





A l’époque coloniale, il arrivait de temps à autre que le gouvernement de la métropole doive reconnaître que, malgré tous ses efforts et sa bonne volonté, il avait ici et là quelques problèmes avec des indigènes en révolte plus ou moins ouverte.
C’était gênant, parce que, dans l’opinion publique de la métropole, on avait répandu l’idée que la présence des Blancs était « généreuse » et « bienfaisante ». Notre sollicitude était telle que les « bons petits nègres » devaient vivre les doigts de pieds en éventail sous le regard attendri et paternel de nos représentants locaux. C’était peut-être un chouia paternaliste mais, globalement, les Blancs étaient là pour faire du bien…
Une révolte, dans ce tableau, ça la foutait mal !
L’opinion publique aurait pu se demander (à l’instigation sans doute de quelque « agitateur communiste ») pourquoi. Certaines mauvaises têtes pourraient même aller jusqu’à prétendre que ces Nègres avaient raison ! (Comme si on pouvait avoir raison quand on n’a pas la couleur de peau qu’il faut ! Allons donc !)
Il fallait donc se résoudre à annoncer « Il y en a, dans telle province, qui se révoltent sans raison ». Le bon peuple (toujours prêts, ces imbéciles, à écouter les agitateurs, voir plus haut…) risquait de ne pas croire et même de ricaner « On ne me la fait pas… ».
Heureusement, on conçut l’idée d’annoncer qu’ils se révoltaient pour des raisons qui n’étaient pas des raisons. C’était simple ! Il suffisait pour cela d’adopter pour parler de l’Afrique un vocabulaire spécial ! L’Africain étant « sauvage » avait ses raisons à lui, qui n’en étaient pas aux yeux de la saine raison cartésienne. Inutile d’essayer de les comprendre, à moins d’être sauvage soi-même. Cela regardait les spécialistes (et les baïonnettes de la Force Publique). Il ne fallait pas chercher à comprendre, parce qu’il n’y avait rien à comprendre : c’était « sauvage, primitif, ethnique, tribal »…
Cette trouvaille, qui permettait de donner des nouvelles sans vraiment informer, a eu la vie dure, et les gouvernements africains, qui sont malheureusement trop souvent les héritiers des colonisateurs, usent encore de ce tour de passe-passe…
Bien sûr, le vocabulaire a évolué un brin. Il n’est plus question de « la sauvagerie tribale des populations primitives », mais de « particularisme ethnique » ou de « l’intolérance vis-à-vis des non-originaires ».
Mais le sens est le même : « Ne cherchez pas à comprendre. Il n’y a rien de raisonnable là-dedans. Silence dans les rangs ! On matraque ! »
Appelons un chat, un chat. C’est un mensonge !
C’est d’autant plus évident qu’il y a un fait que l’on n’explique jamais !
Puisque tout ce qui est « tribal » ou « ethnique » renvoie aux coutumes du passé, comment celles-ci peuvent-elles inspirer le comportement que l’on décrit, puisque tout le monde s’accorde à dire que tous les peuples bantous ont des traditions qui prônent l’hospitalité comme une qualité louable et hautement appréciée !
D’abord, plantons le décor. La grande masse des Congolais vit dans des conditions qui ne correspondent pas au minimum nécessaire à l’être humain. Entendons par là qu’ils n’ont pas à la fois des conditions de logement décentes, suffisamment à manger, une sécurité au moins approximative de leurs personnes et de leurs biens. La satisfaction d’une aspiration exige presque toujours le sacrifice d’une autre. Envoyer les enfants à l’école se fera en se serrant la ceinture ou en acceptant de s’entasser encore plus nombreux dans une habitation encore un peu plus minable. La moindre maladie est une catastrophe car, si un tube de pilules suffirait à la guérir, ce tube coûte le salaire d’un mois… Et encore ! je prends là le cas d’un chançard qui a un salaire… Je pense qu’on m’accordera que de telles conditions de vie ont de quoi rendre les gens un peu nerveux et prêts à tout pour sortir de cette galère.
Or, ces gens sont des travailleurs. Et un certain nombre d’entre eux vivent dans des régions dont la productivité leur est connue. Les Katangais savent fort bien que les minerais qu’ils extraient permettent d’obtenir beaucoup d’argent. Les Kasaïens ne prennent pas leurs diamants pour des cailloux sans valeur. Les habitants du Bas-Congo se rendent bien compte que l’activité portuaire, le pétrole, les transports sont des activités lucratives. Ils savent aussi que les récoltes qui leur coûtent beaucoup de peine et ne leur rapportent presque rien, sont revendues très cher à Kinshasa. Ils ne trouvent pas cela juste, et ils ont raison.
C’est précisément parce qu’ils ont raison qu’il faut, comme au joyeux temps des colonies, ressortir le vocabulaire spécial !
Or, je vous le demande, n’est il pas rationnel, normal, logique et légitime que les gens qui, dans diverses partie du Congo, contribuent quotidiennement à la production de richesses dont ils ne voient pas un centime, trouvent que c’est excessif et qu’ils devraient bénéficier d’un juste retour pour récompenser leurs peines ?
Et n’est-il pas compréhensible que, dans leur situation de misère atroce et infrahumaine, cela se manifeste parfois avec une certaine acrimonie, avec une certaine agressivité ? N’est-il pas logique, aussi, que cette agressivité soit particulièrement grande et sensible, là où le scandale est plus criant, c’est-à-dire là où la production est particulièrement importante et riche ?
Or, ce qu’il y a dans ces événements congolais, ce n’est rien d’autre que cette revendication de juste retour !
Il faut quand même prendre en considération que les richesses du Congo, fondamentalement, sont des matières premières que l’on devra toujours revendre et exporter. Les revendications populaires concernent avant tout des besoins élémentaires : manger, se vêtir, se loger … On ne va pas se mettre à manger du diamant, à construire des maisons en malachite, à boire du pétrole ou à s’habiller avec des feuilles d’or ! Ceux qui produisent ces biens savent mieux que personne qu’ils ne peuvent en tirer profit que par l’intermédiaire du Congo d’abord, des marchés extérieurs ensuite. Les garder pour eux n’aurait aucun sens. Mais les produire gratis n’en a pas davantage !
Il est vrai, malheureusement, que ces revendication normales, logiques et légitimes se détournent parfois, et sont encore plus souvent dévoyées, vers de fausses solutions.
Le constat de base est indiscutable : il y a une production congolaise, dont les producteurs congolais ne profitent pratiquement pas. Il faudrait une meilleure répartition avec cette fois, par compensation, une discrimination positive en faveur des producteurs.
Mais force est de constater que parfois, on cherche de mauvaises solutions, voire des boucs émissaires. Et, bien entendu, cela fait l’affaire de certains pécheurs en eau trouble, qui d’ailleurs se trouvent en général opportunément absents quand ça « barde » vraiment. Ainsi, par exemple, de l’illusion qu’il n’y a pas de gens malhonnêtes parmi les « vrais katangais » et que pour que tout aille mieux, il suffit de mettre tous les autres dehors.
Chanson connue : « Bilulu toka », « Juden raus », « Vreemdelingen buiten », etc.…
Le fait qu’on leurre les gens avec de fausses solutions ne signifie pas que l’on ait affaire à un faux problème.
De plus, on ne peut que désapprouver le fait que l’expression de ces revendications soit souvent violente, qu’il s’agisse de « ratonnades » contre les Kasaïens du Katanga, ou de protestations trop musclée contre une élection au Bas-congo.
Il faut toutefois assortir cette désapprobation d’un « bémol », et de taille !
Les institutions congolaises ont toujours été bâties dans le but de faire savoir au peuple ce qu’on attendait de lui, et pas du tout de permettre à ce peuple de se faire entendre. Malheureusement, il semble bien qu’après s’être abondamment gargarisé de « démocratie », la situation n’ait guère changé. Et c’est particulièrement vrai en province. Une manifestation à Kinshasa recevra peut-être parfois un peu d’attention parce que, dans la capitale, c’est mauvais pour « l’image ». En brousse, on recourt d’emblée aux grands moyens.
D’autre part, il est un peu facile de mettre toutes les victimes sur le compte des « émeutiers », alors que la plus puissante artillerie ne se trouve pas chez eux. Là aussi, on reprend un veux truc à la Force Publique. Après la répression d’une grève, en 1942, à Lubumbashi, le rapport disait : « Le caractère insurrectionnel du mouvement ne fait aucun doute, puisqu’il y a eu des morts ». En effet, la FP, ouvrant le feu sur une manifestation pacifique avait tué 62 personnes !
Si l’on avait une volonté vraie et concrètement visible de meilleure répartition des revenus de la production congolaise, et des canaux permettant une réelle expression des aspirations de chacun, y compris du bas vers le haut, les « particularismes congolais » ne seraient pas plus graves et ne feraient pas plus de morts et de dégâts que nos discussions communautaires sur le financement de la Sécurité sociale !
Une dernière remarque. Quand, en 1960, les frustrations des soldats se sont exprimées par des mutineries et des actes de violence, Patrice Lumumba a été leur parler. Et pourtant, ils avaient des fusils… On n’a pas vu Joseph Kabila à Moanda ou à Matadi. Comme dit le peuple « Il y a ceux qui en ont, et ceux qui n’en ont pas ! ».
© Guy De Boeck CongoForum 04/02/2007
Beni-Lubero Online (05/02/2007)





