





L’Eglise Catholique répond à Joseph Kabila : « Le peuple appartient à Dieu seul »
En marge de la rencontre de Bruxelles avec les représentants de la Cenco (Conférence épiscopale congolaise), le Père Clément Makiobo Ma Lelo, secrétaire exécutif de la Commission Justice et Paix, nous livre un éclairage intéressant sur le sens et le contexte de leur mission délicate dans un pays, qui attend désespérément les élections.
Face aux marches (de protestation) des chrétiens, le président Kabila a rétorqué « rendez à César ce qui appartient à César, » à l’instar de Mobutu en son temps.
Que lui répondez-vous ?
– Le peuple congolais appartient à Dieu seul, le Créateur. L’être humain a été conçu pour le bonheur, non pour la misère et l’insécurité.
Qu’est-ce que César a fait en matière de soins médicaux ???
30% de ceux-ci sont prodigués par l’église catholique à Kinshasa et davantage encore, en province. L’Etat a fait faillite, l’église colmate les brèches. Le rôle de l’évangélisation est de mettre l’homme debout. L’église se tient aux côtés de la population pour (r)éveiller les consciences, non au milieu du village, où l’homme est déshumanisé. Elle ne peut être neutre : elle prend position pour les plus faibles et les opprimés en aidant à construire un Etat de droit.
Les évêques congolais ont le soutien personnel du pape. Le choix récent de Mgr Fridolin Ambongo, connu pour son franc parler, comme coadjuteur et successeur du célèbre cardinal Monsengwo, qui a appelé « les médiocres » à dégager, n’est-il pas un signe à un moment crucial pour le pays ?
– C’est effectivement un signal. Du reste, Mgr F. Ambongo, qui pourrait rapidement prendre la succession du Cardinal âgé de 78 ans, a été très bien accueilli par le clergé et les fidèles catholiques de l’Archidiocèse de Kinshasa, moins chaleureusement par certains membres de la majorité présidentielle.
Le Pape a demandé à l’église universelle de prier pour le Congo et invité au dialogue pour la paix dans le respect des droits de chaque être humain.
Les évêques congolais ont reçu le soutien de leurs homologues des Conférences épiscopales de Belgique, d’Angleterre, de Madagascar. En signe de solidarité avec l’Eglise catholique du Congo, les chrétiens de la sous-région des Grands Lacs (Rwanda et Burundi) ont relayé le message papal.
Maintenant que le CLC (comité laïc de coordination) avec qui vous travaillez main dans la main a décidé de suspendre les marches, à quoi invitez-vous les chrétiens ?
– Il y aura encore les concerts de cloches hebdomadaires, les prières et d’autres actions pacifiques, qui ne peuvent être dévoilées aujourd’hui. Avec la possibilité de relancer les marches, si nécessaire. Car les lignes ont bougé : le peuple a vaincu la peur et affronté la mort avec courage et détermination. Les organisateurs des marches sont obligés de vivre dans la clandestinité, des prêtres sont menacés mais le but est atteint : bousculer le pouvoir de Kinshasa et montrer à la face du monde le vrai visage d’un régime anti-démocratique.
Après la répression violente des marches du 31 décembre 2017, des 21 janvier et 16 février 2018, le rapport de la commission d’enquête mixte mise en place par la ministre des droits humains Marie-Ange Mushobekwa blanchit les chrétiens et fustige les violences des forces chargées du maintien de l’ordre. Comment expliquer cette audace de la part d’un membre du Gouvernement ?
– Journaliste de formation et présidente-fondatrice de son propre parti, le Mouvement pour la cohésion nationale, proche de Vital Kamerhe, Marie-Ange Mushobekwa est entrée au gouvernement du premier ministre Badibanga en décembre 2016. En sa qualité de ministre des droits humains, elle travaille avec les associations de la société civile. Après les condamnations de la répression systématique des manifestations pacifiques, Madame Mushobekwa a eu le courage de mettre en place une Commission d’enquête conjointe composée de représentants du gouvernement, de la Commission nationale des droits de l’homme et de la société civile. Ce qui a surpris, c’est l’objectivité du rapport de cette Commission dans un pays où les enquêtes n’aboutissent presque jamais.
C’est donc un grand pas qu’il convient de saluer dans la mesure où les recommandations de cette Commission d’enquête rejoignent les attentes des défenseurs des droits humains dont l’Eglise ; à savoir : l’appel à des enquêtes judiciaires, la levée de l’interdiction générale de manifester ou le non recours aux FARDC et à la Garde républicaine dans la gestion des foules. Toutefois, il est bon de souligner que le chemin à parcourir est encore long au regard de la recrudescence de l’insécurité dans le pays, aux intimidations et arrestations arbitraires dont sont toujours victimes ceux qui ne partagent pas le point de vue du pouvoir en place.
A Goma, plusieurs activistes du mouvement citoyen de lutte pour le changement (Lucha) ont été écroués suite à une supposée séquestration de prêtres le 21 janvier dernier dans la cathédrale. Plainte aurait été déposée par l’évêque du lieu, Mgr Kaboy et huit prêtres. Vrai ou faux ? La question se pose en entendant la Lucha dire qu’elle travaille main dans la main avec les chrétiens.
– Nous partageons les mêmes aspirations que les jeunes de la Lucha, revendiquées de façon non-violente comme eux. D’après ce que nous savons à ce stade, les prêtres n’ont jamais déposé pareille plainte. Nous soupçonnons qu’il s’agisse d’un faux.
NDLR : un des responsables de la Lucha nous a confirmé la supercherie, ajoutant son inquiétude de voir ses compagnons de lutte néanmoins condamnés.
Après les massacres et les enlèvements à Beni au Nord Kivu, des troubles sont apparus au Kasaï, au Tanganyka (Katanga) et récemment, en Ituri. Beaucoup y voient la main du pouvoir…
– La paix n’a jamais été totale en RDC : il y a toujours eu des poches d’insécurité. Mais c’est chaque fois avant les élections que le phénomène s’amplifie étrangement. Qui est derrière ? Nous n’avons aucune preuve. La question à se poser : qui a intérêt à semer le chaos et pourquoi ?
Beni est une zone martyre, qui n’a jamais connu la paix. Des villages ont été « nettoyés » malgré la présence des Casques Bleus. Un grand flou règne sur les auteurs présumés, les rebelles ougandais ADF Nalu. Si ce sont eux, n’est-il pas étonnant qu’ils ne commettent pas ou plus d’exactions dans leur pays mais s’en prennent aux Congolais chez eux, sans raison ?
Au Kasaï aussi comme à Kananga, où des prêtres viennent de rédiger un mémoire de protestation, nous avons le sentiment d’une terreur créée artificiellement.
Et maintenant, c’est l’Ituri qui est en proie à de soi-disant troubles inter-ethniques. La région a hélas connu des conflits terriens entre Hema et Lendu dans le passé mais aujourd’hui, nous l’avons observé, il ne s’agit nullement de cela, conclut le Père Clément Makiobo.
Le site Beni-Lubero très bien documenté et sensibilisé, fondé par un assomptionniste Père Vincent Machozi, assassiné le 20 mars 2016, explique que les jeunes Hema et Lendu du territoire de Djugu (Ituri) ont refusé la manipulation et se sont levés pour dénoncer publiquement le mensonge : « pas de conflit entre eux, mais c’est Kinshasa qui joue sa politique malsaine »
Les populations locales fuient les affrontements : déjà plus de 350.000 déplacés et 65.000 réfugiés en Ouganda. Une nouvelle grave crise humanitaire se dessine !
Qui éteindra le feu ??? Le succès et le retentissement des marches des chrétiens montre les espoirs placés dans la houlette ferme et non-violente de leurs bergers. /P>
Bruxelles 25 mars
Interview réalisée par Béatrice Petit pour le journal des Media catholiques Belges.
©Beni-Lubero Online.





