





Il était une fois, au début des années 70, Gaspard épousa Margot. Les deux tourtereaux résidaient à Kambau. Margot était âgée de 19 ans tandis que Gaspard en avait 17 ou 18. C’était un jeune homme grand, brun et beau, doté d’une voix aiguë. Sa femme était de petite taille, douce et d’une beauté inouïe. Le mariage civil était méconnu à cette époque. On se contentait du versement de la dot, bref, d’un mariage coutumier. Le mariage religieux était célébré plus tard pour officialiser cette union. Tout le village contribuait d’une manière ou d’une autre pour la réussite des festivités.
Mais comme on le verra dans ce fait réellement vécu, réussir un mariage exigeait de la rigueur sur tous les plans, voire dans de détails insoupçonnés. Tout devait être planifié minutieusement et l‘on devait s’y prendre bien à l’avance. Car un seul élément pouvait tout gâcher ou entacher irrémédiablement la réputation du nouveau couple. Malheureusement, ce fut le cas lors du mariage qui scella l’union de Gaspard à sa très chère Margot.
Les réalités des pistes menant à Kambau
Le village de Kambau ne se trouvait pas sur la route principale contrairement aux autres hameaux de Mangina. Nous devions marcher environ 3 kilomètres avant d’être sur la « Grande Route », la nationale reliant Beni à Mambasa. Pour éviter de salir nos vêtements, nous avions l’habitude de porter de vieux habits sur toute la distance qui nous séparait de cette « Grande Route ».
Après quoi, nous pouvions nous dépouiller de nos haillons et nous endimancher en enfilant nos beaux vêtements et nos belles chaussures. Les nouveaux mariés se pliaient à la règle, eux aussi. Néanmoins, au retour dans l’après-midi ou le soir, nous gardions les mêmes habits car la rosée qui occasionnait leur salissure avait entre-temps disparu.
La messe nuptiale à 6 heures du matin!
La messe devait débuter à 6 heures du matin. Mais ce samedi-là, le Père Dominique, – un prêtre hollandais, – concéda quelques minutes de retard étant donné que le jeune futur marié brillait par son absence. Personne n’arrivait à s’expliquer l’absence inopinée de Gaspard aux cérémonies nuptiales, y compris ses propres parents interloqués par cette situation si singulière.
S’agissant de la future épouse, elle était déjà au rendez-vous, parée de sa robe de mariée. Les sœurs de Gaspard se tenaient aux côtés d’elle pour la rassurer tout en se mordant les doigts pour les désagréments causés par leur frère. La situation était anxieuse depuis l’Eglise où l‘on pouvait lire la morosité sur tous les visages, mêlée d’une peur indescriptible. Tous les regards étaient rivés vers l’embrasure de la porte d’entrée principale de ce lieu de culte dans l’espoir d’y apercevoir la silhouette de Gaspard arrivant en retard.
A l’époque, il n’y avait aucun moyen de communication permettant de joindre quelqu’un à distance car le téléphone n’existait pas encore dans la région. Et aucun messager ne vint de la part de Gaspard pour rassurer tout le monde. On restait dans l’expectative. Pendant ce temps, les minutes passaient très vite tandis que l’attente devenait longue, ensuite très longue et enfin interminable. Le prêtre s’impatientait ; on le voyait consulter sa montre tout le temps.
La faute au couturier… et au jeune marié!
Mais qu’était-il arrivé à Gaspard que certains témoins affirmaient pourtant avoir aperçu dès l’aurore entrain de se préparer pour ce grand jour? Que lui serait-il arrivé sur la route entre Kambau et Home IV? Ou peut-être entre Home IV et Home II? Ou encore entre Home II et Kasitu? Voilà les questions que l’on commençait à se poser. Si cela se serait passé aujourd’hui, on aurait pu penser au pire, à une embuscade, à un enlèvement…
Pourtant, la réalité était tout autre: Gaspard s’était pris en retard dans le choix et dans l’achat de tissus. Ensuite, il avait confié la confection de sa tenue au couturier le plus renommé de Mangina qui était très sollicité et donc débordé par le volume de travail. Ferdinand, ce grand couturier, perdit de vue la promesse qu’il avait faite au futur marié. Lorsqu’on sonna à sa porte vers 5 heures du matin, c’est là qu’il s’aperçut qu’il avait oublié de parachever le travail. Ferdinand était pourtant de bonne foi. Il chercha à se rattraper ce matin-même en confectionnant la fameuse tenue dans la précipitation. Mais le temps que le fer à repasser se mette à chauffer car fonctionnant avec du charbon de bois ; le temps de finir la découpe du tissus ; le temps que les boutonnières soient faites et que les boutons soient posés ; le temps que l’on finisse de faufiler le bas du pantalon « pattes d’éléphant »… le temps ne s’arrêta pas. Et la pression était à son comble. Déçu, Gaspard claqua la porte de l’atelier et se rendit en fureur à l’Eglise en oubliant qu’il était en culotte.
« Va-t-on assister à la célébration d’un mariage homosexuel? »
Pendant ce temps, le curé réputé pour sa ponctualité et sa rigueur, s’adressa aux sœurs de Gaspard et désigna d’office Cécile [on disait ’Seselia‘, en kinande] qui était présente d’occuper provisoirement le siège dévolu à Gaspard, afin de permettre que la messe puisse débuter à l’heure. En effet, la tradition a toujours voulu que le couple qui se marie s’installe sur des sièges placés devant la chaire et en face du prêtre qui préside la cérémonie. Et voici le tableau qui se dressa devant toute l‘Eglise: deux filles assises côte à côte, l’une vêtue de sa robe de mariée « olu’swing » et l’autre jouant le bouche-trou de son frère qui se serait volatilisé.
Le Père Dominique espérait, bien évidemment, que ce retardataire arriverait avant la cérémonie solennelle des sacrements marquée par les échanges des alliances et des vœux. L’assistance était tétanisée, pétrifiée. « Que va-t-il se passer? » se disait-on tout bas. « Et si le marié ne venait pas? – Va-t-on assister à la célébration d‘un mariage homosexuel? »…. Pendant ce temps, Seselia ne tenait pas en place. Son stress était perceptible au loin. On aurait dit que son siège était brûlant. On la croirait atteinte de torticolis de par son cou qui n’arrêtait pas de tourner tantôt à gauche, tantôt à droite avec l’espoir de voir arriver son frère. De son côté, la pauvre Margot était devenue inconsolable sans son cher époux au début de ces cérémonies religieuses.
La tenue atypique du jeune marié
Fort heureusement, alors que la messe venait de commencer, Gaspard se pointa enfin à la porte principale de l’Eglise. Et dans quel accoutrement! En effet, il n’avait sur lui qu’une simple culotte! (Ou, si vous voulez, un short). Alors que la tenue de l’époque était du pantalon jersey, du mohair, du tetero ou des chemises à gros carreaux, voilà un jeune homme en marge de la société… Tous les yeux étaient braqués sur lui. Allait-t-il renoncer ex cathedra à cette union? Toute l’assistance se mit à se chuchoter quelques mots. Gaspard s’avança sans dire un mot et se dirigea tout droit vers la chaire. Le suspense était à son zénith.
Je ne me rappelle plus si la messe fut momentanément interrompue mais tout le monde était curieux de savoir ce qu’il venait faire à l’Eglise en culotte. Le prêtre garda son calme et fit signe à Seselia de libérer le siège qu‘elle occupait. Gaspard se tourna vers Margot et lui serra discrètement la main pour la rassurer, au grand soulagement de l’assistance. Toute l’attention se focalisa ensuite sur la tenue atypique du marié. C’était la première et peut-être la dernière fois de voir un homme se présenter en short pour recevoir les bénédictions nuptiales. Mais, reconnaissons-le, Gaspard assuma pleinement son retard. Et quel courage de sa part d’avoir su affronter le regard des autres!
Après les cérémonies qui, du reste, se déroulèrent bien, le curé salua Gaspard. Après quoi, il se tourna vers les sœurs de celui-ci et leur dit sans ambages: « C’est un mauvais présage. Votre frère n’est pas assez mûr pour se marier. Et ce mariage risque fort bien de se solder par un échec. »
Signe avant-coureur d’un mariage bâclé ?
Pour nous autres enfants, ce qui nous intéressait était la sortie de l’Eglise de la mariée qui s’accompagnait généralement par la distribution des bonbons. La tradition voulait que cela se fasse par la mariée en personne. Le plus souvent, cette loto des bonbons se poursuivait sur le lieu des festivités, à chaque fois que la mariée sortait de la kermesse pour se changer d’habits, car elle pouvait se changer jusqu’à trois fois dans la journée. Nous nous agrippions sur elle pour réclamer des bonbons à tiges, des bonbons à sachets… qu’elle distribuait généreusement. Pendant ce temps, en signe de vœux de bonheur, les hommes et les femmes jetaient au nouveau couple des fleurs et des graines de riz – du « kabusenge », « musesele », « kipusi » ou « kiputula » et même l’indésirable « karondolyo ».
Pour la petite histoire, Gaspard divorça de Margot quelques années après, ce qui confirma étrangement les prédictions du prêtre. Il se remaria ensuite à une fille très instruite qui occupait le poste de vendeuse au magasin de Kitambala à Mangina. Le couple s’installa à Kyatsaba où Gaspard, connu plus tard sous le nom de Mzungu, tiendra un bar et un restaurant de renom. Cette activité fit de lui un homme très en vue, un « Mzungu ». Quant à Seselia qui joua le rôle de figurant, elle devint la femme en secondes noces de l’enseignant Kilukano de Mangina. Et la pauvre Margot? Elle éleva seule et dans la dignité l’unique fille issue de cette brève union. Un proverbe bantou ne dit-il pas : « La vie ce n’est pas d’attendre que les orages passent, mais plutôt c’est d’apprendre comment danser sous la pluie »?
Kasereka KATCHELEWA
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