





Dans la première partie de cet article, notre principale était de poser des questions. Qu’est-ce qui est occupé chez nous ? Nos terres ou aussi nos esprits et nos cœurs, nos yeux et nos oreilles. Des réponses à ces questions dépend la suite des évènements au Congo de Lumumba. Il y en a d’autres : « Par quoi et/ ou par qui passe l’occupation chez nous ? Comment les occupants et leurs alliés procèdent-ils mpo te toyeba te ? »
L’un des acquis de la première partie de cet article est que nous en sommes arrivés au constat selon lequel le Congo dit démocratique étant sous tutelle et/ou sous occupation, les probables élections de novembre 2011 sont un enjeu mineur. Alors, que faut-il faire ? Qu’elles aient ou pas lieu, il faut poursuivre la lutte sur plusieurs fronts. Et la meilleure des luttes est celle de l’éducation, de la formation et de l’information de nos masses populaires pour une responsabilisation citoyenne à la base. La responsabilisation citoyenne c’est tout à fait autre chose que les applaudissements des foules quand elles offrent leurs bains à certains politiciens soucieux de mesurer leur popularité. Les foules sont « enfants » ! Des masses citoyennes bien éduquées civiquement sont conscientes de leurs droits et de leurs devoirs. Elles sont prêtes au sacrifice suprême pour que leur dignité et leurs libertés fondamentales soient respectées.
Dans un contexte de tutelle et/ou d’occupation, les élections sont un enjeu mineur dans la mesure où ce qu’elles cherchent à garantir, ce n’est pas de l’alternative mais une alternance au pouvoir-os au sein d’un système de tutelle et/ou ou d’occupation. Comprendre les choses de cette oreille bouleverse l’approche même des élections à venir.
Prenons un exemple. Embarquée dans le processus électoral dans un pays sous tutelle, l’opposition au pouvoir d’occupation chez nous formule des revendications en dix points. Un membre du système d’occupation et président de la CENI lui répond en argumentant juridiquement. Il lui dit que lui obéit à la loi instituant la CENI et que selon cette loi, il ne peut pas y avoir d’interférence extérieure dans la gestion du serveur central du ficher électoral. Face à cet argument-massue, l’opposition politique au pouvoir d’occupation peut être désarmée. Cela d’autant plus que participant au système, elle a envoyé ses membres à la CENI. Amnésique , elle ne saura peut-être pas poser la question du rôle des lois dans un contexte de manque d’indépendance et de souveraineté réelle dans un pays.
Mais si elle déploie un petit effort de relecture de notre histoire, elle se rendra compte que les lois édictées dans un pays sous tutelle et/ou sous occupation servent les intérêts des forces dominantes en présence. Patrice Lumumba l’avait compris un peu tôt. Dans son discours du 30 juin 1960, Patrice Lumumba critiquait sévèrement les textes juridiques et les lois. « Nous avons connu, disait-il, que nos terres furent spoliées au nom de textes prétendument légaux qui ne faisaient que reconnaître le droit du plus fort. Nous avons connu que la loi n’était jamais la même selon qu’il s’agissait d’un blanc ou d’un noir ; accommodante pour les uns, cruelle et inhumaine pour les autres. » (C.ONANA, Ces tueurs tutsi. Au cœur de la tragédie congolaise, Paris, Duboiris, 2009, p.70) Dans le message fondateur du FIB (Fonds Isidore Bakanja) Crispin Nlanda compte les astuces juridiques parmi les pires pièges que le capitalisme dévorant tend à notre pays quand il écrit : « L’Eglise a ainsi entamé une action concrète pour libérer le pays des pièges d’un capitalisme dévorant qui fait de notre pays un simple puits d’où il faut tirer des matières premières en nous utilisant nous, les propriétaires de ce puits, comme simple main d’œuvre sans droit. Pire, avec des astuces juridiques non comprises de l’ensemble de notre peuple, nos terres nous sont arrachées au profit des multinationales qui utilisent des commissionnaires nationaux. »
Patrice Lumumba (hier) et Crispin Nlanda (aujourd’hui) réussissent à prendre une certaine distance vis-à-vis du système de tutelle et/ou d’occupation pour penser le droit. Ils se rendent comptent que les lois ne sont pas toujours neutres. Surtout dans les contextes où la délibération citoyenne ne participe pas de procédures de leur élaboration.
Cette distance est indispensable à la remise en question du système de notre asservissement, de notre assujettissement et de notre abâtardissement. Penser de l’intérieur du système peut réduire l’horizon des possibles permettant sa remise en cause. L’une des faiblesses de l’opposition politique congolaise est de penser au cœur d’un système d’avilissement des Congolais(es) consolidé par des textes de lois taillées sur mesure sous sa barbe. Sa lutte perd de sa consistance et de son efficacité dans la mesure où elle est constamment placée dans une situation de réaction aux termes de débat qui lui sont dictés par « les commissionnaires nationaux et étrangers » des multinationales.
Que faut-il faire ? Il d’abord sortir de l’engrenage imposé et devenir « acteur » au lieu de demeurer éternellement « re-acteur ». Dans les conditions de « re-acteur », c’est l’autre, « le nègre de service » qui dicte l’orientation de la lutte dont il maîtrise plus ou moins, par action et/ ou par complicité avec ses parrains, les tenants et les aboutissants. (Pour n’avoir pas compris cela, nous nous livrons à l’évaluation de l’action des ex-seigneurs de guerre au pouvoir en fonction de la justice sociale qu’ils devraient promouvoir au Congo. Comme s’ils étaient venus aux affaires pour cela. Non. Eux sont venus parachever la guerre d’occupation et de prédation commencée en 1996.)
Souvent, la question de ce qu’il faut faire nous semble être posée rapidement avant qu’un approfondissement des mécanismes et procédures de soumission et d’assujettissement devienne plus ou moins un acquis collectif. Ne pas comprendre que les élections à venir sont un enjeu mineur par rapport à notre bonheur collectif sur le long terme pousse certains d’entre nous à s’enfermer dans le court-termisme compromettant pour notre devenir commun.
Par où, par quoi passe la mise sous tutelle de notre pays et/ou son occupation ?
De ce qui précède, nous pouvons dire qu’elle passe par « les astuces juridiques », pires pièges du capitalisme décadent. Elle passe aussi par la dette et les mesures d’ajustements structurelles imposées à notre pays (avec la complicité des commissionnaires nationaux de ces IFI). Pendant que ce qu’il nous reste de classe politique est occupée par les élections probables de novembre 2011, « le Premier ministre, Adolphe Muzito, a plaidé, jeudi 4 août dernier lors de la clôture à Kinshasa de la rencontre du Caucus africain, en faveur des soutiens additionnels des bailleurs de fonds aux secteurs clés de l’énergie et de l’agriculture. » (Lire dans Le Potentiel du 06 août 2011, l’article intitulé Clôture à Kinshasa du Caucus africain : Muzito plaide pour des soutiens additionnels des bailleurs de fonds)
Pendant que le ministre du gouvernement Muzito, Lambert Mende, s’en prend à l’un des bailleurs de fonds, la Belgique , en lui demandant de ne pas se mêler des questions électorales au nom de sa contribution financière, le Premier ministre lance un appel des fonds. Et il le fait après que 90% de la dette extérieure aient été effacés ( ?), que l’économie des pays des bailleurs de fonds connaisse une crise économique déversant dans leurs rues des citoyen(nes) indigné(es) et que l’or (que le Congo produit) devient davantage l’une des valeurs refuges de l’économie mondiale..
Cela veut dire que si les bailleurs de fonds répondent favorablement à Muzito, le prochain gouvernement issu des élections dites libres, transparentes et démocratiques aura à gérer une dette contractée, sans son aval, par un gouvernement sortant…En d’autres termes, ce gouvernement-là devra se retrouver dans les chaînes créées par « une dette odieuse » entretenue par « les commissionnaires nationaux et étrangers » du capitalisme décadent !
Bref, les élections qui sont un enjeu mineur pour notre pays nous prennent tellement le temps que nous ne savons presque pas nous battre sur les autres fronts où les mécanismes de notre asservissement et de notre assujettissement sont mis en place au quotidien au rythme des conférences et des sommets.
En dehors du piège économique que constitue la dette extérieure (et intérieure), il y a les institutions politiques dont « les maîtres du monde » maîtrisent le fonctionnement. Disons que la reconduction du pouvoir représentatif tel qu’il fonctionne chez nous (avec un président, un gouvernement et un parlement) facilite son instrumentalisation et/ou son noyautage par « les maîtres du monde ». Là où la démocratie directe est promue, ils mordent de plus en plus la poussière. La promotion des gouvernements participatifs en Amérique Latine les a chassés de leur arrière-cour. Les comités de pouvoir populaires en Libye leur donnent des sueurs froides. Après six mois de bombardement, ils n’ont pas (encore) réussi à plier le peuple Libyen à leur volonté.
En plus des mécanismes asservissants sus mentionnés, plusieurs d’entre nous ont des difficultés à capitaliser les acquis de notre lutte commune de liberté ; ils tombent facilement de l’amnésie. Quand les lois édictées dans le contexte de la guerre de prédation, ils ont de la peine à se souvenir que cette guerre participe des « guerres secrètes de la politique et de la justice (nationale et) internationales » et que ces guerres ont déjà livré 80% de leurs secrets. (Deux livres (entre autres) en témoignent : F. HARTMANN, Paix et châtiment. Les guerres secrètes de la politique et de la justice internationales, Paris, Flammarion, 2007 et P. PEAN, Carnages. Les guerres secrètes des grandes puissances en Afrique, Paris, Fayard, 2010)
La grande manifestation de ce manque de capitalisation de nos acquis est les ravages qu’opère le syndrome de Stockholm chez plusieurs d’entre nous. Qu’ils deviennent, à peine quinze ans année après le début de la guerre de prédation de 1996, les admirateurs de nos bourreaux sans qu’aucune justice n’ait été rendue au sujet des millions des morts, sans qu’aucune demande publique de pardon n’ait été faite, sans que des témoignages de repentir aient été donnés, cela semble tragique pour notre devenir commun.
Il y a, donc, un problème sérieux d’ « occupation » de notre mémoire collective. Nos terres, nos oreilles, nos cœurs et nos esprits sont occupées. Mais aussi notre mémoire collective. Elle est frappée par une amnésie dont nous nous ne pourrons être guéris qu’au bout d’une longue thérapie collective que pourraient précipiter certaines de nos « minorités organisées » mais aussi « nos intelligences sages et les mieux éclairées » ; si elles acceptent de travailler, dans un esprit d’abnégation, de persévérance et de courage avec nos masses populaires.
Les probables élections de novembre 2011 participent, en partie, de la propagation du syndrome de Stockholm : certains criminels de guerre et criminels humanitaires vont être, pour la deuxième fois de notre histoire depuis 1996, blanchis et présentés à la face du monde comme des partenaires politiques dignes de ce nom. Plusieurs d’entre nous le feront innocemment : ils sont ignorants ; ils ne savent pas. D’autres le feront au nom de leur foi en « la démocratie réelle ou imaginaire » ; d’autres encore le feront par lâcheté : ils ne sont pas capables de lutter sur le temps. D’autres enfin le feront parce qu’ils ont comme fonction, ad vitam aeternam : « Hommes politiques ». Aller à la mangeoire est leur unique préoccupation. La nature, le profil et la qualité des commensaux ne leur importent peu. Les droits économiques, sociaux, politiques et culturelles des populations encore moins.
Dieu merci ! Des minorités organisées, conscientes des mécanismes d’assujettissement et d’avilissement mis en place par « les maîtres du monde en décadence » et « leurs nègres de service », fortes de leur connaissance du fonctionnement du réseau de prédation chez nous, des dégâts qu’y causent l’amnésie et le syndrome de Stockholm, ont choisi de poursuivre leur lutte comme si de rien n’était. L’une des minorités organisées visibles, le CALCC, a lancé la FIB (Fonds Isidore Bakanja) comme contribution à notre souveraineté économique. Le CALCC veut contribuer à notre développement autocentré. Tel est là l’exemple d’une action concrète. Il a compris que sans souveraineté économique, il n’y a pas de pouvoir participatif et de démocratie. (Il lance cet appel pendant que Muzito cherche les fonds additionnels chez les bailleurs de fonds !!!) Les minorités organisées invisibles ne mettront pas facilement leurs actions sur Internet. Elles sont convaincues que les réponses stratégiques à la question de savoir ce qu’il faut faire ne relèvent pas toujours du domaine de la publicité…Pour elles, l’essentiel est de poser les questions pouvant rassembler et de travailler à y répondre à court, moyen et long terme. Elles évitent, le plus possible, de confondre vitesse e précipitation. Le temps qui compte pour elles, c’est celui de la réflexion et de l’action créatrice d’un autre avenir pour le Congo. Chimère ? Peut-être ! Utopie ? Certainement ! Ils sont convaincus que « mwaba muidikija munu wa kaya nzubu ! » (Dans nos villages (non-occupés), on finit par construire à un endroit où le doigt a été constamment pointé.)
J.-P. Mbelu
Belgie-Brussels
Beni-Lubero Online





