





Les Congolais se réveillent dans la désolation et la mort, et essayent de comprendre les mobiles du Rwanda qui mène des attaques meurtrières derrière l’étiquette « M23 ». Si le rôle du président rwandais Paul Kagame est rapidement apparu au grand jour, d’autres acteurs et d’autres enjeux sont demeurés méconnus, ou à peine supposés. Nous avons interrogé nos contacts auprès des diplomates impliqués dans les négociations de Nairobi et auprès des lobbies opérant pour les intérêts du Rwanda aux Etats-Unis et ceux de la RDC. Les renseignements recueillis nous ont permis d’élaborer les clés de compréhension ci-après que nous vous livrons en cinq points.
1/ Le retour de Joseph Kabila au pouvoir
Le deal entre Joseph Kabila et Félix Tshisekedi, souvent nié, nous a été confirmé. Kabila a cédé le pouvoir à Tshisekedi en 2018 en échange de l’engagement de ce dernier à le lui restituer après un mandat de cinq ans. Joseph Kabila prit la précaution d’associer son parrain régional, Paul Kagame, à ce pacte. Kagame obtint de Tshisekedi la promesse de maintenir sa mainmise militaire et économique sur l’est du Congo et de déployer de nouvelles forces militaires rwandaises sur le sol congolais, notamment pour garantir le respect par Tshisekedi du pacte le moment venu. Mais au fil du temps, Félix Tshisekedi a pris goût au pouvoir et a ouvertement annoncé son ambition de se maintenir en 2023, ce qui a énervé ses deux partenaires au pacte, Kabila et Kagame. L’enjeu derrière la réactivation du M23 est d’obtenir le renoncement de Tshisekedi et ouvrir la voie au retour de Kabila au pouvoir, comme les trois partenaires s’y étaient engagés en 2018.
2/ L’Ouganda en trouble-fête
Le président ougandais, Yoweri Museveni, qui n’avait pas été associé au pacte Kabila-Tshisekedi-Kagame, a vu peu à peu le Rwanda renforcer ses forces militaires dans les régions frontalières, du côté de la RDC derrière les ADF. Ce groupe armé, faussement présenté comme islamiste, est en réalité une armée secrète du Rwanda et de Kabila dont la mission est de détruire le peuple nande considéré par le Rwanda comme le principal obstacle à la balkanisation du Congo. La multiplication des massacres et des attaques sur les convois des commerçants de Beni et de Butembo affectait l’économie ougandaise et menaçait directement la sécurité interne de l’Ouganda. Les Ougandais ont obtenu de Tshisekedi le droit de se déployer militairement sur le sol congolais, à la fois pour des raisons de sécurité et pour des objectifs économiques, notamment derrière la construction des routes. Dans un contexte de conflit entre le Rwanda et l’Ouganda, Kagame n’a pas supporté que l’Ouganda intervienne dans cette partie de la RDC qu’il considère comme son terrain conquis. Les relations entre Félix Tshisekedi et Paul Kagame ont commencé à se dégrader, tandis que Joseph Kabila voyait de plus en plus s’éloigner son rêve de reprendre le pouvoir des mains de Félix Tshisekedi en 2023.
3/ La guerre pour forcer Tshisekedi à respecter le pacte
Déclencher la guerre était le seul moyen de tout remettre à zéro et relancer les agendas convenus. Nos sources affirment que Kabila a financé le déclenchement de la guerre du M23 à hauteur de 47 millions de dollars. Le Rwanda a fourni les troupes et un réseau d’officiers FARDC, aux ordres du Rwanda, a facilité la progression du M23 sur terrain. L’objectif, face à la défaite militaire, était de pousser Tshisekedi à se retrouver sur la table de négociation au cours de laquelle il devait renouveler ses engagements et en signer des nouveaux plus coercitifs vis-à-vis de Joseph Kabila et Paul Kagame. Les premières attaques du M23 dans le Rutshuru ont été lancées en novembre 2021, quelques jours seulement après l’intervention des UPDF (armée ougandaise) dans le territoire de Beni et en Ituri[1].
4/ Les Occidentaux réticents aux ambitions de Kagame sur le Congo
Nos sources nous apprennent que les Etats-Unis ne sont pas disposés à laisser Kagame imposer son agenda au Congo par un forcing du retour de Kabila au pouvoir. Vital Kamerhe aurait été proposé comme option alternative au retour de Kabila, étant lui-même associé aux manœuvres politiques ayant abouti au pacte. Mais son image a été trop ternie par l’affaire des détournements des fonds et son long séjour en prison. La position des Américains est de laisser se dérouler librement les élections de 2023 et que seule le président qui sera élu par les Congolais soit reconnu.
5/ Que va devenir le M23 ?
C’est la patate chaude que personne ne veut avoir dans ses mains à long terme. N’ayant pas obtenu les négociations directes qu’ils attendaient, Joseph Kabila et Paul Kagame n’ont pas encore donné des indications claires sur ce qu’ils comptent faire de cette organisation militaire. Il est peu probable que Kabila continue de la financer et que des officiers FARDC aux ordres du Rwanda continuent de faciliter sa progression sur terrain. Les massacres de Kishishe et Bambo, fin novembre 2022, donnent lieu à des enquêtes internationales. Des sanctions internationales menacent les parrains du M23. Et sur le plan militaire, la réactivation des milices d’auto-défense pour combler le vide laissé par les FARDC risque de replonger le pays dans un nouveau cycle de chaos, ruiner les efforts diplomatiques de Nairobi et Luanda et hypothéquer la tenue des élections prévues en 2023.
[1] Les premières attaques du M23 n’ont pas abouti jusqu’à ce qu’un réseau d’officiers ougandais a œuvré à une rapide réconciliation entre Kigali et Kampala, ce qui a facilité le déploiement des troupes rwandaises (M23) dans la zone frontalière des trois pays, à Bunagana.
Christian Lukinga
©Beni-Lubero Online





