements en faveur des initiatives. Pour financer un projet, le ministre demande un pourcentage du montant requis, le banquier exige un pourcentage, le maître d’œuvre doit prélever sa part, le maître d’ouvrage ne va pas rester en laisse. Finalement, le montant qui reste ne représente grand-chose pour exécuter un projet. Il est simplement détourné et il n’ y a rien sur le terrain.
Avez-vous aussi touché votre pourcentage ?
Applaudissements par ci, rire par là…
· Non, je n’ai pas touché. J’étais président de l’Assemblée nationale. Je ne crois pas pouvoir être démenti en estimant que je suis le premier président de l’Assemblée nationale congolaise à avoir fait faire un audit sur sa gestion des finances de l’institution. Les archives officielles sont là et peuvent être consultées.
Le Canada investit beaucoup dans les mines en Afrique qu’elle est votre perception sur ça ?
· Il faut souvent examiner sa propre responsabilité dans pareilles situations. J’ai parlé de l’expérience du Brésil dans son projet d’achat des avions de chasse. Ce pays exige le transfert de technologies, comme condition sine qua none aux compagnies soumissionnaires. C’est à nous Congolais qu’il appartient de présenter notre agenda en exigeant des investisseurs des projets qui se traduisent par un rapprochement entre les centres d’extraction des minerais et ceux de traitement métallurgique. Même à l’égard de la Chine qui devient de plus en plus active en Afrique, la RD Congo devrait présenter le même type d’exigence, en lieu et place des projets dont la valeur de livraisons est disproportionnelle avec les lests que nous espérons. Jusque maintenant, nous attendons encore le début de réalisation de routes, voies ferrées et hôpitaux promis.
Et les relations entre le Congo et les pays de l’Atlantique Nord ?
· En RDC, il y a bien de choses que nous ne comprenons sur cette relation. Qu’il y ait une conférence internationale sur l’exploitation des ressources forestières, par exemple, nous voyons des dirigeants occidentaux avec un représentant de l’Afrique, dernièrement c’est l’Éthiopie, un pays désertique. La RDC qui compte 25% des ressources forestières, 40% des ressources africaines dans ce domaine, n’est jamais invitée.
Votre relation avec Joseph Kabila est-elle rétablie ?
· D’abord, j’ai démissionné du perchoir de l’Assemblée nationale pour une raison objective. Imaginez le chef de l’autorité palestinienne qui signe un accord avec l’État d’Israël pour que l’armée de ce pays parte imposer la paix en Cisjordanie, sans passer par le conseil, que diront le peuple et les élus palestiniens ?
Applaudissements nourris de la salle
· Je publie bientôt un ouvrage qui va comporter des pistes de réflexion sur l’avenir du pays. J’y invite l’intelligentsia congolaise à un débat sur le rêve d’un Congo fort.
Applaudissements de la salle.
Avez-vous démissionné du PPRD ?
· Je me suis donné un temps de méditation. Je ne peux pas rendre public les fruits de ma réflexions à l’étranger. Ici, je suis invité pour prononcer une conférence sur la Transatlantique. Le moment venu, je ferai une déclaration solennelle sur place en RDC. La diaspora ne sera pas là, certes, mais elle l’apprendra par internet. D’ailleurs, c’est ici même que j’ai vu les têtes fortes de l’internet dont je lis toujours les interventions.
Serez-vous candidats aux futures élections ?
· Je ne vois pas pourquoi je ferais une telle déclaration ici à l’extérieur. Je le ferais auprès de quel bureau et en vertu de quelle loi électorale ? Ce ne serait ni sage, ni stratégique.
Tu es vraiment un stratège.
Pourquoi avez-vous conclu une entente avec Joseph Kabila en 2006 ?
· Pour ne rien laisser au hasard.
Vous avez déclaré que le principal parti c’est le peuple, que vouliez-vous dire par là ?
· Je vais répondre par un exemple. Aux États-Unis, à la suite de l’attentat du 11 septembre 2001, le monde a été étonné de voir trois anciens présidents, côte à côte, autour de Georges W Bush, le président régnant. Lorsque l’intérêt supérieur de la nation est gravement menacé, des gens dont les opinions sont aux antipodes peuvent se mettre autour d’une table pour cogiter ensemble la meilleure solution pour le pays. C’est cela que je conseille à mes compatriotes.
Bernard Derome s’adressant à la salle :
Monsieur Kabila a accepté de répondre à quelques questions du public. Je m’excuse, Monsieur Kamhere plutôt, a accepté de répondre à quelques questions du public.
Rire prolongé dans les rangs des protestataires : C’est son homme, lancent quelques-uns.
V. Un court débat public, mais sarcastique
Un Congolais, dans la trentaine, nom inaudible : La RDC paye à chaque député un salaire de 6 000,00$ par mois, malgré le fait que sur les cinq cent que compte le parlement, il est rare de réunir 250 dans la salle. Quelle politique avez-vous prônée face à cette situation ?
· Lorsque je suis devenu président du parlement, j’ai décidé de changer les conditions de vie de députés. Je vous informe que je l’ai fait sans augmentation du budget alloué au parlement. Il est vrai que par rapport à la masse salariale des parlementaires, soit 3 millions de dollars par an, celle des militaires, par exemple, est maigre avec environ 3 00 000$. Néanmoins, j’ai toujours pensé que pour réaliser un changement, nous devrons niveler en améliorant la situation de moins nantis et non en diminuant les salaires de hauts cadres.
Une jeune femme congolaise, nom inaudible : Monsieur Kamhere, vous étiez au parlement fédéral, à Ottawa, avez-vous appris l’existence du «Projet de loi 300», qui vise à responsabiliser les compagnies minières canadiennes œuvrant au Congo, sur tout crime économique ou social qu’elle commettrait ?
· J’ai été briefé à propos de ce projet par les parlementaires. Je leur ai même parlé des mécanismes complémentaires à mener, notamment les réflexions actuelles sur la traçabilité des produits ainsi que la création des comptoirs d’achat de minerais auprès des paysans dans le Nord et Sud-Kivu, dans le but d’empêcher les pays voisins, non producteurs, de continuer à exporter les minerais congolais.
Applaudissements de la salle.
Un Congolais, dans la cinquantaine : Monsieur Kamerhe, le 27 octobre 1971, une ordonnance-loi du président Mobutu avait interdit le port des prénoms juifs à tout Zaïrois (Congolais aujourd’hui). Aussi, à l’époque, seuls les Burundais et les Rwandais bénéficiaient des bourses de la CÉPGL. Cependant, vous étiez inscrit à l’université sous le nom de Vital Kamhere Rwakakabize, bénéficiant d’une bourse de la CÉPGL. Comment pouvez-vous nous expliquer cela, parce que pour moi, c’est une preuve tangible que vous n’êtes pas un Congolais.
Tonnerre de cris dans la salle : Preuve tangible, Rwandais, assassin, violeur….
En 1971, j’avais encore 12 ans. J’étais encore loin de commencer mes études universitaires, comment pouvais-tu me voir étudiant à l’université ? Je profite de l’occasion pour mettre au défi toute personne qui reviendrait sur cette question de me produire une photocopie d’une bourse que j’aurais reçu de la CÉPGL.
· Vital Kamerhe marque une pause, manifestement emporté par la colère. Puis, il lâche : Monsieur, je vous informe que vous n’avez pas le monopole de la provocation !…
Puis, il marque une autre pause.
Journaliste expérimenté, le célèbre Bernard Derome comprend que le parlementaire congolais est incommodé. Il met fin à la séance. Les officiels et la sécurité de l’Université se dirigent avec l’honorable Kamerhe vers la porte dite de sécurité.
Vers la sortie, les étrangers partent rapidement. Les Congolais s’attardent. Question de s’échanger des commentaires sur l’événement. Une certaine tension est perceptible.
VI. Une tension assez perceptible à la sortie
À côté de moi, un jeune homme dans la trentaine crie fortement : «Même du temps de Mobutu, l’Ouest n’avait pas aliéné le Kivu. Les difficultés du Kivu sont dues à la trahison des Kivutiens eux-mêmes».
Pourquoi dites-vous cela ?
· Parce que les gens du Kivu sont fâchés. Ils disent que nous avons humilié leur frère.
Dieudonné Mbungu ( dans la cinquantaine) : moi, je suis Katangais. Je viens de suivre une très bonne conférence du député Kamhere. C’est un homme compétent. Le problème aujourd’hui c’est que pour nos compatriotes, nous les swahiliphones (moi je suis Katangais) sommes tous des Rwandais ! Nous ne comprenons plus où nous allons.
Un jeune homme qui requiert l’anonymat, se définissant simplement comme étudiant, demande ce qu’Hinterland pense de la conférence du jour.
· Non, Hinterland est ici pour recueillir vos opinions. Il ne compte pas donner la sienne ici.
Voici, ce que je pense, dit-il :
· Ces gens sont des oiseaux qui picotent à toutes les mangeoires. Monsieur Kamerhe a travaillé avec Kengo wa Dondo, il a travaillé avec Bizima Karaha, ensuite avec Joseph Kabila. Que peut-il nous dire encore aujourd’hui qu’il n’avait pas introduit là où il travaillait avec ces gens ?
Roger Nzogu (dans la quarantaine ): Nous autres Kivutiens avons beaucoup soufferts des atrocités commises par les Rwandais durant et après les deux guerres. Qui peut nous apprendre combien ces gens sont mauvais ? Mais, le problème aujourd’hui, c’est de voir en tout Kivutien un Rwandais. Nous, nous disons que Kamerhe est notre frère, mais nos compatriotes qui viennent de loin veulent nous faire avaler le contraire. Nous ne comprenons plus ce qui se passe.
Un jeune homme dans la trentaine ( étudiant ), qui tient à garder l’anonymat : Je n’ai rien appris de nouveau. Le cadre était serein, il y a pas eu de débordement malgré un peu de contradiction entre-nous. C’est l’essentiel. Je n’ai pas vraiment d’opinion sur les motivations de l’honorable Vital Kamerhe. Quant aux clivages Est-Ouest, nous devons nous élever au dessus de ces choses-là. Elles ne sont pas dignes de nous.
Jean Kasende Anganda ( dans la quarantaine ): C’est triste de notre part nous Congolais. Bernard Derome est le plus prestigieux journaliste de la place. C’est la première fois qu’il accorde cette tribune médiatisée à une voix congolaise. L’homme était en mesure de faire passer un message que nous voulons sur la cause congolaise. C’était dans l’intérêt de tous. Mais, nous avons privilégié l’expression de nos émotions. Je trouve que cela est vraiment triste.
Jean-Bâptiste Ngankwey ( dans la quarantaine ), Vice-Président de la Communauté congolaise de Montréal (COCOM): Je sors de la conférence avec un sentiment que le député a bien préparé sa conférence. Il a aussi bien répondu aux questions, qui lui étaient d’ailleurs envoyées bien avant la rencontre. Les Québécois, certainement apprendront quelque chose. J’ai vu Bernard Derome tiquer à certains moments, ce qui montre qu’il apprenait certaines choses dont il n’avait pas encore entendu parler. Mais, pour nous, il n’y a pas eu grand-chose comme apport. Les frictions Est-Ouest n’ont pas de raison d’être. Nous sommes avant tout Congolais. Nos appartenances aux provinces viennent par après.
Propos recueillis pour l’histoire par Dr Lambert Opula, Responsable d’Hinterland.
A Montréal, Vital Kamerhe mis au pied du mur ? ( Jean-Pierre Mbelu)
Plusieurs attitudes sont affichées à l’endroit de Vital Kamerhe depuis qu’il a décidé de rompre le silence et de parler du Congo à partir d’un pays qui sert de « paradis juridique » aux multi et transnationales impliquées dans la tragédie congolaise. Certains de nos compatriotes estiment qu’il ne faut accorder aucune attention aux discours mensongers de celui qui, un jour, a écrit un livre pour justifier le dévolu qu’il avait jeté sur «l’autorité morale de l’AMP ».
D’autres estiment que Kamerhe est tellement intelligent qu’il faut rester à son écoute pour construire le Congo de demain. D’autres encore croient que Vital est mort comme politicien et qu’il devrait aller au garage, quitte à revenir sur la scène politique congolaise un peu plus tard. Il aura ainsi pris le temps de payer le gâchis dans lequel il a conduit le pays en présentant « Joseph Kabila » comme la meilleure carte que le Congo pouvait jouer en 2005-2006 pour sortir du bourbier où l’avait conduit « le conglomérat d’aventuriers » au service du Rwanda par Laurent-Désiré Kabila interposé. Nous, nous voulons lire et analyser les dires de Vital et poser les questions qu’ils soulèvent.
En nous penchant sur les sorties médiatiques de Vital Kamerhe, il y a quand même des questions qui peuvent être versées au débat publique chez nous. En voulant rester cohérent avec lui-même au sujet de la position qu’il a prise au mois de janvier 2009 quand l’armée Rwandais a rejoint ce qu’il restait de nos FARDC, Kamerhe dit ceci : « J’ai démissionné du perchoir de l’Assemblée nationale pour une raison objective. Imaginez le chef de l’autorité palestinienne qui signe un accord avec l’État d’Israël pour que l’armée de ce pays parte imposer la paix en Cisjordanie, sans passer par le conseil, que diront le peuple et les élus palestiniens ? » Mais à la question de savoir comment se portent ses relations avec « le chef de l’autorité palestinienne », il divague ; il ne dit rien. Kamerhe accuse « son protégé » d’avoir noué des alliances contre nature avec le Rwanda, mais il n’en tire pas toutes les conséquences.
Relire calmement la prestation de Kamerhe à Montréal prouve que ce Monsieur que plusieurs compatriotes croient être intelligent n’est ni aussi sage, ni aussi diplomate que d’aucuns voudraient nous faire croire. Néanmoins, il ne tire pas toutes les conséquences de sa « confession » sous les feux nourris d’un journaliste canadien de « haute facture » et des compatriotes décidés à en découdre avec « les nègres de service » du Rwanda et de la communauté internationale chez nous. Revenant sur les aventures du Rwanda chez nous, Kamerhe dit : « Aujourd’hui encore, le brassage d’anciens rebelles permet à l’armée rwandaise de faire incorporer astucieusement des militaires au sein des FARDC en guise d’anticipation d’une autre attaque de notre pays. Il y a donc un spectre de scission orchestré par des penseurs stratégiques du Rwanda. » Mais qui a permis ce brassage ? Qui est le responsable numéro un de l’armée au Congo? C’est l’homme que Kamerhe a présenté aux Congolais comme « artisan de la paix » et son gouvernement parallèle. Et quand Kamerhe ajoute : « Pour faire échec à ce genre de calcul, les Congolais doivent se resserrer et entamer un processus de réappropriation de notre pays », il rate une occasion de se taire. Il passe à côté des questions essentielles : « Comment s’appelle la facilitation de l’incorporation astucieuse des Rwandais dans l’armée congolaise pour une future scission du pays ? Pourquoi, lui et les députés payés gracieusement n’ont-ils jamais mis ce problème au compte du débat public ? Cette incorporation ne relève-t-elle pas de la haute trahison pour laquelle les traitres devraient être traduits devant le tribunal populaire Congolais ? Kamerhe saura-t-il demain aider les jeunes avocats Congolais décidés à en découdre avec les fossoyeurs de leur pays en les déférant, à travers le monde, devant les tribunaux à compétence universel en citant les noms des traitres et des militaires incorporés pour le besoin de la scission de notre pays dans notre armée ? Comment le Congo peut-il aller tranquillement aux élections hypothétiques de 2011 avec une armée infiltrée ? Quand Kamerhe dit que face à ce danger les Congolais doivent se resserrer, de quels Congolais parlent-ils ? Si le dessein de ceux qui ont facilité l’infiltration des militaires Rwandais dans notre armée est la scission de notre pays, faut-il encore compter sur eux comme des partenaires sûrs pour le rétablissement de l’Etat Congolais dans ses fonctions régaliennes demain ? »
A notre avis, écouter Kamerhe revient à rester fonder sur cette sagesse de notre village qui dit : « Bubi mbwa matshi, buimpe bua matshi ». La dernière sortie médiatique de Kamerhe à Montréal, malgré le dessein qu’elle pourrait cacher, revient sur des secrets de polichinelle. Débités par certains ascètes du provisoire Congolais, ce secrets de polichinelle auraient « noirci davantage leur dossier » du groupe « d’aigri » et de pessimistes. Mais quand c’est un Kamerhe qui avoue clairement que les gouvernants du Congo ont pactisé avec l’ennemi et se servent dans la caisse de l’Etat sans qu’ils se sentent concernés par politique de « la tolérance zéro », les détracteurs des empêcheurs de penser en rond chez nous se mordent les doigts ; il est possible qu’ils se disent : « ces compatriotes étaient en avance par rapport à notre perception dévoyée de la marche de notre pays. » Demain, nous ne serons pas étonnés que les médias coupagistes Congolais mettent tout cela sur le compte d’une sale campagne électorale.
En écoutant Kamerhe, il est possible de dire : « Mis dos au mûr par des compatriotes de la diaspora décomplexés, face à son actuelle mort politique, Vital a dit sa part de vérité sans en tirer toutes les conséquences pour ne pas cracher sur le système auquel il participe. »
Fallait-il qu’il aille jusqu’au bout ? Non. « Les petits restes » Congolais vont s’occuper du reste. Ils ont compris par exemple que le CNDP fasse partie ou pas du gouvernement actuel, il est déjà là dans l’armée pour servir sa cause naturelle : balkaniser le Congo au profit du Rwanda. Donc, la composition du gouvernement actuel ne trompe que la vigilance de ceux qui ont perdu de vue que « les kléptocrates » au pouvoir à Kinshasa travaillent sur deux plans : le plan officiel destiné à berner les quelques naïfs d’entre nous et à se donner bonne conscience au niveau international ; et le plan officieux où les décisions sérieuses sont prises par des instances parallèles. Leur principe est : « Bayeba te ! »
Avons-nous attendu que Vital Kamerhe parle pour décrier ces secrets de polichinelles ? Non. Mais en disant sa part de vérité, Kamerhe fait le jeu des majorités des Congolais qui, depuis plus de trois décennies, se battent mains nues pour arracher leur pays des griffes des prédateurs du monde entier et de leurs valets et dont les voies sont à peine audible dans « les instances officielles ». Notre prière est que ces majorités efficaces réduites au silence ne baissent pas la garde. (A suivre)
J.-.P. Mbelu
Beni-Lubero Online





