





A voir comment se déroule l’histoire de la RDC, j’ai la nette impression que le pays est en perte constante des repères. Cet état des choses menace de maintenir le pays dans sa situation d’entropie dans laquelle il se trouve depuis des lustres. Plus d’une fois il a été soutenu qu’aux fins de sortir du marasme sociopolitique dans lequel elle se trouve, l’Afrique noire a tout intérêt à faire un tri dialectique raisonnable entre les valeurs occidentales et les valeurs africaines en ne retenant de part et d’autre que celles qui soient de nature à lui permettre de décoller politiquement, économiquement et technologiquement. Ce qui revient à dire que tout conformisme ou suivisme susceptible de promouvoir le statu quo ou de conduire à la rétrogradation dans la primitivité est blâmable et partant intolérable. Il n’est pas excessif de soutenir que la RDC a la particularité du conformisme non à des valeurs promotrices de liberté mais aux antivaleurs liberticides.
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Ces réflexions sont consécutives aux informations livrées par le correspondant de “Benilubero online” Mr Paluku Juvénal dans un texte intitule “Révolte des Etudiants du Centre Universitaire du Ruwenzori”. Cette révolte aurait eu lieu à Butembo le 22 Janvier dernier. Elle aurait été déclenchée par les Etudiants de la Faculté de Polytechnique à la suite du refus des autorités académiques de céder à leur revendication: la réintégration de trois étudiants renvoyés pour s’être rendus coupables d’infliger aux “nouveaux venus” des traitements inhospitaliers communément appelés “bizutage” ou “bleusaille”.
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Point n’est besoin de rappeler que cette pratique qui m’a toujours paru étrange avait été introduite en RDC par les colonisateurs. Elle a pendant longtemps été prospère dans les écoles secondaires ainsi que dans les établissements d’enseignement supérieur et Universitaire. Le “bizutage” ou “bleusaille” consistait pour les étudiants anciens qui s’affublaient du vocable révélateur de “vieux loups” à infliger des traitements humiliants et dégradants aux nouveaux venus à qui ils collaient l’étiquette méprisante de “Bleus”, “Poils” ou «Tsundi ».. Ces traitements humiliants qui étaient tacitement cautionnés par les autorités scolaires ou académiques (aussi bien laïques que consacrées) s’étalaient sur tout le premier trimestre au cours duquel les nouveaux étaient torturés pendant les heures libres au grand plaisir des anciens et avaient soit disant pour but de “faciliter” l’intégration des nouveaux venus à leur nouveau milieu. Les récalcitrants étaient sauvagement et copieusement passés à tabac par leurs bourreaux: les fameux “vieux loups”. Une façon très étrange d’accueillir autrui et de pratiquer la fraternité et l’hospitalité dont aiment se gargariser les africains!
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Plus d’une fois, en effet, ce passage à tabac entrainait mort d’hommes. J’avais toujours perçu ces pratiques comme foncièrement inconciliables avec deux des valeurs vantées plus à tort qu’à raison par les africanistes à savoir la fraternité et l’hospitalité. Un frère qui accueille un petit frère en lui infligeant coups et blessures en lieu et place de la protection qui lui est due: rien de plus paradoxal et de plus contraire à la tradition africaine. Or, selon cette tradition, le grand frère avait entre autres pour devoir sacré la protection non-négociable de ses frères et sœurs cadets. Signalons au passage que le“bizutage” existerait aussi, parait-il, dans les geôles congolais ou les anciens détenus accueillent les nouveaux avec des coups au lieu de leur réserver un atterrissage en douceur dans ces milieux de torture indument qualifies de centres de rééducation. Une curieuse façon d’user du droit du premier occupant! Je me réjouis d’avoir échappé au fameux “bizutage”. Je me rappelle qu’il avait été opposé une fin de non recevoir violent à celui qui voulait l’introduire la où j’ai fait mon cycle d’orientation. Venu d’une école où le “bizutage” avait cours, il ne savait pas qu’il se trouvait dans une oasis de paix dont les occupants soudés par une fraternité vraie et non de façade étaient très hostiles à la barbarie et à l’arbitraire. Le malheureux fut donc “bizuté” deux fois: d’abord la d’où il venait, ensuite la où il voulait instaurer la pratique où il s’est fait “corriger” par le grand frère de sa victime. Quand on est habitué à la liberté, on a horreur de la perdre, dit Etienne de la Boetie. Et puisqu’on a horreur de la perdre, on est porte à se battre pour la conserver.
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Diabolisée à juste titre par le gouvernement, la “bleusaille” a été formellement interdite par ce dernier en 1973-1974 pour incompatibilité avec l’authenticité zaïroise inventée par Mobutu. Malheureusement les nostalgiques et les sadiques ont toujours eu tendance de ressusciter ou de perpétuer le “bizutage”. Les autorités académiques du Centre Universitaire du Ruwenzori (CUR en sigle) ont donc pris une sage et juste mesure en mettant hors d’état de continuer à nuire les trois étudiants aux tendances passéistes et barbares. Elles ne pouvaient que mettre ces derniers hors circuit pour éviter de prêter le flanc à l’accusation de refus d’assistance à personnes en danger. En effet, une des obligations des autorités académiques est d’assurer la protection de tous leurs sujets chaque fois qu’ils se trouvent être sur le Campus. De ce point de vue, en agissant comme elles l’ont fait, les autorités académiques du CUR n’ont fait que remplir leur devoir. Elles méritent un coup de chapeau pour leur refus intransigeant de laisser prospérer le mal.
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Il est à noter que le “bizutage” n’a plus cours dans les pays ont il a commencé. Je me rappelle que quand j’étais à l’Université de Louvain / site de Louvain-la-Neuve en Belgique, seuls les étudiants qui le désiraient se laissaient “bizuter”. Ce “bizutage” appelé “baptême” qui ne s’étalait du reste que sur une journée et auquel on se soumettait volontairement scellait l’entrée des “bizutés” dans le club des anciens. Autrement dit, on adhérait librement à ce club. Ceux qui n’avaient pas envie d’y adhérer n’étaient pas inquiétés. Les masochistes, il y en a toujours. Tant pis pour eux. C’est le cas de ces femmes qui, en Occident, refusent d’accoucher sans douleurs et s’opposent avec opiniâtreté à la thérapie qui permet d’échapper aux tracasseries ou, à mieux dire, aux épreuves de l’enfantement. En l’absence de douleurs de l’enfantement, argumentent-elles, on risque de ne pas être attaché à son enfant. Autrement dit, selon ces femmes masochistes, ce sont ces douleurs qui scellent l’attachement indéfectible de la mère à l’enfant.
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Ce qui m’étonne dans le comportement de nos frères du Centre Universitaire du Ruwenzori c’est qu’ils semblent revendiquer le droit de faire souffrir autrui. Une revendication qui n’est pas sans étonner par son étrangeté. Comment, en effet, qualifier quelqu’un qui réclame à cor et à cri un tel droit? Le moins que l’on puisse dire est qu’il s’agit d’un monstre à visage humain. Il n’est pas anodin de rappeler que la crise actuelle qui prévaut au CUR est le deuxième cas de figure après celle qui avait déchiré l’Université Catholique du Graben (UCG) en 1994 à la suite de la même revendication: le droit insensé de faire souffrir. La récurrence de cette revendication dont la stupidité se passe pourtant de toute démonstration donne à reflechir.
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L’homme noir semble éprouver un singulier plaisir à faire souffrir son frère noir. Qui a vendu l’homme noir aux esclavagistes? Qui, pendant la période coloniale, a matraqué à sang l’homme noir? Qui, plusieurs années après la décolonisation, continue à soumettre l’homme noir à des conditions de vie oppressives et infrahumaines? Qui se réserve la part du lion et accule l’homme noir à la portion congrue et à la mendicité? Qui méconnait à l’homme noir le droit d’avoir des droits parmi lesquels celui à la vie et à une vie sensée? Qui verse le sang de l’homme noir dans des guerres stupides ou dans des expéditions répressives? A toutes ces interrogations, c’est le même refrain qui revient: l’homme noir. D’où vient cette tendance troublante de l’homme noir à haïr son frère noir, à le malmener et à s’opposer à son bien-être et à son émancipation? Toutes ces questions valent la peine qu’on prenne le temps d’y réfléchir aux fins de diagnostiquer, avant qu’il ne soit trop tard, la raison de ce comportement mortigène et suicidaire. “Connais-toi toi-même”, disait à juste titre Socrate. Au regard des brimades et humiliations infligées à l’homme noir par l’homme noir, cette interpellation divine vaut encore aujourd’hui son pesant d’or, “Caïn, qu’as-tu fait de ton frère?” Au cas où l’on rétorquerait que l’homme noir se conduit comme il fait parce que manipulé par des forces exogènes ou extérieures, il n’en resterait pas pour autant moins qu’il est coupable de se laisser manipuler.
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La revendication des étudiants du CUR à savoir le droit de malmener leurs cadets et la colère dont ils ont fait montre à la suite de la méconnaissance d’une telle revendication par les autorités académiques, colère qui a culminé dans des actes de vandalisme, ne sont pas sans plonger dans l’effroi ceux qui voient en ces jeunes de potentiels oppresseurs et tortionnaires de demain. Comment expliquer cette tendance viscérale au sadisme et à la destruction qui semble nous caractériser, nous peuple congolais?
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Un des fléaux décriés avec force et non sans raison au Congo en voie de démocratisation c’est l’impunité. Celle-ci est à la base de la plupart des maux qui gangrènent le pays et le condamnent à l’immobilisme. Si on veut éradiquer ou conjurer le règne de la barbarie, force est de s’attaquer à une de ses principales causes à savoir l’impunité. Aussi doivent être impérativement et activement identifies et recherches les responsables des faits graves et ignobles relevés par le correspondant de Beni-Lubero, 1) la revendication d’un droit impensable: celui de soumettre les étudiants des premiers Graduats à des brimades, revendication révélatrice d’un sadisme inquiétant, 2) le soutien complice aux étudiants renvoyés pour comportement barbare: on ne peut pas prendre fait et cause pour un barbare sans être soi-même barbare, 3) la distribution des coups et blessures aux Autorités académiques diabolisés pour avoir voulu rétablir l’ordre et la sécurité sur les campus du CUR, un cas d’un manque flagrant de respect envers l’autorité ou envers les ainés, 4) la diabolisation injustifiée du Maire de Butembo, 5) la perturbation des activités commerciales dans la ville, 6) la destruction des biens appartenant à des tiers, 7) les démolitions effectuées sur le bâtiment de la Mairie…
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Le congolais souffre déjà assez. Il est pour ainsi dire cruel d’ajouter à ses souffrances indues des souffrances artificielles supplementaires. Le peuple congolais est déjà suffisamment “bizuté” par la misère qui lui est imposée depuis des lustres par les tenants des structures politiques décadentes et oppressantes qui gèlent son émancipation et son bien-être. Il n’échappe à personne que la RDC est un pays en état de destruction très avancé et qui donc a urgemment besoin d’être reconstruit. Il est, par conséquent, difficile de comprendre que des personnes douées de raison et qui disent vouloir faire partie de l’élite de demain s’acharnent à détruire les quelques infrastructures qui restent encore debout et qui, par conséquent, devraient être jalousement protégées. Dans un contexte où la rareté bat son plein et où il est extrêmement malaise d’accéder à l’avoir ou à la propriété, il est écœurant de voir ou d’apprendre que des biens difficilement acquis ont été détruits non par la nature mais par des êtres pensants. Qui va dédommager tous ces gens dont les biens ont été saccagés ou détruits dans la mesure où le gouvernement congolais ne dispose pas d’un fonds de calamités pour se porter au secours des sinistrés, comme cela se fait sous d’autres cieux? L’intégrité physique et la propriété privée sont d’autant plus sacrées que personne ne peut impunément y porter préjudice. Je crache aujourd’hui ma colère pour avoir été plusieurs fois victime du comportement barbare des étudiants à Kinshasa. Non possum non loqui.
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Pour conjurer la répétition des événements susmentionnés, trois réactions s’imposent, me semble-t-il. 1) L’insertion dans les statuts qui régissent chaque établissement d’enseignement supérieur et universitaire à Beni-Lubero d’une disposition qui interdit expressément et formellement le “bizutage” sous peine de renvoi sans autre forme de procès. 2) La traduction devant la justice des responsables des événements qui ont mis à rude épreuve la sécurité des personnes et des biens dans la journée du 22 Janvier dernier à Butembo. L’on ne doit pas oublier que le “grand bénéficiaire” du processus électoral en voie d’achèvement en RDC a sonné la fin de la recréation c’est-a-dire la fin de l’impunité le 6 Décembre dernier. L’on ne doit pas non plus oublier que l’heure de la guerre contre le terrorisme a été sifflée depuis 2001 par “le gendarme du monde” à savoir Mr Bush. 3) La réclamation des dommages et intérêts aux coupables ou à leurs familles au profit des victimes de la journée du 22 Janvier. Aux grands maux, de grands remèdes, dit un adage.
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Il est grand temps qu’il ne soit plus permis à quiconque sème le vent de récolter autre chose que le vent. La sécurité des personnes et de leurs biens en dépend. On aurait tort de multiplier la race des Nkunda. La débarbarisation des mœurs n’est jamais un acquis mais une tache à réaliser au quotidien. Il n’est pas sans importance de rappeler que la mission de l’Etat consiste, entre autres, à maintenir l’ordre et la sécurité en permanence en sévissant contre la délinquance ou la barbarie d’où qu’elle vienne. Pas de développement sans sécurité, a rappelé à juste titre Kofi Annan dans son discours d’adieu à l’ONU. La reconstruction de la RDC a besoin, aux fins de sa matérialisation, de la promotion des valeurs et non des antivaleurs.
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Père Léopold Kamundu Yamara, O. Praem.
New York (USA)
Beni-Lubero Online





