




Les Congolais et leurs organisations. Relecture d’une lettre des ONGs locales à Joseph Kabila
0. Mise en route
La guerre d’agression livrée à notre pays par plusieurs pays du monde et leurs multinationales à travers le Rwanda, l’Ouganda et le Burundi depuis 1996 n’a pas détruit la résistance congolaise.
Le musellement de la presse congolaise et la mutation de la plupart de ses journalistes en « coupagistes » n’a pas écrasé l’esprit d’inventivité, d’imagination et de créativité congolais. Les pseudo-justifications servant d’idéologie de domination de nos masses populaires n’ont pas annihilé le bon sens et la patience congolais. L’esprit de la résistance congolaise rependu inégalement sur les filles et les fils de notre peuple soutient leur lutte d’autodétermination et leur permet de rebondir contre vents et marées. Les partisans de l’immédiatisme voient et ne comprennent rien! Ils crient: « Les Congolais ne sont pas organisés8 »
Quand Laurent-Désiré Kabila disait que cette guerre d’agression sera longue, il n’avait peut-être pas pensé aux mains nues que ses compatriotes utiliseraient après lui pour défier « les maitres du monde », leur cynisme et leurs supplétifs. Sans armée républicaine, ils viennent de réussir deux coups de maître: deux sorties médiatiques des responsables de deux pays impliqués dans la guerre d’agression contre notre pays. Après l’interview accordée par Nicolas Sarkozy aux médias congolais, l’Ambassadeur américain a donné, à Kinshasa, une conférence de presse au cours de laquelle il a affirmé que son pays n’était pas pour la balkanisation du Congo.
Même si les discours officiels (dont nous devons nous méfier comme de la peste) peuvent être contredits par la situation d’occupation de notre pays par les alliés des U.S.A. auxquels la France fait les yeux doux; même si les discours officiels peuvent cacher le plan B de la soft power , officiellement, ces deux pays peuvent dorénavant être pris au mot chez nous.
Contrairement aux pseudo-justifications très rependues et clamant sur les toits que tous les Congolais ont la mémoire courte et sont des « BMW », Joseph Kabila vient d’apprendre, à ses dépens, qu’on ne peut pas, à la fois, se dire membre signataire des statuts de Rome instituant la Cour Pénale Internationale, coopérer de manière discriminatoire avec elle et crier à « la fin de la récréation » pour les criminels de guerre et économiques et ne pas livrer un bandit de grand chemin à la justice.
Une cinquantaine d’organisations congolaises viennent de lui adresser une lettre ouverte réclamant l’arrestation de Bosco Ntaganda, « l’autre Nkunda » de Kagame et son transfert à la CPI. De Nkunda aussi.
I. Assumer le devoir sacré de justice et de mémoire
Dans leur lettre à Joseph Kabila, nos ONGs locales disent leur surprise et refusent que la sécurité et la paix soient acquises au prix du sacrifice de la justice en dénonçant la participation de Bosco Ntaganda aux opérations militaires conjointes menées par les armées rwandaise et congolaise (ou ce qui en reste). Elles estiment que « ce serait une insulte à la justice qu’une personne recherchée par elle soit impliquées dans les opérations militaires à l’Est de la RDC. Ce serait aussi une insulte à l’égard des victimes que leurs bourreaux d’hier soient maintenant leurs protecteurs aujourd’hui. » (Lire la Lettre ouverte des organisations nationales adressée à son Excellence Monsieur le Président de la République Démocratique du Congo sur l’arrestation de Bosco Ntaganda sur Congoindependant.com ou sur Congoforum.be)
Ces organisations nationales rappellent que les crimes contre l’humanité ont été commis par Ntaganda non seulement en Ituri mais aussi au Nord-Kivu. « Nous avons encore la mémoire fraîche, Excellence Monsieur le Président de la République, notent ces organisations nationales, des crimes contre l’humanité perpétrés à grande échelle par les troupes CNDP sous le commandement de Bosco Ntaganda à Kiwanja où plus de 150 de nos frères, sœurs, mères, pères et enfants ont été lâchement tués comme des bêtes de somme par ses troupes. » En effet, n’ayant pas la mémoire courte, nos organisations rappellent ceci: « En Ituri, nous ne pouvons pas oublier le malheur que Bosco Ntaganda nous a causé pendant plusieurs années, en massacrant des milliers des personnes d’Ituri sans pitié et sans sens d’humanité. Nous sommes toujours porteurs de cicatrices indélébiles. Nous devons honorer les mémoires des gens que nous avons perdus en disant jamais encore des tueries et en envoyant un signal fort pour ceux qui sont coupables de tels crimes soient juger. » Pour eux, Ntaganda est un récidiviste!
Ce devoir de justice e t de mémoire, nos organisations locales veulent l’assumer comme héritage à transmettre aux générations futures. Elles pensent qu’ « il faut que les générations à venir sachent non seulement que nous avons souffert, mais aussi que nous avons agi pour mettre fin à la souffrance en luttant pour une justice équitable. » Ce devoir de justice et de mémoire, nos ONGs ne l’assument pas seules.
Contrairement aux apparences, la lutte de nos ONGs est partagée chez nous par des autorités tant administratives, militaires, politiques et judiciaires. En d’autres termes, les actes de soutien aux criminels posés par Joseph Kabila et son clan ne sont pas soutenus par « ces autorités congolaises éprises de paix ». Elles sont autant frustrées que les membres de nos ONGs par la promotion de la culture de l’impunité chez nous. Tous attendent que Joseph Kabila puisse « faciliter l’arrestation de Bosco Ntaganda et son transfert à La Haye, et aussi la traduction en justice de Laurent Nkunda de façon juste et équitable pour les crimes commis par les troupes sous son commandement. » Cela « va donner un signal fort aux autres combattants qui auraient l’intention de commettre des crimes graves et ce serait (…) le début de ‘la fin de la recréation ‘ ».
De la réponse de Joseph Kabila à cette lettre dépendra son avenir politique. Pour lui, écrivent nos ONGs, « c’est une occasion en or (…) de prouver que vous liez la parole à l’acte et que vous êtes véritablement la personne sur qui notre population peut compter et continuer à faire confiance pour ramener la paix à l’Est de la République démocratique du Congo et restaurer la justice. »
II. Un style poli ou prudent?
En lisant la lettre de nos ONGs, une chose saute aux yeux: le style est trop poli. Elles s’expriment sur un ton très respectueux de « son Excellence Monsieur le Président de la République » en essayant de fonder le plus possible leur argumentaire sur les faits.
Elles mentionnent les différents lieux où Ntaganda a opéré ses massacres et le fait que la RDC est un Etat (manqué!) partie au Statut de Rome instituant la Cour Pénale Internationale. Elles ne jugent pas de la valeur de cette Cour. Aussi essayent-elles d’oublier une partie de notre histoire et les massacres commis par ceux qui sont au pouvoir aujourd’hui sans que la justice ait été faite. Elles oublient que chez nous, il y a un précédent qui leur aurait permis de comprendre l’un des motifs qui pourrait justifier les alliances contre-nature avec Ntaganda, Nkunda, Joseph Kabila et son clan. Ces messieurs sont les oiseaux de même plumage. Ce n’est pas par hasard qu’ils n’ont pas, une fois aux affaires, fait fonctionner la Commission Vérité, Justice et Réconciliation. Ils font tous partie des réseaux de prédation installés au Congo depuis 1996. Il y a plus.
Ces messieurs font partie des « professionnels des armes et des violations des droits ». Dans un livre très bien documenté, le Groupe Justice et Libération (de Kisangani) étudiant la logique de la guerre qui sévit chez nous depuis 1996 et plus particulièrement de 1998 à 2003, note: « Théoriquement déclenchée pour implanter la démocratie dans le pays, la guerre n’a rien apporté de tel. Au contraire, elle a étouffé les élans de la transition démocratique initiée par la Conférence nationale souveraine, pour accoucher d’une autre transition qui a remis en scène les professionnels des armes et des violations des droits. » J.-P. BADIDIKE, Guerre et droits de l’homme en République Démocratique du Congo. Regard du Groupe Justice et Libération, Paris L’Harmattan, 2009, p. 255.) Plus loin, le groupe de Jean-Pierre Badidike note: « D’ailleurs, les faiseurs de ces guerres, devenus par un coup de baguette magique faiseurs de paix, ignorent souvent l’existence des instruments juridiques et s’en moquent quand on les leurs oppose. La conquête du pouvoir est leur seul fantasme, quel qu’en soit le prix à payer, même s’il s’agit des vies humaines innocentes réduites à servir de monnaie d’échange dans les négociations. » (Ibidem, p. 267. Nous soulignons. Je vous présenterai au début de la semaine prochaine une recension de ce ‘grand livre’. A travers un travail heuristique bien mené, il a réussi à mettre les noms sur nos cadavres nous permettant ainsi d’assumer notre devoir citoyen de mémoire et de justice.)
Et puis, en oubliant ce précédent, nos ONGs perdent de vue que Ntaganda, Nkunda et Kabila sont des instruments utilisés par la finance internationale. Demander à ce dernier de livrer son compère, c’est exagérer son rôle. Il a une mission à accomplir au même titre que les autres Kagame, Museveni, Nkunda, Ntaganda, etc. Il est possible que nos ONGs agissent avec beaucoup de prudence tout en témoignant de la capacité congolaise de rebondir…
III. La capacité congolaise de rebondir
La lettre de ces ONGs constitue un démenti aux chants des sirènes clamant sur les toits que les Congolais ne sont pas organisés. Comment ont-elles fait pour rédiger à cinquante une lettre de trois pages? Cela aurait-il été possible sans une certaine coordination?
Au vrai, au jour d’aujourd’hui, plusieurs milliers de Congolais et Congolaises sont debout au pays et dans la diaspora. Tous luttent pour que la patrie-mère soit reconquise. Nous sommes plus de 40 millions et notre capacité de rebondir reste intacte. C’est cette capacité de rebondir que « nos ennemis » cherchent à étouffer sans y parvenir.
Et nous rebondissons pour réclamer la paix et la justice dans le respect des nôtres tués sans aucun sens pitié et sans aucun sens d’humanité. Honorer la mémoire de nos morts victimes de l’holocauste ougando-rwando-burundais (avec le soutien des maîtres du monde et leurs collabos Congolais) nous engage à nous lever contre l’impunité pour que « plus jamais » nos filles et nos fils ne soient la proie facile des criminels de tout bord. Notre responsabilité face à notre situation passée, présente et à venir justifie notre lutte.
Nous rebondissons pour défendre les valeurs de la vie en sonnant « le début effectif de la fin de la recréation ». Telle est et sera la substance de notre longue, ardente et idéaliste lutte d’autodétermination.
Que peuvent en apprendre les « apprentis démocrates » et « leurs parrains »? Nous sommes plusieurs millions disséminés à travers le monde et notre capacité de résistance est plus puissante que des milliers de bombes.
Pour nos « apprentis démocrates » et ex-seigneurs de guerre, cette sortie médiatique de nos ONGs est une preuve que la légitimité issue des urnes n’est plus suffisante.
Le moment électoral passé, la démocratie appelle à l’interaction. Vos « parrains » l’ont compris.
En Belgique par, chaque matin, il y a, sur la RTBF, une émission interactive (Questions publiques) entre les acteurs politiques, économiques, administratifs et sociaux de premier plan avec le peuple. Chaque dimanche, sur La Une et sur la RTL, deux émissions interactives (Mise au point et Controverse) réunissent les représentants et les représentés Belges pour des débats sur des questions d’actualités. A travers ces émissions, la reddition des comptes se fait de manière permanentes (même si tout n’est pas parfait).Pour dire les choses autrement, la démocratie des urnes est en train de s’enrichir de la démocratie d’interaction dans l’intervalle de deux élections.
A travers cette lettre de nos ONGs, il y a un rappel au nouvel ordre démocratique qui est fait. Il s’agit de l’extension de la représentation à la société civile. La démocratie représentative ne peut plus être un régime n’engageant que « les élus » et les représentants qu’ils instituent.
La loi garantissant la création et les actions des associations citoyennes appellent à l’élargissement des sphères représentatives. En d’autres termes, ces ONGs, bien que n’étant pas « élues », représentent des portions importantes de nos populations. La démocratie d’interaction devient le lieu de la pluralisation des voix de nos populations à travers plusieurs représentations.
Dans un monde acquis aux idées de la démocratie diffractée, croire que l’on peut museler tout un peuple en ne le laissant s’exprimer qu’à travers « sa représentation politique » issue des urnes est une monstruosité dont celle-ci finit par payer le prix fort.
A travers l’action de ces ONGs, il y a des valeurs démocratiques qu’elles rappellent: « Tenir à la parole donnée » (la fin de la recréation!) et la confiance entre les représentants et les représentés.
Sans des actions permanentes de proximité impliquant l’écoute, le respect, l’ouverture, la reconnaissance, etc. La confiance, cette institution « invisible » et indispensable en démocratie, s’effrite et la démocratie en paie le prix.
Sans des actions permanentes de surveillance et de contrôle, sans une justice équitable assurée par les représentants et les autorités indépendantes de régulation (comme la Cour Constitutionnelle), la démocratie issue des urnes s’appauvrit et perd de son sens.
Donc, la légitimité des urnes sans celle acquise de manière permanente et interactive perd de sa saveur et invite le peuple à s’assumer. Les ex-seigneurs de guerre seront-ils capables d’entendre raison? Nous en doutons. Et leur clan? Non plus. Au Congo, l’histoire se répète. Les sondages bidon donnent à Joseph Kabila 90 % d’opinions favorables pendant que l’arrière-pays lui dit non. Souvenons-nous de Kin Kiey Mulumba, Ministre de la Communication du dernier gouvernement du Zaïre. Il disait que le Zaïre ne tombera point pendant que l’AFDL et « ses coalitions amies » étaient aux portes de Kinshasa. Mangeur, « le clan Kabila » se croit éternel…C’est de son droit…
J.-.P. Mbelu
Brussels-Belgie
Beni-Lubero Online



