





Les IBW n’ont sans doute qu’une vertu, mais elles la pratiquent à fond : elles ne perdent pas de temps et s’expriment sans pudeur. Par contre, elles n’ont pas le sens de l’humour, et c’est donc sans rire qu’elles sont venues dire au Congo que la première chose à faire est de réduire ses dépenses publiques !
La raison en est simple et, à première vue, le raisonnement a l’air de tenir : on ne peut pas dépenser plus qu’on ne gagne. Les recettes du Congo sont faibles donc, malheureusement pour lui, et malgré l’immensité des besoins de sa population, il ne peut dépenser beaucoup.
Et voilà pourquoi votre fille est muette !
Quand une personne veut maigrir, il se pose un problème du même genre. Il y a d’une part les rentrées, c’est-à-dire ce qu’il mange, et d’autre part les dépenses, à savoir les efforts physiques qu’il fait pour consommer cet apport. Parfois, on conseillera à celui que l’obésité guette, non pas de se serrer la ceinture, mais de bouger un peu plus…
Autrement dit, un problème d’équilibre entre recette et dépenses peut se poser de deux façons. On peut le voir en termes de dépenses excessives, mais aussi en termes de recettes insuffisantes.
Or, les IBW ne sont pas neutres. Elles sont au contraire les chiens de garde de l’ordre international étasunien. Par conséquent, tout ce qui peut procurer des recettes à l’état leur est profondément antipathique. Taxer les importations et les exportations dont les multinationales font leurs choux gras est une pratique qui leur paraît une atteinte intolérable à la liberté du commerce et à un sain esprit d’entreprise. Elles n’aiment même pas qu’un état se soucie d’avoir des nationaux taxables, en exigeant que ses ressortissants soient décemment rémunérés ! Le salaire, n’est-ce pas, est un coût parasitaire qui rogne les bénéfices et doit donc être comprimé au maximum.
Certes, il y a au Congo des dépenses contestables. Certes, Antoine Gizenga a raison de dire qu’un gouvernement nombreux n’est pas forcément budgétivore. Il faut toutefois s’attendre à ce que le gouvernement de 60 ministres ait pour corollaire la mise en circulation de 60 Mercédès neuves, avec climatisation et vitres opaques (on n’a pas toujours le temps d’aller voir son Deuxième Bureau à domicile…) et de quelques autres babioles plutôt coûteuses…
Mais il ne s’agit nullement de cela. Les IBW, compréhensives, admettent que les dirigeants ont droit au luxe ! Il s’agit de l’argent bêtement gaspillé à payer des salaires aux enseignants ou à la fonction publique, à réparer des routes, à entretenir des écoles ou des hôpitaux… Il faut bien le dire, tout cela, c’est de la gabegie pure et simple !
Or, l’économie d’injustice, de pillage et de prédation que les IBW appellent pudiquement « économie de marché » a remporté, à la faveur de la Transition congolaise, une de ses plus belles victoires. L’impuissance du gouvernement « 1+4 » est célèbre. Ce gouvernement impuissant a cependant à son actif d’avoir opéré le seul coup de force intérieur commis au Congo depuis 1997. Cela a eu lieu avec la complicité silencieuse de la « communauté internationale » et les applaudissements des IBW. En effet, on a promulgué alors, dans l’indifférence presque générale, de nouveaux codes forestiers, miniers et pétroliers. Il est à peine besoin de dire que les acclamations du FMI et de la BM montrent que ces codes sont l’expression même du néo-libéralisme. Nous avons assisté d’ailleurs à un spectacle qui nous est familier. Cependant que les institutions économiques de la « communauté internationale » se félicitent de ces « progrès » et de la « bonne gouvernance », tous les indicateurs sociaux, sanitaires et autres, qui traduisent le bien ou le mal vivre de la population plongeaient de manière abyssale. Le gouvernement Gizenga aura à gouverner un pays dont la législation a été verrouillée dès avant son arrivée au pouvoir, au profit des intérêts les plus contraires à ceux de la masse congolaise.
Le monde des affaires ne s’y est pas trompé. Peu après que l’élève « Congo » ait reçu de bons bulletins des IBW, on a vu tomber les dépêches annonçant l’optimisme des investisseurs. George Forrest, un homme d’affaire belge très contesté, vendait les parts qui lui donnaient le contrôle de la Compagnie Minière Musoshi Kinsenda (MMK), entreprises possédant trois mines de cuivre au Katanga, nouvelle annoncée par Copper Resources Corporation (CRC), la société minière qui reprenait les parts de Forrest. Le Groupe Forrest recevait en échange pour 18,5 millions de nouvelles actions de CRC, qui a son siège dans le paradis fiscal des Iles Vierges et devenait ainsi le principal actionnaire (environ 40%) de cette entreprise cotée à la bourse de Londres. Jusqu’en 1987 les mines en question appartenaient à la société minière d’état Gécamines. OM group, le principal producteur mondial de cobalt entra également dans la danse. Il est à remarquer que ces investisseurs, qui se disaient jusque là « intimidés par l’instabilité politique du Congo », état d’âme que l’on pouvait comprendre, n’avaient aucune raison de compter alors sur une plus grande stabilité! « Le Potentiel » (un journal de Kinshasa) se faisait ainsi l’écho de ce qu’il appelle « le cri de détresse » de l’évêque de Kilwa-Kasenga (Nord-Katanga) : « Le Nord de la province du Katanga est en passe d’être oublie, sur le registre des violences continuelles que connaissent les territoires administrés naguère par la rébellion ». Il n’y a donc pas de doutes à avoir, ce que les investisseurs attendaient, ce n’était pas le retour de la paix. C’était tout simplement la nouvelle législation forestière, minière et pétrolière !
Or, parmi les intentions annoncées par Gizenga, il y a l’option de « revisiter » les contrats soupçonnés d’être « léonins », notamment par le rapport Lutundula. Et il ne fait aucun doute que les IBW, ces Surveillants Infatigables de la Liberté du Commerce sont venus conseiller à
Gizenga à ses petits camarades d’oublier ce genre d’intention indécente ! L’économie doit reposer sur des principes sains, et même sacro-saints. Il ne faut jamais prendre un franc à un riche qui ne sait qu’en faire, quand on peut l’extraire de la souffrance du peuple qui en a besoin !
Gizenga a derrière lui un long et respectable passé de nationaliste et de progressiste. Il a même eu l’honneur d’être assez soucieux des intérêts de la masse congolaise pour qu’on le traite de « communiste ». Il a cependant repris une formule « rassurante », celle de « l’économie sociale du marché ».
Cette formule a été employée autrefois par Laurent Kabila, qui a eu la prudence de l’employer beaucoup parce que ça sonne bien et que les mots en sont choisis pour plaire à tout le monde, mais de ne jamais en donner de définition exacte et claire ! Il faut cependant rappeler qu’avant la guerre de 98 et son assassinat, LDK avait remporté certains succès économiques, notamment la stabilisation de la monnaie.
Toute la question est de savoir si Gizenga se montrera digne de son passé…
Guy De Boeck
Dialogue : Organe de l’asbl « Dialogue des Peuples »
Pauvres, mais honnêtes, nous paraissons quand nous pouvons, et notamment le vendredi 2 mars 2007
Article publié par Beni-Lubero Online, édition du 3 mars 2007





