





Réagissant au "discours musclé" du Ministre Belge des Affaires Etrangères fustigeant la corruption, la mal gouvernance, la violation des droits de l’homme au Congo et les privilèges de certains Congolais aux dépens du plus grand nombre, Joseph Kabila a accordé (?) un entretien exclusif au journal Belge Le Soir. Dans cet entretien, "la Belgique, dit-il en substance, doit choisir entre un rapport normal entre Etats souverains et "des rapports de maîtres à esclaves", évidement inacceptables pour Kabila." (C. BRAECKMAN, Kabila aux Belges: "Le rapport maîtres-esclaves, c’est fini. Entretien exclusif avec le président du Congo: "L’Etat congolais n’est-il pas souverain?", dans Le Soir du jeudi 24 avril 2008, p.1)
I. L’esclavage premier
A cette étape de notre analyse, nous nous posons la question de savoir qui doit choisir quoi. Est-ce le Congo de Kabila qui a opté pour le rapport de maître à esclave ou la Belgique et l’Occident? Théoriquement, nous risquons de répondre à cette question en disant: "Tous les trois".
Mais l’examen pratique des faits et des discours est révélateur d’une extraversion caractéristique des gouvernants Congolais. Ils auraient un peu plus intérêt à initier, dans les actes, un autre mode de partenariat que "leurs partenaires extérieurs".
Relisons un peu un extrait de l’entretien de Joseph Kabila. Pour justifier le recours aux Chinois, Joseph Kabila dit: "Avant les élections déjà, j’avais fait des promesses à la population, sur la base d’engagements pris entre autres par la Banque mondiale. Par exemple, alors que j’étais de passage à Kikwit en 2002, j’avais promis à la population qu’elle aurait une route la reliant à Kinshasa, sur base d’une promesse faite par M. Prodi, au nom de l’Union européenne. Jusqu’à ce jour, on a rien vu, et il y a beaucoup d’exemples comme celui-là." (Ibidem, p.3)
Ce texte part d’un non-dit qui est un postulat: "Pour construire le Congo, la Banque mondiale et l’Union européenne doivent donner de l’argent. Les gouvernants congolais peuvent ne pas produire eux-mêmes cet argent. Mais ils doivent, en comptant sur "les partenaires extérieurs", faire des promesses à leurs populations." Pour dire les choses autrement, l’argent pour construire le Congo doit être donné par "les partenaires extérieurs" et non produit au Congo même. Pourquoi? Cela a toujours été comme ça. Tel est l’esclavage premier: l’esprit extraverti de plusieurs d’entre nous et de nos gouvernants actuels. Sans une remise en question sérieuse de ce postulat, la magie des mots (souveraineté, légitimité) ne brisera pas les chaînes spirituelles de notre esclavage. Elles ne nous permettent pas de comprendre qu’il n’y a pas de souveraineté politique sans base (économique) matérielle autonome. En d’autres termes, on ne devient pas souverain avec l’argent d’autrui… "Kapingu nakusonga, wangata twuisu wantonuena!"
En effet, un examen sérieux des actes posés par Joseph Kabila, son gouvernement et le Parlement Congolais depuis la mascarade électorale de 2006 ne permet pas facilement de conclure comme le fait le Président Congolais: "Le rapport maîtres-esclaves, c’est fini." Il conduit par ailleurs à affirmer que le Congo de Kabila n’est pas encore souverain.
Pour éviter que la mystification linguistique dans laquelle la mondialisation marchande nous a embarqués depuis les années 70 ne prête à confusion, il sied que nous commencions par dire ce que nous entendons, tant soit peu, par souveraineté.
II. Souveraineté théorique et faits
Une certaine tradition politique confortée par le siècle des Lumières considère qu’un Etat est souverain quand les décisions et les délibérations (du corps politique des représentants du peuple) concernant l’orientation sa gestion de la res publica sont indemnes de toute contrainte intérieure et/ou extérieure autre que celle qu’elle permet. Mais cette souveraineté peut disparaître en tout ou en partie. Elle peut se perdre. Quand? "Lorsqu’une puissance étrangère lui impose ses lois, alors l’Etat n’est plus souverain et disparaît en tant que tel. Son existence est en effet mise en question car il perd tout ou partie de sa souveraineté qui forme son essence. C’est le cas lors d’une invasion militaire, mais aussi lorsque l’Etat doit s’incliner les pressions qui lui sont extérieures, comme peuvent l’être par exemple un lobby bancaire ou un groupe idéologiquement commandé par des inspirations étrangères. Le développement de la mondialisation a vu récemment divers cas de pressions extérieures imposant à de petits Etats de modifier leur politique, par exemple sur le plan économique ou sur le plan des lois intérieures." (V. AUCANTE, De la solidarité. Essai sur la philosophie politique d’Edith Stein, Paris, Parole et Silence, 2006, p.126) L’Etat perd sa souveraineté lorsqu’elle est rendue incapable de légiférer par sa propre autorité.
Dans un monde mondialisé où "la démocratie du marché" a pris toute la place et où "l’économie du marché" a instrumentalisé le pouvoir politique, l’esclavage ne se pratique plus par le recours à la chicotte. Il a pris une forme civilisée. Les IFI, bas financier de l’impérialisme et des "cosmocrates" occidentaux ayant transformé le Congo de Kabila en un simple marché déréglementé, dictent aux Etats-vassaux la ligne de conduite à tenir dans la gestion "des affaires" et utilisent la dette comme nouvelle arme de domination.
Les analystes congolais et amis du Congo le savent et en témoignent.
Dans un article publié récemment par le journal Le Potentiel, il ressort que c’est la Banque mondiale et le Fonds monétaire international qui légifèrent au Congo pour les matières aussi sensibles que les mines et la forêt. Voici ce qu’écrit Le Potentiel: "Les reproches, régulièrement formulés contre la politique de diktat menée principalement par la Banque mondiale et le Fonds monétaire international tournent autour de leur politique antisociale. Des fonds destinés à la RDC, dans le cadre des réformes, ne sont pas accompagnés des volets sociaux subséquents de manière à atténuer les effets pervers.
Au-delà, des textes mis en place dans ce même cadre ont privé les Congolais de leurs droits à la survie. Des compensations prévues dans les cahiers de charge ad hoc ne se traduisent que timidement en actions sur terrain. Pour cause ? Les différents codes miniers, forestier et des investissements tout comme les dispositions légales du pilotage des réformes pêchent par l’absence de structures de contrôle adéquates. Des mesures d’application limitent les champs de subsistance des populations victimes alors qu’au même moment, l’Etat ne tire pas grand profit de l’exploitation de ses propres ressources.
Dans le Code minier par exemple, l’Etat n’a droit qu’à 5% du capital en termes de redevance.
Le nouveau Code des investissements, d’inspiration Banque mondiale, provoque un manque à gagner important au Trésor public, sans la garantie d’une rétribution équivalente. Des exonérations de façon excessive sont accordées ainsi que des exemptions. Notamment par certaines autorités des régies financières en dehors des dispositions réglementaires. Une absence notoire de critères clairement définis et de procédures précises et fiables d’octroi des exonérations font place nette à des détournements et des arrangements avec les administrations." (Codes minier, forestier, réformes…, les « crimes » de la Banque mondiale en RD Congo!, dans Le Potentiel du 24 avril 2008.
Quelques mois après l’investiture du gouvernement Gizenga, le CADTM avait déjà tiré une sonnette d’alarme en publiant (le 6 juillet 2007) sur son site un article au titre très révélateur de la politique esclavagiste pratiqué par le duo Kabila-Gizenga et leur Parlement: "RDC : la démonstration du pillage et de la soumission".
Dans cet article, Eric Toussaint et Damien Millet prenaient la RDC comme un exemple éloquent de la soumission et de la perte de la souveraineté Ils écrivaient ce qui suit: "Pour qui veut comprendre des notions aussi complexes que le pillage des richesses d’un pays, la perte de souveraineté intolérable d’un Etat et la notion de dette odieuse, la République démocratique du Congo (RDC) est un cas d’école. La façon dont le budget 2007 a été constitué et les orientations prises par le gouvernement dirigé par Antoine Gizenga fournissent des preuves saisissantes de ce que le Comité pour l’annulation de la dette du tiers-monde et tant d’autres mouvements sociaux avancent depuis des années." (Nous soulignons). Ils justifiaient leur prise de position en montrant que "le projet de budget 2007 présenté par le gouvernement à l’Assemblée nationale était marqué par une orientation néolibérale stricte, et pour cause : selon le ministre congolais des Finances, Athanase Matenda Kyelu, il « était conforme aux arrangements convenus avec les services du FMI »." Et ils ajoutaient: " Gardons à l’esprit que le FMI est le fer de lance de la mondialisation financière, particulièrement réputé sur tous les continents au sein des populations pauvres pour les ravages commis par les mesures antisociales qu’il a imposées depuis un quart de siècle…"
Face au refus du Parlement un budget de misère issu des " arrangements convenus avec les servies du FMI", "le gouvernement a alors été chargé d’éteindre l’incendie en intervenant auprès du Sénat dans ce sens. Voilà comment un gouvernement se soumet au FMI et à ses créanciers, exactement comme un esclave sert son maître." Et le 29 juin 2007, le Sénat avait dû se pliait au diktat du FMI.
En sus, "une part démesurée – 50% ! – des ressources propres de la RDC va au service de la dette, dont le poste budgétaire est en très nette augmentation. Comme l’a déclaré le Premier ministre congolais lors de la présentation du budget : « Cette situation réduit ainsi la capacité du Gouvernement de consacrer ses ressources internes, dès 2007, à l’amélioration des conditions de travail des agents et fonctionnaires de l’Etat et particulièrement ceux de la Police et de l’Armée et à renforcer sa capacité financière au profit des investissements prioritaires. » Finalement, entre réaliser ces investissements prioritaires ou rembourser de riches créanciers qui s’accaparent les richesses nationales, le gouvernement, fortement conseillé par le FMI, a choisi la seconde alternative. Evidemment, les dépenses pour l’éducation et la santé sont réduites à la portion congrue." Ce choix, en empêchant délibérément la satisfaction des besoins humains fondamentaux portait atteinte à plusieurs textes fondamentaux dont la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme et le Préambule de la Constitution congolaise, au nom de l’initiative PPTE.
Quelle est la finalité de cette initiative? Il s’agit "d’imposer à la RDC des mesures économiques très impopulaires, comme la réduction des budgets sociaux, la suppression des subventions aux produits de première nécessité, des privatisations, l’ouverture des frontières et une fiscalité qui aggrave les inégalités."
Joseph Kabila et Antoine Gizenga, en acceptant que, sur le conseil du FMI, le Congo soit classifié parmi les pays pauvres très endettés, souscrivaient au blanchiment des dettes odieuses contractées par Mobutu et ses dinosaures avec la complicité du FMI, de la Banque mondiale et de certains créanciers opérant au sein de ces IFI dont la Belgique. Ce faisant, ils mettaient au cou de notre pays la chaîne de l’esclavage occidental. Ils auraient prouvé que le Congo est souverain en organisant un audit sur ces dettes odieuses au moment de leur prise du pouvoir. Pour ne l’avoir pas fait, Joseph Kabila, Antoine Gizenga et les Parlementaires Congolais peuvent être classifiés parmi "les collabos" du nouvel esclavage occidental au Congo.
Un audit sur ces dettes odieuses auraient permis aux Congolais de ne pas rembourser pour la énième fois l’argent laissé (et/ou gardé) par Mobutu et ses dinosaures dans les banques ou dans l’immobilier en Occident. Une action en justice aurait permis de disqualifier, une fois pour toutes, la Banque mondiale, le FMI et ses créanciers comme "partenaires extérieurs " fiables du Congo.
Soulignons aussi que dans un pays où le gouvernement se soumet aux IFI et entraîne le Parlement à n’être que sa caisse de résonnance, il n’y a pas lieu de parler de souveraineté et même pas de légitimité du pouvoir. Les Parlementaires sont vite transformés en esclaves heureux et "frimeurs", traîtres des populations qu’ils sont sensés représenter. Par sa soumission aux IFI, le gouvernement Congolais soumet le Parlement et prouve que, contrairement à la théorie (mal comprise) de la séparation des pouvoirs, le législatif ne jouit pas toujours d’une marge autonomie face à l’exécutif. (à suivre)
J.-P. Mbelu
Bruxelles (Belgique)
Beni-Lubero Online





