





Les lignes qui suivent font suite aux réflexions de Mr Guy De Boeck émises en réaction au texte de lancement de la rubrique “Forum” sur Beni-Lubero Online. Grande est, en effet, la tentation d’abonder dans le sens de l’auteur du texte de lancement de la rubrique “Forum” dans la mesure où les acteurs politiques, toutes tendances confondues, ne semblent pas être préoccupés outre mesure par le caractère alarmant de la situation qui prévaut en RDC. Le moins que l’on puisse dire est qu’ils ne semblent pas pressés de s’y attaquer.
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Comme beaucoup d’autres observateurs ou analystes, Mr Guy De Boeck pense non sans raison qu’il est encore tôt de faire une évaluation objective de l’action d’un gouvernement qui vient à peine d’être constitué et installé et que l’impatience dont font montre bon nombre de congolais est prématurée. Toutefois, pour prématurée qu’elle soit, cette impatience n’est pas sans être fondée: elle est légitime non seulement à cause de la gravité des problèmes sécuritaires qui agitent aujourd’hui la RDC telles que la présence des foyers importants d’anarchistes dans les trois Kivu, dans l’Ituri et dans certaines localités du Katanga, l’invasion récente d’une partie de la province de Bandundu par les troupes angolaises où ces dernières auraient planté le drapeau de leur pays, mais aussi et surtout à cause de la panoplie des promesses jusqu’aujourd’hui non tenues.
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Comment ne pas s’impatienter lorsque les victimes vivantes et disparues de cette situation unique en son genre se comptent par centaines des milliers, quand on a droit à un repas frugal et insalubre tous les deux ou trois jours, quand on vit de moins d’un demi dollar américain par jour, quand on ne sait pas scolariser sa progéniture ou pourvoir aux besoins de sa famille? Comment ne pas s’impatienter quand on voit proliférer et prospérer les forces du mal et qu’on constate qu’aucune force digne de ce nom ne leur est opposée aux fins de leur anéantissement? Comment ne pas s’impatienter quand à tout moment on peut être fauché, abattu par des hommes en armes qui ne seront jamais traqués et donc jamais punis? L’attente des lendemains meilleurs par les congolais ne remonte pas au début du processus électoral en voie d’achèvement. Elle remonte à l’accession du pays à l’autodétermination le 30 Juin 1960. Une pseudo-autodétermination malheureusement. L’impatience du peuple congolais est à la mesure de la durée de l’attente (46 ans), des frustrations et des souffrances endurées, souffrances dont la fin est encore loin de se dessiner à l’horizon. Comment ne pas perdre patience sous un ciel sans éclaircies mais tout le temps nuageux?
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On a un moment cru que cette attente des lendemains radieux serait enfin comblée, d’abord avec l’avènement de l’AFDL, ensuite avec la succession de l’actuel Président au Président assassiné Laurent-Désiré Kabila en Janvier 2001. Dans un cas comme dans l’autre, on a vite fait de déchanter face au constat malheureux que les fameux libérateurs étaient loin d’être ce qu’on attendait d’eux. La prétendue libération apportée par l’AFDL n’était qu’une boîte de Pandore ou, si l’on veut, un cheval de Troie. Elle a apporté au pays plus de problèmes, plus de confusion que de solutions. Il est à espérer que l’avènement des lendemains radieux attendus bien avant le processus électoral va enfin devenir une réalité sous l’actuel régime issu de récentes urnes. Mais il faut reconnaitre que craintes et inquiétudes restent au rendez-vous dans la mesure où le pays donne l’impression d’être contrôlé par des forces aussi bien endogènes qu’exogènes incontrôlées et incontrôlables et d’être sans défenseurs qui soient de taille à mettre lesdites forces hors d’état de continuer à sévir et à nuire. Puisque l’espoir fait vivre, il faut toutefois continuer à espérer le meilleur mais tout excluant pas la possibilité du maintien du statu quo c’est-à-dire la précarité existentielle actuelle. D’ou la nécessité de la vigilance.
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Je ne partage pas l’avis de ceux qui estiment que la démocratie est un mot creux ou que c’est un rêve ou une utopie irréalisable nulle part au monde. Jean-Jacques Rousseau le pensait. Mais l’histoire des peuples occidentaux lui a donné tort. Je ne crois pas courir le risque d’être contredit en arguant que les pays occidentaux n’ont connu le décollage économique jamais égalé dans l’histoire que tout le monde leur envie aujourd’hui qu’après leur option, au lendemain de la seconde guerre mondiale, pour la démocratie entendue comme pouvoir du peuple par le peuple et pour le peuple à travers ses représentants. C’est seulement à partir de ce moment que l’équation infernale où on avait plus de pauvres que de personnes bien assises s’est inversée de manière irréversible. Un des bienfaits de la démocratie telle que pratiquée dans le monde occidental c’est l’accès de la majorité au bien-être matériel. Nous, on est encore sous le régime de l’équation infernale qui produit plus de malheureux que de personnes bien assises, je veux dire, ayant le minimum vital.
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La démocratie est un processus, ainsi que l’a si bien relèvé Mr Guy De Boek, une idée directrice qui oriente comme une boussole, un idéal à poursuivre de manière ininterrompue, une tache à réaliser de manière jamais exhaustive, bref, une tache toujours inachevée et donc toujours à reprendre. Je conviens qu’il existe de fausses ou pseudo-démocraties. Il s’agit de celles où les parlementaires ainsi que les représentants de l’Etat sont des représentants non du peuple mais du Chef de l’Etat comme c’était le cas sous le régime de Mobutu et comme cela risque d’être le cas aujourd’hui si on n’y prend garde. Tout est, en effet, à craindre dans la mesure où l’actuel Chef de l’Etat est dit avoir la majorité au niveau de la quasi-totalité des institutions du pays et ou, par voie de conséquence, on a une opposition minoritaire dont la voix sera presque tout le temps minorisée pour ne pas dire étouffée.
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Seule une démocratie parlementaire vraie représentant les intérêts du peuple et non ceux du Chef de l’Etat et des amis de ce dernier a des chances de correspondre à la mission qu’on attend d’elle: contrôler l’action du gouvernement en vue du bien de l‘ensemble. Seule une démocratie parlementaire vertébrée et responsable dont les animateurs travaillent prioritairement pour les intérêts de leur pays peut simultanément tenir tète aux prédateurs internes et externes et refaire de la RDC un Etat de droit ou la liberté, la prospérité, la fraternité et l’amitié soient enfin possibles. Mais pour qu’il en soit ainsi, les autorités du pays doivent d’abord opter pour la démocratie, non pas du bout des lèvres mais à travers des actes concrets. Il y a une bonne part de vérité dans les propos de Karl Marx selon lesquels ce ne sont niles idées ni les bonnes intentions qui transforment le monde mais bien des hommes et des femmes déterminés à les mettre en application en convertissant le dire en faire. On serait de nouveau mal parti si les animateurs politiques continuaient à envisager la démocratie comme une simple figure de style ou, soit dit autrement, comme un simple slogan.
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Il ne me semble pas anodin de signaler et de souligner en passant qu’une démocratie ou un Etat de droit est un régime où les éléments de l’armée et les services de l’ordre sont subordonnés aux autorités civiles élues par le peuple ou cooptées. Point n’est besoin de dire que les militaires et les agents de l’ordre ont pour mission de sécuriser les institutions, les personnes ainsi que leurs biens et non semer l’insécurité comme c’est encore malheureusement le cas aujourd’hui. Tant que la question de la permissivité des militaires et des agents de l’ordre ne sera pas réglée, les droits de l’homme en RDC resteront de simples figures de style, de simples slogans.
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Un bon arbre se juge à ses fruits. Aussi je pense qu’il est encore tôt de se prononcer sur la viabilité du processus électoral et des institutions qui en sont issues. Seuls la qualité des fruits de ces institutions permettra au peuple congolais de dire si oui ou non le processus électoral a été une réussite. Une chose est d’organiser des élections, une autre c’est de voir celles-ci produire les effets escomptés: une rupture drastique avec un passé éprouvant et crétinisant et abâtardissant et la remise du pays sur les rails du développement. Pour l’heure, personne n’a droit à des félicitations. Les félicitations n’interviendront que lorsque l’impatience du peuple congolais aura été levée. La sécurité physique, la sécurité alimentaire, la sécurité juridique et la sécurité douanière contribueront à la levée de l’impatience des congolais “longtemps courbés” que nous sommes, impatience dont la légitimité se passe de toute démonstration.
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P. Kamundu Leopold, o.Praem.
New York (USA)
Beni-Lubero Online





