





ASFCO: Les Kivus étranglés dans un Congo phagocyté [1]
Qu’est-ce qu’il est en train de se passer dans les deux provinces du Nord et Sud Kivu, dans l’Est de la République Démocratique du Congo ? Un témoin congolais, observateur attentif des événements de son pays et de la région nous livre sa lecture de la situation et parle à son peuple.
1. Processus de mise en place
Certains spécialistes de la Région des Grands Lacs, sous prétexte d’y opérer leurs bienfaits, ont élaboré et mis en place la théorie de la «nouvelle géopolitique de la Région des Grands Lacs Africains». En voici les ingrédients:
a) Phagocyter le grand Congo pour ouvrir son espace et ses richesses naturelles à ses voisins (Ouganda, Rwanda, Burundi et Angola); cela pour que la Communauté internationale puisse faire amende honorable du génocide au Rwanda.
b) Trouver, mettre au pouvoir, renforcer et soutenir au Congo une personne acquise à la théorie et apte pour aider à sa mise en application.
2. Stratégies d’exécution
Pour atteindre ces objectifs, on a décidé de:
a) Débarrasser le Président Joseph Kabila de tous ses concurrents. C’est ce que Jean Pierre Bemba n’avait pas vite compris et ce dont Vital Kamerhe est en train de payer les frais.
b) Dompter et discipliner l’élève Kabila pour qu’il exécute les ordres qu’il recevra. Dans ce but, il fallait lui démontrer son impuissance contre le CNDP de Laurent Nkundabatware[2]. Une fois convaincu l’élève qu’il n’est pas le souverain du Congo, l’aider à asseoir son autorité absolue sur le reste des congolais.
c) Renforcer le CNDP en l’intégrant dans l’armée et la vie politique.
d) Anéantir et effacer la résistance des autochtones (Maï-maï) par leur démilitarisation et leur démobili- sation (« DDR ») et laisser intacte et même renforcer la branche du CNDP au Sud-Kivu, les « FRF ».
e) Affaiblir la société civile congolaise, soit par le débauchage de ses leaders au profit des postes politiques, soit par des intimidations, des répressions, des assassinats de récalcitrants.
f) Miner le rôle du Parlement et le réduire à caisse de résonance du Gouvernement, en plaçant au sein de son bureau des personnes manipulées et manipulables pour le besoin de la cause: de vrais danseurs pour la gloire du Chef.
g) Transformer l’opposition politique en coquille vide et l’obliger à jouer le rôle d’acteur du théâtre sur une scène dont les maîtres sont au PPRD[3]. La réussite de ce pari vient d’être démontrée lors des élections du nouveau bureau de l’Assemblée Nationale, où les députés de l’opposition ont voté pour la Majorité Présidentielle « AMP », au détriment de leur propre candidat; elle est aussi démontrée par la guéguerre semée au sein de l’UDPS, dit « opposition non institutionnelle » ; ainsi, vive la démocratie de façade et le règne de l’idolâtrie du culte de la personne.
3. Opportunité exploitée
La vassalité des acteurs politiques congolais aidant, le concept d’Etat ne sera plus intériorisé dans la mentalité de nombre de congolais comme le bien commun à préserver, mais plutôt comme la proie à dépecer. Face à un déficit d’éthique généralisé, les détenteurs traditionnels du discours moral, que sont les églises, se sont eux aussi largement privés du pouvoir de jouer les arbitres. Même des pasteurs s’adonnent à la longueur des journées à des cérémonies du culte de la personne du Chef de l’Etat.
Quant à la société civile qui était porteuse de l’espoir d’une évolution positive, ses leaders ont fait le choix de briguer des postes politiques et ont abouti à la création d’une société politico-civile qui ne pourra plus impulser une transformation des mœurs des politiciens. Cette société civile en faillite est incapable aujourd’hui de fédérer une force sociale susceptible de peser sur la classe politique.
Tous les syndicats sont en faillite, car le 85 % de la population est chômeur et le 15 % sous–employé, sous–payé, et donc incapable de cotiser pour le syndicat.
Ces opportunités étant réunies, Kabila attire à Kinshasa les leaders des composantes sociales précités pour mieux les surveiller. Sa stratégie réside dans des nominations et remaniements réguliers au sein des postes politiques et publics. Les remaniés restent en permanence en train de tourner à Kinshasa dans l’attente d’une hypothétique nouvelle nomination et ceux qui ont un poste s’efforcent de le conserver le plus longtemps possible.
A ce stade, sur quoi résidera encore le sentiment pourtant démontré par les congolais pendant les guerres qui ont déchiré le pays? Il s’agit de ce sentiment de vivre au sein d’un même espace et d’une même entité congolaise, de ce sentiment d’être unis par le sort et de partager les mêmes difficultés, les mêmes rêves et les mêmes dons pour pouvoir survivre…
4. L’exécution du projet
La réalisation du projet procède par étapes, dont les premières pourraient être déjà en cours et les suivantes on pourrait déjà les prévoir approximativement.
a) On a déjà invité officiellement à l’Est du Congo les mois derniers les armées ougandaise et rwandaise; l’Angola s’occupera de l’Ouest le moment venu. Ceci mettra sous tutelle le Kivu et l’Ituri; on disciplinera les autochtones au profit des milieux d’affaires et d’exploitation du sol et sous-sol congolais et de cette façon on coupera court aux arguments de pillage et prédation des richesses naturelles du Kivu. Pour ce faire, en plus des armées rwandaise et ougandaise, on utilise des collabos congolais, ceux-là mêmes que la population avait rejetés lors des élections pour sanctionner leurs atrocités et crimes commis sur elle pendant la guerre du RCD[4].
b) On a déjà intégré des soldats rwandais dans l’armée congolaise, sous couvert des soldats rebelles du CNDP brassés. Aujourd’hui, quatre mille soldats rwandais entrés au Congo par l’opération conjointe FARDC/RDF[5] pour combattre les FDLR[6] ont déjà troqué leur tenue militaire RDF contre la tenue FARDC. Ils sont stationnés dans les chaînes des monts Mitumba dans le territoire de Walikale au Nord-Kivu; tandis que l’armée ougandaise est en train de se battre en Uélé, dans la Province Orientale. Cela n’empêche que le gouvernement congolais nous chante chaque jour, la main au cœur, que ces deux armées sont déjà rentrées dans leurs pays respectifs, c.-à-d. au Rwanda et en Ouganda.
c) Les opérations militaires actuelles ne font que repousser de plus en plus les rebelles rwandais FDLR en profondeur dans la forêt congolaise, tout en feignant leur rapatriement au Rwanda par l’opération DDDR de la MONUC[7]. Les uns périront dans la forêt et les autres, les plus chanceux, se confondront avec les paysans congolais et s’installeront au Congo, d’autant plus que nombre d’entre eux vivent déjà parmi la population congolaise qu’ils ont prise en otage.
d) Le Haut Commissariat des Nations-Unies pour les Réfugiés (HCR) aidera à déverser aux Kivu 40.000 rwandais, sous couvert d’étiquette de « réfugiés congolais rapatriés du Rwanda ». Pour ce, les tractations sont en cours entre les gouvernements rwandais et congolais et le HCR, en l’absence des chefs traditionnels congolais, alors que la Conférence de Goma de janvier 2008 en exigeait l’implication.
e) On éloigne les Kivu et l’Ituri du reste du Congo par un forcing, pour qu’ils dépendent économiquement du Rwanda et de l’Uganda. Au lieu de renforcer le barrage hydroélectrique que les Nandés de Butembo avaient commencé, Kabila signe des accords pour que ce soit l’Ouganda qui alimente en électricité tout le Nord-Kivu et l’Ituri, avec toutes les conséquences de dépendance et financières que cela comporte. L’Ouganda est–il doté d’une potentialité hydraulique plus forte que cette partie du Congo?
f) On créera des entreprises régionales sous couvert d’intégration régionale, dont l’unique objectif sera d’exploiter les ressources naturelles du Congo au profit de l’Ouganda et du Rwanda. Exploiter en commun des richesses naturelles n’est pas une mauvaise chose, mais quelle est la contrepartie qu’amèneront les pays qui bénéficieront des dividendes du produit pour s’associer au Congo?
g) Une fois le terrain déblayé et protégé par les armées rwandaise et ougandaise, le commandement de l’armée congolaise sera placé entre les mains des officiers ougando-rwando-congolais. Toutes les institutions tant politiques que publiques seront aussi dirigées par des cadres ougando-rwando-congolais.
h) On créera une fédération Ituri-Kivu qui jouira dans un premier temps d’une certaine autonomie. Une fois celle-ci assurée et renforcée, on convoquera un referendum pour l’autodétermination de la fédération. Dans le cas d’un verdict positif, on déclarera son indépendance, que la Communauté internationale reconnaîtra très vite.
i) Une fois l’autodétermination de la fédération Ituri-Kivu acquise, le Katanga et le Bas–Congo emboîteront les pas. Ainsi l’éclatement du Congo en petits morceaux sera alors une réalité. Ces nouvelles entités du Congo seront phagocytées par des pays voisins, l’Ouganda, le Rwanda et l’Angola en tête et exploitées aux diktats et bénéfices des puissances et multinationales occidentales suivant les accords de partage, comme ce fut le cas en 1885 à la Conférence de Berlin. Voilà le plan Cohen-Sarkozy. Revoir les frontières de la RDCongo avec une nouvelle géopolitique mise en place.
5. Comment envisager l’avenir
Toute stratégie à concevoir pour l’avenir par les congolais devra nécessairement reposer sur deux réalités.
* Nous devons lutter contre les tout-puissants princes de ce monde, USA, France, Belgique, et leurs activistes, principalement : le Rwanda, l’Ouganda et l’Angola, dont les thuriféraires sont au pouvoir à Kinshasa, Goma et Bukavu. Nous devons lutter contre les avatars, nos luttes intestines et notre égoïsme pour ne pas courber l’échine et accepter l’inacceptable: la vie d’humiliation, d’exploitation, de soumission, bref, la vie chosifiée.
* Le combat de survie que nous devons engager doit emprunter le chemin de la non-violence active, la vérité, la justice, contraires à la violence, l’injustice et le mensonge, bref aux antivaleurs. Nous devons avoir une foi inébranlable dans la victoire, car c’est chez nous qu’il y a la légitimité et la raison ; notre Dieu, Chef des armées, est de notre côté, nous les opprimés.
Que faire ?
Ø Rejeter tout ce qui nous divise et considérer tout ce qui nous unit, car tous nous sommes en péril avec notre progéniture : c’est un combat de survie.
Ø Former et informer notre population pour une transformation radicale, c’est-à-dire l’amener à prendre conscience de son péril, s’accepter et comprendre que personne d’autre ne viendra la libérer si non son engagement ; que c’est une question de survie,
Ø Eduquer aux vraies valeurs qui sont la non-violence active, la vérité, la justice et l’abnégation ; comprendre et faire comprendre à la population congolaise que tout en prônant l’amour du prochain, la solidarité vis-à-vis des voisins, le Congo demeure néanmoins le don que Dieu nous a légué par nos ancêtres et que nous avons le devoir sacré de défendre contre tout prédateur qui vient de l’intérieur ou de l’extérieur. Oui, c’est un travail harassant et de longue haleine, mais nous n’avons plus de choix si nous ne voulons pas périr. Oui, nous vaincrons si nous nous débarrassons de nos vantards d’égoïsme, d’individualisme, de jalousie, de traîtrise et de goût du lucre. Oui, nous avons l’obligation de démontrer au monde qu’un peuple uni et déterminé est capable de venir à bout de n’importe quel complot contre lui et que le Congo est une grande nation. Ayons la foi et Dieu sera de notre côté.
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ASFCO
Bukavu, avril 2009.
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[1] Le Kivu au pluriel, sont les provinces du Nord et du Sud-Kivu.
[2] Ou, en abrégé, Nkunda, l’ex-général qui a guidé une rébellion filo-rwandaise au Nord-Kivu depuis juillet 2007, en provoquant deux millions de déplacés. Son mouvement a pris le nom de Congrès National pour la Défense du Peuple (CNDP).
[3] Le parti du Président de la République.
[4] La guerre commencée le 2 août 1998.
[5] FARDC : armée nationale de la République Démocratique du Congo ; RDF : armée nationale du Rwanda.
[6] Forces Démocratiques pour la Libération du Rwanda, l’organisation politico-militaire des réfugies hutu rwandais au Congo.
[7] La force ONU au Congo.





