




Le Nord-Kivu est actuellement à la croisée de deux chemins, l’un indiquant un modèle de développement sous occupation rebelle avec l’aide de la Communauté Internationale, et l’autre étant celui de la poursuite de la lutte pour la souveraineté de l’Etat et l’auto-détermination du peuple congolais. Cette situation met le Nord-Kivu devant un choix difficile inattendu après les élections de 2006 dont le but était de mettre le pays sur la voie de l’autodétermination. Le choix imposé aux Nord-Kivutiens par l’accord de Goma est ainsi une violation de leur liberté et de leur volonté clairement exprimées lors des élections de 2006. Ainsi, tout projet qui passe outre les institutions provinciales démocratiquement élues est une violation du droit fondamental des Nord-Kivutiens à leur auto-determination.
Le dicton selon lequel ventre affamé n’a point d’oreilles risque de se vérifier au Nord-Kivu en ce moment où son peuple se trouve à la croisée de chemins. En effet, les populations ayant été clochardisées par la guerre d’occupation rwando-ougandaise (1996-2008), sont comme obligées contre leur gré d’abandonner la voie de leur auto-détermination pour un modèle de développement qui leur promet un peu de répit sous la condition d’accepter le diktat étranger dans la gestion de la province.
Cette violation du droit d’auto-détermination du peuple congolais en général et du peuple Nord-Kivutien en particulier, veut dire que ceux qui vont à l’encontre de la volonté du peuple Nord-Kivutien, ont un autre agenda qui n’a pas été bien servi par les élections de 2006.
Au lieu que le parlement national issue de ces mêmes élections, défende les institutions provinciales qui représentent la volonté du peuple, les nord-Kivutiens n’ont pas cru à leurs yeux en l’entendant proposer l’organisation d’autres tables rondes provinciales à l’instar de celle de Goma qui poursuit un agenda contraire à la volonte du peuple du Nord-Kivu. Le parlement congolais a ainsi donné l’image d’un homme qui scie la branche sur laquelle il est assis. Comme les représentants du peuple congolais emboitent le pas aux pourfendeurs de la démocratie congolaise, le choix du peuple abandonné par ses représentants s’avère périlleux !
Pour ne donner qu’un exemple, les nominations au sein du Programme Amani pour le Kivu se font comme avant les élections, c’est-à-dire par magouilles et combines politiciennes, loin de l’hémicycle provincial, loin du peuple. Pour y faire parti, un élu du peuple doit avoir d’autres vertus que son score électoral. Ceci explique pourquoi les étrangers sont les premiers à se féliciter de l’avancement du projet Amani pendant que sur terrain les Nord-Kivutiens pleurent leurs morts, victimes d’une insécurité grandissante. La semaine écoulée, le contraste entre le peuple nord-kivutien et les bailleurs du projet Amani était trop criant pour passer inaperçu. La manifestation des femmes qui ont bravé le gaz lacrymogène et l’intimidation de la police a eu lieu en meme temps que les messages du satisfecit des bailleurs sur la mise en place de la cellule technique du Programme Amani étaient diffusées sur les radios internationales. Les tueurs qui ont endeuillé la ville de Goma et qui courent toujours ses rues n’ont pas été condamnés dans ces messages d’auto-satisfaction émanant de l’étranger. Cette contradiction entre les puissances étrangères et la réalité sur terrain au Nord-Kivu met en pleine lumière toute l’ambiguïté du projet Amani qui n’a pas comme priorité les droits humains fondamentaux des Nord-Kivutiens, prétendus pourtant bénéficiaires. D’où la suspicion que les congolais du Nord-Kivu ne sont peut-être pas les bénéficiaires présumés du projet Amani. Ils feraient ainsi partie du problème à résoudre, raison pour laquelle leur mort n’emeut les bailleurs du projet Amani avec son développement sans mesures securitaires. Pour ne donner qu’un exemple: comment expliquer que l’on inaugure un projet d’adduction d’eau dans un village abandonné par sa population ? Si le peuple Nord-Kivutien était au centre du projet, on s’attendrait à ce que l’on commence par ramener les déplacés dans leurs villages, qu’on assure leur securité physique avant d’inaugurer un chantier d’adduction d’eau potable. En effet, qui boira l’eau potable dans un village abandonné ?
Les interrogations sur ce modèle de développement qui relègue la securité des personnes et de leurs biens en seconde position se sont intensifiées la semaine dernière au vu du nombre impressionnant des chantiers ouverts à Beni-Lubero, fief de la résistance séculaire à la domination rwandaise par le Gouverneur du Nord-Kivu, Son Excellence Julien Paluku Kahongya.
Le Gouverneur Julien Paluku à Vuhovi
Au cours de la seule semaine écoulée allant du 1er au 6 avril 2008, le Gouverneur du Nord-Kivu a inauguré plusieurs projets dans le cadre de la reconstruction du pays, selon ses propres dires, une reconstruction financée par la communauté internationale au nom du gouvernement congolais.
Le Gouverneur Julien Paluku inaugurant le pont de Kangote
En Ville de Butembo, Commune Mususa , il a inauguré le chantier d’adduction d’eau potable à partir du Mont LUBWE ( 25Km de la Ville). Le deuxième chantier est celui de l’adduction d’eau potable à partir de la Cellule Base, Commune Kimemi pour desservir l’abattoir public de Kasongomi. Pour démarrer ses deux activités, le Gouverneur a remis aux réalisateurs du projet une enveloppe de 13 000 US$.
Village Katundu ( Kipese) au bord du Lac Idi Amin Dada
En Territoire de Lubero , lancement des travaux de construction d’un pont sur la rivière TALIA route de Kipese , pour permettre le désenclavement de l’axe Kipese-Lac Idi Amin, au niveau de Kisaka. Dans son discours en ce lieu, le gouverneur a dit qu’il veut tracer une route pour désenclaver Kisaka ( Lac Idi Amin ou Lac Edouard pour les anglophiles) via MUBANA pour donner la chance aux enfants de cette contrée de voir de leurs yeux un véhicule rouler dans leur village mais aussi pour permettre à la population de Butembo de s’approvisionner en poisson tilapia de Kipese. Notez que ce poisson n’est commercialisé faute de route qu’en petite quantité sur dos d’hommes ( et de femme) . Pour le traçage de cette route, le Gouverneur a remis une enveloppe de 10 000 US $ au Comité de Gestion du Projet Route Kasaka via MUBANA.
Au cours de cette visite à la population de Kipese- Mubana, le Gouverneur du Nord-Kivu, a profité de cette mission dans sa contrée natale pour s’incliner devant la tombe de son père biologique, Mr Adam Paluku décédé au mois de Mars 2006.
– Lancement des travaux de reconstruction de l’hôpital Lubero ,
– Lancement des travaux de reconstruction de l’Hôpital de Kitatumba, en Ville de Butembo
En Territoire de Beni, Collectivité des Bashu, le Gouverneur a avec l’appui de la Banque Mondiale lancé le vaste projet de l’amélioration des infrastructures de la Zone de Santé de Vuhovi. Pour démarrer les travaux, le Gouverneur a remis deux Jeeps Toyota Land Cruiser au médecin chef de la Zone de Santé de Vuhovi.
Jeep, don de la Banque Mondiale à la Zone de Santé de Vuhovi
– Lancement des travaux de Construction d’un centre de Sante moderne à Lubiriha à Kasindi, en Territoire de Beni, par le Ministre Provincial de la Santé, Son Excellence Dr Mbalutwirandi Valérien. Une cagnotte de 10 000 US$ a été remise par le Ministre de la Santé au Comité de suivi des travaux de construction du C.S. Lubiriha .
– Grand projet de réhabilitation du District Sanitaire de Beni, etc.
Avec cet agenda chargé du Gouverneur de Province qui parcourt les coins et recoins de sa province pour inaugurer des gros travaux, on ne peut pas ne pas dire que l’heure de la reconstruction a sonné. C’est d’ailleurs ce que le Gouverneur n’a cessé de dire dans ses discours où il a répété que tous ces projets font partie de 5 chantiers de Joseph Kabila avec l’appui de la communauté internationale.
Mais la question qui demeure est celle des financements. Le Gouverneur était clair en disant que les travaux se feront avec l’appui de la communauté internationale agissant au nom du gouvernement congolais. La Banque Mondiale par le canal de BCECO était très visible dans la tournée inaugurale du Gouverneur de Province. C’est devenu la mode au Congo que chaque ministre ou vice-ministre inaugura un chantier ou ouvra un séminaire de formation est accompagné au moins d’une tête blanche ou au moins d’un monsieur à la peau claire, symbole de la communauté internationale. Ce fait anodin en soi est par ailleurs révélateur de l’œil du donateur…
Une tête blanche dans chaque sortie d’un ministre congolais, quid?
Les observateurs saluent cette phase inaugurale des grands travaux de la reconstruction de Beni-Lubero que le peuple attend depuis des décennies. On serait malhonnête de ne pas reconnaitre qu’une ambulance dans un centre de santé, un nouveau bâtiment d’hôpital, de l’eau potable dans un village, etc, sont des signes indéniables de progrès.
Les ouvriers des 5 cinq chantiers de Joseph Kabila à Kangote ( Butembo)
Toutefois, tenant compte de l’histoire du Congo, il ne faut verser dans l’euphorie…Que les congolais se rappellent que ce n’est pas la première fois que des grands travaux sont entrepris au pays avec l’appui de la communauté internationale. Quand on regarde la source du financement, on constate qu’elle est presque 100 % étrangère. Sachant que cet appui est conditionné (des conditions qui ne sont pas connus de communs de mortels), il suffirait d’un petit rien pour que toute la machine s’arrête. Les petites enveloppes du Gouverneur ( 10 000 par ici et 13 000 par là ) pour des chantiers qui coûteront des millions des dollars, selon les estimations, n’ont pas permis d’écarter le soupçon que ce démarrage en pompe des grands travaux peut-être une poudre aux yeux des congolais à qui des puissances machiavéliques veulent faire avaler les couleuvres de la balkanisation du pays. Il n’ ya pas longtemps que les mêmes donateurs avaient engagé des millions des dollars pour l’organisation des élections au Congo. Aujourd’hui, les donateurs d’hier évitent de parler des acquis de ses élections. A l’époque, les collabos de la communauté internationale disaient à qui voulaient les entendre que cette communauté ne pouvait pas engager autant d’argent dans les élections sans croire à la réunification du pays, etc. Mais aujourd’hui on assiste au contraire. Si la crise politique actuelle émanait de candidats malheureux aux élections, on pouvait encore penser qu’il y avait eu des fraudes, et que la contestation des résultats est ce qui a conduit à la crise politique actuelle, etc. Mais il n’en est pas ainsi. Les chouchous actuels de ces mêmes donateurs sont des rebelles qui n’avaient pas participé aux élections et qui ont obtenu du soutien musclé le jour que Joseph Kabila avait prêté serment comme Président démocratiquement élu. Les congolais ne doivent pas non plus oublier que les mêmes donateurs internationaux étaient les premiers à reconnaitre la transparence des élections mais les premiers à les bafouer parce que leurs poulains y avaient faits piètre figure. Ceci pour dire que leur jugement sur une question typiquement congolais est à prendre avec des pincettes parce qu’il peut changer à tout moment. Personne ne peut juger la situation des congolais à leur place. Le contraire serait faire l’enfant malade qui accuse encore des fortes fièvres mais qui dit qu’il est guéri parce que sa maman l’a dit. Ce n’est pas parce que Paris a dit que c’est bien que c’est bien ! Ce qui est bien pour Paris n’est pas nécessairement bien pour les congolais, chacun poursuivant ses intérêts particuliers.
L’histoire récente du Congo nous interdit de croire sans questionnement à la bonne volonté des donateurs sur base des chantiers. Notez que les chantiers ne sont pas des œuvres finies. Avoir des chantiers c’est certes un pas, mais les conduire à la finition c’est une autre affaire. Faire le contraire serait avoir la mémoire courte. Sur toutes les routes de Beni-Lubero, on voit encore des épaves des grands chantiers de l’office des routes sous Mobutu. Les travaux avaient commencé comme ceux des 5 chantiers de Joseph Kabila, mais n’ont jamais été achevés. Quand les conditions n’étaient plus réunies, les donateurs avaient tout simplement fermé leur robinet. Et les congolais qui géraient les capitaux comme une manne tombée du ciel en plein désert, s’étaient subitement retrouvés au chômage, emportant qui un bidon d’essence, qui un pneu de réserve du camion Margirus de L’Office des Routes, etc.
Le Nord-Kivu doit ainsi choisir entre ce modèle de développement sous occupation militaire rebelle et la poursuite de la lutte pour la souveraineté nationale, qui se veut exigeante, lente, couteuse, mais sûre. Nos artistes musiciens l’ont chanté si bien : la vérité arrive par l’escalier, le mensonge emprunte le raccourci de l’ascenseur. Aux congolais de choisir entre l’escalier et l’ascenseur. Il est vrai que l’ascenseur est alléchant et fait rêver mais les rêves ne sont pas des réalités.
Que faire alors ! Le Congo comme tout autre pays a besoin des partenaires extérieurs. Mais les négociateurs congolais devraient rétablir l’équilibre entre les donateurs et l’agenda du peuple congolais qui se résume pour l’instant en securité sous toutes ses formes, intégrité territoriale, partenariat d’égal à égal dans la vente des ressources du sol et du sous-sol congolais. Si un de ces préalables manquent au rendez-vous, les congolais et les représentants devraient refuser toute aide pouvant l’aliéner. Vaut mieux continuer à souffrir dans la dignité que de vivre heureux dans l’esclavage. Les congolais doivent choisir entre le pain gagné dans la dignité, à la sueur de leur front et les oignons sous l’esclavage d’Egypte. C’est maintenant le moment, après le coup fatal, il serait trop tard de choisir avec lucidité…
Rigobert Kanduki (Goma) et Kakule Mathe (Butembo)
Beni-Lubero Online



