





Abbé Malumalu, Président de la CEI : « on ne développe pas un homme, il se développe »
Analyses de la crise congolaise et perspectives d’avenir
Credit Photo Mayani
M. l’Abbé Apollinaire Malumalu, Président de la CEI et acteur de la Société civile, revient sur les éléments d’analyse de la crise congolaise de bonne gouvernance qui refait surface après les derniers événements de Kinshasa. « Le défaitisme ne mène nulle part, a-t-il dit, avant d’ajouter que, cela est pour lui une conviction, la théorie du complot international contre la RDC n’est qu’une chimère ». Si en quelque chose malheur est bon, l’Abbé Président de la CEI croit fermement que l’essentiel est de savoir en tirer des leçons pour l’avenir.
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Les événements malheureux des 22 et 23 mars dernier : les r.d. congolais mûrs politiquement
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« Les affrontements armés du mois de mars dernier qui ont endeuillé Kinshasa sont des conséquences des questions longtemps ajournées et qu’il convient de résoudre avec détermination, affirme M. Abbé Malumalu, Président de la CEI ». Ces questions sont entre autres le fait que certains leaders politiques entretiennent encore des groupes armés, souligne-t-il dans son analyse de la situation congolaise après ces événements malheureux que d’aucuns condamnent pour avoir troublé la paix et les acquis de la démocratie.
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Aussi faut-il dénoncer le fait que la réunification de l’armée n’a été faite qu’au sommet de l’armée, qui a abouti à la nomination des chefs d’Etat Major des provinces sans toucher la base. Pire encore, en RDC, quoique démocratique, il y en a qui croient encore en la manipulation politique de la rue comme mode d’action alors que la démocratie consiste à renforcer le dialogue, le mécanisme de prise de décision et de contrôle.
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Néanmoins, la crise de la justice est non moins négligeable. En effet, beaucoup rêvent encore régler leurs problèmes par eux-mêmes en usant de la loi du plus fort. Il faut donc renforcer le pouvoir judiciaire pour que tout le monde soit soumis à la même loi, qui plus est, l’armée doit être soumise à la même discipline. Quoiqu’il en soit, la discipline et le casernement de l’armée s’imposent.
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Pourquoi utilise-t-on un armement lourd pour régler les conflits militaires ?, se demande M. l’Abbé Malumalu ?
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Il répond : « Les militaires n’ont pas leur place dans la ville. Il suffit, en cas d’affrontements, qu’ils se dissimulent dans la population pour que la situation se complique. Le casernement est lié à la mission de l’armée qui est d’assurer la sécurité extérieure. La sécurité intérieure rentre dans la mission de la police. Au casernement, il sied d’adjoindre l’éternel problème de la condition socio-économique des militaires dont la paupérisation a dépassé les limites du tolérable ».
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Dans ces événements qui ont démontré la persistance des forces de la mort et du désordre public au sein de la démocratie congolaise, la population a fait, elle, montre d’une maturité politique. « En dehors de quelques badauds, la population ne s’est pas mêlée à cette histoire. C’est un signe fort que l’on a compris que les valeurs démocratiques, les valeurs de la paix sont plus importantes que le désordre. » Toutefois, le n° 1 de la CEI regrette les violations des règles diplomatiques, dérapages des affrontements militaires de mars dernier. Quelques ambassades ont été touchées. Or celles-ci sont inviolables en droit diplomatique.
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La démocratie congolaise n’est pas totalement en péril
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Toujours optimiste, M. l’Abbé Président de la CEI croit qu’il est tôt d’affirmer que la démocratie congolaise est en danger. Cependant, rappelle-t-il, « dans une situation comme la nôtre, on doit se dire à quelque chose malheur est bon. L’essentiel c’est de tirer des leçons de tout cela.» Si la démocratie n’est pas totalement en danger, il convient toutefois de bannir certaines pratiques pour consolider les valeurs démocratiques acquises aux prix des sacrifices.
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Puisque ces événements sortent à la surface des vielles questions restées en villeuse, il faut maintenant les régler. « Les élections ont réglé la crise de légitimité, on doit s’attaquer avec détermination aux autres crises, à savoir la crise de bonne gouvernance, la crise économique, sociale, culturelle etc. » Désormais, les gouvernés comme les gouvernants ont du pain sur la palanche. Il y a encore un grand combat à faire. Pour consolider la démocratie, la bonne gouvernance, la séparation des pouvoirs, la lutte contre l’impunité, la corruption et l’exclusion sont des fronts du combat qui attend les congolais s’ils veulent goûter des délices de la démocratie. Cela n’est possible que si chacun opère une lecture critique de la situation actuelle mais sans tomber dans le défaitisme qui ne mène nulle part.
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La leçon que d’aucuns peuvent tirer des incidents comme ceux du mois dernier c’est l’engagement pour la refondation d’un Etat de droit. Le premier pilier, les élections, est déjà posé. Le second, la mise en place des institutions démocratiques est en cours. Il reste le troisième qui consiste dans la légalité de ces institutions. En tout cela il n’est pas anodin de se demander si la population elle aussi se met en marche dans cette dynamique. Car la bonne gouvernance tant désirée consistant dans la relation entre les gouvernants et les gouvernés et le rôle que chacun est appelé à jouer pour la construction de la nation. Avons-nous un Etat conduisant des politiques publiques et garantissant les droits et devoirs des citoyens ?
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Dans cette crise de gouvernance, « on trouve la reforme touchant les fonctions régaliennes de l’Etat, à savoir l’armée, la justice et les finances ». Aussi faut-il ajouter la fonction sociale de l’Etat qui consiste en l’aménagement du territoire, la santé, l’éducation, le transport et la communication, eau et assainissement, énergie et environnement… La question de la relation entre le pouvoir et le contre pouvoir, la société civile, le rôle des partis politiques et l’opposition politique doivent être prise en considération.
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Dans ce jeu démocratique, gouvernés et gouvernants doivent s’investir. Seule la synergie des forces vives de la nation peut résoudre les problèmes du congolais.
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Eglises et acteurs non étatiques : pour la consolidation des valeurs démocratiques
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Le grand rôle des confessions religieuses, mais aussi des autres acteurs non étatiques consiste d’abord dans l’éducation civique, l’éducation citoyenne, l’éducation aux valeurs démocratiques, l’éthique professionnelle, l’alphabétisation, l’enseignement primaire, secondaire et professionnelle dans l’objectif de fournir aux citoyens non seulement un savoir-être, mais aussi un savoir-faire susceptible de les aider à lever les défis du moment.
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Le second rôle des acteurs non étatiques est celui de veilleur, qui consiste en l’éveil de consciences, la capacité d’interpellation, la construction d’intelligences collectives pour une bonne analyse des situations afin de mieux peser sur le cours de l’histoire. Cela suppose, bien attendu la création d’un espace critique qui n’est pas forcément un espace d’opposition. En effet, « on peut remettre en cause les choses sans être opposant au régime, c’est-à-dire tout en gardant son objectivité, sa neutralité ».
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A quoi veille-t-on ?, peut-on se demander. On veille à l’égalité des chances pour que les lois de la République soient applicables à tous. Ce qui suppose qu’on les connaisse. Bien plus, on veille à ce que les droits fondamentaux et les libertés publiques soient garanties et les droits économiques et sociaux respectés. Aussi veille-t-on à ce que le droit au développement et à l’environnement- sous-entendues ici la question des générations futures et donc l’éthique de la responsabilité-, soient pris en compte dans une perspective de développement durable. Cette conviction est pour l’Abbé Malumalu, en sa qualité d’académicien de la jeune académie congolaise du développement, d’une importance vitale.
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Pour ce faire, il faut garantir à chaque citoyen le droit à la liberté d’expression, de manifestation pacifique et de protestation légale. A propos, l’Eglise catholique se distingue par les dénonciations, mais pour l’Abbé de Butembo, « elle doit aller plus loin. La dénonciation doit se matérialiser. Si elle ne culmine pas dans une mobilisation pour une cause commune, elle ne porte pas de fruit, fait-il remarquer ».
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Il s’ensuit donc que le troisième rôle consiste dans la mobilisation de la population autour de certaines causes. Car, on peut bien être veilleur, mais faut-il encore qu’on n’oublie pas sa capacité de mobilisation pour la promotion et la défense de certaines causes. « Là, nous sommes faibles, reconnaît ce digne fils de l’Eglise. C’est à ce niveau que l’Eglise doit fournir un grand effort. Soit on est dispersé ou on se contente de très peu de choses ». En fait, la mobilisation requiert l’organisation, la solidarité, mais aussi l’humilité du commencement. Loin de nous la tentation que tout est d’avance gagné. Il faut un esprit pragmatique, un esprit d’initiative et/ou d’entreprise. Néanmoins, la transparence, le rendement de compte et la compétence communicative sont des vertus plus qu’indispensables pour la crédibilité de l’organisation à ses propres yeux et à ceux de l’extérieur.
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La capacité de mobilisation matérialisée autour d’un projet de société capable de rassembler tous les citoyens autour d’une cause commune, voilà ce qui fait défaut dans bien des cas. Car, M. l’Abbé le regrette, « notre peuple est devenu individualiste et par conséquent moins solidaire à tel enseigne que chacun cherche avant tous ce qu’il gagne dans une action avant de se demander ce que l’humanité ou la nation y gagne ».
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L’esprit d’entreprise doit être porté par des valeurs de solidarité et la recherche des intérêts supérieurs de la nation. « Le rôle de l’Eglise, de la Société Civile se voit dans la macro-entreprise et la macro-finance. Nous entrons dans une phase où il faut pérenniser les actions sans tomber dans l’assistanat. Ne rêvons pas d’une Eglise providence alors que même l’Etat providence n’existe plus. L’Eglise doit s’investir davantage dans les questions de base pour permettre à la population de se prendre en charge ». C’est seulement en empruntant ce chemin, soutient l’Abbé Président de la CEI, que « l’Eglise découvrira les vrais problèmes de notre peuple. Ainsi les défis lui seront plus visibles et sa sensibilité, son option préférentielle pour les pauvres une passion».
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Un avenir meilleur se gagne
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Quoiqu’il en soit, en dépit des péripéties pourtant inévitables d’autant plus que tous n’ont pas la même vision de l’avenir de la Nation, le Président de la CEI reste optimiste. « Nous pouvons espérer un avenir meilleur pourvu que l’on sache qu’il ne se donne pas, il se gagne. Il n’y a pas un paradis appelé avenir meilleur qu’on obtiendrait sans effort. » C’est donc ici le combat quotidien pour l’avènement d’une nouvelle ère au pays de Lumumba. Dieu merci, « nous n’avons pas que des problèmes, nous avons aussi des atouts. Dieu nous a bénis avec des richesses. Il nous a comblés des ressources humaines dont il faut renforcer les capacités pour une gestion saine du patrimoine national.
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Désormais nous avons certains instruments, des institutions démocratiques sur lesquelles on peut s’appuyer pour agir en toute légalité afin de lever les différents défis qui pèsent sur le r.d. congolais. La circulation des biens et des personnes est un atout même s’il faut encore renforcer les mesures sécuritaires y afférentes. M. l’Abbé Malumalu, Recteur de L’Université du Graben (UCG) et Professeur des Relations Internationales n’oublie pas l’importance capitale de la solidarité internationale. A propos, il affirme : « elle ne sera pas toujours là. Certains lisent négativement sa présence en RDC. Ce sont des malades qui s’ignorent ». Au contraire les r.d. congolais s’en réjouiraient et, profitant de cet appui, ils travailleraient avec ardeur pour le développement du pays selon le principe : « on ne développe pas un homme, il se développe ». En effet tout ce qu’on peut recevoir de l’extérieur devrait être considéré comme un appui et non une base de subsistance. « Oyukakukwir’obulighe akakuha obulangiti iwunawith’oko mukeka wagho ». Et Ki-Zerbo, d’heureuse mémoire d’ajouter : « on ne dort jamais à l’aise sur la natte d’autrui ». A ce propos BLO a vu juste en invitant ses lecteurs à la construction de la Nation. « Tuhimby’oko wethu ».
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« Je ne suis pas partisan de la thèse du complot international contre la RDC »
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Certains compatriotes bercent encore la théorie du complot international contre la RDC. « C’est une paresse intellectuelle qui se limite à une lecture narcissique des relations internationales ». Pour M. l’Abbé Malumalu, en effet, il faut une intelligence claire de la diplomatie. Beaucoup disent : « ils viennent pour leurs intérêts ». A ceux-ci, M. l’Abbé Prof. des Relations Internationales rétorque : « dites les vôtres et négociez. S’ils ont des intérêts, connaissez-vous les vôtres ? Que faites-vous pour les faire prévaloir ? ». D’ailleurs, la communauté internationale est une communauté d’intérêts. Elle pourra être un jour communauté de destin pour des questions universelles.
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Qui doit défendre les intérêts de la RDC sinon les congolaises et congolais ? Les connaissent-ils ? Là est la vraie question. « Face à la lecture narcissique de la situation, nous devons renforcer les capacités d’analyse des relations internationales, éviter d’agir avec passion et maîtriser les règles de la vie diplomatique. Il faut également une prise de conscience de soi et le courage de travailler pour l’avènement d’un Etat de droit », conclut M. l’Abbé Président de la CEI.
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P. PALUKU MAYANI Adélard a.a.
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