





Après la chute de Mobutu en 1997 et la mort de Laurent-Désiré Kabila en 2001, plusieurs voix s’élèvent aujourd’hui au Congo et dans la diaspora congolaise demandant un impeachment contre Joseph Kabila pour haute trahison.
En effet, un nombre assez important de compatriotes reprochent à Joseph Kabila d’avoir signé, avec son gouvernement parallèle, un accord secret avec le Rwanda, permettant ainsi à l’armée rwandaise ayant soutenu depuis 1996, la guerre d’agression contre notre pays pour des raisons de pillage de nos matières premières, de revenir, au nom de la paix sans justice, sur le lieu de ses crimes.
Cette appréhension de la guerre qui sévit dans la région des Grands Lacs depuis les années 1990 est confortée par plusieurs rapports de l’ONU, de HRW, de Global Witness, des recherches des avocats de la partie Hutu (Peter Erlinder par exemple)dans le procès qui l’oppose au gouvernement Kagame au TPIR, des témoignage du personnel travaillant à ce tribunal (Carla Del Ponte et Florence Hartmann) et ceux des journalistes d’investigation (Charles Onana par exemple), des publications des compatriotes (Crimes organisés en Afrique centrale par exemple), les confessions de certains officiers militaires belges et français ayant participé à l’opération Turquoise au Rwanda en 1994, la dernière lettre du colonel Hutu Habyarimana à Joseph Kabila, les enquêtes des juges espagnols et français, etc.
Au jour d’aujourd’hui, l’argument-fonds de commerce du « génocide tutsi » justifiant le terrorisme entretenu par Kagame et Museveni dans la région des Grands Lacs a été battu en brèche au point d’inciter « leurs parrains occidentaux » à déclarer officiellement qu’ils s’opposent à la balkanisation du Congo. (Même si officieusement, ils travaillent à l’affaiblissement des institutions congolaises en vantant les bienfaits du mixage des escadrons de la mort du CNDP, après ceux du RCD, dans l’armée nationale ou ce qui en reste.)
En effet, au vu de toute cette histoire chaotique de notre pays et de la collaboration des gouvernants actuels à sa descente en enfer, un nombre important de nos compatriotes exigent le départ de Joseph Kabila de la tête de notre pays. Plusieurs d’entre nous estiment aujourd’hui que le problème du Congo, ce n’est pas Museveni, Kagame, les U.S.A., le Royaume-Uni, Israël, Louis Michel, etc., mais c’est Joseph Kabila.
Le propos de cet article n’est pas seulement de trancher entre ces compatriotes et Peter Erlinder qui, lui, pense que le problème du Congo, c’est Kagame dans la mesure où il a mis les feux aux poudres en 1994 et placé ses pions dans la région des Grands Lacs pour conserver le plus possible, machiavéliquement, son pouvoir. Il veut aussi montrer que Kagame, Museveni et leurs parrains ont réussi leur coup en nous vendant une technique de vote tout en faisant l’économie historique des questions y afférentes. Notre faute est d’y avoir cru.
Nous voulons revenir sur les techniques et les procédures de vote de 2006-2007 en tâchant de répondre à cette question: « Le vote a-t-il été un élément suffisant dans l’avènement de la démocratie dans notre pays? » Et à cette autre: « Suffit-il d’avoir un régime représentatif pour crier à la démocratie? » Et à cette autre encore: « Qui avons-nous eu comme représentants après le suffrage universel de 2006-2007? »
Le suffrage universel congolais
Le suffrage universel tel que pratiqué chez nous en 2006-2007 n’est pas une invention congolaise. Il est une technique et une procédure d’emprunt. Il nous vient d’ailleurs. Des pays de vieille tradition de politique représentative et démocratique. Et là, il a et est une histoire de conquête inachevable.
Quand on étudie l’histoire du suffrage universel dans un pays comme la France, il y a des évidences qui sautent aux yeux. De la Révolution française (1789) au vote des femmes (1940), la question du vote comme technique et procédure permettant la mise en place d’une « bonne représentation » est permanente. (Lire par exemple ces ouvrages de Pierre ROSANVALLON, Le sacre du citoyen. Histoire du suffrage universel en France, Paris, Gallimard, 1992; Le peuple introuvable. Histoire de la représentation démocratique en France, Paris, Gallimard, 1998; La démocratie inachevée. Histoire de la souveraineté du peuple en France, Paris, Gallimard, 2000)
Cette question a eu partie liée avec beaucoup d’autres dont celle de la qualité des électeurs (le suffrage censitaire a précédé le suffrage universel) et celle de « l’aristocratie élective » c’est-à-dire celle de la sélection des « meilleurs » au somment de l’Etat en régime représentatif. La question du vote a pu soulever, de manière permanente, celle de la qualité des gouvernants et des intérêts qu’ils étaient disposés à servir. Et toutes ces questions ont poussé à une quête de réponses à celles soulevées par les Pères fondateurs de la Révolution française: rendre souveraineté au peuple et rompre avec un pouvoir monarchique reçu « du ciel » ou par hérédité. La Révolution française est une rupture politique initiée par les Français pour les Français et à partir des questions françaises posées par les Pères (dont plusieurs prêtres et le Cardinal Sieyès).
Quand les néo-colonialistes et leurs supplétifs ont fait le marketing pour les élections démocratiques, transparentes et libres chez nous, ils ont occulté le fait que c’est seulement au vingtième siècle que le suffrage universel est rentré dans la culture occidentale. Et qu’au cours de son histoire, il y a eu des moments d’insurrection populaire et de césarisme.
Leur mauvaise foi était tellement manifeste qu’ils ont fait comme si les trois décennies de la dictature de Mobutu, de la faillite de l’école et de la paupérisation de nos populations, les neuf ans de la guerre d’agression imposée à notre pays par la coalition rwando-burundo-ougandaise n’avaient pas été une période d’idiotisation et d’imbecillisation de plusieurs d’entre nous. Leur mauvaise foi a atteint son comble quand ils ont envoyé leur armée quadriller Kinshasa pour inciter nos populations à achever la technique de vote qu’ils nous avaient vendue à coup des millions de dollars.
L’épée de Damoclès sur leurs têtes, nos populations n’ont pas eu le temps, à travers les meilleurs de leurs filles et fils, de débattre sur les questions auxquelles la technique de vote venait répondre chez nous. Et pourtant, tous les peuples dits « indépendants » ont pu, pour leur autodétermination, partir des questions posées et des valeurs défendues par leurs ancêtres.
Quelles sont les questions congolaises posées par les Pères fondateurs de notre indépendance réelle du Congo auxquelles le suffrage universel de 2006-2007 est venu répondre?
Les questions de Lumumba et de Laurent-Désiré Kabila ‘pour ne prendre qu’eux) sont celles de l’autonomie de pensée, d’action et de gestion de nos ressources sans interférence de nos ex-colons et de leurs supplétifs.
Ces deux Pères et beaucoup de leurs « disciples » vivants ont vite compris qu’ils ne pouvaient pas y avoir d’indépendance réelle chez nous sans que nous puissions conquérir notre droit à l’autodétermination, sans que nous soyons maîtres de notre destinée dans l’amitié vraie avec les autres.
Le suffrage universel de 2006-2007 n’a pas été un début satisfaisant de réponse à cette préoccupation, pour plusieurs raisons. Nos élections ont été financées par les néocoloniaux soucieux de faire main basse sur nos ressources du sol et du sous-sol par « leurs filleuls » interposés à l’issue d’une guerre ayant permis à ces derniers d’accumuler des moyens matériels conséquents.
En finançant les élections, les néocoloniaux ont cru qu’ils pouvaient financer la mutation des « seigneurs de guerre » en démocrates. Pour eux l’argent achètent tout: les valeurs démocratiques y compris.
Ils ont mis leurs médias à profit pour nous convaincre du renouvellement de la classe politique congolaise et de la transformation de notre espace vital en espace démocratique. Au jour d’aujourd’hui, ce sont les mêmes médias qui nous disent que le Congo est un Etat fantôme en faillite sur tous les plans. Allez-y ne pas comprendre quelque chose!
Donc, nous nous rendons à l’évidence que les élections financées par autrui ont répondu aux questions d’autrui: maximiser les profits par l’exploitation illégale de matières premières congolaises, la signature des contrats léonins, l’achat des carrés miniers, etc.
En nous vendant la technique de vote, les néocoloniaux nous ont pris à leur piège: nous maintenir sous leur botte en nous dépouillant des moyens matériels d’une politique autonome et en constituant des corporatismes de prédation avec « leurs filleuls » Congolais et étrangers. Et la question de notre autonomie de pensée, d’action et de gestion économique posée par les Pères fondateurs de notre indépendance réelle est demeurée entière. Mais, pourrait-on nous rétorquer, les institutions issues de ces élections ne sont-elles pas un gain?
Les institutions issues des élections de 2006-2007: un gain?
Si nous considérons la lutte pour notre autodétermination comme étant « un travail » et non un acquis au bout des procédures sans faute, les institutions actuelles de notre pays ne sont que l’ombre d’elles-mêmes. Un député travaillant en leur sein de l’a dit haut et fort à l’Espace Matonge à Bruxelles le 01 févier 2009. Même si Kiakwama kia Kiziki, pour ne pas le citer, estimait que l’unique institution qui fonctionne encore normalement au Congo était le Parlement auquel il appartient!
Mais de qui ce Parlement est-il composé? Des caciques de Mobutu et du « conglomérat d’aventuriers » de Kabila I et II. D’un nombre assez important d’apprentis sorciers n’ayant jamais touché 1000 dollars comme salaire tout au long de leur vie avant qu’ils ne franchissement le seuil de la porte du Parlement et qu’ils ne deviennent, tout à coup des vendeurs de chemises et « des donateurs de dons » avec leurs 6000 dollars (plus ce que le Ministre près le Parlement leur octroie quand une action frauduleuse en faveur de la majorité doit être appuyée), des infiltrés de Paul Kagame, etc.
Les institutions dites de la troisième République repose la question de la qualité de leurs membres et de la technique ayant facilité leur sélection.
Leur fonctionnement prouve à suffisance que tout gouvernement représentatif n’est pas nécessairement une démocratie. Et que toute représentation ne défend pas nécessairement les intérêts du peuple. (Il a fallu deux ans au député Roger Lumbala pour qu’il comprenne que l’arrière-pays était spolié par le pouvoir de Kinshasa auquel il participe et qu’il le crie haut et fort à la radio Okapi!)
Ces institutions ont verrouillé tous les espaces d’épanouissement des libertés individuelles et corrompu le quatrième pouvoir au point d’enfermer « nos journalistes » dans « un coupagisme » hideux!
Disons que le gouvernement représentatif en démocratie est un mixte: il a des élus sélectionnés par le suffrage universel et des espaces de libertés individuelles et collectives. Une représentation qui muselle et corrompt la presse, rétrécit l’espace d’expression démocratique dans sa diversité (liberté d’opinion, liberté d’expression, pétition, marches, etc. n’est pas démocratique. Elle tombe dans les pathologies de la démocratie et peut même devenir, comme chez nous, une oligarchie nuisible aux intérêts collectifs.
Cela étant que nous constations qu’au sein de ces institutions inefficaces siègent quelques hommes et femmes d’exception dont la ligne de conduite pose la question du renouvellement d’acteurs politiques chez nous. Comment?
L’impeachment de Joseph Kabila ne suffira pas
Nous ne le dirons jamais assez: la démocratie ne s’épanouira pas chez nous sans la promotion des interstices de l’apprentissage en commun du minimum requis.
Nous fonctionnons souvent sur fond des institutions politiques extraverties dont plusieurs acteurs ne maîtrisent pas les règles et les principes. Par incapacité personnelle, par ignorance, par mauvaise foi, au profit des agendas cachés, etc. Nous fonctionnons souvent sur fond d’une logique du tout ou rien en sacrifiant la recherche patiente de solutions à nos problèmes sur l’autel de la facilité et des méthodes non éprouvées par l’expérience de la vie quotidienne.
Il ne nous suffira pas de copier une constitution belge ou française pour résoudre nos problèmes. Sans que nous prenions le temps de les définir à partir des questions posées par nos Pères fondateurs et nos Mères fondatrices: Kimpa Vita, Kimbangu, Lumumba, Laurent-Désiré Kabila et leurs « disciples » vivants.
Nos régimes politiques et administratifs devraient être des lieux (entre autres) de recherche de réponses aux questions posées par ces ancêtres et de grandes visions impliquant le vivre-ensemble entre nous et avec les générations futures. Sans négliger les nouvelles questions nées de notre contact avec l’autre et avec ses modes de penser, d’être, de faire et de savoir-faire.
Ici la question d’une connaissance approfondie de notre histoire et celle de la démocratie comme histoire et travail s’impose.
Il est plus facile de poser la question de savoir si nous ne devrions pas rompre avec la démocratie à l’occidentale que de travailler ensemble à la désoccidentalisation de la démocratie. Même là, ce travail ne se passe pas d’une bonne maîtrise de l’histoire de la démocratie et de la démocratie comme histoire. Cela nous aiderait à nous prémunir contre les vendeurs des illusions qui, après les élections de 2006-2007 chez nous ont crié: « Aujourd’hui, le Congo est une démocratie. »
Dans ce travail de recherche de la maîtrise des différents facteurs rentrant dans la réorganisation rationnelle, raisonnable et pragmatique d’un espace vital congolais, un impeachment contre Joseph Kabila ne suffira pas.
D’abord pour une raison simple: il n’est pas très sûr que « ses parrains », son créateur (Paul Kagame) et « son clan » disparaissent avec lui. Et puis, si tout doit dépendre d’un Parlement composé majoritairement d’apprentis sorciers convertis en « donateurs de dons », « le raïs » congolais risque de trôner encore sur nous pendant longtemps. (Déjà depuis ce 12 février 2009, Kyungu wa Kumwanza menace les députés pétitionnaires (après que Charles Okoto bouffant la pétition soit devenu « papiervores ») de retirer leurs signatures sous peine d’être assimilés aux « bilulu » au Katanga.)
En sus, il n’est pas très sûr que cet impeachment soit suivi d’une alternative crédible, sans esprit revanchard.
Il peut aussi être possible que les partisans de l’impeachment aient tout apprêté dans le sens d’une alternative crédible. Dans ce cas, ils devraient se rassurer qu’après Joseph Kabila, tout ne sera pas acquis. Il y a la question d’une rupture sérieuse, au niveau de notre imaginaire, avec le complexe « du président » né sous Mobutu: tout le monde (ou presque) chez nous veut être chef. Il suffit qu’on ait écrit un article « révolutionnaire », qu’on ait créé « une radio de la diaspora résistante », qu’on ait organisé une marche dans les rues de Bruxelles ou de Kinshasa, pour que l’on puisse rapidement croire à son ascension aux plus hautes fonctions de l’Etat; à devenir « Président ». Là, on dresse sa liste des traîtres et de tous ceux qui devront passer à l’échafaud une fois le pouvoir conquis. La lutte idéaliste et acharnée par la conquête d’une autodétermination collective se mue en un rêve de la folie des grandeurs. Au niveau de cet imaginaire, la justice est sacrifiée au nom de l’appréhension mégalomaniaque du pouvoir.
Même s’il nous faut demain des acteurs politiques fiables et crédibles, nous semblons oublier que cela né d’un long et persévérant travail sur soi et avec les autres. Et que la grandeur, la fiabilité et la crédibilité de ces acteurs seront beaucoup plus liées aux valeurs qu’ils défendent réellement, à leurs capacités morales, spirituelles et matérielles qu’à leur « petit nom ». A ce jour, nous pouvons nous tromper, mais nous ne pensons pas que le débat sur les valeurs et les principes soit très avancé chez nous. Notre peur est que notre souci de changement ne demeure superficiel et tourne autour du déshabillement de St Pierre pour l’habillement de St Paul.
Il est possible que ce débat ait lieu, demain, au sein des institutions ad hoc. N’empêche qu’en attendant, nous puissions tenir compte de la diversité de questions liée à deux problèmes épineux: la guerre de Museveni, Kagame, leurs parrains, leurs escadrons de la mort et leurs « collabos congolais » dans la région des Grands Lacs depuis 1990 pour des motifs économiques et le quasi-échec de la vente néo-coloniale du suffrage universel à notre pays pour les mêmes motifs. Et que les Think Tanks congolais y travaillent de manière permanente, en synergie avec nos populations.
J.-P. Mbelu
Brussels-Belgie
Beni-Lubero Online





