Il faut sans doute en convenir, l’acte consistant à jeter des pierres sur une autorité est répréhensible à plus d’un titre. Et, à ce titre et au besoin, doit être condamné conformément à la loi. Mais encore faut-il que ce soit la justice qui statue sur les faits afin de trouver la sanction qui sied. Dans le cas précis de Tungulu, la règle n’a pas été respectée. Sinon, que faisait Mudiandambu, ou plutôt, que faisait-on de lui dans les locaux de la Garde républicaine depuis son arrestation le 29 septembre jusqu’à sa mort ?
Les institutions judiciaires congolaises sont-elles aussi en panne au point qu’une affaire relevant de leurs compétences soit commise à la tâche des soldats dont la mission est tout autre que celle judiciaire ? On ose espérer que non. Et puis, qui ou qu’est-ce qui a tué Tungulu ? S’est-il réellement suicidé comme l’annonce le pouvoir de Kinshasa ou est-il mort des suites de tortures ? En attendant une éventuelle autopsie, tout porte à croire que la dernière thèse est la plus plausible. Cela d’autant que, comme l’affirment beaucoup de témoins de la scène, au moment de son arrestation, le regretté aurait été sévèrement brutalisé.
Pauvre Mudiandambu ! Il a dû confondre la Belgique, où il a passé une bonne partie de sa vie, avec son Congo natal. Sinon, il n’est ni le seul, ni le premier à commettre un tel acte. Que l’on ne trouve pas là une quelconque comparaison ayant pour but de donner raison à Tungulu, à justifier ou à encourager les actes de ce type. Seulement, bien avant lui, un certain Mountazar Alzaydi, un journaliste irakien, avait jeté ses chaussures sur Georges W. Bush, président de la plus grande puissance mondiale à savoir les Etats-Unis d’Amérique. Pas plus que le 13 décembre 2009, le chef du gouvernement italien, Silvio Berlusconi, a vu deux de ses dents cassées et son nez fracturé des suites d’une agression par un jet de statuette. Et, des agressions verbales de dirigeants occidentaux, on en trouve au quotidien.
Mais de bonne mémoire, aucun de tous ces agresseurs n’a connu le sort de Tungulu. Le trentenaire a sans doute oublié que les deux continents, l’Europe et l’Afrique, sont loin l’un de l’autre non seulement de par le niveau de développement, mais aussi et surtout en matière des droits humains. Sinon, aucun Congolais, même sous l’emprise de l’alcool, n’aurait commis cette erreur fatale d’exprimer son ras-le-bol en jetant une simple pierre sur la voiture blindée du président. Mudiandambu, sans doute influencé par la démocratie occidentale, n’a hélas pas compris que dans « les républiques très très démocratiques du Gondwana », expression chère à l’humoriste Mamane, le président est comme un demi-dieu. Dans certains pays, son nom même ne se prononce pas n’importe où, n’importe quand et n’importe comment.
Boulkindi COULDIATI
Le Pays
Congoforum
COLETTE BRAECKMAN Les mamans debout pour Armand Tungulu
Vêtements noirs, bandeau rouge sur le front « couleur du sang congolais », plusieurs femmes membres de l’association « Mama tutelema » (Mamans debout) ont choisi de veiller, dans cette petite salle de la chaussée de Wavre, de mener le deuil et surtout de témoigner de l’engagement politique et humain d’Armand Tungulu Mudiandambu.
Ce dernier a été retrouvé mort dans sa cellule du camp Tshatshi à Kinshasa, où il avait été emmené par la garde présidentielle après avoir, mercredi dernier, lancé un caillou en direction du cortège présidentiel.
« Armand était un homme engagé » explique Mme Malu, « il avait fondé une petite association « un euro pour sauver le Congo ». Il avait été particulièrement révolté par les viols pratiqués dans l’Est, par la mort du militant des droits de l’homme Floribert Chebeya, et il voulait aller là bas, porter son message… » Henri Muke, président du Haut Conseil pour la libération du Congo, une association très active dans la diaspora, confirme : « Armand nous disait sa volonté d’aller témoigner sur place…Il pensait que grâce à ses nombreuses relations dans le monde politique belge, on n’oserait pas s’en prendre à lui. En outre, sa femme et ses enfants ont la nationalité belge… »Ses amis croient que mercredi midi, en voyant passer le cortège, Armand a eu un geste spontané : « il a ramassé une pierre, et a touché la jeep que conduisait Kabila. Aussitôt les gardes ont bondi, se sont saisis de lui et de deux femmes, dont une avocate qui filmait la scène. » Depuis Kinshasa, d’autres témoins nous diront que les gardes, fous de rage, s’en prirent ensuite à plusieurs ngandas (bistrots) de Lingwala où Armand Tungulu était peut-être passé avant de poser le geste qui allait lui être fatal. « C’est une provocation du même ordre que les chaussures lancées à Georges Bush par un journaliste irakien » souligne Henri Muke,
La thèse selon laquelle l’homme aurait été retrouvé mort dans sa cellule samedi matin, suicidé à l’aide d’un fil qui aurait été attaché à son oreiller ne convainct personne. « Il pesait près de 100 kilos, comment aurait il pu se pendre ? » dit l’un, tandis que d’autres rappellent que « dans les prisons du Congo, il n’y a ni drap ni oreiller ». Pour tous les Congolais de Matonge, « il est clair qu’Armand Tungulu a été battu à mort, assassiné par les gardes du président, et le maquillage du suicide est aussi grossier que les préservatifs qui avaient été déposés auprès du cadavre de Chebeya… »
Au vu de cette nouvelle mort, hélas non suspecte, on ne peut qu’avancer trois conclusions: la campagne électorale précédant les élections de 2011 a déjà commencé, elle sera dure et aura plusieurs facettes, dont les attaques directes contre Kabila, la remise en cause de ses origines (thème connu) la contestation de son action, et surtout la provocation. Sur ce terrain là, l’opposition jouera sur du velours: les services de sécurité sont nerveux, répondent brutalement à la moindre provocation; les pousse au crime ont un boulevard devant eux… Mais on peut aussi se demander si le pouvoir n’est pas séduit par le “modèle rwandais”, qui fait déjà école au Burundi: développer le pays, essayer de le faire avancer à tout va, multiplier les contrats, restaurer, autant que faire se peut, l’autorité de l’Etat et en même temps serrer la vis à l’opposition, se montrer intolérant face à la contestation et… ne pas craindre de tuer, plus pour l’exemple et la dissuasion que par goût de la répression….
MADAME ARMAND TUNGULU RECUE AU MINISTERE BELGE DES AFFAIRES ETRANGERES
L’onde de choc provoquée par la mort d’Armand Tungulu à Kinshasa a secoué toute la communauté congolaise de l’étranger.
En Belgique, pays de résidence d’Armand, il n’y a pas suffisamment de qualificatifs pour décrire ce que les Congolais ont ressenti: colère ? Révolte?
Conséquence? Une manifestation spontanée est organisée le lundi 5 octobre 2010 à une dizaine de mètres de l’ambassade de la RD Congo à partir de 10heures.
Courageuse, Maman Philo l’épouse d’Armand est là. En signe de deuil, des femmes s’assoient par terre à côté d’elle afin de la soutenir moralement.
Dans les conversations, il ne fait l’ombre d’aucun doute : Armand Tungulu a été tué par la garde présidentielle. Et comme cette garde ne relève que du Président, c’est lui le responsable. Toute la colère déversée va en sa direction. Tous les qualificatifs sont utilisés pour désigner monsieur Joseph Kabila.
Un manifestant arrive même avec une effigie qui subit un sort pas agréable : piétiné, lapidé…
Une requête d’information adressée au Procureur Général de la République est lue.
Au fur et à mesure que le temps passe et que les manifestants arrivent, la tension monte.
Vers 12h30 alors que nous pensons la tension baissée, les manifestants débordent sur l’avenue Luxembourg, trajectoire d’un grand nombre de bus de la STIB. Le trafic est interrompu pour de longs moments.
La police essaie de négocier avec les manifestants, sans succès. Un peu plus tard, après quelques sommations de la police, sans succès, ordre est donné de repousser les manifestants, d’une façon assez musclée. Nous sommes ainsi pris en sandwich, bien encerclés. Enervements de part et d’autre…
Les proches d’Armand Tungulu ne seront pas inquiétés. Une tentative de rencontrer l’ambassadeur échoue.
Dispersés par la police, les manifestants se retrouvent plus tard au quartier Matonge de Bruxelles. La circulation des véhicules est interrompue sur la Chaussée de Wavre, des attroupements se forment, il est prié aux commerçants de fermer leurs boutiques, par solidarité avec Armand Tungulu.
Certains commerçants pakistanais ne semblent pas comprendre. C’est normal, ils ne sont pas au courant de l’actualité congolaise.
La police a bouclé le quartier. Les manifestants ont décidé de se rendre au Ministère belge des Affaires étrangères.
La police n’autorise qu’à une dizaine de personnes de traverser la ceinture policière. Accompagnée et encadrés par la police, ces délégués dont une moitié composée des membres de la famille se dirigent vers le Ministère des Affaires étrangères, sous bonne escorte policière.
Et là, nouvelle négociation pour entrer: dix personnes, c’est trop, trois peut-être.
Finalement, cinq personnes sont reçues par le monsieur Afrique, au nom du Ministre.
Le représentant du ministre présente ses condoléances à la famille et compatit à son malheur.
Il donne la parole tour à tour au représentant de la famille, au représentant des manifestants et enfin à l’avocat de la famille.
Dans l’exposé des congolais, les points suivants sont soulevés :
– Que s’est-il passé entre le moment où Armand a été arrêté et le moment où l’on a annoncé sa mort ?
– Où est le corps du défunt ?
– Pourquoi la famille n’est-elle pas informée et doit se contenter de ce qui se dit sur les médias ?
– Où est la preuve de son décès ?
Des demandes :
– L’autopsie doit se faire ici.
– Les enfants d’Armand étant belges, leurs droits doivent être protégés, ils doivent assister aux funérailles de leur papa. Pas au Congo parce que c’est le Congo qui leur a arraché leur papa.
– Pas d’inhumation précipitée. Cela signifierait soustraire le corps à une autopsie objective. Et surtout pas à Kinshasa. Sa famille est ici, et sa famille le réclame.
L’avocat de la famille informe le fonctionnaire belge qu’une plainte est en préparation.
Dans sa réponse, le fonctionnaire belge prend acte de toutes les informations transmises. Il reçoit pour le Ministre les mémos de la famille et des organisateurs de la manifestation.
Il nous informe que depuis le week-end, le ministère des affaires étrangères suit très attentivement l’évolution de la situation.
Il promet de rendre compte à son ministre.
Il est 16h43 quand la délégation prend congé du représentant du Ministre des affaires étrangères.
La tension n’étant pas encore tombée, il ne fait aucun doute que d’autres manifestations auront lieu. En tout cas, aussi longtemps que le corps d’Armand ne sera pas formellement identifié par son épouse …Ici en Belgique
Cheik FITA
Bruxelles, le 4 octobre 2010