





LE PROCESSUS DE PAIX DANS LA SOUS REGION DES GRANDS LACS
Discours de l’Honorable Vital Kamerhe au Canada / février 2010
Mesdames et Messieurs
C’est avec humilité et un sens aigu de responsabilité que je prends la parole devant vous pour répondre à l’invitation qui m’a été lancée pour parler du processus de paix dans la Région des Grands Lacs.
Avant d’aborder ce sujet, je voudrais du fond de mon cœur et avec toute l’émotion qui m’étreint en ce moment, remercier les autorités de l’université et toute la communauté congolaise du Canada pour l’honneur qui m’est fait de prendre la parole du haut de cette chaire pour vous entretenir d’un sujet qui tient à l’avenir de la RDC et de l’ensemble de la région des grands lacs.
Mes remerciements s’adressent enfin à toute l’assistance qui, malgré les occupations des uns et des autres et par ce temps d’hiver canadien très rigoureux, a daigné venir m’écouter.
La Région des Grands Lacs est un territoire immense situé au cœur de l’Afrique, avec des populations jeunes dont plus de cinquante pour cent ont moins de vingt ans. Elle est constituée de plusieurs pays, mais quatre d’entre eux sont plus concernés par les questions de conflits récurrents ; il s’agit du Rwanda, du Burundi, de l’Ouganda et de la République Démocratique du Congo (RDC), notre pays.
Depuis les temps qui remontent à l’exploration de la Région des Grands Lacs en passant par la colonisation, une politique de diviser pour mieux régner a fini par créer une véritable haine entre deux groupes ethniques essentiellement au Rwanda et au Burundi. Cette situation d’antagonisme est à la base de plusieurs massacres et guerres civiles dans le temps, avec comme conséquences notamment les vagues successives des réfugies Rwandais et burundais sur le territoire de la République Démocratique du Congo.
Si pendant longtemps, ces conflits se déroulaient au Rwanda et au Burundi, depuis un peu plus de quinze ans, ces deux pays, suite à certaines erreurs de la communauté internationale, ont réussi à transposer leurs conflits internes sur le territoire de la RD Congo dont l’Est est aujourd’hui le théâtre d’une véritable tragédie humaine. Les bilans établis par les ONGs internationales et les Nations Unies, font état de plus de cinq millions des morts, plusieurs centaines des milliers des femmes violées, plusieurs villages brulés, plus de deux millions de déplacés internes, des congolais « refugiés » dans leurs propres pays.
Mesdames et Messieurs,
Il serait fastidieux pour nous de vous entretenir dans les détails sur toutes les rencontres et tentatives de paix en RDC. Mais il ne serait pas superflu de rappeler que c’est à la suite de la décision de Mzee Laurent Désiré Kabila, Président de la RDC de l’époque, visiblement excédé par le comportement de ses alliés, du 27 Juillet 1998 mettant fin à la coopération militaire entre la RDC, le Rwanda et l’Ouganda que cinq jours après, soit le 2 août 1998, s’est déclenchée ce qu’il convient aujourd’hui de qualifier de guerre d’agression.
Le point de départ du long processus de paix en RDC a été donné par le sommet de Victoria Falls II au Zimbabwe, le 8 Août 1998. A l’issue de ce sommet, le Président Zambien de l’époque, Frederick Chiluba, avait été désigné médiateur dans la crise en RDC avec comme mission d’obtenir la signature d’un accord de cessez-le-feu entre belligérants.
Après des laborieuses et âpres discussions, l’accord de Lusaka fut signé le 10 Juillet 1999 par les Etats impliqués dans la guerre en RDC et respectivement, le 30 Juillet et le 30 Août 1999 par le Mouvement de Libération du Congo (MLC) et le Rassemblement Congolais pour la Démocratie (RCD), deux mouvements de rébellion alliés à l’Ouganda et au Rwanda.
Malgré la signature de cet accord, les offensives militaires se sont poursuivies sur terrain et la guerre a continué à faire des ravages sur le plan humain, humanitaire et social.
Pour permettre l’application de l’accord de Lusaka, le plan de désengagement des forces fut signé à Kampala le 8 avril 2000. Ce plan prévoyait le redéploiement en arrière de 15 Kilomètres dans les zones de combat où les forces étaient en contact de manière à créer un couloir de 3O Km pour le déploiement des observateurs des Nations Unies l’objectif étant de positionner ces forces dans des positions d’empêcher la reprise des hostilités.
Alors que tous les espoirs étaient permis avec la signature de cet acte d’engagement, un mois après, soit le 16 mai 2000, les armées régulières du Rwanda et de l’Ouganda, sous le commandement de leurs Chefs d’Etat Major respectifs James Kabarebe et James Kazini, vont s’affronter à l’arme lourde dans la ville martyre de Kisangani faisant des dégâts humains et matériels incommensurables. On a assisté à une guerre en règle entre deux Etats sur le territoire d’un Etat tiers, sans que ce dernier n’en connaisse la raison.
Le masque était tombé. Et la communauté internationale n’avait pas le choix que de citer pour la première fois le Rwanda et l’Ouganda comme pays agresseurs de la RDC alors que pendant longtemps la thèse faussement soutenue était celle d’un conflit interne à la RDC.
La résolution 1304 du Conseil de Sécurité des Nations Unies qui demanda le retrait sans condition des armées du Rwanda et de l’Ouganda et la démilitarisation de la ville de Kisangani, ne changea rien sur le terrain. Les armées du Rwanda et de l’Ouganda ont poursuivi leur œuvre macabre sur le territoire de la RDC sans qu’aucune grande puissance s’indigne et sans la moindre sanction de la part du Conseil de Sécurité en dehors du communiqué laconique faisant état de sérieuses préoccupations.
Dans les soucis de rendre le processus de paix de Lusaka irréversible, le Président Thabo Mbeki de l’Afrique du Sud initia en date du 27 Novembre 2000, le processus de Maputo réunissant autour de lui uniquement les Etats impliqués dans la guerre, à l’exception des mouvements de rébellion.
C’est la signature, en date du 3 Novembre 2000, des sous plans de désengagement de Harare entre les délégations de la RDC et du Rwanda qui va faciliter l’adoption par le Conseil de Sécurité, en date du 14 décembre 2000, de la résolution 1342 prévoyant le déploiement des observateurs de la MONUC dans les zones désengagées (Lisala, Boende, Kabinda et Kabalo). C’est le point de départ de l’accalmie sur le plan militaire.
Malheureusement, un mois après, soit le 16 Janvier 2001, Mzee Laurent Désiré Kabila, Président de la RDC, fut lâchement assassiné dans son bureau de travail. Ce fut un grand tournant des événements.
Le 6 septembre 2001, sous l’égide du Prédisent Thabo Mbeki de l’Afrique du Sud, l’accord de Pretoria prévoyant le retrait des troupes rwandaises et le désarmement des ex FAR fut signé entre le Rwanda et la RDC.
Le 30 septembre 2001, sous l’égide du Président Edouardo Dos Santos de l’Angola, l’accord de Luanda prévoyant le retrait des troupes Ougandaises et la mise sur pied de la Commission de pacification de l’Ituri fut signé entre la RDC et l’Ouganda. Malgré les recommandations des travaux de la Commission de Pacification de l’Ituri et l’Acte d’Engagement sanctionné par la signature de toutes les forces vives, l’Ituri a continué à compter ses morts. Il a fallu, à l’initiative de la France, le déploiement de l’Opération Artémis pour ramener la paix dans cette partie de la RDC.
Le 17 décembre 2002, les composantes et entités congolaises au dialogue intercongolais acceptent finalement, sous la conduite de M. Moustapha Niasse, Envoyé Spécial du Secrétaire Général de l’ONU, de signer l’accord global et inclusif qui prévoyait, une transition politique de 3 ans maximum, avec à la clé la pacification, la réunification du pays et l’organisation des élections libres, démocratiques et transparentes.
Le 30 Juin 2003, le gouvernement de transition 1+4 fut mis en place. Et encore une fois, le peuple congolais avait cru que la page sombre de la guerre allait enfin être tournée définitivement. Mais ce fut sans compter avec la stratégie du Rwanda de garder toujours une carte de pression sur Kinshasa. Et cette fois-ci, alors qu’on croyait le Rwanda totalement désarmé, le gouvernement ayant concédé à toutes ces exigences, la recette fut vite trouvée : le commandant de la région militaire du nord Kivu, qui venait d’être nommé conformément à l’Accord de Sun City, le général Nkunda, refusa d’obtempérer à l’instruction du haut commandement militaire l’invitant à venir prêter serment avec ses collègues à Kinshasa afin de marquer ainsi l’unité retrouvée au sein de la hiérarchie militaire.
Alors que le RCD, avec plusieurs postes importants, participait au Gouvernement de Transition, la ville de Bukavu fut coupée à deux reprises à la suite de l’offensive du commandant second, le Colonel Mutebusi du RCD, contre son chef hiérarchique, le général Nabiolwa. Fait étonnant, le général Nkunda, du RCD aussi, s’est payé le luxe de venir à la rescousse du colonel Mutebusi dans sa tentative de contrôler la ville de Bukavu.
Le 30 Juin 2006, les élections générales furent organisées et le peuple, encore une fois de plus, a cru que cette fois-ci était la bonne pour désormais humer l’air de la paix. Rien n’y fut car, le général Nkunda va se retirer dans les hauteurs de Masisi où il décida de créer son mouvement politico militaire dénommé CNDP qui perpétra les premières offensives militaires sur la ville de Goma, un jour seulement après la proclamation des résultats des élections.
Ce fut la désolation et la désillusion générales.
Dans le but de consolider la paix, plusieurs tentatives furent initiées par la suite. Il s’agit, nous vous en épargnons les détails, de :
– Déclaration de Dar Es Salam sur la paix, la sécurité, la démocratie et le développement dans la région des grands lacs du 20 Novembre 2004 ;
– Pacte sur la sécurité, la stabilité et le développement dans la région des Grands Lacs du 15 Novembre 2006 à l’issue de la Conférence internationale sur la paix, la sécurité, la démocratie et le développement dans les grands Lacs;
– Communiqué Conjoint de Nairobi du Gouvernement de la RDC et du Gouvernement du Rwanda sur une approche commune pour mettre fin à la menace pour la paix et la stabilité des deux pays et de la région des grands lacs du 9 Novembre 2007 ;
– L’Acte d’Engagement de Goma et les résolutions de la conférence sur la paix, la sécurité et le développement dans les provinces du Nord et du Sud Kivu et du Programme Amani du 25 Janvier 2008 ;
– Les opérations conjointes RDC-Ouganda contre les rebelles de la Lord Resistance Army (LRA) en province orientale ;
– L’Accord de Goma du 23 Aout 2008 entre la RDC et le Rwanda (opérations conjointes) ;
– Les opérations Kimya 2 dans le sud Kivu.
Mesdames et Messieurs,
Je suis convaincu que les spécialistes en résolution des conflits et en relations internationales se perdent devant la panoplie des instruments juridiques signés par les différents pays et tous les acteurs impliqués dans la guerre à l’Est du Congo, tentatives qui jusqu’ici, et malgré leur abondance, n’ont pas conduit à la pacification totale de cette partie de notre pays. Parce que les assassinats ciblés des défenseurs de droits de l’homme, des journalistes,
des religieux, des leaders locaux, les violences et le viol contre les femmes continuent. On se trouve là devant une nouvelle forme de cette guerre qui recourt jusqu’ à utiliser le SIDA comme arme de guerre.
A ce tableau macabre s’ajoutent un vaste pillage et un commerce illicite des ressources naturelles. Comme qui dirait que la RDC souffre de la malédiction à cause de ses ressources naturelles. Cette situation est inquiétante et commence à accréditer la thèse de l’existence d’un plan de somalisation de l’Est du pays, créant ainsi une zone de non droit, véritable far West, propice à la prédation et au pillage de tous ordres.
Le théâtre des opérations étant désormais l’Est de la RDC, le thème qui nous a été présenté à savoir le processus de paix dans la sous Région des Grands Lacs, nous ramène à examiner avec vous les dernières tentatives de paix entreprises.
LA PROBLEMATIQUE DE LA PAIX A L’EST DE LA RDC ET DANS LA REGION DES GRANDS LACS.
I) RAPPEL DES FAITS
1). A la suite du génocide de triste mémoire de 1994, près de 2millions des réfugiés rwandais à majorité des hutus vont se déverser dans les provinces du nord et du sud Kivu, à l’est de la RDC;
2) Ces réfugiés parmi lesquels les ex Forces Armées Rwandaises (FAR), l’armée de l’ancien président Habyarimana, étaient venus sous l’encadrement des militaires français à travers l’opération turquoise entérinée par le Conseil de Sécurité des Nations Unies;
3) Sous la barbe de la communauté internationale, ces militaires parmi lesquels les responsables du génocide au Rwanda ont traversé avec armes, minutions et argent. Alors que l’ONU avait toute la possibilité de les désarmer avant leur entrée sur le territoire congolais et de les séparer des autres civiles n’ayant pas pris part au génocide. Bien plus encore les Nations Unies sous l’autorité desquelles étaient placés ces hommes en armes, les ont regardés s’adonner aux entraînements militaires dans les camps des réfugiés et d’où ils partaient pour faire des incursions au Rwanda, leur pays d’origine. Première défaillance de la communauté internationale;
4) Pour éloigner cette menace que représentaient ces ex FAR vis à vis de Kigali, il fut décidé, à l’issue d’une tripartite Zaïre-Rwanda et HCR, de leur déplacement à au moins 150 km des frontières à l’intérieure du Congo. Alors que les sites d’accueil avaient déjà été indiqués, l’ONU prétextant le manque des moyens pour maintenir ces réfugies, civils et militaires confondus, sur place à un jet de pierre de leur pays d’origine. Deuxième erreur de la communauté internationale;
5) Aujourd’hui cela n’est un secret pour personne, l’élément déclencheur du génocide c’est l’attentat suivi de l’assassinat du président Habyarimana. A ce jour, plusieurs rapports contradictoires existent sur les responsabilité s éventuelles dans ces faits graves. De leur coté les Nations unies n’ont jusque là diligenté aucune enquête sérieuse pour élucider cette question. Troisième erreur de la communauté internationale;
6) Avec certainement la conscience chargée de n’avoir pas empêché cette tragédie, la communauté internationale s’est montrée très laxiste vis-à-vis du pouvoir de Kigali auquel elle n’ose pas imposer les mêmes exigences d’ouverture démocratique tel que cela a été fait au Congo et au Burundi où des dialogues internes ont été sollicités et obtenus. Quatrième erreur de la communauté internationale;
7) Pour sécuriser son territoire et prévenir un autre génocide, la communauté internationale avait donné à Kigali de façon latente le feu vert de venir régler militairement sur le territoire congolais le problème des ex FAR avec des dégâts collatéraux énormes sur les pauvres populations civiles congolaises parmi lesquels on déplore des millions des morts.
– En 1997, sous le label de l’Alliance des Forces Démocratiques pour la Libération du Congo (AFDL) et avec la nomination de James Kabarebe( l’actuel chef d’Etat major général de l’armée du Rwanda) une année durant à la tète de l’ armée congolaise, le Rwanda n’a pas su venir à bout au phénomène FDLR qui s’est plutôt amplifié;
– En 1998, après la guerre d’agression suivie de cinq ans d’occupation avec l’aide de la rébellion congolaise du Rassemblement Congolais pour la Démocratie (RCD), le Rwanda n’a pas non plus résolu le problème des ex FAR bien au contraire;
– Alors que les institutions issues du Dialogue inter congolais étaient déjà installées en 2003, l’appui apporté au Général Nkunda, six ans durant, qui s’était insurgé contre le commandement des Forces Armées Congolaises (FARDC) pour créer la rébellion du CNDP ,le Rwanda n’a pas non plus résolu le problème des ex FAR au contraire, les viols, les violences et autres exactions contre les populations civiles ont pris de l’ampleur; sans parler de l’accentuation des pillages et du commerce illicite des ressources naturelles. Cinquième erreur de la communauté internationale.
8) Tous les pays voisins du Congo à l’Est sont devenus des exportateurs des minerais dont ils ne disposent pas des gisements significatifs sur leurs territoires. Et même les multinationales, et pas des moindres, sont citées dans tous les rapports des experts comme étant les relais intéressés par ce commerce du sang. Une économie du chaos s’est donc installée sous l’impuissance de Nations Unies qui ont bien identifié les acteurs étatiques et privés concernés, et aussi sous l’œil complaisant de certaines puissances occidentales qui ont pourtant les moyens d’appliquer des sanctions pour mettre fin à ce cycle de violence lié à ce commerce qui entretient la guerre et les groupes armés. Sixième erreur de la communauté internationale.
9) Pour les experts de la communauté internationale, avec l’administration Bush en tête, il fallait des opérations conjointes RDC- Rwanda dans le nord Kivu et pour plier Kinshasa, qui était réticent au départ quant au succès d’une telle aventure, il fallait pousser Nkunda jusqu’à la porte de Goma. Le bilan après ces opérations est plus que mitigé. Que des populations déplacées, que des victimes innocentes des viols, des violences sexuelles, des tueries, et des pillages… Septième erreur de la communauté internationale;
10) Alors que l’on n’a pas tiré les conséquences des opérations conjointes au nord Kivu, le gouvernement congolais avec l’appui de la MONUC a initié une opération analogue dénommée Kimia 2. Aujourd’hui, il est établi que c’est un mauvais jugement de plus au regard du bilan partiel jusque là très macabre (accentuation des viols, des violences sexuelles, des déplacements massifs des populations et des massacres à grande échelles). Huitième erreur de la communauté internationale.
Il n’est pas inutile de rappeler qu’au moment où la RDC et le Rwanda concluaient l’accord de Goma, ce dernier était déjà l’objet des sanctions de la part de la Suède et du Pays Bas à cause de son implication avérée dans le conflit à l’Est de la RDC.
11) Alors qu’à l’issue de l’accord de Goma soutenu par la communauté internationale, il avait été prévu l’intégration du CNDP au sein des Forces armées de la RDC, aujourd’hui, il est établi que les effectifs de CNDP communiqués au début de la conférence de Goma ont miraculeusement été multiplié par deux, ce qui fait dire à certaines ONGs internationales que ce sont les FARDC qui ont été intégrées dans les CNDP dans les provinces du Nord et du Sud Kivu. La MONUC qui avait déjà établi un plan à cet effet a préféré fermer les yeux. Neuvième erreur de la communauté internationale.
12) Alors que le bilan de l’intervention de la MONUC dans les opérations précédentes n’a pas encore été totalement établi, on annonce encore une autre opération sans donner la preuve d’avoir tiré les leçons des erreurs du passé. Dixième erreur de la Communauté internationale
Au regard de ce qui précède, et après quinze ans d’instabilité, on peut affirmer, sans peur d’être contredit, que toutes les options militaires envisagées ont échoué. Il y a risque, si on n’y prend garde, d’assister à la somalisation de l’Est du Congo ou encore les ex FAR Interahamwe aujourd’hui FDLR risquent de se transformer en une véritable guérilla du genre FARC en Colombie ou encore enfin en un véritable mouvement terroriste comme l’ETA en Espagne, les Talibans en Afghanistan ou tout simplement comme Al Quaida.
Il y’ a lieu aussi d’épingler les erreurs du Rwanda et de l’Ouganda qui, malgré les limites avérées de leurs stratégies, continuent à croire qu’ils peuvent résoudre militairement les questions de sécurité au sein de leurs pays respectifs sur le territoire de la RDC.
On note plutôt l’existence des agendas cachés en procédant par la manipulation des quelques congolais qui, par opportunisme politique, s’allient à leur cause de maintenir la RDC dans un état d’instabilité permanente.
Cette stratégie risque de ne pas être payante à long terme lorsqu’on se souvient du cas du FPR qui, quarante ans après l’exil forcé en Ouganda, avaient fini pare s’organiser pour déstabiliser le régime d’Habyarimana et reconquérir le pouvoir d’Etat au Rwanda.
Mesdames et Messieurs,
Nous ne voulons pas donner ici l’impression que tous nos malheurs viennent de la communauté internationale et de nos voisins, comme le disait l’homme de Jean Paul Sartre : l’enfer c’est les autres et qu’au niveau de nos gouvernements successifs, nous n’ayons commis aucune erreur.
En effet, à son époque, le Président Mobutu avait cru en la communauté internationale en acceptant d’accueillir les ex-FAR sans conditions. Il était même entré en contradiction avec son propre gouvernement qui avait une position contraire devant cette question de l’afflux des refugiés rwandais au Zaïre.
De même, Mzee Laurent Désiré Kabila, décidé d’en finir avec le régime de Mobutu, avait minimisé les vraies intentions de ses alliés rwandais et ougandais qui, au delà du soutien lui apporté, visaient en réalité le contrôle du Zaïre et des ses immenses richesses. Cette erreur fut fatale à Mzee Laurent Kabila qui, voulant la corriger quelques mois après, subit une agression de ses anciens alliés. Dans ces entrefaites, il sera lâchement assassiné. Quelle perte pour la nation congolaise.
Le Gouvernement congolais en place actuellement a péché, sous la pression de la communauté internationale, par un excès de confiance vis-à-vis du régime de Kigali en acceptant d’organiser des opérations conjointes de traque des FDLR sur le territoire national, alors que de toute évidence, le Rwanda cherche plutôt à disperser les FDLR sur le territoire de la RDC. Le rapport de la mission des Nations Unies rendu public au quatrième trimestre de l’année 2009 ainsi que ceux des ONGs internationales et nationales sont éloquents à ce sujet.
L’analyse serait incomplète si l’on ne soulignait pas les erreurs de certaines organisations politiques nationales comme le Rassemblement Congolais pour la Démocratie (RCD) et le Mouvement pour la Libération du Congo (MLC) qui ont accepté l’alliance respectivement avec le Rwanda et l’Ouganda, deux puissances étrangères qui ont fini par se battre sur le territoire congolais.
Enfin, la classe politique congolaise de manière générale, friande des occasions de partage équitable et équilibré du pouvoir, a au gré de ses intérêts, soutenu tel ou tel mouvement rebelle, espérant finir autour d’une table des négociations pour le partage du gâteau.
C’est finalement le sens élevé du nationalisme du peuple congolais, entendu ici comme son attachement à sa nation dans ses frontières héritées de la colonisation, qui a permis à notre pays de résister et de faire échec à toutes ces erreurs dont l’effet pouvait être la partition de fait de la RDC.
En effet, depuis l’arrivée des réfugiés hutu rwandais jusqu’à l’opération Kimya II, le peuple congolais a payé un lourd tribut qui malgré tout ne le départit pas de son idéal de vivre ensemble dans une nation que Dieu a bénie et qui n’attend que le travail dans un cadre de paix et de sécurité pour tous afin de participer dignement au concert des nations.
Mais alors on peut se poser la question de la voie à suivre pour la paix pour tous et durable dans la région des grands lacs.
QUE FAIRE?
Nous devons nous rendre à l’évidence que toutes les solutions militaires, y compris même les opérations conjointes avec l’Ouganda et le Rwanda sur le territoire congolais, n’ont pas apporté la solution escomptée, à savoir l’anéantissement des rebellions et des groupes armés du Rwanda et de l’Ouganda sur le territoire congolais. A notre humble avis, toutes ces solutions se sont plus attaquées aux effets qu’aux causes profondes de l’insécurité dans la sous région des grands lacs.
Nous devons tous œuvrer pour une solution globale, durable, juste et équitable pour tous les pays de la sous région des grands lacs. L’objectif devra être : « la paix pour tous » ; en RDC, au Rwanda, en Ouganda et au Burundi. Et pour cela, l’approche qui combine des solutions politiques, diplomatique, économique et militaire nous semble la mieux appropriée.
1- Aspect politique:
– A l’instar d’autres pays de la région, le Rwanda doit ouvrir son espace politique pour une véritable réconciliation nationale avec les hutus non génocidaires ;
2- Aspect économique:
– il faut que la communauté internationale puisse mettre en place un mécanisme de traçabilité d’exploitation des minerais à l’Est du Congo. Cette stratégie avait très bien marché en Angola, au Liberia et en Sierra Leone, il n’y a pas de raison que ca ne puisse pas marcher au Congo. Il faut en effet couper la bourse à tous ces criminels. Car l’exploitation illicite des minerais à l’Est du Congo constitue à la fois la cause de la guerre et le financement de celle-ci. Le récent rapport des experts des Nations Unies dépêché dernièrement sur le terrain est très édifiant à ce sujet.
En effet, ce commerce illicite se fait à travers un réseau maffieux bénéficiant des complicités internes au Rwanda et au Congo, parmi les hommes d’affaires et malheureusement de quelques hommes de troupes. Ces réseaux maffieux, d’après le même rapport, est relayé par quelques multinationales occidentales.
Le contrôle des mines et l’extraction des minerais sont essentiellement assurés par les FDLR, un véritable business du sang.
Comment dans ce cas demander aux militaires Rwandais et congolais, parmi lesquels des complices de hauts rangs des ex FAR de combattre les mêmes ex FAR ? C’est un non-sens. Evidemment toutes les parties s’adonnent à un véritable cirque où la véritable victime reste la population civile innocente;
– Le Rwanda, le Burundi et l’Ouganda sont même devenus aujourd’hui grands exportateurs des minerais du Congo dans l’indifférence totale de la communauté internationale qui sait pertinemment bien qu’ils ne disposent pas des gisements significatifs de ces minerais.
– L’installation dans les deux Kivu, des usines et industries pour les premières transformations de ces minerais pourraient aider à en assurer la traçabilité.
– L’agrément des comptoirs par le gouvernement congolais et les Nations Unies, comme ce fut fait en Sierra Leone, aidera à coup sur à mettre fin à ce commerce illicite.
3 – Aspect militaire:
– comme en Ituri, en appui aux efforts politiques et diplomatiques, il faut envisager une force du genre Artémis pour éviter d’avoir sur le terrain des forces qui seraient à la fois juges et parties. Dans cette perspective, les 3000 hommes supplémentaires votés il y a une année au Conseil de Sécurité pourraient être entrainés et recevoir mission spécifique d’aller désarmer de force tous éléments des ex FAR réfractaires au désarmement et retour volontaire.
– Soutenir financièrement et techniquement la reforme de l’armée congolaise, le FARDC. Car, il ne faudra pas se leurrer, un pays immense comme le Congo avec ses richesses et une armée affaiblie sera toujours la convoitise des prédateurs de tous ordres. L’armée de la RDC doit devenir une armée républicaine et en temps de paix, une armée de développement devant s’occuper, en dehors de sa mission première de la défense du territoire, des grands travaux de génie, de la production agricole ainsi que de la protection de l’environnement (brigade verte) ;
– Mettre en place un mécanisme administratif non militaire pour s’occuper de la paie et du ravitaillement en vivres des militaires pour ainsi enrayer une fois pour toutes les détournements des fonds et la ration des militaires qui n’ont pas de choix que de se nourrir sur le dos des populations civiles avec ce que cela comporte comme cohorte des tracasseries et exactions.
4- Sur le plan de la justice
L’instauration d’une cour spéciale avec des juges indépendants recrutés au Congo et au sein de la communauté internationale s’impose pour juger et sanctionner les auteurs des viols, des violences sexuelles et pillages des ressources naturelles.
5 – Sur le plan de la coopération régionale
La communauté internationale a toujours commis l’erreur de vouloir mettre la RDC en index au profit du Rwanda et de l’Ouganda alors que la RDC soutenue et stabilisée serait un meilleur gage de sécurité et de développement pour l’ensemble de la région des grands lacs :
– La communauté internationale devra aider la RDC à se relever de ses cendres afin que celle-ci, au regard de ses potentialités immenses, de sa démographie, de sa position géostratégique puisse rayonner pour l’ensemble de la région à l’instar du Nigeria en Afrique de l’Ouest et de l’Afrique du Sud en Afrique Australe.
– Encourager après la reforme de l’administration publique, de l’armée, de la justice, l’instauration de la bonne gouvernance, la libre circulation des biens et des personnes entre états de la sous-région des Grands Lacs.
6- Sur le plan du développement
– L’absence des grands projets à l’Est de la République Démocratique du Congo ne favorise pas la démobilisation des milices pour une véritable réinsertion sociale. Les combattants démobilisés, faute d’occupation et déjà initiés au maniement des armes, deviennent des bandits potentiels et se retournent ainsi constamment vers la population civile sur laquelle ils commettent des viols, des violences sexuelles et des exactions de tout genre. Ils se servent de leurs fusils pour vivre ;
– La communauté internationale devra de toute urgence, pour soutenir l’effort de la démobilisation, mobiliser des fonds pour les travaux de reconstruction à l’Est de la RDC (Ituri, Nord Kivu, Sud Kivu) notamment la réhabilitation des hôpitaux, des écoles et des routes ainsi que la relance de l’agriculture et de l’élevage. Les ex-combattants constituent ainsi une main d’œuvre appréciable et ne seraient plus tentés de se faire recruter par les seigneurs de guerre.
Mesdames et Messieurs,
Même si tout au long de notre exposé, nous avons retenu plusieurs griefs à l’égard de la communauté internationale, nous avons mis en exergue la responsabilité du gouvernement congolais. En effet, nous ne devons pas perdre de vue que la paix, la défense du territoire et le développement sont avant tout de la responsabilité des institutions de la RDC.
C’est pourquoi, nous pensons, sans peur d’être contredits, que la mission première devra être la refondation de l’état Congolais. C’est cette refondation de l’Etat qui vous permettra à vous aussi de participer activement à la vie de la nation congolaise, notamment en prenant part aux élections pour éviter l’exclusion dont vous avez été injustement l’objet.
Mesdames et messieurs,
Permettez-moi, avant de terminer mon propos, de m’adresser à mes compatriotes vivant au Canada, ici représentés.
Chers compatriotes, le développement c’est avant tout l’affaire des congolais.
Nous sommes dans un monde désormais en compétition où la charité et la générosité des pays riches ne suffiront pas pour résoudre les problèmes de pauvreté endémique, de corruption institutionnalisé e, d’insécurité criante et d’injustice insupportable, ces maux qui rongent actuellement une bonne partie de l’Afrique et qui n’épargnent malheureusement pas notre pays.
Divisés, nous allons faire le jeu de l’ennemi. Unis, nous vaincrons à coup sur et franchirons ces obstacles qui renferment le peuple congolais dans un univers de misère.
La RDC avec ses richesses incommensurables (forets, sols, eaux, minerais, faune, etc.) ploie aujourd’hui dans le sous développement alors qu’il est établi qu’en 1960 il était au même niveau que l’Afrique du Sud, la Corée du Sud et le Canada où nous nous trouvons aujourd’hui.
Chers compatriotes, l’heure est arrivée pour que nous nous mettions ensemble pour obéir partout aux ordres du prophète Esaie de déposer les lourds fardeaux et libérer les opprimés, libérer notre peuple qui a tant souffert.
Je vous remercie.
Présenté à Ottawa, le 9 Février 2010 et à Québec City le 11 Février 2010
Vital Kamerhe
Député National
Président Honoraire de l’Assemblée Nationale de la RDC
© Beni-Lubero Online





