





Pendant que les Occidentaux, les Asiatiques, les Russes, etc. affûtent leurs idéologies pour se placer en ordre utile sur les axes stratégiques qui comptent, une certaine opinion congolaise décrète "la fin du discours" pour des actions concrètes de libération du pays.
Pendant que les Occidentaux, les Asiatiques, les Russes, etc. se ruent au Congo pour acheter les carrés miniers, exploiter les hydrocarbures et les autres matières premières, une certaine opinion congolaise décrète le retour urgent de ses fils et filles "sur terrain" pour une lutte efficace contre les réseaux mafieux au pouvoir à Kinshasa. "Ce décret" est dit réaliste. Ses ténors n’y soupçonnent même pas les excès de la pensée dualiste, nuisible à l’avenir du Congo, de l’Afrique et du monde.
Parler peut devenir une arme
Cette pensée dualiste est fondée sur des hypothèses discutables. La première est celle de l’inefficacité du discours. "Les Congolais, écrivait une journaliste belge, croient qu’ils ont agi quand ils ont parlé." Cette disqualification du discours inefficace des slogans creux et des paroles vides néglige "la force de la parole spontanée" de ceux et celles qui sont habités par "la mission" de la lutte pour un autre monde. Eva Joly, en bonne missionnaire de cette lutte croit, elle, que parler peut devenir une arme. Revisitant ces années de lutte contre la corruption (en France), elle écrit:"J’ai reçu de ces années utopiques le don de la conviction, j’aime transmettre le désir d’agir. Parler est devenu une arme. Je ne prépare jamais un discours, je me contente de jeter quelques idées sur un bout de papier, car j’aime la force de la parole spontanée. Je sais qu’en tirant le fil de mes idées j’irai quelque part." (E. JOLY, La force qui nous manque, Paris, Les arènes, 2008, p.77)
Quand, de l’hypothèse de l’inefficacité des slogans creux et des paroles vides, une certaine opinion congolaise en appelle à "la fin du discours", elle tombe dans le piège de la pensée dualiste et de la logique binaire. Elle passe à côté de certaines questions essentielles. La non-localisation des débiteurs des slogans creux et des paroles vides et/ou l’infirmité méthodique du cercle auquel ils appartiennent peuvent constituer un obstacle à l’évaluation de la force de la parole. A partir d’où parlent certain(e)s Congolais(es)? De leurs chambres ou de ces réseaux associatifs cultivant le discours du refus de l’ordre institutionnel mondial téléguidé par les cosmocrates?
Le théologien et philosophe congolo-africain Kä Mana semble avoir une perception plus juste des choses quand il écrit: "Bientôt, il ne suffira plus d’afficher des postures de lucidité critique face au pouvoir en place ou de présenter des analyses théoriques de haute facture intellectuelle (comme les siennes) pour prétendre être une force d’intelligence dans notre pays. Il faudra plutôt répondre clairement aux questions suivantes: -dans quelle action de transformation concrète du pays suis-je engagé en tant que force de l’intelligence congolaise? –Avec quel réseau du changement radical de destin suis-je en train de travailler dans la lumière d’idées nouvelles sur la construction d’une nouvelle société congolaise? Quels sont mes lieux d’investissement humain au service de la renaissance et de la reconstruction du pays?" " KA MANA, Nouvelle orientation pour notre pays: les cinq exigences indispensables à la reconstruction de la République démocratique du Congo, dans www.congoone du 28 juillet 2008.
Contrairement aux ténors du discours dualiste privilégiant l’action au détriment du discours, Kä Mana soutient qu’un lien permanent soit établi entre "théorie et pratique, idées et action, discours et investissement concret dans la formation pour des initiatives concrètes capables de changer le Congo." (Ibidem) Les séparer, par des propos fidèles à la logique binaire de "ou bien le discours ou bien l’action concrète", c’est négliger la capacité fécondante des idées pour des actions réfléchies, programmées, disciplinées et organisées à l’avance. C’est opter pour la navigation à vue.
Structurer les réseaux du refus
Le lien entre la théorie et la pratique, entre idées et actions devient agissant quand il est assumé au sein des réseaux associatifs interconnectés ou d’un Network. L’interconnexion déplace et dépasse les frontières. Son terrain n’est pas l’espace géographique limité d’un pays. Dans un monde où la globalisation des marchandises et des échanges marchands l’emporte sur celle des sujets humains, l’interconnexion au sein d’un Network est un mode tactique de l’affirmation performative de l’unification des sujets humains. Le terrain de l’interconnexion est le monde entier, pensé comme étant sans "murs de séparation".
L’exemple du Network créé par Eva Joly et ses amis juristes permet de mieux approfondir cette idée. En effet, écrit-elle,"l’idée est simple: réunir de manière informelle ceux qui de par le monde sont en charge de difficiles dossiers de corruption, procureurs, enquêteurs, juges, policiers. Il y a partout des énergies (…) isolées dans leur pays, en butte au système, au pouvoir politique, il faut les relier entre elles, tisser une toile serrée, forger un bouclier. Nous sommes pour l’instant une vingtaine, venus de tous les continents. Le Network est une façon de se rencontrer, d’échanger, c’est un forum d’apprentissage, un outil précieux, qui permet l’entraide et la visibilité." (E. JOLY, op.cit., p.33) L’interconnexion des énergies isolées devient un bouclier contre les systèmes politiques mortifères.
Cloisonner l’action sur un terrain géographique précis, s’il ne permet pas une grande ouverture aux autres, à partir d’autres localités, peut être appauvrissant pour cette action. Cela peut aussi être une façon de partager la thèse de la pensée dominante selon laquelle la mondialisation (et/ou la globalisation) ne doit concerner que les marchandises, les monnaies, les cosmocrates et les autres financiers des pays riches. C’est militer pour le maintien du statu quo: un monde divisé entre riches (ayant les privilèges de se déplacés d’un bout du monde à l’autre) et les pauvres (et/ou les appauvris) enfermés dans les bidonvilles du Sud ou les prisons du Nord. Telle est l’une des hypothèses soutenues implicitement par les partisans du retour des Congolais(es) de l’étranger "sur terrain".
Cette hypothèse est soutenue malgré le fait que la pègre qui sévit au pays s’en prend souvent aux meilleurs de nos filles et fils: "Botethi assassiné, Gabriel Mokia enlevé, Prosper Katoto Kassor porté disparu et puis retrouvé mort, un acteur de théâtre populaire, du nom de Mbonge, tué dans la nuit du 22 au 23 juillet 2008, etc."
Se structurer comme forces du refus exige une participation active aux réseaux associatifs du Nord et du Sud, de l’Est et de l’Ouest et la mise sur pied des lobbies à travers le monde entier pensé comme étant "un". Tel est l’idée régulatrice de plusieurs usagers des réseaux associatifs. Ils se considèrent comme des citoyens et des citoyennes du monde, missionnaires de son unification.
C’est une idée noble que nos compatriotes, soucieux de bâtir un Congo plus beau qu’avant, souhaitent que tous ses fils et toutes ses filles y participent. Néanmoins, certains d’entre eux passent à côté de la plaque en réduisant les lieux où les fronts congolais longtemps courbés doivent être dressés à l’unique "terrain" congolais.
Il se pourrait que victimes du syndrome de Stockholm, ils soient gagnés par les idées du sacrifice sanglant et de la mort que leurs bourreaux imposent aux Congolais(es). Il se pourrait aussi que les Nouvelles Technologies de l’Information et de la Communication ne soient pas encore utilisées de façon maximale par ces compatriotes habitués à débattre sur Skype et à participer à certaines vidéos-conférences. Le syndrome de Stockholm, le sadomasochisme et l’usage minimal des NTIC peuvent constituer des obstacles sérieux au soutien du discours performatif des réseaux associatifs du "monde unifié".
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J.-P. Mbelu
Bruxelles-Belgique
Beni-Lubero Online





