





G à D: Jacques Mbokani et Kasereka Muliraheru
Le contexte général dans lequel s’inscrit le lancement de cette conférence sur la paix, la sécurité et le développement au Kivu, dont plus amples informations peuvent être obtenues via le site www.amanilea.org, est, ne l’oublions pas, celui de l’humiliante défaite de l’armée congolaise dans l’assaut qu’elle a lancée contre l’ex-général Laurent NKUNDA, dirigeant du CNDP, mouvement politico-militaire de fait, dans les localités de Mushake et de Karuba en province du Nord Kivu. Cet échec est la suite d’une offensive militaire décidée après le constat de l’échec de la solution dite « politique » du problème posé par l’ex-général déchu. Ce constat d’échec des négociations était fait conjointement par le gouvernement congolais et la MONUC. Par ailleurs cet humiliant échec militaire semble avoir été causé par des actes de haute trahison par la hiérarchie militaire congolaise (Sur cette question lire l’article de Colette Brackman, L’armée congolaise est rongée par le soupçon de trahison, in le Soir du 28/12/2007). L’ex-général déchu est accusé par plusieurs ONG tant nationales qu’internationales de défense des droits humains d’horribles crimes à l’encontre des populations civiles dans la ville de Bukavu en début du mois de juin 2004 et dans celle de Kisangani lors de l’affrontement des armées rwando-ougandaises dans cette même ville en mai 2002 (lire le communiqué de Human Rights Watch, RD Congo : Arrêtez Laurent Nkunda pour crimes de guerre, du 1er février 2006, http://hrw.org/french/docs/2006/01/31/congo12584.htm), ainsi que de nombreux autres crimes qu’il aurait commis avec ses troupes dans le Nord Kivu avant comme après l’opération de brassage qui s’est révélé un échec à la pacification du Nord Kivu (lire le rapport de Human Rights Watch, Nouvelle crise au Nord Kivu, Vol. 19 n° 17 (A), octobre 2007, pp. 19-25).
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A partir de ce contexte, l’on peut bien se dire que l’idée de la Conférence sur la paix et la sécurité repose sur une thèse simple : La paix qu’on n’a pas réussi à se procurer par les armes pourrait être obtenue par le dialogue. Cette thèse est clairement perceptible dans les discours des initiateurs de ladite conférence lors du lancement de ses travaux à Butembo. Elle suscite néanmoins plusieurs interrogations et même des inquiétudes qui seront brièvement présentées. D’une part, c’est l’illusion d’une paix par le dialogue avec les criminels (I); et d’autre part, la question du bilan de la Commission vérité et réconciliation qui était censée faire ce travail (II). Nous terminerons par la question de savoir quelle garantie les résolutions de cette conférence ont pour être respectées et appliquées (III).
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L’illusion d’une paix par le dialogue avec les criminels.
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L’acteur clé dans l’insécurité à l’Est de la RDC reste l’ex-général Laurent NKUNDA (sur cette question lire le rapport précité de Human Rights Watch, Nouvelle crise au Nord Kivu, Vol. 19 n° 17 (A), octobre 2007). Il est vrai qu’il existe d’autres forces négatives dans le Kivu, mais l’ampleur de leur activisme n’est en rien comparable à celui de L. NKUNDA compte tenu du soutien politique et logistique qu’il détient du gouvernement rwandais, mais aussi de la complicité des hauts responsables politiques et militaires en RDC.
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Un mandat d’arrêt dit international pèse sur l’homme depuis septembre 2005. Ce mandat d’arrêt est dit international mais n’aurait jamais été diffusé sur Interpol. Par ailleurs son caractère international reste équivoque dans la mesure où il vise un individu qui serait de nationalité congolaise, se trouvant et circulant librement apparemment en territoire congolais ; et poursuivi pour des crimes apparemment commis en territoire congolais. C’est donc avant tout à l’Etat congolais de l’arrêter plutôt que de compter sur les autres Etats pour que ces derniers arrêtent un individu qui se trouve sur son propre territoire.
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La seule alternative plausible aurait été de déférer cette situation à la Cour pénale internationale, en vertu de son caractère complémentaire, comme l’a d’ailleurs fait l’Ouganda avec la LRA. Mais là encore, on peut constater que le gouvernement congolais, tout en étant Partie au Traité de Rome, n’a nullement l’intention de déférer cette situation à la CPI. Cette abstention demeure troublante en raison du fait que l’incapacité de la RDC d’enquêter et d’engager des poursuites contre NKUNDA est maintenant établie. Il s’ensuit donc un doute sur les intentions réelles du gouvernement congolais pour mettre un terme à l’impunité pour les crimes imputés à Laurent Nkunda.
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Cela dit, tout dialogue avec les criminels ne pourra se solder que par son impunité. Mais l’impunité loin d’être un moyen de rétablissement de la paix a toujours été une menace contre la paix. C’est d’ailleurs ce qui ressort clairement des résolutions du Conseil de sécurité des Nations Unies lorsqu’il à crée les Tribunaux pénaux internationaux, TPI (voir les résolutions du Conseil de sécurité n° 808, 827 et 955 qui ont établi ces deux tribunaux ad hoc). En effet, l’impunité des criminels expose au risque de répétition des mêmes crimes. Cette même impunité expose également les victimes ou leurs familles à se faire justice tôt ou tard. Il est donc illusoire de faire la paix avec les criminels sans le travail de mémoire sur les crimes du passé. Ce travail suppose des enquêtes pour établir la vérité sur les violations massives et systématiques des droits de l’homme. C’est ce travail de mémoire qui permet de penser à la réconciliation, c’est-à-dire trouver une façon de gérer cette vérité. Par cela nous touchons évidement au point relatif au travail de la Commission vérité et réconciliation.
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Le bilan de la Commission vérité et réconciliation (CVR) en RDC
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Normalement les commissions de vérités sont des organes chargés d’enquêter sur des crimes passés, essentiellement identifier les victimes, leurs bourreaux (établir la vérité) et faire des recommandations sur les mesures de réparations des victimes (indemnisations, réhabilitations, reconnaissance etc.) bref, proposer des mesures dites de justice restauratrice et réparatrice. Quant aux auteurs de ces crimes, proposer des poursuites pénales ou des mesures d’amnisties. Le travail ne peut pas se terminer sans dégager la responsabilité des institutions dans la commissions des crimes afin de proposer des reformes institutionnelles, pour prévenir ces crimes (Pour plus d’information sur les commissions de vérité, lire l’étude d’Amnesty International, Vérité, justice et réparation. Créer une commission vérité efficace, Index AI : POL 30/009/2007, 11 juin 2007, www.amnesty.org/fr/report/info/POL30/009/2007).
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C’est également ce travail qui aurait, sans doute, permis d’aborder la question de la réconciliation en sachant exactement qui se réconcilie avec qui et à propos de quoi. En procédant ainsi le gouvernement congolais aurait eu des précieuses informations sur les causes des conflits notamment sur celui de l’Est de la RDC, sur ses protagonistes, mais surtout il aurait eu des recommandations pertinentes sur la manière de remédier au problème sécuritaire dans le Kivu.
La CVR en RDC est loin d’avoir atteint ces objectifs. Elle semble plutôt avoir essayé de travailler dans le domaine de la pacification ou médiation de quelques conflits présents et isolés, plutôt que d’établir la vérité sur les grands crimes du passé qui ont entrainé ce catastrophe humanitaire (plus de cinq millions (5.000.000) de morts ou des milliers de femmes victimes de viol et d’actes de violences sexuelle comme arme de guerre). Ainsi, toute une série de crimes et massacres est restée sous silence malgré leur caractère massif et systématique. Le dossier des biens mal acquis ainsi que celui du pillage des ressources naturelles en RDC, qui semble avoir occasionné tous ces crimes est condamné au silence. La CVR en RDC n’aura donc pas permis d’identifier ces victimes, et encore moins proposer des mesures de réparations en faveur de ces victimes. Elle n’aura pas permis d’aborder la question de la responsabilité des institutions pour proposer les réformes institutionnelles.
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Le bilan de cette CVR se révèle donc largement négatif. Son financement a lourdement et inutilement pesé sur le contribuable congolais ainsi que sur la communauté internationale. Après cet échec, c’est sur la Conférence sur la paix, qui elle, aurait reçu un financement de six millions de dollars américains, que le gouvernement congolais cherche à distraire de l’opinion publique tant nationale qu’internationale. Mais qu’est-ce qui permet de croire que cette conférence va réussir là ou les autres ont échoué ?
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Les garanties de respect et d’application des résolutions de la Conférence sur la paix au Kivu
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La Conférence sur la paix et la sécurité n’est pas la première tentative de régler le conflit à l’Est de la RDC soi-disant par le dialogue. A part ce qui vient d’être dit sur la Commission vérité et réconciliation, il semble également important de mentionner l’échec de ce qui avait été appelé dialogue « inter-Kivutiens » en 2001, et même de la conférence nationale dite souveraine à l’époque du Maréchal Mobutu.
Le plus récent des échecs du dialogue est sans doute les négociations surprises entre le gouvernement congolais et le CNDP de l’ex-général L. NKUNDA vers la fin de l’an 2006 et qui ont abouti à l’opération dite de « mixage » des troupes de ce dernier au début de l’année 2007. La surprise résidait dans le fait que le gouvernement congolais est entré en négociation avec Laurent NKUNDA à Kigali, après avoir promis quelques jours plutôt une offensive militaire pour déloger les insurgés.
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Nul n’ignore la suite et les effets sur terrain de cette opération « mixage » en lieu et place du brassage. C’est cet échec qui a entrainé d’ailleurs la fin de cette opération, les deux parties (le gouvernement congolais et le CNDP) se jetant mutuellement la balle de responsabilité de l’échec du « mixage » (Voir Human Rights Watch, Nouvelle crise au Nord Kivu…, déjà cité).
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On peut ainsi constater avec regret que tous ces dialogues et conférences se sont terminés à queue de poisson sans qu’il en soit sorties des résolutions ou de recommandations. Et même dans l’hypothèse ou des résolutions ou recommandations en seraient sorties, rien ne garantie leur respect par les acteurs principaux du conflit.
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Conclusion
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A la lumière de ce qui précède, la Conférence sur la paix, la sécurité et le développement dans le Kivu ne présente aucune garantie d’efficacité dans la solution du problème sécuritaire à l’Est de la RDC. Elle apparaît d’ailleurs comme une façon pour le gouvernement congolais de distraire l’opinion publique sur son humiliante défaite militaire contre les troupes des insurgés. Il est vrai que la solution militaire a échoué. Mais elle a échoué après l’échec de la solution politique. Par cette conférence on retourne à la case de départ, de la solution politique sans savoir la cause de précédents échecs. La Conférence sera encore une des ces instances dans lesquelles les délégués viendront se « défouler » en faisant de beaux discours, empocher leur per diem, et se quitter soit en queue de poisson, ou après avoir pris des résolutions qui ne seront pas appliquées. Ce serait encore une fois de la poudre aux yeux sur le dos du pauvre contribuable congolais.
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Fait à Bruxelles, le 31 décembre 2007
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Jacques MBOKANI
Bruxelles
Beni-Lubero Online





