





La peur n’a pas tétanisé tous les Congolais. Face aux chiffres parlant d’eux-mêmes, il n’y a pas de peur à les communiquer. Après une enquête réalisée par deux commissions interministérielles, le résultat partiel indique que les dirigeants de la DGI, de la DGRAD, de l’OFIDA, de la SONAS, de l’OCC, de la RVA, de l’ONATRA, de la SNEL et de la REGIDESO ont détourné 4,1 milliards USD. (Cf. W. KABWE, Apostrophe: la prédation, dans Le Potentiel de ce 04 août 2008)
Dans les lignes qui vont suivre, notre but n’est pas de dénoncer ce énième détournement. Nous voulons le comprendre et poser les questions qu’il soulève. L’une des nos hypothèses est la suivante: dans un pays où le vide intérieur est compensé par les signes extérieurs de richesse et où les gouvernants ont fait de la prédation un mode de gouvernement, les détournements d’argent dans les régies financières et entreprises de l’Etat (manqué) peuvent être des signes visibles de la complicité entre tous ceux qui gèrent les biens et les services d’un pays aux dépens des populations appauvries, à souhait.
Aussi, un recours à l’histoire récente de notre pays nous informe-t-il que le fait de confier un dossier à une commission n’est pas toujours un signe précurseur des efforts conjugués sur la voie de la bonne gestion de la chose publique.
Les résultats des commissions Lutundula, Kahemba, Bundu dia Kongo, contrats léonins, etc. n’ont rien produit dans le sens de "la bonne gouvernance". Il en sera de même de deux commissions interministérielles chargées, l’une d’audit et de bonne gouvernance, l’autre de récupération des immeubles et terrains de l’Etat. Pourquoi?
D’abord, pour une raison simple à deviner et plusieurs fois ressassée: le Congo actuel est dirigé par des mafieux. Ils ne jurent que par l’entretien des différents maillons de leur chaîne de la prédation. Ensuite, parce que le système politique adopté au Congo après la mascarade électorale de 2006 est favorable à la montée d’une oligarchie prédatrice. Le parlementarisme capitalo-financier, abusivement dénommé démocratie représentative, partout où il prospère, sert les intérêts des minorités des oligarques cyniques aux dépens des masses populaires asservies ou réduites à ramasser les miettes tombant de leur table.
Le Congo, notre grand et beau pays, pris en otage par les réseaux de prédation, ne fait pas exception à cette règle.
Mais, comment procèdent les nouveaux prédateurs Congolais pour rouler nos populations dans la farine, s’enrichir à moindre frais et présider à nos destinées sans être trop inquiétés? Les Congolais seraient-ils tous devenus indifférents à ce qui se passe chez eux au point de ne plus rien envisager pour briser l’étau de la navigation à vue?
En plus des réponses classiques déjà données à ces questions, l’Apostrophe du journal Le Potentiel de ce 04 août 2008 nous permet d’en ajouter d’autres.
Rendre compte aux partenaires extérieurs
Depuis son accession à l’indépendance nominale jusqu’à ce jour, le Congo, notre pays, vit, en grande partie, de "l’aide extérieure". Il doit, en permanence payer sa dette (odieuse) extérieure. Il est rare qu’au Congo, la mobilisation des recettes intérieures fasse l’objet d’un débat public. Dès qu’un gouvernement est mis en place, les spécialistes de la Banque mondiale et du Fonds monétaire international se précipitent chez nous pour indiquer la ligne politico-économique à tenir. Leur souhait a toujours été de tomber sur de "bons élèves" ou de profiter de ceux que les tireurs de ficelles occidentaux fabriquent.
Les rares fois qu’un audit a été organisé par la Cour de compte sur la gestion de la chose publique au niveau des ministères par exemple, les rapports ont toujours été catastrophiques. Souvent, les dépenses dépassent de loin les prévisions budgétaires. Ces dépenses excédentaires additionnées à l’argent servant au paiement de la dette extérieure ont toujours servi d’explication à la modicité des dépenses consacrées aux domaines sociaux tels l’emploi, les salaires, la santé et l’éducation.
L’actuel gouvernement abonde dans le même sens. Sous l’instigation du Fonds monétaire international, il a voté un budget de la misère et justifié ses manques de performance dans les domaines sociaux par le paiement de la dette extérieure. Entretenant le flou sur les recettes intérieures, il a soutenu le slogan des "cinq chantiers" et hypothéquer l’avenir de nos générations futures en troquant des quantités inimaginables de nos matières premières contre une modique somme de neuf milliards de dollars. Roulés dans la farine, les Congolais ont cru qu’avec les Chinois, ils allaient savoir à quoi sert leur or, leur cuivre et leur cobalt.
Malheureusement, ils n’ont pas su que le recours à l’extérieur (au FMI, à la Banque mondiale, à la Chine) est une tactique de prédation: ce recours cache les détournements intérieurs (et le système des commissions) équivalant ou dépassant les miettes venant de l’extérieur.
Pour preuve. Si 4,1 milliards USD sont les chiffres représentant un résultat partiel de l’enquête (selon Le Potentiel), le résultat total peut se chiffrer à plus de 10 milliards. Donc, l’extraversion politico-économique est une tactique de vol bien organisé. Rendre compte aux partenaires extérieurs permet de créer une rhétorique économico-financière couvrant les privilèges fabuleux que les nouveaux prédateurs tirent de la prédation organisée. Il n’est un secret pour personne que la plupart des mandataires des régies et entreprises de l’Etat (manqué) susmentionné ont été nommé par ordonnance présidentielle après une sélection-bidon favorisant les clients du "conglomérat d’aventuriers" gérant notre pays jusqu’à ce jour.
Que va-t-il se passer?
Après cette enquête, à quoi pouvons-nous nous attendre? Le prochain budget de l’Etat va-t-il être revu à la hausse en tenant compte de nos capacités de mobiliser les recettes de l’intérieur? Va-t-on revisiter les contrats chinois en tenant compte du fait que nous sommes capables de produire 10 milliards de dollars tout en ne bradant pas nos tonnes de matières premières? Va-t-on renforcer le contrôle de ces régies financières et entreprises de l’Etat pourvoyeuses de richesses et l’étendre à bien d’autres domaines publiques? Ce n’est pas évident.
Au sujet des contrats chinois, Joseph Kabila avait confié au journal belge Le Soir qu’ils sont irréversibles. Les régies financières et entreprises de l’Etat susmentionnées sont sur le point d’être privatisées. Les résultats des enquêtes menées risquent d’être classés, sans suite. Il est possible que dans les jours à venir, toute question remettant en cause la privatisation de ces régies financières et entreprises de l’Etat soit classifiée parmi les questions inciviques pouvant conduire à Kin-Mazière ou à Makala tous "les inciviques" qui les poseraient. Les critères de privatisation et les choix des contrats deviennent de plus en plus des questions frappées de tabou. Les envolées rhétoriques qu’ils suscitent au Parlement n’ont pour but que de donner l’impression d’avoir été débattus avant que la majorité de laudateurs ne décident dans le sens voulu par Joseph Kabila et son clan. Donc, le Congo ne va pas dans la bonne direction.
Dans ce contexte, les enquêtes initiées peuvent être interprétées comme une distraction servant à donner l’impression que le gouvernement travaille. Il est possible que nous puissions nous tromper. Mais depuis que l’AFDL/PPRD est aux affaires au Congo, le travail des commissions n’a apporté aucun changement substantiel à son mode de gouvernement.
Face à cette situation, plusieurs cercles et réseaux congolais affichent des réactions diverses et diversifiées. Aux derniers échanges avec certains d’entre eux, il est plus ou moins clair que les réseaux de refus congolais (et mixtes) contre Joseph Kabila et son clan montent en puissance. 11 AIDE est de cette tendance.
Il y en a qui ont pris langue avec les institutions judiciaires internationales en exigeant que Joseph Kabila et son clan soient mis hors d’état de nuire. La prédation à laquelle ils se livrent et la violence qu’elle crée en font une association de criminels et de malfaiteurs, nuisible au bonheur collectif congolais.
D’autres estiment qu’un coup d’état, entendu comme devoir citoyen de légitime défense, serait la meilleure des solutions. Mufoncol Tshiyoyo et son parti politique partagent ce point de vue.
D’autres encore croient en la capacité des réseaux associatifs humains de subvertir les institutions congolaises actuelles en vue de créer des espaces d’échanges d’expériences pouvant, sur le temps, engager les Congolais sur la voie de la fabrication du bonheur collectif partagé. Beaucoup de mouvements associatifs congolais travaillent dans ce sens.
D’autres enfin pensent qu’il faut une rupture brutale dont la nature reste à déterminer et une gestion nouvelle de la chose publique au Congo par des hommes nouveaux et des femmes nouvelles. C’est-à-dire n’ayant pactisé ni avec le mobutisme, ni avec les kabilismes. Les ténors de cette quatrième tendance se recherchent encore et pensent se révéler sur la scène congolaise par des actions concrètes.
Parmi les réseaux et cercles rencontrés jusqu’à ce jour, rares sont ceux qui estiment que les élections de 2011 seront une bonne solution à la mauvaise gestion actuelle du pays.
L’une ou l’autre de ces tendances pèche en focalisant son attention sur les conséquences du système capitalo-parlementariste et non sur ses causes. La question de l’alternative à ce système économico-politique n’est pas encore très approfondie dans le chef des protagonistes rencontrés. L’une ou l’autre tendance voit suffisamment clair sur la ligne politique à adopter. Les jours à venir risquent d’être riches en rebondissements. Qui vivra verra…
J.-P. Mbelu
Belgique
Beni-Lubero Online





