





"Nous sommes loin de bâtir un Congo toujours plus beau qu’avant" Essai de relecture du dernier message de la CENCO
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Le 10 juillet 2008, nos Pères les évêques de la Conférence Episcopale du Congo ont lancé "un appel vibrant à la vigilance aux fidèles catholiques et aux hommes de bonne volonté à l’occasion du 48ème anniversaire de l’indépendance" de notre pays. Cet appel intitulé "Il est temps de nous réveiller" invite tous "les Congolais à se mettre debout, à s’unir dans l’effort pour l’indépendance, à redresser les fronts longtemps courbés, à prendre le plus bel élan pour bâtir dans le labeur un pays plus beau qu’avant."
Cet appel, spécifique par bien des côtés, partage la conclusion des observations des analystes et des personnes avisées sur "la chose congolaise": "le spectacle dramatique d’un Congo toujours exsangue et extraverti".
A travers ce message, nos Pères les évêques, dénoncent, sur un ton classique, les cinq plaies du Congo: la corruption, l’insécurité, la faiblesse de l’Etat, la misère sociale, l’exploitation irrégulière et illégale des ressources minières et forestières.
L’une des spécificités de ce message est de souligner l’urgence de l’action par-delà des discours. Au regard des cinq plaies et à l’analyse des situations catastrophiques de notre pays, nos évêques notent ce qui suit: " Nous devons élaborer des propositions concrètes susceptibles de relever ces grands défis. L’heure n’est plus aux beaux discours. Il est temps de passer à l’action à travers des engagements urgents à réaliser."
Joignant l’acte à la parole, nos évêques font des propositions concrètes en matière sociale, en matière sécuritaire, en matière d’éducation civique et en matière d’exploitation de ressources naturelles. Ils concluent leur message en réitérant leur appel au peuple congolais: "Réveillons-nous! L’Heure de nous mettre au travail a sonné. Il n’est pas question des ajournements. Nous avons souvent subi notre destin. Il est temps de choisir de bâtir notre destinée. La tâche est certes immense, les défis à relever innombrables, les obstacles majeurs, mais ne succombons pas à la tentation du défaitisme."
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1. Une espérance lucide et responsable
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L’église catholique du Congo est une des institutions les mieux implantées au Congo. Elle est présente à travers tout notre pays. Elle se retrouve dans les coins et recoins de ce géant de l’Afrique.
Mais, comment se fait-il que cette église n’ait pas été, à l’exemple de sa sœur latino-américaine, celle qui met le peuple debout? Quand, exerçant son rôle prophétique, elle en arrive à confesser, à travers ses évêques, que "nous avons souvent subi notre destin", elle pousse à poser la question de savoir si elle ne gagnerait pas dans ce qu’elle croit être sa nouvelle orientation en examinant ce qui, en son sein, "a souvent mangé" l’audace de l’action? C’est-à-dire qu’elle aurait besoin d’un temps de pause pendant lequel elle se livrerait à un examen de conscience collectif lui permettant de mettre à nu, sans complaisance, (ses forces et) ses faiblesses internes. Ce faisant, elle verrait si ses faiblesses (organisationnelles) ne l’emportent pas sur "ses forces". Ainsi pourrait-elle s’exercer à enraciner sa nouvelle orientation dans du solide.
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Elle aurait besoin d’une sorte de Conférence Nationale Souveraine Ecclésiale que plusieurs chrétiens appellent de plus en plus de tous leurs vœux. Celle-ci s’organiserait à partir de toutes les communautés ecclésiales vivantes de base et ses résultats remonteraient de ces communautés aux paroisses et aux organes diocésains de concertation et de dialogue. Ceux-ci les transmettraient à la Conférence Episcopale Nationale du Congo qui se chargerait de les étudier avec et à partir de la participation des délégués de toutes les communautés ecclésiales vivantes de base du Congo.
Il y aurait un va-et-vient entre la base et la tête de l’église du Congo engagées à bâtir, avec les hommes et les femmes de bonne volonté, un pays plus beau qu’avant. Sans ce va-et-vient des actions menées en synergie, les messages de nos Pères les évêques risquent de rester, pendant longtemps, des déclarations des bonnes intentions, des discours de trop.
En effet, les communautés ecclésiales vivantes mises en condition de penser leur fatigue sur fond de l’évangile de Celui qui invite "à se lever et à marcher" peuvent devenir les lieux de résistance contre les cinq fléaux dénoncés. C’est-à-dire des lieux où la pensée collective permet de retrouver la capacité de discuter, d’objecter, de contredire, de négocier. Elles peuvent devenir des lieux où des hommes et femmes essaient de reconquérir leurs capacités de lucidité, d’inventivité et de coopération intelligente et solidaire et de se recevoir les uns des autres comme coauteurs des valeurs porteuses de vie telles que la fraternité, l’amitié, la solidarité, la convivialité.
Une espérance lucide et responsable se fabrique à partir des actions collectives où chacun se sent intégré comme un maillon indispensable de la chaîne de la conversion de la fatigue née de l’attentisme et de la démission en énergie créatrice d’une destinée assumée collectivement en conscience. Cette fabrication responsable de la destinée commune ne peut pas se passer d’une identification lucide des défis et obstacles majeurs auxquels le Congo fait face.
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2. Identification lucide des défis et des obstacles
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Il est vrai qu’une relecture des messages de nos Pères les évêques publiés depuis que le Zaïre est devenu La République Démocratique (?) du Congo permet une certaine identification de ces défis et obstacles. Mais, il nous semble que cette identification reste un peu floue. Explicitions.
Quand nos évêques mentionnent la faiblesse de l’Etat parmi les cinq fléaux congolais et en appellent à l’émergence d’un" leadership plus visionnaire et dynamique", ils nous font tiquer.
D’un, ils donnent l’impression de ne pas comprendre que la faiblesse actuelle de l’Etat congolais est beaucoup plus une étape d’un long processus de son affaiblissement, de son anéantissement qu’une génération spontanée. Le ver étant dans le fruit, les acteurs politiques actuels, par la parallélisassions des institutions issues des élections de 2006, travaillent à l’anéantissement de l’Etat au Congo. Et ce qui en fait office actuellement est "un Etat manqué". C’est-à-dire un réseau maffieux de politicailleurs recourant à la violence, aux assassinats ciblés, aux massacres extrajudiciaires, aux emprisonnements dans des cachots privés pour créer la peur et fatiguer psychologiquement, spirituellement et moralement nos populations afin de les rendre corvéables à merci. Cette violence délibérée alliée au non-respect des règles édictées par le droit national et international transforme le Congo en une jungle où ne peuvent tenir le coup que les seigneurs de guerre.
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Donc, croire à l’émergence d’"un leadership visionnaire et dynamique" en ayant aux affaires des obscurantistes volontaires et des pêcheurs en eau trouble, c’est mettre la charrue avant les bœufs: la menace n’est pas bien identifiée. Cela risque de remettre aux calendes grecques l’émergence de cet autre leadership.
De deux, nos évêques critiquent la conférence de Goma sans établir explicitement le lien existant entre l’orientation donnée cette conférence et les fléaux qu’ils dénoncent. Pour avoir accepté que les Congolais étaient en guerre ethnique entre eux, cette conférence a innocenté le véritable agresseur du Congo: l’empire américain par le Rwanda (et l’Ouganda) interposé. En appelant Nkunda à la table de la négociation sans Bush-Kagame, la conférence de Goma a été un théâtre de mauvais goût. La construction de la base militaire des U.S.A. à Kigali n’augure pas des lendemains de paix au Congo.
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Dans ce contexte, quand nos évêques exigent, en matière de sécurité que la communauté internationale fasse pression sur les chefs de la guerre maintenant en otages les populations congolaises, ils semblent prêcher dans le désert. La communauté internationale a plusieurs rapports attestant que le Rwanda a agressé le Congo et est au Congo par Nkunda et d’autres infiltrés. Qu’a-t-elle fait? Rien. Dernièrement, un soldat de la Monuc a félicité l’instrument de Kagame au Congo(Nkunda), prouvant à suffisance que la dite communauté internationale est complice des malheurs de notre pays. C’est la communauté internationale qui, par "l’opération turquoise", a ramené les Rwandais chez nous. Pourquoi ne se charge-t-elle pas de les ramener au Rwanda ?
Pour tout prendre, disons qu’une identification biaisée des défis et des obstacles dressés sur la voie de la lutte pour notre autodétermination peut rendre inefficaces nos actions. Donc, une bonne identification théorique de ces défis et obstacles sera toujours indispensable aux actions concrètes de fabrication collective de notre destinée. Elle est l’un des moyens d’actions urgentes. L’église en a-t-elle d’autres?
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3. Des moyens d’actions
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En dehors de sa dénonciation prophétique, l’église catholique du Congo peut se servir de l’éducation civique comme moyen d’action politique. Une éducation civique bien assumée dans des interstices où l’on apprend et désapprend avec et à partir des autres peut mener à des actions de résistance dignes de ce nom.
Néanmoins, son efficacité serait liée à sa capacité de s’évaluer à court, moyen et long terme. Notre église dispose-t-elle des structures d’évaluation des actions qu’elle mène? C’est possible!
Décidée à renverser la vapeur, elle ne peut mieux mener sa lutte que par l’organisation (de la base au sommet), la discipline et l’étude. Dans le cas contraire, si elle ne sort pas de sentiers battus, nous ne voyons pas comment elle pourra procéder pour exiger des gouvernants qu’ils répondent aux propositions concrètes qu’elle leur fait. La question lancinante ici est de savoir de quels moyens coercitifs et/ou coopératifs dispose notre église pour assurer un suivi à la demande de la mise en pratique des propositions faites aux gouvernants de notre "Etat manqué".
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Dans leur message, nos évêques citent, à plus d’une reprise, le pape Benoît XVI. Ainsi manifestent-ils leur lien à l’église universelle. La mise à contribution de ce lien serait de grande utilité dans la lutte qu’ils voudraient désormais mener. Ils pourraient travailler davantage en synergie avec les autres églises, (et surtout) avec les Commissions Justice et Paix de l’Occident et de l’Amérique Latine. L’universalité de l’église serait un atout pour un travail d’éveil des peuples chrétiens d’ailleurs, capables de peser sur leurs opinions publiques. (Ces peuples pris en otages par la pensée unique et les médias dominants ne sont pas toujours au courant de ce qui se vit chez nous.)
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Un exemple. Les questions posées par le Groupe Afrique de la Commission Justice et Paix Belgique francophone dans une réflexion intitulée "République Démocratique du Congo: les viols et violences sexuelles sont-ils utilisés comme tactique de guerre dans le Sud-Kivu" auraient aidé nos Pères évêques à identifier "concrètement" les défis et les obstacles majeurs auxquels notre pays fait face. Cela aurait eu le mérite de rompre avec le ton classique de leurs dénonciations. Il est tellement généralisant qu’à un certain moment les premiers responsables du gâchis congolais risquent de s’en tirer avec une conscience tranquille.
Pour bâtir un pays plus beau qu’avant, n’avons-nous pas besoin que parmi nos pasteurs et nos chrétiens, la parole prophétique soit assumée à la Nathan (parlant au Roi David en face), à la Jean-Baptiste (disant à Hérode qu’il ne lui est pas permis prendre la femme de son frère), à la Jésus (parlant sans ambages aux scribes et aux pharisiens)? La peur de la mort, de la perte des privilèges acquis et le goût du lucre auront-ils toujours raison de l’audace d’une parole libre, libérée et libératrice chez nous?
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J.-P. Mbelu
Brussels – Belgie
Beni-Lubero Online





