





Les deux arrêtés susmentionnés visaient, entre autres :
– la suspension d’instruction des nouveaux dossiers miniers,
– l’identification des acteurs miniers,
– l’inventaire de leurs stocks de matières minérales et vérification de payement des taxes dues à l’Etat,
– la proposition de l’institution de nouvelles zones d’exploitation artisanale,- Organisation des exploitants artisanaux en coopératives minières,
– l’achèvement de la construction des centres de négoces et enfin,
– la mise en place, avec le concours des partenaires internationaux, d’une carte des sites d’exploitation artisanale.
La lettre de ces deux arrêtés ne manque pas de ces clauses qui apparemment visent l’intérêt commun des congolais mais dont l’application se révèle par la suite discriminatoire à l’égard de la partie congolaise qui en ressort mains bredouilles.
Il est vrai que l’objectif de ces deux arrêtés est de mettre fin à l’exploitation illégale et le commerce illicite des ressources minérales, la prolifération et le trafic d’armes par des groupes mafieux et armés, et l’insécurité récurrente dans les provinces du Maniema, Nord-Kivu et Sud-Kivu., l’immixtion des agents et personnes étrangers aux services reconnus par le code minier dans le circuit d’exploitation et de commercialisation des substances minérales, la nécessité de sauvegarder la souveraineté de l’Etat et de rétablir son autorité sur le sol et le sous sol dans les provinces concernées et enfin, la nécessité de lutter contre la fraude et la contrebande minières sous toutes leurs formes, etc.
Au chapitre des suspensions, on peut citer, la suspension de l’exercice de tous les droits découlant des titres détenus par :
– les titulaires des titres miniers,
– les exploitants artisanaux,
– les coopératives minières,
– les négociants,
– les comptoirs agrées et,
– les entités de traitement et de transformation.
Toutefois, les titulaires des titres miniers en phase effective et régulière de développement et de construction sont autorisés à poursuivre leurs travaux.
Cette dernière clause de l’arrêté est ce qui exonère certains exploitants miniers, notamment les multinationales, les comptoirs du régime de Kigali, etc. Aucun des exploitants artisanaux congolais n’aurait été trouvé idoine pour rester en activité. D’où les suspicions qui vont dans tous les sens.
Plusieurs exploitants artisanaux congolais continuent de clamer leur innocence et de dire qu’ils ne sont liés d’aucune manière à la contrebande minière des armées et terroristes de la région des Grands Lacs Africains. Ces exploitants artisanaux se disent faire partie des opérateurs économiques, colonne dorsale de l’économie régionale depuis des années et bien avant la guerre d’agression rwando-burundo-ougandaise de la R.D.Congo en 1996. Ils fonctionneraient dans la plupart des cas avec des autorisations de l’Etat et payaient leurs taxes à qui de droit. Aujourd’hui, ils ne comprennent pas pourquoi ils sont logés à la même enseigne que les bandits et contrebandiers du domaine minier bien connus et dont les circuits ont déjà été bien identifiés par les experts de l’ONU dans leurs rapports sur l’exploitation illégale des minerais en R.D. Congo : S/2002/1146 du 15 octobre 2002, et S/2009/603 du 23 Novembre 2009 ? Pourquoi les pilleurs identifiés par l’ONU n’ont-ils pas été frappés par l’arrêté ministériel ?
Le petit espoir de ces exploitants artisanaux repose sur une clause de l’arrêté qui les invite à former des coopératives minières afin de partager loyalement le marché avec les exploitants internationaux. Les plus incrédules ne croient pas que cette promesse sera jamais réalisée car, soutiennent-ils, un gouvernement responsable aurait organisé les exploitants congolais en coopératives bien avant la mesure disciplinaire contre les contrebandiers. Connaissant la lenteur des traitements des dossiers en R.D.Congo (trois ans pour recevoir le premier accusé de réception qui souvent sert de titre pour les contrôleurs pendant trois autres années avant l’obtention d’un titre provisoire ) les victimes se demandent combien de temps il leur faudra pour qu’ils retrouvent leurs droits et pour que leurs coopératives minières à créer soient agréés par l’Etat congolais ?
Pendant que les congolais découvrent les vrais enjeux des arrêtés ministériels 705 et 706, les exploitants étrangers et les multinationales se taillent la part du lion du secteur minier. Ce sont eux qui bénéficient de la clause « Toutefois, les titulaires des titres miniers en phase effective et régulière de développement et de construction sont autorisés à poursuivre leurs travaux ».
Ainsi, selon certains exploitants artisanaux, le territoire de Lubero tout entier serait devenu de facto depuis la suspension des exploitants artisanaux un carré minier de l’entreprise canadienne LONCOR Resources Congo.
Les comptoirs du Rwanda Metals ne seraient pas non plus fermés dans les territoires de Walikale et du Masisi.
Aussi Eagle Wings Resources International, un comptoir de coltan de Bukavu qui est une succursale de Trinitech International Inc. de l’Etat d’OHIO aux USA et qui possède des bureaux au Rwanda et au Burundi serait toujours ouvert.
Cette politique de deux poids, deux mesures révèle ce qu’on savait déjà, notamment, la ruée des multinationales sur les ressources naturelles de l’Est de la R.D.Congo. Il n’y a pas de doute que ce sont elles qui dictent les règles du jeu !
Mais certains observateurs gardent l’espoir que l’exploitation des minerais par les multinationales créera des emplois dans la région. Mais, pour d’autres observateurs, les nouvelles qui viennent de la Miba au Kasaï et de la Gécamines au Katanga ne sont pas encourageantes. Les travailleurs de ces grandes entreprises minières seraient des laissés pour compte et les populations du Kasai et du Katanga étant en général plus appauvries que celles de Beni-Lubero par exemple, en dépit des entreprises minières dans leurs provinces respectives depuis près de 100 ans.
Dans tous les cas, en privilégiant les multinationales, l’Etat congolais ne perd rien car il s’enrichira des émoluments des permis d’exploitation des carrés miniers. Mais comme dans tout état rentier, la population ainsi que les institutions citoyennes de la R.D.Congo en souffriront car elles perdront le pouvoir de contrôler un Etat pris en charge par les multinationales. Aussi, espérer que les petites coopératives locales qui devront être créées pourront aussitôt entrer en concurrence saine avec les multinationales relève de l’utopie, surtout si l’on tient compte de la corruption généralisée des dirigeants congolais.
En ville de Butembo, une ville construite en grande partie par l’exploitation artisanale des minerais, les victimes des arrêtés ministériels susmentionnés sont aux abois. Tous les comptoirs des matières précieuses sont fermés. Les carrières d’exploitation artisanale des minerais sont fermées avec comme conséquence une main d’œuvre contrainte au chômage. Les activités commerciales étant interdépendantes, les effets de la suspension de l’exploitation artisanale des minerais au Kivu se généralisent et frappent tout le monde.
Transport du coltan au Nord-Kivu
Les commerçants, les ambulants et revendeurs disent que le commerce tourne déjà au ralenti. Certains employeurs expliquent le retard de paiement des salaires mensuels de leurs travailleurs par ce qu’on appelle déjà sur place la crise minière. Les produits vivriers ne sont pas non plus épargnés par cette crise minière qui se répand trop vite comme un cancer. Les dépôts des vivres n’ecoulent plus leurs stocks parce que plusieurs consommateurs ont perdu leur pouvoir d’achat. Le secteur de l’éducation qui est depuis des années le parent pauvre de l’action des gouvernements qui se sont succédé à Kinshasa depuis Mobutu n’est pas non plus épargné. Les parents sont incapables de pourvoir complètement à la scolarisation de leurs enfants.
Bref, l’économie de la région qui est déjà fragile par le fait de 14 ans de guerre d’agression, risque ainsi de sombrer dans une dépression suivie d’un coma fatal.
Considérant que les congolais de la région survivent grâce à leur débrouillardise dans le domaine du commerce, l’asphyxie du petit commerce y serait un coup dur, plus dur que les 14 ans d’agression, car pour la première fois, les petits commerçants perdraient leur matière première, et leurs moyens de production. Les observateurs attendent de voir comment le patronat local va réagir à cette crise minière qui le frappe de plein fouet.
Edgar Kahindo
Racodit-Butembo
©Beni-Lubero Online





