





Mis à part le concept de l’ivoirité qui distinguent les ivoiriens entre authentiques et usurpateurs de la nationalité ivoirienne, deux grandes religions, à savoir le Christianisme au Sud et l’Islam au Nord départagent les ivoiriens.
Pendant la dernière campagne électorale qui a accouché de deux faux jumeaux présidents de la République, on a vu le débat sur l’ivoirité perdre de sa passion d’antan et s’essouffler. En effet, l’ancien ténor de l’ivoirité, en l’occurrence, Mr Konan Bédié, a au second tour du scrutin offert sa consigne de vote en faveur de l’usurpateur supposé d’avant, à savoir Alassane Dramane Ouattara. Ce dépassement de la politique identitaire par Konan Bédié fut une des révélations de la dernière campagne électorale en Côte d’Ivoire.
Mais qu’en est-il du clivage religieux ? A-t-il été abandonné pour laisser la place à une politique rationnelle avec débats d’idées et de projets de société au lieu de chercher à savoir dans quelle église ou quelle mosquée tel candidat prie ?
Pour ce qui concerne les partenaires extérieurs de la Côte d’Ivoire, on peut répondre par l’affirmative que le clivage religieux a été abandonné au profit du réalisme politique. Avec l’éclatement de la crise entre Laurent Gbagbo, Catholique et Alassane Dramane Ouattara, musulman, les grandes puissances de tradition chrétienne, notamment la France et les Etats-Unis soutiennent aujourd’hui le musulman Ouattara tandis que les grandes puissances de tradition athée et communiste soutiennent le catholique Laurent Gbagbo. On reconnaît dans ces alliances politiques de l’heure le réalisme connu des états-nations dont la politique étrangère dépend souvent de leurs intérêts du moment. Le cas actuel de la Côte d’Ivoire n’est donc pas le premier dans l’histoire des états-nations.
Pour ne citer que quelques exemples, rappelons qu’au début du 20ième siècle, la France était le pays qui envoyait le plus des missionnaires catholiques à travers le monde et surtout en Afrique quand elle traversait à domicile une virulente crise anticléricale (1901, 1905 : La loi anticléricale). Les congrégations religieuses étaient déclarées illégales et expulsées de la Métropole parce qu’elles étaient sous les ordres de l’étranger, c’est-à-dire, Rome et enseignaient à leurs fidèles la prière au lieu de l’action pour transformer la société. Le Roi des Belges Léopold II acceptait chez lui les congrégations religieuses chassées de France, telles les Pères Assomptionnistes, les Jésuites, etc., car disait-il, les religieux sont bons et après tout, ils payent les taxes. Bien qu’il ne fût pas un exemple religieux à suivre, Léopold II était un réaliste qui avait tiré un certain profit de cet événement historique, notamment une certaine sympathie des catholiques de son pays.
On sait aussi que le même Léopold II avait un moment donné durant son règne, préféré l’envoi dans sa colonie congolaise, des congrégations religieuses belges à celles d’autres pays. Les protestants en particulier lui donnèrent du fil à retordre lors de la dénonciation virulente des crimes contre l’humanité commis par les colons belges lors de l’exploitation du caoutchouc rouge ou caoutchouc de sang. Aujourd’hui, les mêmes églises protestantes qui avaient contribué plus que les catholiques à la dénonciation sur la scène internationale des crimes contre l’humanité de l’époque du caoutchouc de sang, gardent le silence devant les crimes contre l’humanité du coltan de sang. Les temps ont changé. Les puissances de tradition protestante ont aujourd’hui la main mise sur la R.D.Congo. Contrairement à l’époque de la colonisation belge, les catholiques, collabos de Léopold II, essaient de donner de la voix de temps à temps. C’est le cas de Mgr Sikuli de Butembo-Beni et depuis le 5 décembre dernier, Laurent Cardinal Monsengwo, Archevêque de Kinshasa.
L’ironie des expulsions des congrégations religieuses de la France est que les Pères Blancs du Cardinal Lavigerie qui avaient des missions dans les colonies françaises d’Afrique ne furent pas expulsées de France par les anticléricaux. D’après l’historien Aylward Shorter, 22 missions des Pères Blancs en Algérie et dans le Soudan Français avec un total de 400 missionnaires qui recevaient des subsides d’un gouvernement anticlérical de France. A propos de ce favoritisme, un enfant français posa une question à son enseignant : Pourquoi les Pères Blancs n’étaient pas expulsés comme les autres ? L’enseignant répondit: Parce que ce sont des animaux utiles. En effet, les missionnaires bannis en France, étaient utiles dans les colonies pour y préparer le chemin du commerce (Aylward Shorter, Cross & Flag in Africa, The White Fathers during the colonial scramble 1892-1914, pp 14-19).
Aussi, pendant un temps, le Roi Léopold II par le canal du britannique-américain Henry Morton Stanley, confia jusqu’à 1890, l’autorité de l’Est de la RDC à Tippu TIP, un esclavagiste musulman de Zanzibar car ce dernier était l’homme fort du coin dans le commerce de l’ivoire. Léopold II qui officiellement était au Congo pour lutter contre l’esclavage, trouva en l’esclavagiste Tippu Tip un collaborateur digne de confiance parce que ce dernier lui vendait l’ivoire bonne qualité à un bon prix. Les successeurs de Léopold II poursuivent aujourd’hui le même réalisme politique dans cet ancien fief de Tippu Tip qui se trouve aujourd’hui sous la coupe d’un certain Paul Kagame qui jouit du soutien de la Belgique et de l’Occident en général malgré les accusations de génocide et des massacres des populations congolaises qui pèsent sur lui. La raison du soutien à Paul Kagame est la même que celle qui avait dans le temps expliqué le soutien de Léopold II à l’esclavigiste Tippu Tip, notamment, l’extraction des minerais au profit des entreprises occidentales.
Voulant pousser ce réalisme politique plus loin, la Belgique demanda aux Pères Blancs qui connaissaient les langues congolaises mieux que les officiers militaires belges, d’ouvrir une académie militaire pour former les militaires de la Force Publique. Les Pères Blancs refusèrent cette offre bien qu’ils collaboraient avec le Royaume de Belgique dans le domaine de l’enseignement et dans bien d’autres.
Les Anglais bien que chrétiens anglicans préférèrent travailler avec les musulmans au Soudan et en Ouganda parce que ces derniers étaient les plus forts militairement sur terrain. On peut multiplier les exemples de ce réalisme politique occidental au cours de l’histoire et à travers le monde.
Depuis la séparation de l’Eglise et de l’Etat accentuée au siècle des Lumières, l’occident politique sait très souvent dépasser le clivage religieux dans la définition de sa politique étrangère. C’est ainsi qu’en Côte d’Ivoire, deux démocraties du monde, à savoir les USA des Démocrates et la France des Républicains soutiennent le musulman et donnent toutes les deux plus de poids à la commission électorale de la Côte d’Ivoire qu’à la Cour Suprême de Justice contrairement à leurs us et coutumes respectifs. Pour ne citer qu’un exemple, les USA avait recouru en 2000 à la Cour Suprême de Justice pour départager les candidats Al Gore et Georges W. Bush sans devoir procéder au recomptage de tous les bulletins de vote à travers tout le pays. Les communistes russes et chinois qui ne sont pas connus comme grands démocrates donnent aujourd’hui une leçon de démocratie à la France et aux USA dans le cas de la Côte d’Ivoire, en rappelant que la Cour Suprême de Justice d’un pays est souveraine et que l’ONU par définition observe les élections mais ne peut les juger en dernier ressort car n’ayant qu’un pouvoir de témoin.
La question qui se pose est celle de savoir si les ivoiriens voient ce réalisme politique des partenaires internationaux de leur pays. Si oui, les musulmans feraient attention de ne pas céder facilement à une campagne pro-Ouattara sur la seule base de l’appartenance à l’Islam. Il en est de même des chrétiens du camp de Laurent Gbagbo. Le seul fait d’être chrétien ne devrait pas conditionner un vote pour une politique soutenue par des communistes, des athées par surcroit.
Les alliances politiques du monde global en ce début du 21 ième siècle se mesurent à l’aune des intérêts supérieurs des états-nations ou des transnationales. Cette fluctuation est un appel aux ivoiriens et à tous les africains, à murir leurs critères de choix politique. En effet, la division de l’Afrique et des africains sur la base du critère religieux, de l’ethnie, de la morphologie ( petit de taille ou grand de taille), de la topographie (nord, sud, est, ouest, montagnes, vallées, etc.) a fait son temps. Cette division a été catastrophique pour les pays africains à plusieurs égards. Chaque état-nation d’Afrique doit aujourd’hui choisir sa ligne politique et ses leaders politiques sur la base de ce qui compte dans la vie de tous ses citoyens, qu’ils soient musulmans, chrétiens, animistes, etc. Aujourd’hui, il appert que la vie humaine sous toutes ses formes est menacée partout en Afrique par des forces du capitalisme sauvage qui prétendent pourtant la servir. Ainsi, la paix pour tous, la securité sous toutes ses formes paraît être le critère fondamental du choix politique dans la plupart des pays africains, tels la Côte d’Ivoire, la R.D.Congo. Sans la paix véritable (pas la paix du cimetière), il n’y a pas de vrai développement, pas de vraie démocratie. Les differentes religions et les différentes ethnies devraient ainsi inventées ensemble des nouveaux critères de choix politique qui favorisent la paix pour tous et qui sont à même de surmonter les traditionnels clivages religieux et ethniques qui se révèlent obsolètes pour la reconstruction de l’Afrique.
Vincent Machozi, a.a.
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