L’initiative du gouverneur du Nord-Kivu, Julien Paluku à prendre langue avec le chef rebelle Nkunda mérite d’être encouragée. Face à la souffrance de la population de cette partie de la R.D.Congo, il était temps qu’un leader de la région prenne ses responsabilités. Son initiative locale bien qu’elle suscite de la méfiance, vient rompre le silence des autorités de Kinshasa qui s’enferment dans une logique de non dialogue avec le chef rebelle sans trop expliquer pourquoi. On comprendrait aisément l’attitude du gouvernement de Kinshasa si seulement il était capable de mettre fin à la capacité de nuisance des troupes de Nkunda. Bien au contraire, il brille par une irresponsabilité révoltante en abandonnant sur terrain des militaires impayés et non ravitaillés qui ne trouvent pas mieux que de rançonner la population qu’ils sont appelés à protéger. Les dernières nouvelles qui viennent de Kanyabayonga, Kirumba, Kayna, Lubero, Kitsumbiro et d’autres entités où se sont repliés ces militaires en fuite, ne sont pas du tout heureuses. Pillages, vol, viols, extorsions, expulsions des habitants de leurs maisons, seraient les seuls exploits des militaires congolais contre les congolais et non contre les ennemis. Toutes ces exactions sont commises dans un silence qui frise une certaine trahison de la part du chef de l’Etat Congolais qu’on n’entend jamais et dont on ne sait pas exactement ce qu’il pense. En pareilles circonstances, même un discours compatissant rassurerait quelque peu les déplacés de guerre et autres victimes et pourrait les aider à entretenir un espoir de fin de la guerre et par conséquent de leurs souffrances.
Si Julien Paluku peut arriver à obtenir du chef rebelle ne fusse que le contenu réel de ses desiderata, on peut croire que les contreparties contribueraient un tant soit peu à ramener ne fusse qu’un calme apparent qui puisse permettre un dialogue sérieux. Car ne pas dialoguer avec Nkunda, serait lui donner l’impression qu’il est si fort que personne ne peut l’approcher. Or, en réalité, il n’a pas les moyens de reconquérir tout le Congo s’il a en face de lui des hommes sérieux et déterminés pour défendre l’intérêt supérieur de la R.D. Congo. Ses faiblesses, contrairement à ceux qui veulent faire de lui un héros, reposent essentiellement sur ses propres contradictions étant donné qu’il a commencé sa lutte sur un prétexte ethnique, celui de défendre les seuls tutsi.. Alors que tout le peuple congolais et en particulier les populations du Nord-Kivu n’ont pas dans leur culture, l’ethnie comme mode de conquête du pouvoir. Bien plus, ce qui davantage fragilise sa lutte, ce sont ses relations très suivies avec le régime de Kigali dont il est le bras armé contre les hutu génocidaires avec lesquels il ne s’est pas démarqué dans la commission des massacres sur les populations congolaises. Cette culture de la mort, on ne connaît pas en RD Congo. On peut par ailleurs comprendre qu’il puisse s’en orgueillir de mieux connaître Kabila et ses faiblesses pour avoir servi avec lui dans les rangs du FPR, ainsi que bon nombre des politiciens congolais. La plupart d’entre eux sont passés soit par Kampala soit par Kigali avant d’obtenir les quelques parcelles de pouvoir dont ils disposent actuellement en RDC. Ce qui explique d’ailleurs en partie leur silence car ils n’ont rien à dire à Nkunda avec qui ils ont été nourris à la mamelle du RCD-Goma. Il ne faut pas non plus oublier que dans l’esprit de certains politiciens de Kinshasa, la guerre du Nord-Kivu est bien loin de leur capitale et s’en préoccupent très peu. Tout premier ministre qu’il était, Gizenga comme tant d’autres kinois n’en faisaient pas leur préoccupation. Et ils sont encore nombreux à Kinshasa qui considèrent que c’est une guerre des "baswahili" entre eux et qu’ils n’ont qu’ à s’entendre pour mettre fin à leur guerre..
Parler à Nkunda oui, mais avec des longues pincettes
L’initiative de Julien Paluku, qui mesure mieux que quiconque, la profondeur du mal que cette guerre imposée au Nord-Kivu par Nkunda interposée, mérite tout le soutien nécessaire afin qu’elle fasse bouger les lignes. On peut lui reprocher d’aller manger avec le diable, mais on peut aussi espérer qu’il se munira d’une longue fourchette pour ne pas se faire happer. On se rappellera que le professeur Kiro Kimathe , un des anciens leaders de la DCF/Nyamwisi, aux temps forts de l’union sacrée de l’opposition, recommandait à ses collègues de se munir de longues fourchettes avant d’aller manger avec le "diable" de Gbadolite, le "maréchal" Mobutu, lors des négociations. Dieu seul sait s’il n’était pas tombé dans les griffes du diable. Autant toute la prudence est recommandée, autant ce contact est nécessaire pour enrayer ce dialogue des sourds qui alourdissait désespérément la situation déjà très triste au Nord-Kivu. On peut regarder de travers la démarche de Julien Paluku, mais elle a l’avantage de mettre dans la balance certaines vérités que Nkunda aura du mal à réfuter car venant d’un interlocuteur qui maîtrise la situation et qui a des éléments d’information à opposer ou à partager avec Nkunda sans être déformés. Car tous les médiateurs venus d’ailleurs ont jusque là donné l’impression de courir pour Nkunda. Il y a même des signes qui ne trompent pas. Tenez par exemple, Olusegun Obasanjo, ce médiateur imposé par l’ONU, un anglophone qui semblait bien s’entendre avec Nkunda, tous les deux parlant la même langue. Déjà, ce problème de code de communication constitue un facteur de complication que de facilitation pour les congolais sans pour autant mettre en doute leur degré d’assimilation de la langue vedette de Shakespeare. Il en avait été de même avec le Botswanais Ketumile Masire, un anglophone qui disait souvent ne pas comprendre les congolais . Elément négligeable peut-être pour certains mais important car la langue de travail en RDC c’est le français.
Tout compte fait, bien que Julien Paluku essuiera le désavoue de Kinshasa, il aura compris que la population du Nord-Kivu devra d’abord compter sur elle-même, à travers ses leaders déterminés, qu’il est en train de consulter, avant d’obtenir le soutien de Kinshasa et de la communauté internationale. Ce qui est vrai , c’est que sont nombreux les Kivutiens, victimes des affres de la guerre, qui sont derrière le jeune gouverneur car personne d’autre n’a jusque là donné de la voix. Or, ils sont nombreux ces politiciens du grand nord qui sont seulement leaders en période des élections. Alors que c’est le moment de voir un vrai leader s’exprimer pour défendre la cause du peuple. Quand l’armée perd la guerre, seuls les esprits des morts et les ombres des survivants peuvent encore hanter la gloire et les trophées des occupants. Bon courage Julien, mais pas de compromission.
Faustin MBUSA KAHUNDIRA
Centre d’Initiatives pour la Paix et les Actions de Développement (CIPAD)
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