L’acceptation sélective des devises en RDC : un verrouillage stupide de l’économie du pays
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La RDC est un pays aux multiples paradoxes et contradictions. Il y existe, en effet, des pratiques courantes dont rares sont ceux qui en connaissent la provenance ou le bien-fondé mais dont tout le monde semble bien s’accommoder en dépit de leur étrangeté et de leur caractère frustrant. Une de ces pratiques c’est celle consistant, sur le marché de change monétaire, ā considérer comme s’étant vidé de sa valeur fiduciaire toute devise comportant la moindre fissure, la moindre perforation ou portant de légères marques de vétusté[1].
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Ce qui est curieux c’est que les billets censurés comme impropres ā la consommation sur le marché en RDC sont acceptés sans problème par toutes les banques, tous les kiosques de change et tous les magasins en Occident (USA et Europe). Les seuls billets qui sont repoussés sont ceux qui présentent un défaut de fond ā savoir l’inauthenticité pour avoir été fabriqués par la contrefaçon. Il s’agit de faux billets. S’agissant de ce genre de billets, en effet, il est tout ā fait normal que toute institution bancaire, tout opérateur économique ou toute personne avertie non seulement s’en méfie mais les répudie car les encaisser équivaudrait ā provoquer un déficit dans sa caisse ou, ā mieux dire, équivaudrait ā une perte.
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Et pourtant ces billets dont personne ne veut sont de loin en très bon état comparativement ā la monnaie congolaise en circulation dont la plupart des coupures, tout en étant dans un état de décomposition très avancée, sont curieusement acceptés sur le marché sans la moindre question dans tout le pays. Mises ā part les coupures de 500 FC, la plupart des billets de 10, 20, 50, 100 et 200 FC sont dans un état lamentable. Ce curieux état de fait semble révélateur d’une chose troublante: la perte du sens du beau et la valorisation du laid. Ces billets sales aux fissures béantes, moisis, vermoulus, délabrés, « fatigués », sur-usés dont on perd des morceaux si on les fait sortir de la poche ou du porte-monnaie sans une certaine dextérité semblent refléter l’état de délabrement très avancé dans lequel se trouve le pays depuis des décennies de mauvaise gestion ou gouvernance. Un étranger ā qui on montrerait ces billets n’éprouverait aucune difficulté ā comprendre, sans avoir été en RDC, que le pays est ā genoux, en panne. En effet, sous d’autres cieux, ces « chiffons » seraient purement et simplement mis hors circuit, remis ā la banque centrale et remplacés par de nouveaux billets. Que ces billets vermoulus continuent ā circuler parce que leur remplacement coûterait de l’argent que n’a pas l’Etat congolais semble tout ā fait normal dans l’état actuel des choses. Ce qui toutefois est difficile ā comprendre c’est cette rigueur dont il est fait montre par rapport aux devises lesquelles doivent être « immaculées » pour être acceptées. Deux poids deux mesures : voilà ce qui dérange.
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Font aussi l’objet de censure, d’une part, les billets de 1 Dollar US dans certaines localités -dans d’autres comme Beni-Lubero ils sont acceptés ā condition de ne pas présenter une des « tares » mentionnées plus haut- et, d’autre part, ceux portant l’effigie du Président Georges Washington notamment les billets de 20 Dollars surnommés « billets ā petite tête » lesquels sont refusés sur toute l’étendue de la République. Alors que ces billets sont encore et toujours utilisés aux USA et en Europe, ils sont jugés impropres aux échanges commerciaux en RDC, un pays qui pourtant a opté pour l’utilisation du dollar comme monnaie-étalon dans la fixation des prix ou dans la détermination de la valeur de la monnaie locale : le franc congolais. En effet, les fluctuations du franc congolais sont toujours fonction du mouvement du dollar selon que sa valeur croît ou décroît.
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Les détenteurs de tous ces billets arbitrairement incriminés, censurés ou indexés comme non recevables sont ainsi indument et inutilement pénalisés car ils ne peuvent accéder ni aux articles ni aux services dont ils ont besoin. Ils sont pour ainsi dire bloqués et ne peuvent rien faire avec leurs devises que sans raison on démonétise en RDC. Ce qui est frustrant est que l’Etat qui est censé protéger les personnes ainsi que leurs biens se tait ou semble approuver cette démonétisation illicite par son silence. Les banques locales elles aussi se taisent et refusent, comme tout le monde, toute devise qui ne répond pas aux critères susmentionnés de pureté et de jeunesse. Il me semble que les banques et les opérateurs économiques se privent inutilement de devises qui leur permettraient d’améliorer leurs performances dans les affaires.
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Comment expliquer que tout un pays puisse accepter de se faire du tort en se privant de devises dont pourtant il a grandement besoin pour l’importation ? Que les économistes puissent garder silence ā ce sujet ne peut qu’étonner. Qui a décidé de la non-recevabilité ou, ā mieux dire, du rejet des devises ne répondant pas aux critères sus-évoqués ? Qui a établi ces critères ? Est-ce l’Etat congolais ou, plus précisément, le ministère de l’économie ? Sont-ce les opérateurs économiques ou les banques? A qui profite cette situation atypique? A ceux qui prennent ces devises mais ā un taux de change décidé par eux-mêmes c’est-ā-dire dérisoire ? Il semble, en effet, que certains malins les accepteraient ā un taux inférieur au taux officiel ou ā celui pratiqué par les cambistes et les déposeraient sur leurs comptes en Occident. Ce qui leur fait ainsi gagner de l’argent ā bon compte sur le dos des autres.
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Si je soulève ce problème qui me taraude depuis longtemps, c’est parce que je voudrais que les spécialistes en la matière qui me liront puissent m’éclairer lā-dessus. Mais au cas où le refus des devises incriminées ne serait pas fondé en raison, l’on devrait cesser de faire du tort à leurs détenteurs, à leurs bénéficiaires potentiels à savoir les pauvres lesquels constituent 99% de la population congolaise ou d’en faire à l’économie du pays qu’on verrouille ainsi inconsciemment sans raison. Ces devises étant libérées par les banques américaines ou européennes gardent leur valeur fiduciaire et, de ce point de vue, personne n’a le droit de les censurer sauf si elles viennent de la contrefaçon. Combien de fois ne suis-je pas reparti du Congo avec cet argent censuré mais accepté sans la moindre difficulté où je l’ai reçu ?[2] Je ne parle donc pas en l’air. Je sais de quoi je parle. Ou mieux dit, c’est pour avoir été pénalisé plusieurs fois en RDC que je soulève le problème. Des deux choses l’une, ou c’est moi qui suis idiot parce que je ne comprends pas ce que tout le monde comprend ou c’est l’Etat congolais qui verrouille inutilement son économie par une pratique irrationnelle à laquelle il est grand temps de mettre fin. Il n’est jamais trop tard pour bien faire, dit-on. J’en appelle donc aux représentants du peuple que sont les Députés ā saisir la balle au bond et à soulever le problème au Parlement.
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Professeur Père Kamundu
Belgique
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[1] J’ai eu le désagrément de faire le même constat en Ouganda chez des Religieuses qui gèrent un centre d’accueil lors d’un retour des Etats-Unis. Certains des billets avec lesquels je voulais payer mon séjour -des dollars USA- m’ont été restitués par la Sœur-Econome au motif qu’ils n’étaient pas « immaculés ». J’ai dû ā mon corps défendant remplacer les billets censurés.
[2] En Janvier dernier, j’ai dû rentrer en Belgique avec des billets de dollars tout neufs dont personne ne voulait ā Kinshasa tout simplement parce qu’ils comportaient chacun les traces ā peine perceptibles d’une agrafe : deux légères perforations. En effet, le banquier belge croyait me rendre un bon service en agrafant la liasse que j’avais commandée avant ma descente ā Kinshasa pour tenir les billets ensemble. Avant de renvoyer cet argent ā Kinshasa, j’ai dû d’abord le déposer de nouveau ā la banque avec toutes les déductions qu’impliquait la conversion de la monnaie américaine en monnaie européenne et ensuite de la monnaie européenne en monnaie américaine. Cette double conversion, mis ā part les frais d’expédition, m’a couté plusieurs dizaines dollars en moins ā cause de la pratique dénoncée plus haut. Un désagrément difficile ā oublier. Les banques, en effet, ne font rien pour rien. Toute opération qu’on leur fait faire est monnayée ou, ce qui revient au même, payante. Un Etat qui fait perdre ainsi bêtement de l’argent ā ses citoyens, comment le qualifier ? Le moins que l’on puisse dire c’est que le bien-être de ces derniers ne lui tient pas du tout ā cœur. Ce qui est grave.