





Au fur et à mesure que nous nous éloignons dans le temps de l’année du début officielle de la guerre d’agression menée contre notre pays, la tentation de la haine de nous-mêmes devient très grande. Plusieurs d’entre nous risquent d’oublier qu’avant d’organiser le génocide silencieux chez nous, nous avons tous été réduits aux BMW. Qualifiés hier de buveurs de bière, experts coureurs de jupon et assoiffés insatiables d’argent par les sous-traitants de « la mafiafrique », certains d’entre nous estiment aujourd’hui que nous sommes « tous pourris ». « Le Congolais inconscient, incapable de renverser le joug de l’oppresseur et du pilleur, irresponsable face à son destin, etc. » est l’un des refrains qui revient régulièrement sous la plume de certains de nos journalistes et dans les débats sur les forums en ligne.
L’auto-flagellation et l’auto-injure prennent de plus en plus de place dans les cœurs et les esprits de certains compatriotes au point d’y semer le désespoir, de les inciter à croire qu’il n’existe plus un autre avenir pour le Congo que celui que le réseau mafieux d’élite transnational pilleur de ses richesses du sol et du sous-sol veut lui imposer depuis 1996. (Et même un peu plus tôt.)
Quand ces compatriotes disent : « Tous pourris », ils semblent se constituer en exception. Cela est déjà un bon signe ! Néanmoins, le refrain « tous pourris » pèche par une généralisation abusive. Il tend à déresponsabiliser les véritables artisans du « génocide silencieux » dont notre pays souffre depuis plus d’une décennie. Il nous paraît important de remettre constamment les pendules à l’heure pour que « les partisans des actions concrètes » ne perdent pas de vue la gravité de la tragédie dont notre pays est victime.
La troisième guerre mondiale et la « mafiafrique » occidentale
Pour ceux et celles d’entre nous qui l’auraient oublié, « la troisième guerre mondiale » menée contre notre pays est orchestrée par une coalition d’entreprises dont la spécificité est d’avoir en leur sein une ribambelle de membres appartenant à plusieurs sphères de la vie. L’exemple de l’AMFI est le plus éloquent Sans remonter jusqu’à l’époque de Mobutu, rappelons qu’ « au moment où, en 1997, le changement de régime laissait enfin poindre l’espoir d’un renouveau politique, les canadiennes AMFI (American Mineral Fields International), Anvil, Emaxon, First Quantum, Kinross, Lundin placent Kabila (Laurent-Désiré) au pouvoir pour tirer profit des prolifiques richesses du pays. Mais voyant déçus ses espoirs de pillages effrénés par un Kabila moins docile qu’escompté, l’AMFI relance les hostilités contre lui en 1998 avec ses alliés ougandais et rwandais (…) ». (A. DENEAULT, Noir Canada. Pillage, corruption et criminalité en Afrique, Montréal, Ecosociété, 2008.) Après avoir changé de dénomination à plusieurs reprises « l’AMFI, créée en 1979 et recréée en 1995, a été forgée comme un instrument destiné à exécuter en Afrique la volonté de domination économique des financiers occidentaux et particulièrement d’assouvir en RDC les desseins des sociétés américaines dont les dirigeants participent aux grands enjeux stratégiques mondiaux qui relèvent de la science, de la technologie, des finances, des industries ou de la politique. » (Ibidem, p.58. Nous soulignons). AMFI est une coalition militaro-politique aux origines américano-anglo-canadiennes. En effet, cette entreprise (est) « difficile à suivre précisément parce qu’elle échappe aux logiques nationales, tout en bénéficiant de la protection canadienne, l’AMFI est un carrefour financier, politique et militaire. Regroupant des personnalités politiques occidentales, des seigneurs de guerre africains, des affairistes louches et de trafiquants suspects, elle est l’illustration inquiétante des sociétés qui composent la « mafiafrique ». » (Ibidem, p.59. Nous soulignons. )
Ainsi, quand certains de nos compatriotes exigent « des actions concrètes », il est souhaitable qu’ils sachent d’où nous venons et contre quelle force le Congo est en train de se battre. Souvent, ce sont les seigneurs de guerre africains comme Kagame, Museveni et Joseph « Kabila » qui apparaissent au premier plan; les affairistes louches, les trafiquants suspects et les autres personnalités politiques occidentales (Bush père et Bill Clinton par exemple) restent tapis dans l’ombre. Souvent, nous nous en prenons à aux « acteurs apparents » en croyant qu’ils sont « les pléniers ».
Parvenir à identifier tous ces acteurs et mener des actions de lobbying pour les mettre hors d’état d’agir est une des « actions concrètes » que certains de nos compatriotes accomplissent depuis plus une dizaine d’années. Certains résultats sont aujourd’hui palpables même s’ils sont minces par rapport aux dégâts causés par « le génocide silencieux » chez nous. La suspension de l’aide bilatérale accordée au Rwanda par certains pays occidentaux a bénéficié de près ou de loin de la lutte de nos compatriotes. Classifier ces derniers dans « les tous pourris » nous paraît injuste. Récolter les données liées à ce « génocide silencieux » et les rassembler dans des documents pouvant nous aider à ne pas nous laisser prendre demain dans « des libérations piégées » est aussi « une action concrète ». (Lire Guerre et droits de l’homme en République démocratique du Congo de Jean-Pierre Badidike)
Mettre tous nos compatriotes essayant de réécrire notre histoire à partir du Sud et du Nord-Kivu (cfr site de Benilubero), de Kisangani, de Lubumbashi ou de Kinshasa et tous les autres journalistes alternatifs dans le sac de « tous pourris » nous paraît injuste.
Plusieurs analystes de l’histoire de notre pays se convainquent de plus en plus que si les Congolais n’étaient pas tant soit peu organisés et résistants, notre pays aurait disparu. Les auteurs de Noir Canada abondent à peu près dans le même sens, même s’ils ne prennent pas en compte le plan tutsi de la colonisation des Grands Lacs. Pour eux, « le contexte historique du Congo oriental- ses champs de bataille jonchés de cadavres, ses viols quotidiens, ses enfants drogués et enrôlés de force, ses villages pulvérisés au titre de « conquêtes », ses hôpitaux renversés sans gloire et la psychologie des peuples pervertie complètement ne s’explique ni par la barbarie fondamentale des uns, ni par l’idéologie raciale des autres. Des sociétés cotées en Bourse au Canada ont financé ou armé, alternativement ou simultanément, la force étatique et les mouvements rebelles, exacerbé ces tensions, attisé ces conflits et provoqué ces escalades pour diviser le pays de façon à en contrôler durablement les ressources. » (A. DENEAULT, o.c., p.107-108)
Faire attention aux voies qui ne mènent nulle part
La perversion de la psychologie de certains d’entre nous participe entre autres des dégâts causés par l’humiliation subie à cause de cette « troisième guerre mondiale », la plus meurtrière. Nous en relever prendra beaucoup plus de temps chez certains que chez d’autres. D’où l’appel à un autre leadership pouvant redonner un tant soit peu de fierté à tous ces cœurs meurtris. D’où aussi l’appel à la compréhension, à la tolérance et à la patience chez « le petit reste » et chez les autres veilleurs-protecteurs de la mémoire historique de nos populations. Ils ne devraient pas répondre aux attaques inciviques et aux autres injures dont ils sont de temps en temps l’objet. Et surtout pas sur Internet : « la mafiafrique » se sert, elle aussi de cet outil de communication pour démobiliser et démoraliser les défenseurs acharnés de notre terre-mère.
De toutes les façons, cette guerre d’agression nous a appris qu’un peuple vit aussi de fierté. L’image que les autres nous renvoient depuis que « la mafiafrique » a choisi de nous d’instrumentaliser le Rwanda, l’Ouganda et quelques filles et fils de notre peuple pour nous déposséder de nos terres et de nos richesses est hideuse. L’auto-flagellation et l’auto-injure participeraient de l’acceptation de cette image. Certains parmi nous nous verraient tous comme les autres nous voient : des bato pamba, des zoba.
Nous devrions faire très attention afin que la quête de la fierté retrouvée ne nous engage pas sur des voies qui ne mènent nulle part. « La mafiafrique » a une grande capacité caméléonesque. Elle s’adapte aux situations changeantes. Elle sait que « les affaires supposent que l’on transige avec les puissances qui occupent le terrain, quelles qu’elles soient. Ces guerres africaines (dont celle menée contre notre pays) fonctionnent pour les compagnies canadiennes (et occidentales) à la manière d’un produit dérivé. Ces conflits leur ouvrent un nouveau marché de l’armement, confèrent une exclusivité aux gisements qu’elles détiennent et majorent éventuellement leur valeur. Le champ de bataille au milieu duquel on parvient aux ressources favorise le développement des monopoles. Tant pis si, du fait de tels partenariats, le pays s’enlise cruellement dans des guerres civiles et des guerres d’occupation. » (Ibidem, p. 108) Pour dire les choses autrement, « la mafiafrique » peut déshabiller St Pierre pour habiller St Paul et vice versa. Ce qui importe pour elle, c’est le pillage des ressources. Et celui-ci fait partie intégrante de la stratégie du capitalisme du désastre, de « la culture économique » des pays du Nord. (Pour approfondir cette question, nous renvoyons, à titre indicatif, à quelques cinq livres : La sorcellerie capitaliste. Pratiques de désenvoûtement d’Isabelle Stengers et Philippe Pignare, La stratégie du choc. La montée d’un capitalisme du désastre de Naomi Klein, Bush le cyclone et Les 7 péchés d’Hugo Chavez de Michel Collon et Le dérèglement du monde d’Amin Maalouf) En effet, « la culture économique » ayant provoqué « la crise financière » n’a connu aucune métamorphose. Ses mentors, arrivés à un niveau d’incapacité morale très avancée, ont choisi de la moraliser, c’est-à-dire de ne rien faire. Ils sont toujours à la recherche des clients pour son expansion. Donc, il nous faudra faire très attention aux « futurs leaders charismatiques » chez nous. Un examen minutieux de leur parcours devra s’imposer afin que nous ne tombions pas sur « les nids de vipères ».
Le leadership dont nous aurons besoin demain devrait faire le constat amer des dégâts causés par le capitalisme du désastre et changer le fusil d’épaule. C’est-à-dire privilégier l’alliance Sud-Sud initiée dernièrement par certains pays latino-américains et une soixantaine de pays africains (dont le nôtre représenté par le Ministre de l’économie André Philippe Futa) tout en travaillant avec « ces amis du Nord » mobilisés dans la lutte pour la promotion des droits sociaux acquis par leurs aïeux et que le capitalisme du désastre tend petit à petit à anéantir. Notre leadership de demain devra entrevoir l’avènement d’un autre Congo réconcilié avec l’Afrique et mû par les grandes orientations du socialisme du 21ème siècle.
La lutte acharnée contre « les petites mains » du capitalisme du désastre ne devrait pas connaître de répit. Dans cette lutte, le Congo a besoin de toutes ses filles et fils debout ; les à-plaventristes et autres collabos devraient être neutralisés. Au jour d’aujourd’hui, un Golden Misabiko, un Floribert Chebeya, un Paul Nsapo, un Robert Ilunga, un Raoul Nsolwa, un Norbert Luyeye, etc. peuvent être classifiés parmi ces filles et fils de notre peuple qui sont debout contre vents et marrées. Et ils sont de plus en plus nombreux, ces Congolaises et Congolais prêts au sacrifice suprême pour notre pays. C’est vrai, le travail en synergie doit prendre le dessus sur celui qu’abattent les individualités. Petit à petit, ce travail se fait et il est de plus en plus assez bien coordonné. Mais loin des caméras et des forums en ligne. Ceux et celles d’entre nous qui n’en sont pas informés pensent que les Congolais(es) sont tous pourris. Non. C’est faux et archifaux.
J.-P. Mbelu
Belgie-Brussels
Beni-Lubero Online
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