





Cinq ans après l’attaque terroriste du World Trade Center à New York, les Etats-Unis d’Amérique commémorent les victimes et continuent à réconforter les personnes éprouvées par ces attentats qualifiés comme les plus meurtriers de l’histoire. Au moment où je lis « 2749 victimes du World Trade Center » dans le New York Times, je me rappelle les 3 à 4 millions de morts en République Démocratique du Congo. 2749 morts représentent quantitativement très peu comparés à 4 millions. Il y a cependant une différence : la mémoire que nous décidons d’accorder à nos morts, les questions que nous nous posons et les attitudes que nous adoptons pour honorer ces morts. Nous pouvons les « tuer » à jamais ou les garder comme de « vivants » membres de notre communauté.
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La question que je me pose est donc très simple : qui se souvient de nos 4 millions de morts ? Qui parle de ces victimes de la haine et de la violence qui ont pris domicile dans notre pays ? Avons-nous décidé de les « tuer » deux fois ou de les « enterrer» à jamais ? La question reste posée pour les autorités politiques, civiles, religieuses…congolaises. La question reste posée aussi pour les médias qui, souvent, se présentent comme la « voix des sans voix ». Quel genre d’événements décident-ils de mettre à la une ? Devrions-nous continuer à focaliser toute notre attention sur l’actualité politique de la capitale congolaise au détriment du reste du pays et au détriment de toutes les questions sociales, économiques, écologiques, historiques…de l’ensemble du pays ? Est-il juste de braquer notre regard distrait sur le présent sans « forger » notre avenir à partir de ce passé sombre ?
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M. Bloomberg déclarait ceci : "Cinq années ont passé, et nous sommes encore debout ensemble. Nous revenons ici pour marquer cet anniversaire déchirant et nous souvenir de chaque personne qui est morte ici, les connus et les inconnus, dont l’absence est toujours avec nous."
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« Les familles et proches des 2.749 personnes ayant péri à New York, ont récité ensuite, comme chaque année, les noms des victimes dans une atmosphère chargée d’émotion. Comme lors du mardi 11 septembre 2001, le ciel était bleu et ensoleillé. » (TV 5)
Les Etats-Unis ont peut-être « l’avantage » d’avoir une date autour de laquelle articuler la mémoire de ses 3000 mille morts : le 11 septembre. La République Démocratique du Congo n’a pas de date précise et ne connaît pas de nombre exact. Je doute même que nous soyons à mesure de réciter les noms de ceux qui meurent au quotidien. Cela nous donne peut-être un plus grand « avantage » : nos compatriotes ne sont pas morts en un jour ni en un site précis. Ils sont morts à travers tout le pays et continuent à mourir tous les jours, particulièrement dans les régions qui ont expérimenté la guerre. Il serait faux d’appeler ces régions Est (opposé à l’Ouest) car tout le pays en a été affecté. Les Congolaises et Congolaises ont donc un devoir de mémoire pour honorer les nombreuses victimes des guerres qui ont détruit notre pays.
Mais la mémoire n’est pas un souvenir passif. La mémoire peut se perpétuer à travers des cérémonies formelles comme celles qui se tiennent aux USA en ce jour. La mémoire peut aussi se perpétuer à travers les questions que nous nous posons et les réponses que nous apportons à ces questions. Après le 11 septembre, beaucoup d’Américains se sont posé la question « pourquoi nous ? Pourquoi le monde nous hait à ce point ? » La réponse immédiate a été officiellement celle d’engager la guerre contre le terrorisme. Une réponse qui, malheureusement s’est révélée inappropriée ! En effet, si le pays (USA) était uni dans sa colère et sa peine il y a cinq ans, il est amèrement divisé sur la question de la guerre en Irak. La question que les Américains avaient oublié de se poser est : « qu’avons-nous fait au monde pour être la cible d’actes terroristes de cette ampleur ? »
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Mais pour être la cible d’actes terroristes, on n’a pas besoin d’avoir fait quelque chose d’injuste au monde. Si pour les Etats-Unis d’Amérique la politique étrangère est à l’origine de beaucoup d’injustices à travers le monde, pour la RDC les questions sont bien différentes. La RDC est plus l’objet de convoitises internes et externes que la cible d’une vengeance du « monde » extérieur. Mais la question reste valide : comment commémorons-nous les morts congolais ? Nous n’avons certainement pas besoin d’attendre que la Cour Pénale Internationale vienne nous rappeler que la question de la justice est cruciale dans cette commémoration. Les institutions religieuses et civiles peuvent continuer à utiliser les réseaux d’influence dont elles disposent pour nous rappeler le devoir de mémoire envers nos morts. En ce sens, il serait néfaste pour notre pays de garder le silence. Le silence représente un grand ennemi dans un pays comme la RDC où nous oublions très vite.
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Qui se souviendra de nos morts ? Les Congolais eux-mêmes bien sûr. Comment se souviendront-ils de leurs morts ? En identifiant et en opposant tout ce qui tend à leur imposer le silence. En gardant la question de la justice posée en permanence, au niveau local, régional, national et international. En imaginant des moyens (y compris rituels) de commémorer les 4 millions de morts Congolais. Les Eglises peuvent jouer un rôle particulier lorsqu’elles se souviennent de toutes les personnes qui se sont endormis dans la paix. La société civile peut localement rassembler les noms des personnes identifiables. Ce ne serait pas du temps perdu. Les personnes qui écrivent l’histoire de notre pays au quotidien peuvent aider le peuple congolais à honorer nos morts. Honorer nos morts oui, en imaginant des relations nouvelles entre Congolais et Congolaises, entre le Congo et ses voisins et entre le Congo et le reste du monde.
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Un peuple sans mémoire est un peuple condamné à mourir et à enterrer dans l’oubli ses martyrs, ses héros et ses innocents. Je ne veux pas dire qu’il n’y a que des martyrs, des héros et des innocents en RDC. Mais condamner ces derniers à l’oubli serait condamner notre peuple à ne jamais rêver d’un avenir meilleur.
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Peuple congolais, souviens-toi de tes morts ! (A suivre aussi)
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Daniel Syauswa, S.J.
Berkeley University, Californie (USA)
Beni-Lubero Online





