





Par Mr. Kasereka Muliraheru
Licencié en promotion et éducation pour la santé de l’Université Catholique de Louvain
Introduction :
Les piercings et les tatouages (appelé scarifications chez les africains) sont des pratiques qui sont à la mode. Des jeunes de toute race et de toute origine, l’adopte, le pratique. Ces piercings sont des actes qui paraissent anodins, mais qui présentent des risques réels. En tant que promoteur et éducateur pour la santé, nous nous sentons dans le devoir de prévenir les jeunes. Une question se pose cependant : par où commencer ?
La pratique du piercing chez les jeunes peut être abordée de plusieurs manières. Certains sociologues, tel que Le Breton David (2002), et certains ethnologues, tel que Lacroix A-C (2000), dans leurs travaux, se sont limités à la recherche des sens à donner aux pratiques de tatouage et piercing aux près des jeunes européens. Les médecins, tels que Luminet Béatrice et Guyonnet Jean -Paul (2002), ont ausculté les conditions dans lesquelles se déroulent le tatouage et les piercings dans les studios européens. Les hommes politiques aussi, tel que Destexhe Alain (2002), se sont souciés de la réglementation en matière de tatouage et piercing en Belgique.
Du point de vue mise en garde sur l’état de santé et du bien être des jeunes originaires de l’Afrique noire en général et des jeunes nande en particulier, par rapport aux risques de santé liés à ces pratiques, il n’y a pas beaucoup d’études réalisées ni d’écrits dans ce sens. C’est pourquoi nous avons préféré aborder cette problématique en explorant les représentations sociales liées à ces actes au départ des quelques questions. Que représentent les piercings et tatouages chez les jeunes africains en général et chez les jeunes nande en particulier ? Perçoivent – ils les risques de santé liés à ces pratiques ou encore en sont-ils informés ? Quel est leur comportement vis-à-vis des piercings et tatouages?
Notre but étant de participer à la définition des pistes d’interventions en éducation pour la santé à partir des informations recueillies auprès de ces jeunes sur les représentations sociales qu’ils se font de la pratique du piercing et du tatouage. Les représentations sociales, d’après Jodelet (2003), ont une grande influence sur le comportement des individus. Lorsque ces représentations produisent ou maintiennent un comportement à risque au sein d’une population, cela pose un problème de santé publique qu’il convient d’étudier et de résoudre. En abordant les représentations des piercings et tatouages au sein du groupe des jeunes, nous nous attendons à découvrir la façon dont ces pratiques sont nommées, qualifiées, interprétées ; et aussi, la manière dont les membres de ce groupe se conduisent, se comportent ou agissent vis à vis de ces pratiques.
Méthodologie :
Notre étude a porté sur les jeunes congolais vivant en Belgique mais nous nous sommes limités aux jeunes nande (de l’une des plus de 250 ethnies de la République démocratique du Congo) vivant en Belgique quels que soient leurs statuts (étudiants, immigrés, demandeurs d’asile, réfugiés, religieux, naturalisés belge, etc.), leurs sexes, habitant ou n’habitant pas avec leurs parents et quelle que soit la durée de leur séjour en Belgique. On compte plus de cent jeunes nande en Belgique. Notre recherche a été réalisée au près des jeunes âgés de 12 et 35 ans. Ceux qui ont participé à l’étude étaient au nombre de 50 jeunes.
Nous avons examiné l’intérêt qu’ils portent à ces pratiques, tenant compte du fait que les piercings et les tatouages font partie de leur culture d’origine.
Un questionnaire anonyme, auto – administré a été utilisé pour explorer leurs représentations et perceptions de risques et pour essayer de comprendre leur comportement. Les données recueillies ont été analysées et traitées par voie informatique, sous Microsoft Office Excel et sous le logiciel SPSS for Windows.
Résultats :
Les représentations des piercings et tatouages chez les jeunes « nande » :
Figure 1 : Tatouage chez les nande.
Chez la majorité des jeunes nande, les piercings et tatouages représentent un ornement et une mode. Cette représentation rejoint celles des jeunes européens. Aujourd’hui, selon Breton D. (1994), « l’inscription [du tatouage] a valeur de décoration : elle traduit la volonté d’esthétisation de la relation à soi ; elle traduit aussi une manifestation de l’indépendance de l’individu par rapport au groupe social ; l’individu tente faire ce qu’il veut de son corps ».
Le tatouage est aussi considéré comme un traitement médical par une grande partie de jeunes nande.
Cette représentation reflète une des particularités de la culture nande. Kakiranyi Kule L. (1998) confirme cela dans ses écrits en disant que : « Le tatouage (olusako, en langue nande) est l’une des manières dont les ancêtres soignaient leurs malades ». Le Père Bergmans Lieven (1973) ajoute aussi que « chez le peuple nande quand le mal de tête persistait, le père de famille lui – même faisait à l’aide de son rasoir des scarifications assez profondes à l’endroit douloureux ». Il a écrit aussi en 1971 sur le peuple nande disant que « quand un homme, une femme ou un enfant tombe malade ; il s’adresse d’abord à un infirmier ou un médecin. Si le malade n’est pas guérit, on recourt au ‘musaki’ (le magicien). Celui – ci ayant à sa disposition de vrais médicaments, des extraits de plantes, guérit parfois effectivement le malade. Mais le plus souvent il emploie des moyens ‘métaphysiques’, par exemple, à l’aide d’un ‘kinuno’ (corne trouée), il extrait d’une scarification pratiquée sur le bras, la poitrine ou le dos, du sang et des ‘saletés’ qui sont censés avoir été injectés dans le corps du malade par un ‘muloyi’ (le sorcier), personne reconnue avoir la capacité de faire du mal aux autres, par des moyens secrets et métaphysiques ». Les résultats d’une enquête réalisée au mois de septembre 2005 en République Démocratique du Congo sur le tatouage (scarification) et piercing chez le peuple nande confirment la persistance de ces pratiques dans plusieurs milieux.
La moitié de jeunes interrogés avait un piercing et 1/13 de jeunes interrogés avaient de tatouage sur leur corps. La grande majorité ne s’intéresse pas au tatouage. La partie percée du corps pour la majorité était surtout le pavillon de l’oreille. Par contre toutes les parties du corps étaient sollicitées pour le tatouage sans aucune préférence de la majorité.
Le comportement des jeunes « nande » face aux piercings et tatouages et leurs perceptions de risque de santé liés à ces pratiques:
Certains jeunes nande qui ont pratiqué des piercings ou des tatouages développent un comportement défavorable à la santé dans ce domaine. Cela s’explique par le fait d’avoir réalisé leur 1er piercing (81%) ou 1er tatouage (75%) étant mineur d’âge ; le matériel utilisé (pistolet ou boucle d’oreille) n’étant pas stérile ; leurs perceurs ou tatoueurs (parents, bijoutiers, amies, sœurs, voisines) n’étant pas qualifiés ni agréés pour poser ces actes.
Ces jeunes ne connaissaient pas les précautions à prendre, indications ou les contre-indications à respecter avant de se faire tatouer ou percer. En plus, ils ne sont pas attentifs aux soins à réaliser après ces pratiques. Et d’ailleurs, la plupart d’entre eux ont fait l’objet d’effets secondaires non-désirés : les infections (abcès) et les cicatrices gonflées (inflammatoires). Ces derniers ont étés cités parmi les risques perçus par la majorité de ces jeunes.
L’intention des jeunes « nande » de se( re)faire des piercings et/ou des tatouages :
Quelques jeunes ont exprimé l’intention de se faire (ou se refaire) percer et d’autres se faire (ou se refaire) tatouer même si la majorité n’est pas disposée à les faire ou refaire.
Les raisons les plus évoquées par les jeunes d’être disposés à se faire percer sont: la beauté, l’ornement pour femme et surtout le faire sur les oreilles.
La majorité de jeunes qui ne sont pas disposé à se faire percer sont des hommes (garçons) et trouvent que cette pratique est réservée aux femmes.
Conclusion et recommandations:
Les jeunes « nande » manifestent une attirance pour la pratique de piercing et tatouage. Et cette attirance est renforcée par l’existence de ces pratiques dans leur culture d’origine. Malheureusement, la plus part de ces jeunes présentent un comportement à risque dans le choix et la gestion de leurs tatouages et piercing. Quelque soit ce que représente pour eux le piercing et tatouage (la mode, l’ornement et soin); sur base des résultats de notre recherche; une campagne de sensibilisation suivie des formations au près des jeunes congolais en générale et aux près de jeunes nande en particulier et au près des tatoueurs / perceurs sont à recommander. Elles devront se focaliser sur les risques de santé liés à ces pratiques, sur les précautions à prendre avant de réaliser les piercings et/ou tatouages, sur les choix du perceur et/ou du tatoueur, sur les choix de parties du corps à percer et/ou à tatouer, sur les soins à réaliser après le piercing et/ou tatouage pour promouvoir le bien être de ces jeunes.
Cette sensibilisation pourra se dérouler dans leurs familles, dans leurs écoles, dans leurs associations culturelles (asbl) et dans leurs églises et/ou leurs mosquées.
Mots clés : piercings et tatouages (scarification), jeunes « nande », représentations sociales, risques de santé, promotion de la santé, éducation pour la santé.
Référence :
Berghmans Lieven (1971), « Les wanande (tome II). Croyances et pratiques traditionnelles », Editions ABB, Butembo, 15 mai 1971.
Berghmans Lieven (1973), « Les wanande (tome III). Une peuplade aux pieds des monts de lune (La vie familiale ancestrale) », Editions ABB, Butembo, 15 mai 1973.
Destexhe Alain (2002), Proposition de loi sur les pratiques du tatouage et du piercing, Bruxelles, le 15 novembre 2002, consulté le 9/12/2003 à : http://www.destexhe.be/proposition_loi_tatouage_piercing.htm
Jodelet D. (2003), « Les représentations sociales », Collection Sociologie d’aujourd’hui, 7e édition, Presses universitaires de France, Paris, 420 pages
Kakiranyi Kule L. (1998), « Le munande (Yira) et ses traditions », Editions G.I.B, Butembo, octobre 1998.
Lacroix A.-C. (2000), Quand le corps prend la parole : socio-ethnographie du tatouage et du piercing en Occident, UCL, Louvain La Neuve.
Le Breton David (2002), « Signes d’identité : tatouages, piercing et autres marques corporelles », Coll. Traversées, Editions Métailié, Paris, 224 pages.
Le Breton David. (2000), L’identité à fleur de peau (tatouage, piercing, etc.), in Libération, le 30 mars 2000.
Luminet B. et Guyonnet J.-P. (2002), « Sécurité sanitaire, tatouage et piercing, des pratiques professionnelles à risques » in Bulletin Epidémiologique Hebdomadaire, n°04/2003, Ministère de l’emploi et de la solidarité, Institut de Veille Sanitaire, République française, Consulté, le 02/12/2003 à : http://www.invs.sante.fr/beh/2002/04.
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