





« Qui est neutre dans une situation d’injustice prends position pour l’oppresseur » dixit Desmond Tutu. C’est pour ne pas cautionner l’injustice dont sont victimes les communautés congolaises de l’Est du pays, en particulier la Communauté Nande, que le Kyaghanda Kikulu, organe suprême de l’association culturelle Nande, se réunit 4 fois par an, pour passer en revue la situation du moment et prendre la position qui s’impose. Au cours de la troisième session du Kyaghanda Kikulu qui s’est tenue dans la cité de Mangina en Territoire de Beni du 14 au 16 avril 2011 dernier, trois points ont été discutés, à savoir, l’afflux incontrôlé des retournés du Rwanda et de l’Ouganda au Sud de Lubero et autour du massif du Ruwenzori, la gestion de la terre chez les Nande et la préparation aux prochains élections.
Cette réunion est intervenue après celle de Kirumba, du 12 au13 novembre 2010 et celle de Butembo du 4 au 5 Janvier 2011.
Les 392 participants
Etaient conviés à y prendre part : les membres du Conseil Culturel du Kyaghanda Kikulu, les membres du Comité Culturel, les membres du CIP, les Présidents des Vyaghanda, les habitants de Mangina et de tout le Territoire de Beni. Ces assises qui ont connu la participation de 392 personnes inscrites (sans compter les non-inscrits) ont eu lieu dans la salle polyvalente de la paroisse Mangina pour une durée de trois jours.
1er jour : jeudi 14 avril 2011
Tout a commencé par l’hymne national, la prière d’ouverture et la parole de Dieu par le curé de la paroisse Mangina, Abbé KAMBALE VAGHENI Vedastus, mot de bienvenu de la société civile par MUHINDO MUSUBAO, président du Kyaghanda de Mangina, mot du Secrétaire Général du Kyaghanda Kikulu, Mr Jackson KALENGERO, puis est venu le mot d’Ouverture officielle par le Chef de Cité, Mr THUNZA KALONDERO Justin.
Au cours de cette activité préliminaire, la méditation spirituelle, dirigée par l’Abbé Curé, a été centrée sur le livre de la Genèse et celui de l’Exode. Le serviteur de Dieu a montré que Dieu est notre Créateur qui s’est révélé à nos ancêtres. Certains ont trahi leurs ancêtres, d’autres ont été vendu par les leurs (Cas de Joseph vendu aux Egyptiens). Et les Nande, que font-ils de leurs ancêtres? Il convient donc de s’arrêter et se poser la question : « D’où venons-nous ? Où allons-nous ? » Et comme nous sommes à la période de Carême, vu les malheurs qui frappent notre communauté, c’est chacun de nous qui doit se battre la poitrine pour confesser sa part de responsabilité dans les attaques multiformes contre les Nande, en disant: « n’ilolo ryaghe, n’ilolo ryaghe kundu », (les latinistes disent : ‘’mea culpa’’). En effet, selon l’homme de Dieu, chacun à une part de responsabilité dans le malheur qui frappe la communauté. De la même manière, la solution à la crise est l’affaire de tout un chacun. Ceux qui croisent les bras et attendent que d’autres agissent seuls se trompent car c’est ensemble qu’on peut espérer endiguer une crise d’une telle intensité et sophistication.
Dans son intervention, le Chef de Cité à son tour, a remercié les participants pour avoir consacré leur temps pour rehausser de leur présence les assises de Mangina. Un peuple sans culture est un peuple est un peuple voué à la disparition, a-t-il ajouté. C’est alors qu’il a déclaré ouvertes les assises de Mangina.
Le Chef de Cité de Mangina lance l’ouverture officielle de la Session
Après cette cérémonie d’ouverture, a eu lieu la présentation de différentes délégations (clans, personnalités et Vyaghanda.) Parmi les autres participants on peut citer la société civile, les personnalités du monde de la recherche scientifique comme le professeur Kamate Kitakya, Dieudonné Vwahasa, tous les deux venus de Kinshasa.
Prof Kamate à gauche, Dieudonné Vwahasa au milieu
Les pygmées étaient aussi au rendez-vous de Mangina. Prenant la parole, ils ont remercié le Kyaghanda Kikulu pour les avoir associer aux assises de Mangina.
A la fin de cette présentation, une dame a égayé les participants par une série des chansons religieuses.
Avant les différents exposés, les participants venus de partout, ont chacun donné l’état des lieux de leurs villages, cités et villes. Le constat général est alarmant. Du Nord au Sud, Insécurité, tueries, massacres des civils, infiltrés, vols de bétail, viols des femmes, éloignement des centres d’enrôlement, inadaptation des opérateurs de saisi, absence d’observateurs indépendants dans les centres d’enrôlement, des inconnus qui s’enrôlent, silence des politiciens, etc.
Si l’insécurité signalée ne date pas d’hier dans cette région martyre, le dossier des retournés de Luofu au Sud du Territoire Lubero et ceux qui aux alentours du Massif Ruwenzori est apparu comme la plus grande menace de la communauté Nande. Les premiers retournés avaient pour destination Eringeti avec comme motif : « recherche de terre ». Ceux qui se sont installés à Luofu ravissent les champs des paisibles populations. Les autorités provinciales n’ont encore rien fait et semblent avoir été pris au dépourvu. Les témoignages des délégués du Sud de Lubero ont fait frémir l’assemblée. Les participants ont ainsi fait des lamentations spontanées aux dieux protecteurs Nande tels Nyamuhanga, Katonda, etc., d’autres ont chahuté, hurlé, murmuré. Ceux qui ont l’esprit faible commençaient à sangloter en apprenant que la communauté est en train de périr par l’épée et le feu…
Un repas a été partagé entre les convives pendant la pause sous l’animation des jeunes de Mangina.
Abbé Vedastus Kagheni au micro encadré par le Président du Kyaghanda Kikulu (G) et le coordonnateur de la société civile de Beni Territoire (D)
Après le repas, est intervenu la communication de l’abbé Vedastus Kambale Kagheni (avec micro) au sujet des « La loi foncière et la gestion de la Terre dans le vuyira ».
L’orateur a d’abord présenté l’hiérarchisation de l’organisation coutumière : Le Mwami, intermédiaire entre les hommes et Dieu, les Vakondi travaillent la Terre et donnent la redevance au Mwami, qui, à son tour se cherche aussi des vasoki dépendant des Vakama. Ils sont gérés par les bakama. A leur tour ils gèrent les vaghunda.
L’intervenant du jour a beaucoup insisté sur les sources des problèmes de gestion de la terre à savoir :
– Les blancs à leur arrivée, ils demandent aux chefs coutumiers un enfant pour scolarisation pour éviter le fétichisme. Le chef ne cède pas son enfant, mais quelqu’un d’une autre famille ; et quand il revient des études, il devient automatiquement chef car étant déjà instruit, alors que la chefferie est héréditaire. Il faut donc comprendre qu’un peuple grand c’est un celui qui a un espace, et un peuple organisé c’est un peuple qui sait organiser sa terre.
– La succession : « eshombene syesikabuta » ; les enfants adoptifs, les demi-frères, les enfants illégitimes… la loi apprend que chaque enfant doit avoir un père, et chaque enfant a droit à l’héritage.
– Selon la loi, pour que la terre appartienne à quelqu’un, le paiement de la redevance est obligatoire.
– Les parents ne bouffaient pas seuls la redevance : ils donnaient à l’hiérarchie, à la famille et cherchaient une autre terre. L’enfant sage va avec son père cultive la terre et revient prouver aux autres. Un enfant étourdi vend la terre et va acheter une autre et c’est le début des conflits.
Attention, a-t-il ajouté, la terre n’est pas en vente, n’est même pas à vendre ; celui qui ose vendre la terre fait entrer les ennemis. Le petit champ doit être valorisé juridiquement. Il n’y a aucun chef sans terre. Il ne faut jamais détruire les mahero.
Après l’exposé de l’Abbe Vedastus et le jeu de questions et réponses, une danse traditionnelle Yira a clôturé les travaux du jour.
Les femmes de Mangina et celle d’ailleurs en danse
2ème Journée: Vendredi 15 Avril 2011
La deuxième journée de la session du Conseil Culturel s’est ouverte par la prière dirigée par un Pasteur Protestant. Après la synthèse de la journée précédente par le secrétaire technique, le Secrétaire Permanent du CIP, Mr Edgar K. MATESO a procédé à la lecture de du message du CIP avant de décortiquer la thématique du jour.
Le premier thème traitait de « L’implication de la communauté Yira dans le processus électoral », par Mr Kamate MBUYIRO KITAKYA, Professeur de l’Université de Kinshasa
Au cours de cet exposé, l’orateur a insisté sur l’importance de la communauté à accompagner ses leaders vers la réussite des élections. Toutefois, a-t-il martelé, la communauté à intérêt de voter utile, les hommes qu’il faut à la place qu’il faut ; que personne ne se laisse influencé par les biens matériels pour ainsi monnayer leur voix.
Le deuxième thème portait sur « La femme Yira marginalisée dans la prise du pouvoir de l’Etat » développé par Madame Basilienne KANGITSI.
Dans son intervention, elle a démontré que la marginalisation de la femme date de la période très ancienne. La Bible elle – même n’en est pas en marge. Il est grand temps pour la femme de se prendre en charge pour valoriser sa personnalité. Madame Basilienne a dénoncé les discriminations contre la femme Yira dans les domaines de la scolarisation où seuls les enfants garçons sont privilégiés au détriment des filles.
Le troisième thème a planché sur « Bref historique politique de la RDC et le processus électoral en RDC » par C.T ULIMWENGU VIVOMBANO, Secrétaire Académique de l’ISP-OICHA. A travers sa communication, il a brossé succinctement les enjeux sociopolitiques de la RDC à travers l’histoire politique de notre pays. Il est longuement revenu sur le mouvement migratoire des populations du Nord et du Sud Kivu. Certaines d’entre elles sont des envahisseurs qui sont en train de « balkaniser » le pays. Cela peut être prouvé et vérifié par des tueries, des massacres, des vols à mains armées, l’impunité des fauteurs de trouble de l’Est pourtant bien connus, … l’insécurité du Nord et du Sud KIVU ressemble fort à une pièce de théâtre dont le souffleur se trouve ailleurs. Sur terrain s’exécute un travail longtemps planifié, qui prend de plus en plus l’ampleur d’un génocide du peuple du Kivu. De gauche à droite, personne qui parle au nom de la communauté, moins encore celui qui plaide sa cause. Tous ce qui reste à faire est de préparer le peuple pour voter cette fois-ci ‘’utile’’. Pour finir son exposé, le CT VIVOMBANO a exhorté la population à défier cette manœuvre politicienne en s’enrôlant massivement en vue de participer à la gestion de notre pays.
A l’issu de ces trois exposés, un jeu de questions – réponses a été au rendez-vous. Les différents intervenants se sont rendus à l’évidence que si rien n’est fait aujourd’hui, le processus électoral ne sera pas apaisé à l’Est du pays. En effet, la communauté fait face à une inquiétude, celle relative aux manœuvres tendant à la décourager à participer massivement aux élections prochaines (réduction très sensible des centres d’inscription, recrutement des Opérateurs de saisie moins performants, insuffisance et pannes intempestives des machines, insécurité permanente dans certains coins,…). Par ailleurs, dans l’unanimité, l’assemblée est revenue sur la résolution qui a été adoptée dans la deuxième Conférence Beni 2009 selon laquelle « les mandataires du peuple devrons signer un Pacte de Dévouement à la Cause Communautaire ».
Cette journée s’est clôturée par un repas cordial partagé entre les frères.
3ème Journée : Samedi 16 avril 2011
Si le 1er jour était consacré au tour d’horizon du Vuyira où la menace contre la communauté était décriée, le deuxième jour était tourné vers l’analyse du processus électoral 2011. Ce troisième jour était le travail d’un groupe restreint des vieux sages de la communauté pour mettre au point les éléments traités aux cours des plénières précédentes. Après analyse des situations préoccupantes, le Conseil restreint a adopté ce qui suit :
– Toute la Communauté Yira de la RDC est appelée à participer massivement au processus électoral en cours ;
– La journée du mercredi 20 avril 2011 est décrétée journée de deuil à l’intention de tous les Yira du terroir ainsi que ceux de la diaspora.
– La Session du Conseil Culturel prévue pour le mois de juillet 2011 à Kyondo est reportée en Août, la veille de la Conférence à OICHA.
Edgar K. Mateso
Mangina
©Beni-Lubero Online





