





Aujourd’hui, premier octobre 2010, le Bureau du Haut Commissaire aux droits de l’Homme de l’Organisation des Nations Unies a publié un nouveau Rapport qui décrit les atrocités commises dans mon pays, la République Démocratique du Congo, entre 1993 et 2003. Ce rapport est détaillé, il est crédible. Nous accueillons favorablement sa publication. Ce rapport fend les cœurs. Le Gouvernement congolais, et moi-même également, à titre personnel, sommes consternés devant cette horreur indicible et l’étendue des crimes que le peuple congolais a endurés.
Malheureusement, force est de constater que les informations y contenues ne sont pas nouvelles. Des millions de congolais, hommes, femmes et enfants, ont subi le joug des conflits qui ont émaillé mon pays ces quinze dernières années. Beaucoup trop sont morts. Comme la grande majorité de mes compatriotes, moi aussi, j’ai perdu des êtres qui m’étaient chers.
Les victimes congolaises méritent justice. Elles méritent que leurs voix soient entendues. Pendant longtemps celles-ci furent étouffées. J’espère sincèrement que cette fois-ci, elles le seront, non seulement par nous leurs dirigeants, mais également par la communauté internationale dans son ensemble. Comme tous les congolais, je souhaite vivement cette justice pour tous ces crimes et je n’épargnerais aucun effort afin d’apporter ma modeste contribution aux efforts de reconstruction de mon pays sur la base du respect de la Loi. Je puis vous assurer que le Gouvernement congolais s’est déjà fermement engagé dans cette voie.
A travers son action et ses paroles, Son Excellence Monsieur Joseph KABILA KABANGE, Président de la République, a suffisamment démontré que la recherche de la vérité et de la justice pour ces crimes odieux est au centre de sa constante préoccupation. En 2003, du haut de la tribune des Nations Unies, le Président Joseph KABILA KABANGE a plaidé pour la création d’un Tribunal Pénal International pour la République Démocratique du Congo afin de poursuivre les auteurs de ces crimes. Sa demande fut totalement ignorée par les Nations Unies et la communauté internationale. Qui plus est, à maintes reprises, nous n’avons eu de cesse à réclamer cette justice, notamment par le biais de la Cour Pénale Internationale (CPI), mais malheureusement aussi, cette démarche n’a pu produire les résultats escomptés, notamment compte tenu du fait que certains des pays dont les armées ont combattu sur le sol congolais durant cette première guerre mondiale africaine, ne reconnaissent pas la juridiction de la CPI.
En 2000, la République Démocratique du Congo a signé le Traité de Rome portant Statut de la CPI. En 2004, elle a demandé au Procureur de la CPI d’y débuter des enquêtes, étant fermement déterminée que la justice soit dite et rendue. Les enquêtes se poursuivent, certes. Toutefois et conformément à son Statut, la CPI ne peut que mener des enquêtes sur les crimes commis depuis juillet 2002 (date du dépôt par la République Démocratique du Congo de ses instruments de ratification). Et beaucoup des atrocités commises et décrites par le Rapport Mapping, l’ont été avant juillet 2002.
En 2007, le Président Joseph KABILA KABANGE a marqué son accord à l’exercice du Mapping lorsqu’à l’époque, Madame Louise ARBOUR, Haut Commissaire des Nations Unies aux droits de l’Homme et l’Ambassadeur LacySWING, Représentant Spécial du Secrétaire général en République Démocratique du Congo, le lui présentèrent. En juillet 2008, une équipe onusienne séjourna dans mon pays pour entamer son travail. Le Gouvernement congolais a permis à cette équipe de travailler en toute indépendance, sans aucune entraves, dans le ferme espoir que cette fois ci, des résultats tangibles pouvaient être atteints.
Le présent Rapport Mapping est le résultat de cet exercice. Mais une question cruciale demeure. Le rapport étant publié, que faisons nous maintenant ? Le Gouvernement congolais est déterminé à tout mettre en oeuvre en vue d’amener les coupables devant la justice et obtenir des réparations pour les victimes. Tout récemment encore, environs 220 organisations congolaises de la société civile nous ont demandé d’agir. Leur supplique n’est pas tombée dans de sourdes oreilles.
Le Rapport Mapping formule des options pour lesquelles des mécanismes judiciaires et non-judiciaires pourraient être établis. Il semble marquer une certaine préférence pour la création d’une possible “Chambre mixte” dans le système juridique congolais avec la présence de juges nationaux et internationaux, ainsi que d’autres experts. Au Congo, nous avons la ferme intention d’étudier attentivement cette option parmi tant d’autres. Nous sommes actuellement dans le processus de remise en état de notre système juridique après toutes ces années de guerre. Nous sommes conscients que cela ne s’accomplira pas en un seul jour. Mais cela ne nous détournera pas de notre volonté de rendre le plus rapidement possible justice pour les victimes de ces crimes horribles. J’estime, à titre personnel, qu’une réunion d’experts et de donateurs nationaux et internationaux pourrait être convoquée à KINSHASA, Capitale de mon pays, en vue de discuter des différentes options du Rapport et formuler des recommandations quant à la voie à suivre.
Justice, vérité et paix vont de pair. Tout en recherchant la justice pour les victimes de ces terribles et atroces crimes, nous recherchons et poursuivons tout autant l’amélioration des relations diplomatiques, fraternelles et de bon voisinage avec l’ensemble de nos pays voisins en vue d’assure une paix durable dans la Région. Cette recherche est une constante et une option fondamentale de la diplomatie congolaise.
Comme le souligne le Rapport Mapping, l’administration de la justice pour les crimes commis en République Démocratique du Congo n’est pas l’affaire des seuls congolais. Les coupables des crimes ne sont pas seulement des congolais. Ils sont aussi des ressortissants de nationalité étrangère, africains ou non-africains, qui ont largement profité de nos ressources naturelles et aidé à entretenir la guerre. Nous demandons à la communauté internationale, plus particulièrement ceux qui ont financé le Rapport Mapping, de travailler étroitement avec nous pour la mise en place de mécanismes susceptibles de nous permettre de nous en prendre résolument aux auteurs de ces violences, en tout lieu, et mettre un terme à l’impunité. La République Démocratique du Congo est prête à remplir son rôle. J’espère sincèrement que cette fois-ci, la communauté internationale assumera pleinement ses responsabilités et agira en conséquence.
Fait à New York, le 1er octobre 2010
AMBASSADEUR CHRISTIAN ILEKA ATOKI
REVUE DE LA PRESSE CONGOLAISE DU SAMEDI 2 octobre 2010 (CongoForum)
L’actualité est focalisée sur la publication du Rapport du Haut Commissaire des Nations unies aux droits de l’Homme sur les graves violations des droits humains dont les réfugiés hutu et les civils congolais ont été victimes en RDC pendant la période 1993-2003 par le fait des forces armées rwandaises et leurs alliés. Une publication faite le vendredi après-midi laissait bien sur peu de temps aux journaux pour élaborer de savants commentaires, d’autant plus que beaucoup d’entre eux ne paraissent pas le samedi. Il faudra donc attendre lundi pour avoir à lire à ce sujet une prose congolaise réellement copieuse.
HCDH : le rapport
http://www.congoforum.be/fr/nieuwsdetail.asp?subitem=2&newsid=171012&Actualiteit=selected pour télécharger le texte.
L’ONU a publié vendredi son rapport controversé détaillant les crimes commis en République démocratique du Congo (RDC) de 1993 à 2003, texte que dénoncent avec virulence le Rwanda et l’Ouganda, mis en cause. De son côté, la RDC s’est dite « consternée » par l’étendue des crimes perpétrés et révélés dans le rapport de l’ONU, et a réclamé « justice » pour les victimes congolaises, selon son ambassadeur à l’ONU. C’est aussi, entre autres, la fin du suspense, quant à savoir si le mot « génocide »serait ou non employé. Comme le dit RFI, l’ONU l’emploie « prudemment ». Il serait d’ailleurs souhaitable qu’il en soit toujours ainsi !
Dans un communiqué, la Haut commissaire aux droits de l’homme, Navi Pillay, a noté que la « divulgation fin août du texte après la distribution du rapport en juin et juillet à six Etats de la région, avait conduit à +des discussions intenses sur un seul aspect+ du rapport – à savoir l’évocation de la possibilité que les forces armées du Rwanda et leurs alliés locaux auraient pu commettre des actes pouvant constituer des crimes de génocide ». « Le rapport souligne que cette question ne peut être tranchée que par un tribunal compétent », ajoute-t-elle.
Mme Pillay souligne qu’il est « important de rappeler que le rapport porte sur la RDC, ainsi que sur la conduite des États voisins sur le territoire de la RDC ». Fruit d’une enquête menée de juillet 2008 à juin 2009, le rapport de plus de 550 pages, dresse l’inventaire de 617 crimes graves ayant fait des dizaines de milliers de morts civils de 1993 à 2003 dans l’ex-Zaïre et plus particulièrement pendant les deux guerres de 1996-1998 et 1998-2001. « J’espère que, maintenant que le rapport est publié, il sera examiné attentivement, en particulier les mesures qu’il propose afin que les auteurs des actes en répondent et pour la justice en RDC, après une telle litanie d’actes épouvantables. Les millions de victimes congolaises des violations commises par une gamme extrêmement large d’acteurs méritent rien de moins », a-t-elle relevé.
Rapport HCDH : les commentaires
Le Potentiel consacre sa manchette au Rapport de l’ONU et titre : « Atrocités en RDC : Kinshasa réclame justice ». Il note qu’enfin le rapport explosif tant attendu a été rendu public le 1er octobre à Genève. Il dénonce avec virulence les graves crimes commis contre les réfugiés hutu et les civils congolais en RDC, entre 1993 et 2003, par les forces armées du Rwanda et leurs alliés. Ainsi, ni le chantage de Kigali, ni la menace de Kampala n’ont persuadé les Nations unies à taire les dénonciations faites en leur nom par le Haut Commissariat aux droits de l’Homme. Place donc à la justice nationale et internationale, estime Le Potentiel. Il relève que réagissant à chaud à la suite de la publication du détonnant rapport de la Haut Commissaire des Nations unies aux droits de l’Homme, l’ambassadeur de la RDC à l’ONU a indiqué que « les victimes congolaises méritent justice ; elles méritent que leurs voix soient entendues ».
La Référence+ rapporte que l’ambassadeur de la RDC à l’Onu, Ileka Atoki, a réclamé une aide internationale pour aider la RDC à traduire en justice les auteurs des violences.
Pour sa part, la Haut Commissaire aux droits de l’Homme, la Sud-africaine Navi Pillay a noté dans un communiqué de presse que la divulgation fin août du texte après la distribution du rapport en juin et juillet à six Etats de la région avait conduit à des discussions intenses sur un seul aspect du rapport, à savoir l’évocation de la possibilité que les forces armées rwandaises et leurs alliés locaux auraient pu commettre des actes pouvant constituer des crimes de génocide. Mais elle a insisté sur le fait que le rapport porte aussi sur la conduite des Etats voisins sur le territoire de la RDC.
« J’espère que maintenant que le rapport est publié, il sera examiné attentivement en particulier les mesures qu’il propose afin que les auteurs des actes en répondent et pour la justice en RDC, après une telle litanie d’actes épouvantables. Les millions de victimes congolaises des violations commises par une gamme extrêmement large d’acteurs méritent rien de moins », a-t-elle souhaité.
Commentaire de Colette Braeckman, intitulé « Ce que le mapping report ne dit pas » (Le Soir)
Les enquêteurs du Haut Commissariat aux droits de l’homme de l’ONU ont compilé les rapports d’époque, entendu 1280 témoins, vérifié leurs sources. Mais aligner des faits vrais ne suffit pas à cerner toute la vérité. L’abominable tragédie qui s’est déroulée dès octobre 1996 dans l’Est du Congo a des racines au Rwanda, elle est la conséquence directe du génocide et de l’exode vers le Congo de plus d’un million et demi de réfugiés hutus. Ces derniers étaient encadrés par les autorités administratives et militaires du régime déchu et criminel, des cadres qui emmenaient en exil aussi bien les fonds de la Banque nationale qu’un armement considérable. Leur exode avait été rendu possible par l’Opération française Turquoise qui avait créé une zone de sécurité dans l’Ouest du pays. Dans ces camps installés sur la frontière, pris en charge par le Haut commissariat des réfugiés de l’ONU et gérés par de nombreuses ONG, le droit humanitaire fut bafoué dès la première heure : les militaires et les miliciens ne furent pas désarmés, les tueurs se mélangèrent aux civils sans être autrement inquiétés, les autorités de l’ancien régime maintinrent leur emprise sur leurs administrés, les dissuadant de regagner le Rwanda car elles voulaient se servir de cette masse pour négocier un éventuel retour au pouvoir.
Dès le 7 avril 1995, à l’occasion du premier anniversaire du déclenchement du génocide, Paul Kagame, alors ministre de la Défense, avait déclaré dans une interview au Soir : « je ne vois pas comment (ces réfugiés) pourraient tenter un retour offensif et réussir : nous avons démontré notre supériorité militaire. Quant aux pays qui les aident, ils devraient savoir que, nous aussi, nous avons les moyens de leur créer de sérieux problèmes. »Et il ajoutait : « personne ne veut mettre de l’ordre dans cette situation qui a assez duré, il faudra bien que nous le fassions nous-mêmes… »L’avertissement était clair mais nul n’en tint compte.
A cette époque déjà, alors que les Etats Unis et l’Union européenne dépensaient un million de dollars par jour dans les camps de réfugiés contrôlés par les extrémistes et que les incursions se multipliaient en territoire rwandais, Kigali, dans la plus grande discrétion, se préparait à désamorcer la menace. Des Tutsis congolais, originaires du Masisi (Nord Kivu) ou des montagnes du Sud Kivu (les Banyamulenge) qui avaient combattu dans les rangs du FPR depuis le début de la guerre de 1990, étaient invités à rejoindre, dans la plus grande discrétion, un mouvement armé qui se mettait en place à Kigali : l’Alliance des Forces démocratiques pour la libération du Congo. Sur le conseil du président tanzanien Nyerere, un opposant congolais, Laurent Désiré Kabila, avait été convoqué à Kigali et invité à devenir le porte parole, ou plutôt l’alibi congolais du mouvement. Le vétéran, qui, au delà du démantèlement des camps de réfugiés, souhaitait chasser du pouvoir un Mobutu qu’il combattait depuis les années 60, avait discrètement pris contact avec la diaspora congolaise, demandant à ses partisans de se tenir prêts à le rejoindre.
Les Américains suivaient activement ces préparatifs : Richard Orth, l’attaché militaire à Kigali, et Peter Whaley, le numero deux de l’ambassade assistaient aux réunions, tandis que ses amis du Pentagone fournissaient à Kagame et ses hommes l’équipement nécessaire : six vedettes rapides patrouillant sur le lac Kivu, des équipements radio, du matériel d’écoute et de décryptage de communications satellites. Plus tard, les Américains communiqueront à leurs alliés les photos satellites indiquant où se trouvent les groupes en fuite. Une société privée, la MIPRI (Military Professional Inc) basée en Virginie, fut également associée à l’opération.
Une armée composite se met en place, où se retrouvent des militaires du FPR auxquels les Américains ont dispensé une formation spéciale, des Ougandais, des Burundais, des Erythréens et Somaliens recrutés par les Américains, ainsi que des opposants congolais convoqués par Kabila.
En octobre 1996, les hostilités éclatent au Sud Kivu, attribuées à de jeunes Tutsis congolais, les Banyamulenge. Très vite, le mouvement rebelle s’empare de Bukavu, puis de Goma. Dans la capitale du Sud Kivu, Laurent Désiré Kabila, qui campe dans la résidence du gouverneur, nous assure : « cette fois c’est du sérieux, nous irons jusque Kinshasa, nous chasserons Mobutu… »
Aucun journaliste n’étant autorisé à se rendre sur le front, il fallut du temps pour reconstituer le déroulement des opérations. Les camps de réfugiés furent encerclés, bombardés, et un million de civils, pris dans un mouvement en tenaille, furent pratiquement obligés de fuir en direction du Rwanda, où ils furent tout de suite redirigés vers leurs collines. Le deuxième temps fut le pire : alors que le général canadien Baril assurait que, tous les réfugiés étant rentrés au Rwanda, le déploiement d’une force internationale n’était pas nécessaire et que l’ambassadeur américain à Kigali estimait que 20.000 Hutus seulement se trouvaient encore au Congo, en réalité, un demi million de civils, qui s’étaient d’abord entassés dans le camp de Mugunga, impitoyablement bombardé, partaient dans l’autre sens, s’enfonçant vers l’intérieur du vaste Congo, encadrés par des hommes en armes. Ces derniers mettaient en œuvre une technique éprouvée, celle du « bouclier humain », où des civils, femmes et enfants étaient placés en première ligne, protégeant les dignitaires et le soldats.
Cette course-poursuite à travers la forêt, en direction de Kisangani, où les Français avaient recruté des mercenaires serbes ayant œuvré à Srebenicsa pour se porter au secours d’une armée congolaise défaillante, représente l’une des pages les plus atroces et les moins connues de l’histoire du Congo. En effet, d’un côté, alors que les troupes mixtes de l’AFDL poursuivent leur progression et que Kabila, maintenu à l’arrière, n’est amené dans les villes qu’après leur chute, une autre guerre est menée par les Tutsis congolais formés au Rwanda (de 5 à 10.000 hommes) et les unités spéciales rwandaises.
La mission de ces équipes de tueurs, de véritables commandos de la mort, qui opéraient de manière autonome au sein des troupes rebelles, était de liquider les « génocidaires » et leurs alliés. L’entreprise était plus sophistiquée qu’il n’y paraissait : ces hommes étaient dotés de matériel de communication perfectionné et avaient infiltré des « facilitateurs » dans les équipes du HCR et des organisations humanitaires. Alors que ces dernières tentaient de retrouver les réfugiés pour tenter de leur porter secours, les « facilitateurs » communiquaient aux militaires la localisation exacte des fuyards.
Dans ces groupes, femmes et enfants placés en première ligne, réceptionnaient et transportaient l’aide humanitaire, récupérée ensuite par les combattants qui se cachaient dans la forêt. Lorsque survenaient les militaires de l’AFDL, les civils étaient les premières victimes. De nombreux Congolais qui avaient pris la fuite aux côtés des Hutus furent également massacrés. Au Nord et au Sud Kivu, de nombreux Hutus de nationalité congolaise, ou d’autres groupes qui avaient sympathisé ou collaboré avec les réfugiés, furent également liquidés sans pitié : convoqués à des réunions ou des meetings en plein air, ils furent tués sans distinction et jetés dans des fosses communes.
A Rutshuru, au Nord Kivu, la population a vécu dans la terreur jusque 2005 : les soldats tutsis congolais alliés des Rwandais en 1996-97 avaient entre-temps été incorporés dans le nouveau mouvement rebelle « Rassemblement congolais pour la démocratie » puis certains d’entre eux rejoignirent le chef rebelle Laurent Nkunda. Contrôlant la région, ces hommes imposaient à la population de faire silence sur les charniers qui jalonnaient la zone frontalière avec le Rwanda. En outre, l’impunité fut longtemps la règle, puisque les accords de paix de Lusaka puis de Sun City, bénis par la communauté internationale, avaient imposé le mixage et l’intégration des divers groupes armés, permettant aux tueurs de la première guerre du Congo, puis de la deuxième de devenir généraux sous la bannière des forces armées congolaises…
Durant la première guerre du Congo, il fallut sept mois à l’AFDL pour gagner Kinshasa. Le 7 juillet 1997, dans une interview à John Pomfret du Washington Post, Paul Kagame, minimisant l’apport des Congolais, (alors que Kabila avait recruté des enfants soldats par dizaines de milliers) devait reconnaître que les troupes rwandaises avaient joué un rôle majeur dans cette conquête militaire.
Si le rapport du HCDH se contente d’un sigle global « afdl-apr-fab », il faudra que les éventuelles procédures judiciaires tiennent compte des différences entre les protagonistes de cette « guerre mondiale africaine »: les Burundais ne quittèrent pas le Sud Kivu, les Angolais, appelés à la rescousse par leur vieil ami Kabila, assurèrent surtout le transport aérien des troupes et furent indignés par les massacres dont ils furent les témoins, le président du Zimbabwe Robert Mugabe se contenta, dans un premier temps d’une contribution financière, les Ougandais auraient voulu s’arrêter à Kisangani et s’assurer le contrôle de la Province Orientale et des mines d’or de l’Ituri… Quant aux Rwandais, encouragés par les Américains et les sociétés minières, ils tentèrent d’installer leurs hommes à Kinshasa jusqu’à ce que Kabila, en juillet 1998, prie ses encombrants alliés de quitter le pays. Deux jours plus tard, une autre guerre commençait”.
(La publication du rapport met, à tout le moins, fin à une question: l’emploi ou non du terme “génocide”. ET le HCDH a pleinement raison de rappeler ce que nulle personne de bon sens ne devrait ignorer: le génocide est un crime et par conséquent seul un tribunal peut décider, en le condamnant, qu’un individu, un groupe ou un état est “génocidaire”.
Il était à peu près fatal que cela finisse par apparaître, et cela pourrait être une des raisons de la réaction très violente de Kigali, dans la mesure où il va devenir de plus en plus difficile de maintenir la thèse du génocide de 1994 devant le fait qu’en quinze ans, on n’a toujours trouvé aucun responsable de l’organisation de ce génocide. Kagame est donc menacé de recevoir un coup sérieux dans ce qui fait la base idéologique de sa “légitimité”.
Comme le rappelle d’autre part l’article de Braeckman, élucider dans cette affaire la question des culpabilités et des responsabilités va obliger à se pencher sur deux questions historiques non élucidées: les rôles respectifs des parties en cause lors de la “Guerre de Libération” de 1996-1997, et ceux de tous les intervenants de la “Première Guerre Africaine”. Il serait d’ailleurs illusoire de prétendre s’en tenir à ce sujet à 2003! NdlR)
© CongoForum, le samedi 2 octobre 2010
Le rapport du HCDN et l’hypocrisie des gouvernants de Kinshasa ( Par J.P. Mbelu)
Quand l’Ambassadeur du Congo (RD) à l’ONU réagissant à la publication du rapport du HCDH écrit : « Les victimes congolaises méritent justice. Elles méritent que leurs voix soient entendues. Pendant longtemps celles-ci furent étouffées. J’espère sincèrement que cette fois-ci, elles le seront, non seulement par nous leurs dirigeants, mais également par la communauté internationale dans son ensemble. Comme tous les congolais, je souhaite vivement cette justice pour tous ces crimes et je n’épargnerais aucun effort afin d’apporter ma modeste contribution aux efforts de reconstruction de mon pays sur la base du respect de la Loi. Je puis vous assurer que le Gouvernement congolais s’est déjà fermement engagé dans cette voie », il étonne.
Cette prise de position officielle est une contre-vérité. Où ce gouvernement a-t-il déposé et suivi une plainte en bonne et due forme contre le Rwanda ? N’est-ce pas ce même gouvernement qui, en lançant l’opération Umoja Wetu, s’est réconcilié avec le Rwanda et ses protégés du CNDP contre toute règle de justice en arguant qu’il optait pour la paix (sans justice) ? Et récemment, Kinshasa a milité à côté du Rwanda et d’ autres pays de la sous-région pour que le rapport du HCDH ne soit pas publié sous une forme se rapprochant de la version dont le journal Le Monde avait commenté les extraits. En allant participer à la dernière rencontre de l’Assemblée générale de l’ONU, certains gouvernants de Kinshasa ont engagé des avocats de renom, avec l’argent du contribuable congolais, pour qu’ils empêchent la publication de ce rapport. (Ils ont été logés dans un hôtel où ils ont rencontré un membre de la minorité congolaise organisée.)
Quand Ikela Atoki dit ceci : « Je puis vous assurer que le Gouvernement congolais s’est déjà fermement engagé dans cette voie », il fait semblant d’ignorer ce qui s’est passé dans les coulisses congolaises à New York avant la publication de ce rapport. Minimisant la force de frappe du lobbying Congolais, les gouvernants de Kinshasa ont été surpris en touchant du doigt son efficacité.
Kinshasa ayant crié sur les toits l’amélioration de ses rapports avec le Rwanda, ses gouvernants actuels ne pouvaient pas accepter de bon cœur que soit publié un rapport mettant sérieusement en cause « leur mentor « Kagame et ses troupes. En sus, étant l’émanation de l’AFDL et des autres milices rebelles dont le RCD, « les nègres de service » à Kinshasa ne pouvaient pas, en conscience, participer de leur propre mort politique : applaudir à la publication d’un rapport les stigmatisant.
En sus, n’oublions pas que ce rapport ne traite que des crimes commis entre 1993 et 2003. Il ouvre la voie aux traitements d’autres crimes commis après. Or, le pouvoir de Kinshasa y est sérieusement impliqué. Comment peut-il avaliser une démarche préparant sa mise hors d’état d’agir ? La dérive autoritaire soutenue par les rhinocéros de l’AMP et sa caravane écrasant « les chiens de Congolais(es) » aboyant à son passage a des comptes à rendre à la justice. De 2003 à 2010, il n’y a pas tellement eu de changement dans le traitement des Congolais(es) eu égard à leurs droits et libertés fondamentales. La mort de Floribert Chebeya s’inscrit dans la longue liste des victimes politiques de ladite dérive autoritaire. La poursuite des arrestations arbitraires, la politisation de la justice et ses services de sécurité, l’entretien des lieux de détention « de la mort » sont autant des signes témoignant de la façon dont les gouvernants actuels de Kinshasa se moquent de la dignité et de la liberté humaine.
De toutes les façons, la publication du rapport du HCDH, malgré les pressions subies, marque une première « petite victoire » des héros dans l’ombre Congolais et leurs amis ; de ces dignes filles et fils de notre pays qui ont, depuis l’entrée de l’AFDL dans notre pays, ont travaillé assidûment à la récolte des faits liés au non-respect de la dignité humaine chez nous, ont établi leur QG à New-York depuis la fuite du rapport du HCDH, ont organisé différentes manifestations et plusieurs contacts pour que la vérité soit faite sur « la troisième guerre mondiale » menée dans la région des Grands Lacs.
A n’en pas douter, cette « petite victoire » sera suivie de plusieurs autres. D’ailleurs, avec et à partir d’elle, les choses risques d’aller trop vite. Déjà certains amis de Kagame témoignent à travers le monde et devant certains cours et tribunaux de la nature naziste et prédatrice de son entreprise. Ou plutôt de l’os qu’il a géré comme « nègre de service » avec ses marionnettes de l’AFDL, du RCD, du CNDP, du PPRD, etc. L’hypocrisie des gouvernants de Kinshasa n’y peut rien… La nuit peut être longue, mais le jour finit toujours par poindre à l’horizon, dit-on.
J.-P. Mbelu
Brussels-Belgie
Une diplomatie siamoise entre Kinshasa et Kigali
C’est fait depuis le vendredi 01/10/10 : le rapport Mapping sur la RDC a été publié et comme l’on s’y attendait bien, il a provoqué les mêmes réactions de rejet par la plupart des pays concernés sauf la RDC qui salue ce rapport en le qualifiant de document « détaillé » et « crédible » qui démontre, selon Ileka Atoki, l’ambassadeur congolais aux Nations Unies, « l’horreur indicible et l’étendue des crimes que le peuple congolais a endurés ».
Finalement, le forcing de Kigali d’empêcher l’utilisation du mot génocide n’a pas réussi car les enquêteurs n’ont pas cédé à la machine lobbyiste de Kagame et ont qualifié de génocide le massacre de Hutus par les troupes du Front patriotique rwandais. Toutefois, le recours à des termes comme « apparemment » ou « suggérer » prouve que les auteurs du rapport, sans être catégoriques, ont préféré jouer à la prudence en laissant le soin à un tribunal compétent, qui aura pour mission de répondre une bonne fois pour toute à la question de savoir si le crime de génocide peut être retenu sur la base des preuves irréfutables et sans appel.
Vous vous rappellerez qu’il y a deux semaines, lors de la publication non autorisée de certains passages de ce rapport par le journal Le Monde, les autorités rwandaises avaient réagit violemment en menaçant de retirer leurs soldats de Darfur. Dès cet instant, la diplomatie agissante de Kagame fera la ronde de la région en vue de convaincre ses homologues de l’opportunité d’une réaction commune, dès la publication du rapport. C’est chose faite, c’est tout naturel que le Rwanda puisse le qualifié d’inacceptable, de mauvais, d’une insulte à l’histoire. Le Burundi refuse lui aussi de reconnaître un rapport qui est clairement destiné à déstabiliser la sous-région et qui n’a pas été mené de façon objective d’autant plus que ce pays a toujours nié la présence de ses militaires en RDC. Impliqué dans des possibles crimes de guerre, l’Ouganda rejette le rapport en le qualifiant d’un condensé de rumeurs. Il emboîte le pas au Rwanda en menaçant de retirer ses soldats de la Somalie. Même réaction du côté de l’Angola qui se dit particulièrement outragée et rejette les accusations d’exécutions sommaires et de viols.
Ce qui étonne et fâche (pour ceux qui comprennent le jeu subtile des autorités congolaises) c’est le revirement de la réaction de Kinshasa à la publication de ce rapport. Il y a deux semaines, le trublion ministre congolais de l’information, Mende avait traité ce rapport de manœuvre pour éluder les lacunes des forces onusiennes lors des récents viols au Nord-Kivu. Et, dès sa publication officielle, ce document explosif est subitement qualifié, par les mêmes autorités congolaises, de crédible car les victimes congolaises méritent justice. Ce revirement est une conséquence de la forte pression des ONG/ Droits de l’homme, de la société civile et du lobbying de la diaspora congolaise sur le régime de Kabila pour ne pas remettre en cause le contenu et les conclusions du rapport du HDCH.
Mais en réalité, le changement de ton de Kinshasa ressemble à une simple esquive afin de ne pas s’aliéner l’opinion publique surtout à une année des échéances électorales. Les contraintes géopolitiques du moment obligent le régime Kabila à se greffer au software politique de Kagame pour espérer se maintenir dans la région, laquelle risque de connaître quelques turbulences avec le référendum du Sud Soudan, la déliquescence du gouvernement somalien et les élections en Ouganda et au Kenya. Il faut se resserrer les coudes, s’accrocher à plus stable, faire front commun bref s’appliquer au « Real Politik » pour un régime qui navigue à vue. C’est ce qui explique la relance, depuis un certain temps, d’une diplomatie tous azimuts entre Kinshasa et Kigali qui ressemblent de plus en plus à des frères siamois dont l’un est le software de l’autre… intérêts obligent !
Il ne s’agit nullement d’une figure de style mais bien d’une réalité qui s’est installée entre les deux pays et a pris racines depuis les visites réciproques des deux présidents. En effet, le 06 septembre 2010, Joseph Kabila a séjourné dans la capitale rwandaise Kigali. Au delà de sa présence à la cérémonie officielle de prestation de serment du président rwandais, le chef de l’Etat Congolais avait eu une rencontre privée avec Paul Kagame. Au cours de cette entrevue, quatre point auraient été débattus soutiennent nos sources. Il s’agit de la question du sort du général Bosco Ntaganda, du dossier du redéploiement des forces du CNDP en dehors de deux provinces du Kivu, de la sécurité des frontières rwandaises et du récent rapport de l’ONU.
Au sujet de Bosco Ntaganda, le président Kagame aurait noté que ce général tutsi congolais n’a vraiment pas rempli sa mission de reprise en main des forces combattantes ex-CNDP intégrées dans les Fardc. Une division nette est apparue non seulement dans la structure politico-militaire mais aussi au sein de la communauté Tutsi congolais (les Bagogwe et le reste). Ce qui n’a pas arrangé les autorités rwandaises en plus de la pression qui pèse sur les deux Etats du fait du mandat que la CPI a lancé contre ce général renégat. Kabila aurait constaté pour sa part que Bosco a permis, certes, la désintégration des forces CNDP mais il s’est malheureusement compromis dans du business des minerais avec comme conséquences la fraude et des exactions ayant entamé sa popularité (Kabila) au sein des populations autochtones : Kabila étant considéré comme le parrain de Bosco Ntaganda
Les deux présidents ont décidé de le suspendre de son poste de commandant adjoint des opérations « Amani Leo » et la décision lui a été signifiée directement. Ils ont également recommandé aux deux ailes du CNDP (pro-Bosco et pro-Nkunda) de concilier leurs différences en vue de former un seul mouvement politique. Les deux ailes se sont rencontrées récemment à Goma et ont suggéré que Bosco puisse quitter la région et demander l’asile à l’étranger car sa présence constitue une entrave à toute réconciliation entre les communautés autochtones : l’homme est responsable de plusieurs griefs au sein des populations civiles. Conscient du fait que son exile peut rapidement se transformer en un cauchemar (un mandat est suspendu sur sa tête), Bosco ne serait pas prêt à se faire dégager de la sorte et pourrait se transformer en chef de gangs avec ses adeptes s’il se sent forcer de quitter son Masisi natal. Les deux présidents se sont donnés un peu de temps pour résoudre l’énigme Bosco qui a servi les intérêts des deux régimes en un moment donné.
Sur demande de Kabila, les deux présidents ont évoqué la question du redéploiement des éléments CNDP en dehors de deux provinces du Kivu. La province du Bas Congo a été notamment proposée.
Kigali a demandé à Kinshasa de bien étudier le dossier car il n’est pas évident que les populations les acceptent facilement compte de la réputation qui semble les précéder partout où ils se déploient. Il n’est pas certain également qu’ils (ex-CNDP) acceptent de quitter le Nord Kivu avant le retour des réfugies Tutsi congolais compte tenu de la recrudescence des activités des Fdlr dans la région. Ce dossier reste donc ouvert et les deux présidents auraient demandé d’autres éléments d’informations avant d’adopter une décision finale.
S’agissant de la sécurité des frontières rwandaises, les services rwandais sont convaincus que le tandem Kayumba-Karegeya est actuellement en alliance avec certains groupes armés installés dans les deux Kivu notamment les ex-CNDP pro Nkunda, les FRF de Bisogo, certains MaïMaï, les FPLC de GAD et même un groupe des FDLR présentés comme non génocidaires. Une nouvelle opération militaire conjointe étant pratiquement impossible dans les circonstances actuelles, Kagame aurait fait comprendre à Kabila que la situation risque de s’empirer pour le Rwanda surtout que Kampala serait derrière Kayumba et qu’il y a lieu de fermer les yeux afin de permettre l’infiltration des RDF (une bonne partie constituée des ex-Fdlr reformatés, recyclés et reconvertis par Kigali) dans les deux Kivu pour frapper certaines cibles déjà répertoriées par les renseignements rwandais. Les infiltrés opéreront au sein des FARDC afin de mener à bien les opérations prévues officiellement par l’armée congolaise.
Concernant le récent rapport de l’ONU, le rapport du Haut commissaire des NU aux droits de l’homme sur les meurtres, viols et pillage commis en RDC par les APR irrite aussi bien Kagame que Kabila : les deux pouvant répondre (à des échelons différents) de leurs responsabilités à l’époque des faits. Si Kigali a qualifié ce document de malveillant, choquant et ridicule, Kinshasa a commencé par traiter ce rapport de manœuvre pour éluder les lacunes des forces onusiennes même si le gouvernement congolais vient de le qualifié de crédible. Il est certain que les deux régimes doivent se soutenir mutuellement afin d’étouffer les conséquences de la publication du rapport qui pourrait éclabousser la plupart des régimes de la région ayant participé à la tentative de renversement du régime de Kabila-Père. Kagame aurait convaincu ses homologues de la région des Grands Lacs de l’opportunité d’une réaction commune, dès la publication de ce rapport, prévue le 1er octobre 2010.
A Kigali, on se frotte les mains avec ce nouveau rapprochement tout en déplorant l’inexpérience et surtout l’inconstance des autorités congolaises à la base de certains revirements inexplicables.
On n’est pas loin de la citation de Georges Wolinski : « Travailler en collaboration, cela veut dire prendre la moitié de son temps à expliquer à l’autre que ses idées sont stupides. »
Joska
Mise en ligne le dimanche 03 octobre 2010
Du journal : Le Millenaire
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