





Le Congo et les Grands Lacs. L’Europe rejette la solution militaire et arrête un membre du FPR
Si la situation qui prévaut à l’est de notre pays est plus que révoltante, certaines solutions proposées ne rencontrent pas l’assentiment de certains partenaires extérieurs. Hier (lundi 10 novembre 2008), les ministres européens des affaires étrangères ont rejeté la proposition d’envoyer une force militaire au Nord-Kivu. S’expliquant sur le rejet de cette proposition, Karel De Gucht a été plus que clair: " Le Congo n’a pas d’Etat". A-t-il encore une fois gaffé?
Karel De Gucht a-t-il gaffé?
Non. Il partage les vues de certains de ses partenaires européens. Une étude allemande faite sur le fonctionnement de l’Etat congolais et une autre du Sénat français (ayant circulé sur Internet à un certain moment donné) arrivent à la même conclusion: l’inexistence d’un Etat digne de ce nom au Congo.
Nous même, relisant Les Etats manqués. Abus de puissance et déficit démocratique de Noam Chomsky, avons conclu à plusieurs reprises que le Congo fait partie des "Etats manqués". Comment les caractérisent-ils? Pour Noam Chomsky, ces Etats "ne peuvent pas ou ne veulent pas protéger leurs citoyens de la violence, voire de la mort. Ils ont tendance à se croire au-dessus des lois nationales ou internationales, donc libres de se livrer à des agressions et des méfaits. Et, quand ils ont des dehors d’une démocratie, ils souffrent d’un grave "déficit démocratique" qui prive leurs institutions formelles de contenu réel." (p.8)
Dans sa réaction au discours programme du nouveau premier Ministre Congolais (Adolphe Muzito), Kiakwama kia Kiziki parle, lui, du courage qu’il faut "pour lutter contre l’Etat patrimonial ou l’Etat privé qui est toujours en place dans notre pays malgré la fin brutale de feu le Président Mobutu Sese Seko." (Lire Réaction de l’honorable Gilbert Kiakwama kia Kiziki au discours programme du premier Ministre Adolphe Muzito lue à la Plénière d’investiture du gouvernement par l’Assemblée Nationale à Kinshasa le 1er novembre 2008).
En effet, l’Etat privatisé est politiquement celui que gère "une corporation de copains", toujours les mêmes ("on reprend les mêmes et on recommence" dirait Kiakwama.) qui s’en servent comme une vache laitière. Il est "de type patrimonialiste, avec son pouvoir personnalisé, totémisé, ses clientages et ses prébendes; (…) il méconnaît la souveraineté de la loi, les libertés publiques, les droits de l’homme, la séparation des pouvoirs, l’indépendance des tribunaux. En outre, ne connaissant que la force, il tend à mépriser l’intelligence, le rapport des actes à leurs conséquences, et finit par se construire autour du mensonge, du meurtre et du vol, c’est-à-dire de la violence." (F. EBOUSSI BOULAGA, La démocratie de transit au Cameroun, Paris, l’Harmattan, 1997, p. 351) Economiquement, "c’est l’improduction, le gâchis des détournements, des malversations, la méconnaissance du principe d’efficacité. Le comble de la délégitimation est atteint lorsque (…) le pouvoir en prend à son aise avec la légalité, que la corruption gangrène ceux qui se targuent de défendre l’ordre public, qu’en fait, ils se protègent de rendre compte de leur fortune mal acquise, des délits et des crimes qu’ils ne cessent de perpétrer." (Ibidem)
Inexistence de l’Etat, "Etat manqué", "Etat patrimonial ou Etat privé", toutes ces expressions traduisent un malaise profond sur lequel le Congo d’après Mobutu est bâti: le manque de principes efficaces de structuration du vivre-ensemble; de principes qui donnent forme et sens à ce vivre-ensemble.
La mascarade électorale de 2006 ayant reconduit à la tête du pays les membres des réseaux criminels de prédation méprisant l’intelligence et/ou l’instrumentalisant pour qu’elle serve le mensonge, le meurtre, le viol et le vol n’a pas sorti le Congo de l’enfer. Le suffrage universel, au regard de ce qui se vit au Congo, a marqué ses limites. Il est insuffisant comme principe de légitimation du pouvoir politique. (Les pays ayant compris cette insuffisance ont instauré le référendum récusatoire au cours du mandat des élus comme principe de vérification de leur légitimité. La Bolivie et le Venezuela sont de bons exemples. Nous y reviendrons.) Son intermittence rend difficile l’approbation de la délégitimation de fait dont "la corporation de copains" gérant le Congo font montre depuis plus de six ans. Explicitons.
La délégitimation de fait de gouvernants Congolais et Rwandais
L’arrestation en Allemagne de la responsable du protocole du Président rwandais Paul Kagame, Rose Kabuye, visée par un mandat d’arrêt européen émis par la France, relance la question du rôle joué par le FPR dans la déstabilisation de la région des Grands Lacs à travers ses "hauts cadres".
Paul Kagame et James Kabarebe y ont joué un rôle de premier plan. Avant que Kigali ne tombe le 4 juillet 1994, des massacres et des pillages sont ordonnés dans cette ville et Rose Kabuye se retrouve parmi "les hommes de confiance" du colonel Kayumba Nyamwasa exécutant les ordres de Kagame. (Lire J. RUZIBIZA, Rwanda. L’histoire secrète, Paris, Editions d Panama, 2005, p.320) Plus tard, quand "le véritable chef de l’AFDL basé à Kigali" s’engage à "libérer" le Zaïre en se servant de Laurent-Désiré Kabila, "il a pris soin de placer son bras, James Kabarebe, aux côtés de Kabila. L’Alliance entreprend la "libération", forme de reconquête de l’immense Zaïre, depuis les régions de l’est. James Kabarebe était l’homme responsable des attaques des camps des réfugiés hutus au Zaïre en 1997, où près de deux millions de Rwandais furent massacrés; il est alors épaulé par un certain Joseph Kabila, que l’on appelle à ce moment Joseph Kanambe…" (P. PEAN, Noires fureurs, blancs menteurs. Rwanda 1990-1994, Paris, Edition Mille et une nuits, 2005, p. 493. Nous soulignons)
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Paul Kagame, Rose Kabuye et James Kabarebe étant visés par la justice franco-espagnole, Joseph Kabila ne devrait pas lui échapper. Quand Pierre Péan écrit son livre en 2005, il note: "Dès que l’enquête du juge Bruguière, chargé d’instruire les conditions de la mort du personnel de bord du Falcon 50 de Juvénal Habyarimana, sera rendue publique, ses conclusions devraient commencer de lézarder l’édifice de la version officielle; la conspiration du silence ne devrait plus être longtemps tenable, qui entoure les agissements monstrueux d’un mouvement, puis d’un régime." (Ibidem. Nous soulignons)
Avec l’arrestation de Rose Kabuye, n’est-ce pas le début du lézardement de l’édifice de la version officielle du "génocide rwandais", mettant à nu les agissements monstrueux d’un mouvement, puis d’un régime? Si ceux qui ont bénéficié de "la conspiration du silence" pour nous présenter "Joseph Kabila" comme "l’espoir du Congo" ont eu recours à une armée européenne (Eufor) pour garantir son élection au suffrage universel refusent aujourd’hui d’envoyer une force militaire au Congo afin de sauver "l’Etat patrimonialiste" de Kabila et sa cour, n’est-ce pas un signe des temps que les Congolais(es) devraient apprendre à déchiffrer?
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En effet, il y a tout un pan de "l’histoire secrète" de la région des Grands Lacs édulcoré par l’histoire officielle des dominants qui remonte de plus en plus à la surface. Elle devrait être relue prioritairement par "les minorités organisées" en vue de la délégitimation des criminels ayant infiltré les institutions du pays, le disciple de James Kabarebe y compris.
Les solutions humanitaires, politiques, militaires et diplomatiques proposées jusqu’à ce jour souffrent du déficit juridique: le pouvoir politique des Grands Lacs est géré par des criminels de guerre et des prédateurs économiques impunis. Le coup porté contre Rose Kabuye aurait l’avantage de participer de la longue et périlleuse quête de la refondation de ce pouvoir en droit.
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Par leurs agissements monstrueux, les gestionnaires de ce pouvoir se sont délégitimés.
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Si cette région de l’Afrique centrale avait des parlements responsables, ils devraient initier des référendums récusatoires mettant en exergue les crimes de ce pouvoir délégitimé de fait.
C’est sur ce terrain que nous attendrions Kiakwama kia Kiziki et les autres députés soucieux de l’émergence d’un autre Congo. Ils proposeraient l’adoption d’une loi fondant la nécessité d’un référendum récusatoire comme l’une des voies de la participation démocratique de nos populations à la gestion politique permanente du pays au cours du premier mandat "des élus", à défaut de constater leur délégitimation de fait. Même si ce dernier constat aurait pu permettre d’entrevoir la possibilité d’organiser une motion de défiance à l’endroit de certains gouvernants actuels et de programmer des élections (inclusives) anticipées pour couper l’herbe sous les pieds des va-t’en- guerre du CNDP décidés à rejouer la carte de l’AFDL, de piteuse mémoire.
Inexistence et/ou évidemment de l’Etat au Congo?
Le Congo ne souffre pas uniquement de l’inexistence de l’Etat. Il souffre aussi de son évidemment par le FMI et la Banque mondiale. Par les programmes d’ajustement structurel (actuellement dénommés Initiative pour les pays pauvres très endettés) du FMI et certaines lois imposées au Congo par la Banque mondiale, ces institutions s’auto-instituent comme des instances de structuration néolibérale du vivre-ensemble chez nous. Elles participent de l’extraversion et de la perversion des institutions républicaines au Congo. Elles instrumentalisent "l’Etat privatisé de copains" en ne le rendant comptable que devant elles. Pour dire les choses simplement, entre les deux tours d’une élection, les gouvernants congolais ne rendent des comptes qu’aux IFI (et aux autres cosmocrates). Ils ne se tournent vers les populations qu’à l’approche des échéances électorales qu’ils corrompent avec le fruit de leur extraversion et de leur perversion.
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En plus des IFI, il y a les multi et les transnationales. Ces cosmocrates (maîtres du monde) "ne se contentent plus aujourd’hui de dicter leurs lois aux gouvernements du monde, même aux plus puissants, de contrôler les Etats. Elles nourrissent désormais l’ambition de fonder un nouvel ordre mondial, en procédant à la création de nouvelles entités étatiques qui seraient leur propres émanations et fonctionneraient comme un de leurs organes (…)". (Lire RD Congo: sombre dessous des cartes, dans www.almanar.com.lb du 30 octobre 2008) Comment opèrent-elles? Elles disposent de leurs propres moyens militaires ou utilisent les milices qu’elles fabriquent dans les pays qu’elles occupent. Ceux-ci leur permettent de manipuler les institutions nationales et d’imposer leur volonté aux Etats quand elles ne les anéantissent pas tout simplement. "Pour mieux contrôler leurs capitaux, elles imposent aux populations les dirigeants politiques de leur choix, qui sont très mal connus du peuple, déstabilisent ainsi la région et donnent, par le biais hypocrite d’une soi-disant pacification, l’occasion aux armées de l’ONU d’entériner une scission de fait dont le peuple ne veut pas." (Ibidem)Certains hommes politiques du Nord leur servent de "petites mains".
Les dés sont-ils à jamais pipés?
Face aux multinationales, aux Contractants Militaires Privés, aux réseaux de prédation et de criminalité économique qui poussent au Sud comme des champignons, l’avenir de la démocratie peut sembler compromis. Pourtant, nous estimons, nous, qu’il y a lieu de travailler à l’avènement de "la démocratie d’équilibre" en se laissant conquérir par l’esprit démocratique. L’appel au référendum récusatoire et au débat inter-congolais et international sur les tenants et les aboutissants de la guerre d’agression que nous subissons depuis plus d’une décennie participent de cette conviction. Les sorties médiatiques de quelques députés et sénateurs congolais sont un exercice difficile, coûteux et pénible. Néanmoins, elles participent de la lutte pour l’avènement d’un régime démocratique.
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L’illusion serait de croire à l’irruption soudaine d’un prophète qui viendrait chambarder l’ordre actuel pour en créer un autre, en marge des luttes historiques où la parole essaie, comme à tâtons, de remplacer "les armes de destruction massive".
Dans cet ordre d’idées, le recours des gouvernants actuels du Congo aux armées africaines ayant pillé et découpé notre pays hier est une aventure inutile. Elle trahit, encore une fois, la mauvaise foi de ceux qui ont fait de la guerre leur fonds de commerce et offert nos filles et nos fils comme chair à canon à leurs amis du FPR/APR./CNDP.
Cette aventure convainc ceux d’entre nous qui estiment qu’il n’y a qu’un ennemi extérieur au Congo pendant que la déstabilisation de notre pays est entretenue par un système dont les membres se retrouvent et à l’intérieur et à l’extérieur de nos institutions (et de notre pays). La mise en panne de ce système relèverait, à notre humble avis, des luttes historiques privilégiant le débat citoyen et à l’intérieur et à l’extérieur de nos institutions. Mais aussi d’une attention particulière à la solution juridique telle qu’initiée par les juges français et espagnol.
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Ces luttes peuvent, à terme, conduire à la rupture avec l’ordre prédateur actuel si elles restent ouvertes à la dimension historico-juridique de la tragédie de la région des Grands Lacs. (Il s’agit de refonder le Congo sur des principes structurant donnant forme et sens au vivre-ensemble.) Ces luttes nous exigent (et plus particulièrement des minorités vertébrées, résistantes et organisées pour la légitime défense) une relecture quotidienne de "notre histoire secrète" dont les pans entiers ont été édulcorés par "les maîtres du monde et ceux qui leur obéissent". Une relecture nous protégeant de l’amnésie et de la répétition des erreurs du passé.
En d’autres termes, ces luttes ont une dimension cognitive indispensable. Car il s’agit de nous inspirer des expériences démocratiques ayant donné des résultats souhaitables ailleurs et d’une revisitation informée de la dimension historico-juridique de la refondation de notre pays en particulier et de toute la région des Grands Lacs en général.
J.-P. Mbelu
Bruxelles- Belgique
Beni-Lubero Online





