





Entre 1553 et 1555, Etienne de La Boetie, en dépit de ses origines aisées, écrivit un opuscule a l’intitule À la fois meprisant et provocateur: “Discours de la Servitude volontaire”. La thèse que défend La Boetie dans cet écrit est que les peoples opprimes sont responsables de l’asservissement dans lequel les Maintiennent les gouvernants.
1. La servitude: une option volontaire du peuple
La Boetie dit ne pas comprendre la minorisation de la Majorité par la minorité qui se constate en politique.
Autrement dit, il dit s’étonner que la majorité qu’est le people se laisse dominer, opprimer ou asservir par
les hommes au pouvoir qui, pourtant, constituent la minorité. C’est comme si, sur un plateau de balance le
gramme pesait plus lourd que le kilo! Comment la majorité se laisse-t-elle écraser par la minorité? Le
paradoxe de la majorité écrasante écrasée: voila ce qui, aux dires de La Boetie, depasse l’entendement
humain. Comment rendre compte de la prévalence du gramme sur le kilo, de la minorité oppressante sur la
majorité opprimée? Le comble de l’ironie ou du paradoxe, fait observer La Boetie, c’est que c’est
parfois un seul homme au sommet de la pyramide étatique qui fait marcher tous les autres a quatre
pattes en ce y compris ses ministres et ses généraux. Pas forcement un Samson de la Bible ou un Hercule de
la mythologie grecque mais parfois l’homme le moins brave.
C’est ici que La Boetie ne comprend pas le peuple et conclut, faute de pouvoir trouver une explication
rationnelle a ce curieux paradoxe, que l’asservissement de celui-ci est une option ou, soit dit autrement, quelque chose de volontaire. D’ou le ton quelque peu méprisant du “Discours” a l’égard du peuple qui lui apparait comme éprouvant une sorte de
plaisir à être opprime. Rien de plus stupide,
lance-t-il, pour un peuple de se complaire dans une
situation non d’épanouissement mais d’avilissement.
La Boetie estime, en effet, qu’il suffit au peuple
brime de vouloir la liberté pour la reconquérir et
ceci sans la moindre effusion de sang. Pour qu’il en
soit ainsi, il suffit, a son estime, que le peuple,
comme un seul home, retire sa coopération au tyran. Le
retrait massif de cette coopération entrainerait
inexorablement la chute de ce dernier et de ses
acolytes. Qu’y a-t-il de difficile a cela?, se demande
La Boetie intrigue et au bord des larmes. D’ou le
caractère provocateur du “Discours” de La Boetie, ce
passionne du bonheur des hommes et de leur liberté.
Inciter les opprimes a aspirer au bien-être perdu ou
confisque, à aimer la liberté, a la vouloir et a la
reconquérir: tel est le fil conducteur qui, du début a
la fin, se lit en filigrane dans le “Discours de la
servitude volontaire”. Il est à noter que, tout comme
Jean-Jacques-Rousseau, La Boetie fait nombre avec les
penseurs qui soutiennent que les hommes naissent
libres et égaux.
2. Deux des questions occultées par La Boetie
La pertinence de l’étonnement de La Boetie ne doit évidemment ne pas nous faire perdre de vue les questions occultées par lui, entre autres, la difficulté qu’il y a pour le peuple à retirer, comme un seul homme, sa
coopération au tyran et à ses collaborateurs. En
d’autres termes, comment convaincre les opprimes
qu’ils sont opprimes et qu’ils ont tout intérêt a
cesser de collaborer a leu propre oppression? Cette
difficulté tiendrait au fait que certains n’ont pas
conscience d’être opprimes a cause des avantages reçus
en contrepartie de leur collaboration a
l’asservissement de leurs compatriotes ou que, tout
simplement, ils ignorent qu’ils sont opprimes pour
n’avoir jamais vécu autrement. Dans une configuration
de ce genre, comment obtenir l’adhésion massive des
opprimes à l’idée de se défaire de leurs chaines
injustes? Une autre question oblitérée par La Boetie
c’est celle portant sur les rapports de force entre
une majorité réduite a la portion congrue et donc a la
mendicité et une minorité qui, outre qu’elle est armée
jusqu’aux dents, dispose en sa guise de cet outil de
corruption qu’est l’argent de l’Etat.
Toutefois, quelques pertinentes qu’elles soient, ces
réserves n’enlèvent rien au caractère intriguant de
l’étonnement de La Boetie ni a l’humanisme de ses
pressants appels à la libération lances en direction
des opprimes. Par rapport au contenu du “Discours” de
La Boetie, le peuple congolais qui se prépare à aller
d’ici peu aux urnes se trouve devant un grand
rendez-vous de l’histoire à ne pas rater à savoir le
renversement pacifique de l’ordre abrutissant actuel
et son impérieux remplacement par un ordre nouveau,
prometteur et libérateur.
3. La peur et l’espoir sous-jacents aux échéances électorales
Au regard de l’imminence de ce grand rendez-vous
qu’est la tenue prochaine des élections générales
dites “démocratiques”, le propos de La Boetie suscite
en moi deux types de sentiments opposes: un sentiment
d’appréhension et un sentiment d’espoir. Un sentiment
d’appréhension qui tient a ceci qu’une misère endurée
pendant des lustres finit par amenuiser en l’homme sa
capacité à faire des choix judicieux, réfléchis ou,
soit dit autrement, des choix guides ou motives par la
raison. Tout reste à craindre de la part d’un peuple
qui a été déshabitue depuis le coup d’Etat fatidique
du 24 Novembre 1965 jusqu’a nos jours a aimé la
liberté, la sécurité et le bien-être dont il n’a
qu’une perception superficielle. Un sentiment d’espoir
en ceci que la misère indescriptible dans laquelle
patauge la majeure partie du peuple congolais portera
instinctivement celui-ci à faire un choix rationnel du
Président de la République et de ses Représentants.
Pour se positionner en connaissance et conscience de
cause, il importe que les électeurs ne puissent pas
perdre de vue que l’essentiel des aspirations du
peuple congolais n’a pas été réalisé pendant la
transition à savoir, d’une part, la réunification, la
pacification et la reconstruction du pays et, d’autre
part, l’amélioration des conditions de vie et de
travail des congolais, le respect de leurs droits,
leur sécurité ainsi que la sécurité de leurs biens.
Les preuves a ce sujet sont légion pour ceux qui en
ont encore besoin à cause de leur scepticisme
outrancier et exaspérant.
Inféodés au Rwanda, la ville de Goma et ses pourtours
restent jusqu’a ce jour une sorte d’Etat dans l’Etat;
les trois Kivu, l’Ituri et une partie du Katanga
restent des zones de haute turbulence ou la paix est
loin d’être une réalité. Mal encadrée, mal équipée et
mal payée, l’armée est loin d’être réunifiée et
capable de défendre vaillamment le territoire
national. Les coupeurs des routes prolifèrent et
prospèrent sans être inquiètes. Les refugies Hutus
indésirables au Rwanda continuent à se conduire en
esclavagistes et comme en territoire conquis. Les
enlèvements, les vols à main armée et les assassinats
passent pour des faits divers a cause de leur
répétition et de leur intensité. Les fonctionnaires
sont régulièrement en grève. Les derniers en date
c’étaient les médecins qui réclamaient des arriérés
des salaires de toute une année. Le net a payé
mensuel d’un Infirmier s’élèverait a de 5$ perçus de
manière sporadique. Pour parler court, la RDC
ressemble moins a un Etat politiquement structure qu’a
un Etat a l’état de nature si je peux me permettre
cette contradiction. En d’autres termes, la RDC c’est
moins un Etat qu’une jungle ou les plus forts, les
plus ruses et les opportunistes de tout bord imposent
leur loi. C’est a cet état déprimant des choses qu’il
s’impose de mettre fin par la voie des urnes. D’ou la
nécessite d’un choix mille fois réfléchi du garant de
la nation et de la sécurité du peuple dont le pays a
urgemment besoin.
Au regard du chaos politique, économique et
sécuritaire qui prévaut au pays, il y a lieu de se
demander sur quel bilan les gestionnaires de la
transition peuvent s’appuyer pour justifier leur
sollicitation des suffrages du peuple. Aussi les
candidats à la magistrature suprême qui ne sont pas
aux affaires auraient tort de se laisser intimider par
les agitations de la communauté internationale ou de
s’avouer à l’ avance vaincus au motif qu’ils ne
Ne seraient pas dans les bonnes grâces de cette dernière
laquelle aurait déjà fait son choix. A ma
connaissance, la communauté internationale n’est pas
électrice en RDC. La résignation ou le défaitisme
n’est pas a l’ordre du jour mais bien plutôt la
combativité. Le prosélytisme combatif et revendicateur
qui transparait dans les écrits de la majeure partie
de l’élite intellectuelle présente au pays et en
diaspora, d’une part, et, d’autre part, les appels de
l’épiscopat catholique du Congo a la responsabilité
face aux enjeux électoraux sont révélateurs d’une
chose: l’aspiration a une vie décente et sécurisée.
Une des conditions de possibilité de l’actualisation
de cette aspiration c’est l’arrachement du pays a
l’emprise des forces négatives endogènes et exogènes.
Le rejet de la misère, de l’abâtardissement et du
mensonge: voila ce a quoi les urnes doivent conduire.
Il s’agit la d’un impératif que, pour rien au monde,
les électeurs ne doivent troquer contre une fausse
conception de la paix. Au sujet de cette paix mitigée
ou, a mieux dire, apparente dont le pays fait
l’expérience depuis 2003, il ne faut pas que ces
derniers se laissent induire en erreur. Celle-ci est
à mettre a l’actif de tous les belligérants qui ont
mis bas les armes sous la pression de la communauté
internationale mue par les cris de détresse de la
société civile. De ce point de vue, tous les
belligérants peuvent légitimement soutenir que la paix
est revenue au pays grâce à eux. Chacun d’eux peut
raisonnablement s’y appuyer pour soutenir sa campagne.
4. Le destin de la RDC entre les mains des électeurs
Le destin du Congo se trouve entre les mains des
électeurs appelés non sans raison souverain primaire.
C’est maintenant ou jamais qu’ils doivent faire montre
de souveraineté en votant non en fonction des attentes
de la communauté internationale mais plutôt en
fonction des problèmes qui agitent le pays depuis des
lustres et auxquels il s’impose maintenant de trouver
des solutions durables. N’oublions pas que Mobutu fut
l’enfant chéri de la communauté internationale qui,
malgré nos multiples cris de détresse, nous l’a impose
pendant trente-deux ans en le présentant comme l’homme
incontournable qu’il fallait en dépit de sa barbarie
et de son incompétence caractérisée. Qu’a, en effet,
fait Mobutu du pays? De la bouillie. Il a laisse
derrière lui un pays en déliquescence et un Etat en
liquéfaction. C’est peut-être de nouveau cela que veut
subtilement la communauté internationale. Ne
permettons plus que ce machiavélisme international qui
nous a fait tant de torts se reproduise.
Le processus électoral en cours qui a été enclenche
par la communauté internationale et qui est
financièrement soutenu par elle est à prendre comme un
test a travers lequel celle-ci entend vérifier si nous
sommes un peuple mur, sensé et donc digne de respect.
A nous de démontrer a travers des choix électoraux
réfléchis que nous ne sommes plus ce peuple corvéable
et manipulable a volonté. Mais c’est aussi un test
pour la communauté internationale qui doit se garder de
toute ingérence dans l’élection des gouvernants de
demain mais adopter une attitude de neutralité. En
effet, une telle ingérence viendrait jeter un démenti
aux prétentions de bonhomie dont se gargarise-la
communauté internationale et lever le voile sur la
face cachée de ses motivations: organiser des
élections en RDC non pour le bien du peuple congolais
mais plutôt pour celui des organisateurs desdits
élections à savoir les puissants de ce monde.
Les enjeux du moment indiquent a suffisance que les
temps ne sont plus à la légère, à l’insouciance ou a
la complaisance. Les temps sont d’autant plus graves
que les électeurs ne doivent pas se permettre
d’hypothéquer l’avenir du pays, leur propre avenir et
celui de leurs compatriotes en opérant des choix
électoraux irréfléchis ou opportunistes. Leurs choix
doivent être guides non par des cadeaux offerts pour
des raisons électoralistes par des gens qui n’ont rien
fait pour notre bien-être ou par leurs promesses
fumeuses: ils doivent plutôt être guides par ce a quoi
nous aspirons tous: la prospérité dans un
environnement politique sécurise, fraternel et amical
et, partant, propice a un travail organise, rationnel
et rentable. De ce point de vue, le proverbe Ira
selon lequel “Tuhwere mwami” est égarant. It is a
misleading proverb, comme diraient les Anglo-saxons.
En effet, il n’est pas donne a n’importe qui de
présider aux destinées d’un peuple ou de représenter
celui-ci sur le devant de la scène politique. Il faut
en avoir les compétences, la carrure morale et
intellectuelle.
Conclusion
Au regard des souffrances insoutenables endurées
pendant des années par le peuple congolais, le verdict
de La Boetie est très clair: il est impérieux que les
congolais prennent leurs responsabilités en mains en
se désolidarisant, par la voie des urnes, d’un ordre
social décadent, infernal et mortifère (1000
congolais, avons-nous appris sur le net, meurent
chaque jour faute d’accéder aux soins médicaux ou a la
suite de mauvaises conditions de vie). L’heure a sonne
pour que le pays soit enfin dote de vraies Excellences
c’est-a-dire de dirigeants qui excellent dans la
poursuite du bien commun par l’entretien constant d’un
ordre sociopolitique avantageux pour tous et donc en
rupture avec un passé éprouvant. Le vœu d’Etienne de
La Boetie sera-t-il réalisé à savoir l’option des
congolais contre la servitude pour la liberté, contre
la misère pour la prospérité? Le peuple se trouve a la
croisée des chemins: celui conduisant a son maintien
dans l’avilissement et celui conduisant a sa sortie de
la précarité. Aux électeurs de jouer la balle qui va
bientôt se trouver dans leur camp dans le sens des
attentes de la majorité écrasante qui ne veut plus
être écrasée. Les larmes et les grincements des dents
vont continuer en RDC s’ils ne la jouent pas dans ce
sens. Un homme averti en vaut deux, diton.
Annexe
Qu’il me soit permis de reprendre en annexe quelques
extraits des exhortations des Evêques Catholiques
congolais en rapport avec les enjeux électoraux.
Destinées à orienter les électeurs dans leurs choix,
ces exhortations sont indicatrices d’une chose: la
prise au sérieux des élections présidentielles et
autres pour qu’elles accouchent d’un ordre social
totalement nouveau.
A l’intention des électeurs, les Evêques de la
Province Ecclésiastique de Mbandaka ont lance le
message ci-après en Lingala:
“Maponomi makomi: okopono nani? Okeba. Opono biponela
te. Opono mpe mpamba mpamba te (…). Pono ‘te tobima o
mpasi. Nani akoki kobimisa biso o mpasi iye? Moto moko
akosa yo te na mwa eteni ya elamba, na mwa tiliko, na
mwa mungwa, na mwa masanga, na mwa mbongo to mpo ya
bondeko bwa makila, na malakeli ndenge na ndenge maye
toyebi te uta kala basila kolakela mpe bakokokisa te.
Soki oponi moto se zambi apesi yo mwa eloko, wana
oteki mboka. Kamata elamba mpe lata, lia mongwa,
salela mbongo, kasi pona se mwana-mboka oyo
alongobani: moto wa motema molamu, oyo alingi bato,
alingi mpe mboka, moto wa bosembo, wa bosolo, wa
bwanya, wa mayele, wa mpiko, mosangisi bato. Moto
ayebi bato, ayebi mpasi ya bango, mpe asila kolakisa
na bikela ‘te alingi bolamu bwa bango (…) Tolingi te
‘te lobi bomilela mpe boloba: Ah soki toyebaka!” (Tire
de “Maponomi makomi: okopono nani (Pour qui voter?”.
Message de l’Assemblee Provinciale de Mbandaka, 18 mai
2006).
Partageant les preoccupations de leurs pairs de la Prov. Eccl. de Mbandaka, les Evêques de la Province
Ecclésiastique de Bukavu ont, quant a eux, écrit:
“Chers frères et sœurs, nous vos pasteurs, nous vous
confirmons que l’Eglise Catholique n’a pas de candidat
mais nous vous exhortons à élire des hommes nouveaux, avec un sens élève de l’amour de ce pays, soucieux du bien commun, rompus à la bonne gouvernance, ayant une probité morale et une capacité intellectuelle doublée d’une expérience éprouvée, bref, des hommes capables d’affronter les grands defis du monde moderne”
(Affermissons nos mains pour le bel ouvrage -Ne 2, 18- Soyons vigilants. Message aux fideles catholiques de la Province Ecclésiastique de Bukavu et aux hommes de
bonne volonté, 18 juin 2006).
Evoquant les conditions infrahumaines dans lesquelles vit au quotidien le peuple congolais, le Comite
Permanent de la Conférence Episcopale Nationale du Congo s’est exprime en ces termes:
“Notre peuple ne mérite pas ce lourd fardeau d’incertitude du lendemain, d’insécurité grandissante
et de misère intolérable. “Apres les élections” ne doit pas être égal a “avant les élections” (Pour une
fin apaisée de transition apaisée, 24 juin 2006).
Ces extraits des exhortations des Evêques se passent de tout commentaire. A bon entendeur, SALUT.
.
P. Kamundu Leopold, PhD
Philosophe politique Congolais
New York –USA
Beni-Lubero Online





